Pour aider l’ARC Ă percevoir la TPS/TVH qui ne lui a pas Ă©tĂ© remise, l’article 222 de la Loi sur la taxe d’accise crĂ©e une fiducie rĂ©putĂ©e au profit de l’État Ă l’Ă©gard du montant en question. Ces dispositions sur la fiducie rĂ©putĂ©e Ă©tablissent, au profit de l’État, une prioritĂ© absolue couvrant l’ensemble des biens du dĂ©biteur fiscal, y compris ceux qui sont en la possession d’un crĂ©ancier garanti.
Dans l’arrĂŞt Canada c. Banque Toronto-Dominion, 2018 CF 538, la Cour fĂ©dĂ©rale du Canada a affirmĂ© que ces dispositions sur la fiducie rĂ©putĂ©e s’Ă©tendent aux recettes gĂ©nĂ©rĂ©es par la vente volontaire d’un bien du dĂ©biteur fiscal (en l’occurrence, une maison) et le paiement subsĂ©quent versĂ© Ă un crĂ©ancier garanti (la banque bĂ©nĂ©ficiaire de l’hypothèque). La Cour a en outre conclu que la banque, en qualitĂ© de crĂ©ancière garantie, ne pouvait se fonder sur le moyen de dĂ©fense en equity fondĂ© sur la notion d’acquĂ©reur de bonne foi et Ă titre onĂ©reux pour rĂ©futer la fiducie rĂ©putĂ©e de l’article 222. En somme, cet arrĂŞt pourrait avoir de graves rĂ©percussions sur la façon dont les crĂ©anciers garantis, tels que les banques, considèrent les hypothèques et autres opĂ©rations de prĂŞt lorsque les emprunteurs pourraient avoir des dettes fiscales prĂ©existantes.
En l’espèce, le dĂ©biteur, qui exploitait une entreprise d’amĂ©nagement paysager Ă titre d’entreprise individuelle, avait perçu 67 854 $ au titre de la TPS en 2007 et 2008, mais ne les avait pas reversĂ©s au receveur gĂ©nĂ©ral. En 2010, la Banque TD, ignorant la dette fiscale du dĂ©biteur, lui a accordĂ©, ainsi qu’Ă son Ă©pouse, une marge de crĂ©dit hypothĂ©caire ainsi qu’un prĂŞt hypothĂ©caire. Ces prĂŞts Ă©taient garantis par la maison et le droit de la Banque TD a Ă©tĂ© dĂ»ment enregistrĂ©. En 2011, le dĂ©biteur a vendu sa maison et utilisĂ© le produit de la vente pour s’acquitter de ses dettes envers la Banque TD, tant celle dĂ©coulant de l’hypothèque que celle liĂ©e Ă la marge de crĂ©dit hypothĂ©caire. Ce remboursement s’est traduit par une mainlevĂ©e des garanties enregistrĂ©es.
L’ARC a ultĂ©rieurement envoyĂ© Ă la Banque TD une mise en demeure exigeant le remboursement de la dette fiscale de 67 854 $ justifiĂ©e par son interprĂ©tation des dispositions de l’article 222 de la LTA portant sur les fiducies rĂ©putĂ©es selon laquelle il s’applique Ă la vente de biens et exige que la Banque TD rembourse les paiements effectuĂ©s par le dĂ©biteur au moyen du bien qui Ă©tait rĂ©putĂ© dĂ©tenu en fiducie. En dĂ©saccord, la Banque TD s’appuyait notamment sur l’argument selon lequel elle avait le droit d’invoquer le moyen de dĂ©fense en equity fondĂ© sur la notion d’acquĂ©reur de bonne foi et Ă titre onĂ©reux, aux termes duquel si un acquĂ©reur d’un bien dĂ©tenu en fiducie fournit une contrepartie alors qu’il ignore que le transfert constitue un manquement Ă une obligation fiduciaire, la rĂ©clamation du bĂ©nĂ©ficiaire de la fiducie peut ĂŞtre rejetĂ©e.
Après avoir examinĂ© le libellĂ© de l’article 222 de la LTA et la jurisprudence pertinente, la Cour a affirmĂ© que les fonds versĂ©s par le dĂ©biteur fiscal Ă la Banque TD constituaient un « produit » du bien du dĂ©biteur et faisaient l’objet d’une fiducie rĂ©putĂ©e. Plus prĂ©cisĂ©ment, elle a conclu que l’expression « le produit dĂ©coulant de ces biens est payĂ© au receveur gĂ©nĂ©ral » inscrite dans le paragraphe 222(3) recouvre le produit dĂ©coulant de la vente volontaire d’un bien du dĂ©biteur fiscal. Advenant une telle vente, un dĂ©biteur fiscal a par consĂ©quent l’obligation de payer le produit au receveur gĂ©nĂ©ral. Si, au lieu de le faire, il rembourse un crĂ©ancier garanti, ce dernier est lĂ©galement tenu de reverser l’argent Ă l’État.
Concernant le moyen de dĂ©fense en equity fondĂ© sur la notion d’acquĂ©reur de bonne foi et Ă titre onĂ©reux invoquĂ© par la Banque TD, la Cour a affirmĂ© que si ce moyen de dĂ©fense en equity peut ĂŞtre invoquĂ© par des crĂ©anciers non garantis, elle ne peut ĂŞtre invoquĂ©e par un crĂ©ancier garanti pour se soustraire Ă l’application de la notion de fiducie rĂ©putĂ©e mise en place par l’article 222. Affirmer le contraire serait, de l’avis de la Cour, priver de toute signification les dispositions de l’article 222 portant sur la fiducie rĂ©putĂ©e et serait contraire aux antĂ©cĂ©dents lĂ©gislatifs de ces dispositions qui dĂ©montrent une intention du lĂ©gislateur de sĂ©parer les crĂ©anciers garantis des autres et de les traiter diffĂ©remment.
La Cour a reconnu que ses conclusions pourraient sembler « sĂ©vères pour les crĂ©anciers garantis, tout particulièrement lorsqu’ils octroient des prĂŞts Ă des particuliers plutĂ´t qu’Ă des entreprises ». Cependant, elle les a motivĂ©es par le fait que le paragraphe 222(4), qui prĂ©voit qu’aux fins des dispositions sur la fiducie rĂ©putĂ©e « n’est pas un droit en garantie celui qui est visĂ© par règlement », suggère que « le lĂ©gislateur s’est dĂ©jĂ penchĂ© sur les Ă©ventuelles consĂ©quences sĂ©vères de la fiducie rĂ©putĂ©e sur les prĂŞteurs et a tracĂ© une ligne prĂ©cise quant Ă ce qui est exemptĂ© ».
La dĂ©cision rendue dans l’affaire Banque TD pourrait avoir des incidences graves sur la façon dont les crĂ©anciers garantis, tels que les banques, conçoivent les hypothèques visant des logements et autres prĂŞts garantis (p. ex., les prĂŞts pour l’achat de vĂ©hicules automobiles) accordĂ©s Ă des acheteurs possĂ©dant des entreprises qui ne sont pas constituĂ©es en sociĂ©tĂ©s. Cela s’explique par le fait qu’essentiellement, elle valide l’hypothèse selon laquelle si un crĂ©ancier accorde un prĂŞt garanti Ă un acheteur sans savoir que ce dernier exploite une entreprise qui n’est pas constituĂ©e en sociĂ©tĂ© titulaire d’une dette fiscale, le prĂŞt, Ă toutes fins utiles, devient la propriĂ©tĂ© de l’État et le prĂŞt garanti ne peut ĂŞtre remboursĂ© qu’après l’extinction de la dette fiscale en souffrance. Circonstance aggravante : si le prĂŞt garanti est remboursĂ© avant l’extinction de la dette fiscale, le crĂ©ancier garanti devient personnellement responsable de la dette fiscale de l’acheteur mĂŞme s’il ignorait son existence lors du remboursement du prĂŞt garanti.
Cet arrĂŞt pourrait certainement compliquer les choses pour les entreprises, en particulier les entreprises exploitĂ©es Ă titre individuel, qui souhaitent obtenir des hypothèques ou des prĂŞts bancaires car, contrairement aux privilèges de construction, il n’existe actuellement aucun mĂ©canisme de recherche dont pourrait se servir un crĂ©ancier garanti pour dĂ©terminer l’existence d’une fiducie rĂ©putĂ©e en vertu de l’article 222 avant d’accorder les fonds. Étant donnĂ© les considĂ©rables ramifications de cet arrĂŞt, nous ne serions pas surpris s’il Ă©tait infirmĂ© par la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale qui en a Ă©tĂ© saisie par voie d’appel.
Robert G. Kreklewetz et Steven Raphael sont avocats dans le cabinet Millar Kreklewetz LLP