Des enquêtes criminelles et des vérifications fiscales civiles simultanées sont monnaie courante lorsque l’Agence du revenu du Canada estime qu’un contribuable a sciemment omis de déclarer des revenus ou de verser des impôts exigibles. Eu égard aux normes et fardeaux de la preuve différents selon qu’il s’agit d’instances pénales ou civiles, les acquittements dans le cadre des premières ont généralement des répercussions très limitées, voire inexistantes, sur l’instance civile subséquente. Dans le contexte fiscal, l’ARC a souvent gain de cause dans les appels interjetés devant la Cour canadienne de l’impôt même après un acquittement du contribuable à l’issue d’une instance pénale fondée sur les mêmes faits.
La décision rendue dans l’affaire Samaroo v. The Queen, 2016 TCC 290 (disponible uniquement en anglais) fait cependant figure d’exception à la règle générale. En l’espèce, les conclusions probatoires quant aux faits auxquelles est parvenu le juge du tribunal pénal qui a acquitté les contribuables de l’accusation d’évasion fiscale ont non seulement été admises par la CCI, mais le juge de cette Cour leur a accordé un poids hors du commun.
M. et Mme Samaroo, un couple marié, et leurs sociétés ont été imposés au titre de revenus non déclarés et de TPS/TVH non versée car l’ARC estimait qu’ils avaient versé dans leurs comptes personnels des espèces provenant de leur revenu d’entreprise non déclaré. M. et Mme Samaroo étaient également accusés, au pénal, d’évasion fiscale. Ils ont été acquittés par le juge de première instance qui a conclu que le dossier du ministère public était [traduction] « peu crédible » et appuyé par des preuves « manquant de fiabilité » et « extrêmement équivoques » qui contenaient des « vices considérables » et des « incompatibilités ».
Après avoir été acquittés de l’accusation d’évasion fiscale, M. et Mme Samaroo ont déposé une motion préliminaire devant la CCI pour obtenir une ordonnance accueillant les conclusions de fait du juge du tribunal pénal et empêchant le ministère public de déposer quelque preuve que ce soit pour contester ou réfuter ces conclusions.
En raison des différentes normes de preuve applicables aux deux contextes, la CCI a refusé d’appliquer les doctrines de la préclusion liée à une question en litige ou d’abus de procédure pour interdire au ministère public de déposer des preuves supplémentaires visant à contredire ou à contester les conclusions de fait auxquels le juge de la question de l’évasion fiscale était parvenu. Cependant, étant donné que les appels interjetés devant la CCI et le procès pénal pour évasion fiscale visaient essentiellement les mêmes questions de fait, le juge de la CCI a affirmé que certaines conclusions de fait ressortant du procès pour évasion fiscale pouvaient être [TRADUCTION] « admises, et avec des retombées » dans le traitement des appels interjetés devant la CCI. En fait, le juge de la CCI a accordé tellement de poids aux faits admis qu’il a affirmé que M. et Mme Samaroo avaient « à titre préliminaire, contesté et possiblement réfuté certaines hypothèses de fait du ministre » et a, fait exceptionnel, modifié le déroulement de l’instance et exigé du ministère public qu’il expose sa cause en premier lors de l’audience.
Alors que le juge de la CCI n’est pas allé jusqu’à inverser le fardeau de la preuve pour le faire porter au ministère public dans le contexte des appels fiscaux, il l’a cependant presque fait en suggérant que le ministère public devait présenter des preuves pour réfuter les conclusions de fait du juge pénal de première instance.
Reste à voir si la décision rendue dans l’affaire Samaroo marquera le début d’une nouvelle tendance jurisprudentielle ou s’il s’agit d’un cas unique fondé sur les faits particuliers de l’espèce. Ceci dit, la décision d’admettre dans le cadre des appels devant la CCI les conclusions de fait auxquelles parviennent les juges des procès en évasion fiscale est une mesure tout à fait bienvenue dans le contexte des litiges civils et criminels en matière fiscale fondés sur des faits similaires. À notre avis, un contribuable ne devrait pas être obligé de dilapider temps et ressources pour établir des faits qui ont déjà été reconnus par un juge pénal en première instance alors que dans le cadre d’un appel ils sont maintenant face à un juge de l’impôt au sujet de faits similaires, particulièrement lorsqu’il s’agit des ressources fondamentalement illimitées du ministère public.
Steven Raphael est avocat et Robert G. Kreklewetz est associé dans le cabinet Millar Kreklewetz LLP