Le paragraphe 141.01(2) de la Loi sur la taxe d’accise prĂ©voit qu’un bien ou un service acquis pour utilisation dans une entreprise est rĂ©putĂ© utilisĂ© dans le cadre des activitĂ©s commerciales seulement dans la mesure oĂą le bien ou le service est utilisĂ© afin d’effectuer des fournitures taxables ou dĂ©taxĂ©es. Par ailleurs, le paragraphe 141.1(3) prĂ©voit que tout acte d’une personne Ă l’occasion de l’acquisition, de l’Ă©tablissement, de l’aliĂ©nation ou de la cessation d’une activitĂ© commerciale est rĂ©putĂ© se produire dans le cadre d’activitĂ©s commerciales.
Conceptuellement, dans les cas oĂą un inscrit acquiert un bien ou un service Ă l’occasion de l’acquisition, de l’Ă©tablissement, de l’aliĂ©nation ou de la cessation d’une activitĂ© commerciale, mais n’a pas encore effectuĂ© ou a cessĂ© d’effectuer des fournitures taxables, il y a un conflit apparent entre le paragraphe 141.1(3) et le paragraphe 141.01(2). Dans ce scĂ©nario, un inscrit serait rĂ©putĂ© avoir effectuĂ© le bien ou le service dans le cadre d’activitĂ©s commerciales en vertu du paragraphe 141.1(3), mais serait aussi rĂ©putĂ© avoir effectuĂ© le bien ou le service dans le cadre d’activitĂ©s non commerciales en vertu du paragraphe 141.01(2).
Dans ONEnergy Inc. v. Canada, 2018 FCA 54, la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale a rĂ©solu ce conflit apparent en concluant que le paragraphe 141.1(3), Ă©tant la disposition plus particulière, l’emporte sur le paragraphe 141.01(2).
Dans l’arrĂŞt ONEnergy, l’appelante/l’inscrite avait exploitĂ© une entreprise de tĂ©lĂ©communications sous la dĂ©nomination Look Communications Inc. Pendant qu’elle exploitait cette entreprise de tĂ©lĂ©communications, l’inscrite a offert un rĂ©gime d’options d’achat d’actions et un rĂ©gime de droits Ă la plus-value des actions Ă certains employĂ©s, administrateurs et consultants. Ă€ l’exercice, le rĂ©gime DPVA permettait Ă ces porteurs de droits de recevoir un montant correspondant Ă la diffĂ©rence entre la juste valeur marchande des actions Ă l’exercice des droits et leur juste valeur marchande Ă l’attribution des droits.
En 2009, Look a vendu son spectre de tĂ©lĂ©communications et sa licence de radiodiffusion du CRTC pour un produit net de 64 millions de dollars. Cela a concrètement mis fin Ă l’entreprise de tĂ©lĂ©communications et Ă la crĂ©ation de fournitures taxables pour l’application de la TPS. Une partie du produit des ventes du spectre et de la licence a servi Ă payer l’annulation des options d’achat d’actions et des DPVA ainsi que les primes aux porteurs de droits, notamment les administrateurs, dirigeants, actionnaires et employĂ©s (collectivement appelĂ©s les « anciens dirigeants »).
En juillet 2011, Look, au nom de ses actionnaires, a intentĂ© une poursuite pour manquement Ă l’obligation fiduciaire et dĂ©tournement du produit des ventes du spectre et de la licence contre les anciens dirigeants, allĂ©guant que des paiements excĂ©dentaires au montant de 14,7 millions de dollars avaient Ă©tĂ© effectuĂ©s. Cela a inĂ©vitablement engendrĂ© des frais juridiques considĂ©rables et d’autres dĂ©penses Ă l’Ă©gard desquels Look s’est fait facturer et a payĂ© la TPS.
Une requĂŞte fondĂ©e sur la règle 58 a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e Ă la Cour canadienne de l’impĂ´t en vue de la dĂ©termination de la question de droit consistant Ă savoir si les frais liĂ©s au litige avaient Ă©tĂ© engagĂ©s dans le cadre d’une activitĂ© commerciale en vertu de l’alinĂ©a 141.1(3)a) de la LTA.
La CCI a dĂ©clarĂ© que les frais liĂ©s au litige Ă©taient personnels et n’avaient donc pas Ă©tĂ© engagĂ©s dans le cadre d’une activitĂ© commerciale en vertu de l’alinĂ©a 141.1(3)a).
En appel, la CAF estimait que la CCI avait commis une erreur en concluant que les frais liĂ©s au litige Ă©taient personnels. La CAF considĂ©rait les frais liĂ©s au litige comme une rĂ©clamation pour excĂ©dent de rĂ©munĂ©ration contre les anciens dirigeants. Étant donnĂ© que cette rĂ©munĂ©ration avait Ă©tĂ© versĂ©e pour les services rendus dans le cadre des activitĂ©s commerciales de Look ou de la cessation de ces activitĂ©s, la CAF Ă©tait d’avis que ces frais n’Ă©taient pas personnels.
Cela dit, la CAF a soulignĂ© que puisque Look avait cessĂ© d’effectuer des fournitures taxables avant d’engager les frais juridiques, il y avait un conflit apparent entre les règles constitutives de prĂ©somption prĂ©vues aux paragraphes 141.01(2) et 141.1(3) de la LTA parce qu’il peut ĂŞtre difficile de soutenir qu’une dĂ©pense engagĂ©e après qu’un inscrit cesse d’effectuer des fournitures taxables est engagĂ© en vue d’effectuer des fournitures taxables mĂŞme si elle est faite dans le cadre de la cessation d’activitĂ©s commerciales.
La CAF a rĂ©solu ce conflit en concluant qu’Ă©tant donnĂ© qu’il s’agissait d’une disposition plus particulière, le paragraphe 141.1(3) l’emportait sur le paragraphe 141.01(2) en raison de la règle d’interprĂ©tation lĂ©gislative de l’« exception implicite » qui prĂ©voit qu’on ne peut pas appliquer une disposition gĂ©nĂ©rale de manière Ă Ă©carter une disposition particulière. Ainsi, la CAF a conclu que le paragraphe 141.01(2) s’applique de façon gĂ©nĂ©rale, mais que lorsqu’un inscrit acquiert un bien ou un service, dans des cas oĂą le paragraphe 141.1(3) s’applique (c.‑à ‑d. dans le cadre de l’acquisition, de l’Ă©tablissement, de l’aliĂ©nation ou de la cessation d’une activitĂ© commerciale), l’inscrit ne perd pas son droit de rĂ©clamer un crĂ©dit de taxe sur les intrants parce que cette personne n’effectue pas de fournitures taxables au moment de l’acquisition de ce bien ou de ce service.
Ayant conclu que le fait que Look n’effectuait plus de fournitures taxables ne constituait pas en soi une raison pour la priver de son droit de rĂ©clamer des CTI ayant trait aux frais liĂ©s au litige, la CAF Ă©tait d’avis qu’il y avait un lien clair entre le litige et la cessation des activitĂ©s commerciales de Look puisque l’excès de rĂ©munĂ©ration avait trait Ă des services rendus par les anciens dirigeants pendant que Look effectuait toujours des fournitures taxables. Pour ce motif, la CAF a conclu qu’il y avait un lien suffisant entre la cessation des activitĂ©s commerciales de Look et les frais liĂ©s au litige pour permettre Ă Look de rĂ©clamer des CTI.
La CAF a donc accueilli l’appel et a confirmĂ© que les frais liĂ©s au litige payĂ©s par Look avaient Ă©tĂ© engagĂ©s dans le cadre d’une activitĂ© commerciale en vertu de l’alinĂ©a 141.1(3)a) de la LTA.
La dĂ©cision rendue par la CAF dans l’affaire ONEnergy est certes une victoire agrĂ©able pour les contribuables. De façon plus importante, la conclusion de la CAF, selon laquelle lorsque le paragraphe 141.1(3) s’applique, une personne ne sera pas privĂ©e du droit de rĂ©clamer un crĂ©dit de taxe sur les intrants simplement parce que cette personne n’effectue pas de fournitures taxables au moment de l’acquisition de ce bien ou de ce service, est importante puisqu’elle fait en sorte que les entreprises canadiennes, particulièrement les entreprises en dĂ©marrage, soient traitĂ©es justement et ne soient pas aux prises avec une cascade de prĂ©occupations fiscales (ce qui se produirait par exemple si les CTI Ă©taient retardĂ©s au dĂ©marrage d’une entreprise).
Robert G. Kreklewetz et Steven Raphael exercent Ă Millar Kreklewetz LLP