La Cour suprĂŞme du Canada a rendu sa première dĂ©cision sur les tarifs douaniers dans l’affaire Canada c. Igloo Vikski Inc. (2016 CSC 38). L’arrĂŞt offre une assistance pour l’application des Règles gĂ©nĂ©rales pour l’interprĂ©tation du Système harmonisĂ©, plus particulièrement dans le contexte de la relation entre les diffĂ©rentes règles qui s’Ă©clairent les unes les autres.
Les marchandises en litige Ă©taient des gants attrape-rondelles et des gants bloqueurs utilisĂ©s en hockey sur glace par les gardiens de but. Ces gants sont faits en matières textiles et plastiques cousues ensemble. L’Agence des services frontaliers du Canada a classĂ© les marchandises dans le numĂ©ro tarifaire 6216.00.00, soit « gants, mitaines et moufles » (pour lequel le taux des droits de douane de la nation la plus favorisĂ©e s’Ă©lève actuellement Ă 18 %). L’importateur avait demandĂ© une nouvelle dĂ©termination de la classification, soutenant que les marchandises devraient tomber dans le numĂ©ro tarifaire 3926.20.92, « autres ouvrages en matières plastiques » (pour lesquels le taux des droits de douane de la nation la plus favorisĂ©e s’Ă©lève actuellement Ă 6,5 %). Le Tribunal canadien du commerce extĂ©rieur (TCCE) Ă©tait d’accord avec la Couronne, mais la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale a accueilli l’appel de l’importateur et a conclu que la dĂ©cision du TCCE Ă©tait dĂ©raisonnable au motif d’une application erronĂ©e des Règles gĂ©nĂ©rales. La Couronne a dĂ©posĂ© un pourvoi devant la Cour suprĂŞme.
L’application correcte des Règles gĂ©nĂ©rales 1 et 2b) constituait la pomme de discorde. Selon la Règle 1, le classement des marchandises se fait initialement selon les termes des positions d’un chapitre du Tarif douanier, ainsi que de toute Note de Section ou de Chapitre applicable. Lorsque la Règle 1 ne dĂ©termine pas avec certitude le classement de la marchandise, les autres règles doivent ĂŞtre analysĂ©es.
La Couronne et l’importateur convenaient que les marchandises ne pouvaient pas ĂŞtre classĂ©es dans le numĂ©ro tarifaire 3926.20.92 exclusivement au moyen de la Règle 1, car les notes explicatives de la position 39.26 prĂ©cisaient que « sont donc compris ici : Les vĂŞtements […] confectionnĂ©s par couture ou collage Ă partir de matières plastiques en feuille ». En l’espèce, les marchandises n’Ă©taient pas fabriquĂ©es au moyen de la couture ou du collage de feuilles de plastique. Elles Ă©taient considĂ©rĂ©es comme rĂ©pondant Ă la description de la position 62.16 au moyen de la Règle 1. Cependant, selon la note explicative de cette position, lorsque les matières plastiques excèdent le rĂ´le de simple garniture (comme c’Ă©tait le cas en l’espèce), les marchandises doivent ĂŞtre classĂ©es conformĂ©ment aux (autres) Règles gĂ©nĂ©rales.
Il fallait, pour ce faire, analyser la Règle 2b) qui s’applique lorsqu’une marchandise est constituĂ©e d’un mĂ©lange de matières et qui dispose que la mention de marchandises correspondant Ă une position donnĂ©e sera rĂ©putĂ©e inclure les marchandises composĂ©es en tout ou en partie des matières visĂ©es. Si, après avoir examinĂ© la Règle 2b), la marchandise ne peut d’emblĂ©e ĂŞtre classĂ©e que dans une seule position, elle y est inscrite. Si, cependant, elle peut correspondre Ă plus d’une position, la Règle 3 s’applique afin de dĂ©terminer le classement appropriĂ©. Cette dernière règle exige essentiellement un classement en fonction de la matière qui confère Ă la marchandise son caractère essentiel.
L’importateur soutenait que bien que les marchandises n’aient pu ĂŞtre classĂ©es dans la position 39.26 au moyen de la Règle 1, l’application de la Règle 2b) (au moyen de la Note explicative de la position 62.16), autorisait un classement prima facie des marchandises aussi bien comme des articles en plastique (3926.20.92) que comme gants, mitaines et moufles (6216.00.00), de sorte que la Règle 3 devait ĂŞtre appliquĂ©e pour classer les marchandises en matières plastiques au motif que la matière plastique leur confĂ©rait leur caractère essentiel. Au fond, l’importateur soutenait que la position du tarif 3926.20.92 pouvait de nouveau faire partie de l’analyse une fois l’analyse de la Règle 2b) exigĂ©e.
La majoritĂ© des juges de la CSC a rejetĂ© l’interprĂ©tation suggĂ©rĂ©e par l’importateur et autorisĂ© le pourvoi de la Couronne. La Cour a affirmĂ© que les Règles gĂ©nĂ©rales doivent ĂŞtre appliquĂ©es en tandem. Par consĂ©quent, la Règle 1 continue Ă ĂŞtre pertinente mĂŞme dans le contexte de l’analyse des autres Règles gĂ©nĂ©rales. La majoritĂ© des juges de la CSC a citĂ© la Note explicative XII de la Règle 2b) selon laquelle la Règle n’Ă©largit cependant pas la portĂ©e des positions qu’elle concerne jusqu’Ă pouvoir y inclure des articles qui ne rĂ©pondent pas, ainsi que l’exige la Règle 1, aux termes des libellĂ©s de ces positions. Qui plus est, la Règle 2 n’aurait pas lieu d’ĂŞtre si elle n’Ă©tait pas appliquĂ©e en tandem avec la Règle 1 puisqu’elle a pour objet de guider l’application de la Règle 1 lorsque la marchandise en litige est incomplète ou composĂ©e de plusieurs matières.
Pour ces motifs, il a Ă©tĂ© rĂ©putĂ© raisonnable pour le TCCE de conclure que parce que les marchandises ne correspondaient pas Ă la description de la position 39.26 en vertu de l’application de la Règle 1, la Règle 2b) ne pouvait ĂŞtre utilisĂ©e pour Ă©tendre cette position afin d’y faire entrer les marchandises.
Il importe de noter que la conclusion Ă laquelle est parvenue la majoritĂ© des juges de la CSC semble constituer une interprĂ©tation raisonnable des Règles gĂ©nĂ©rales et correspondre Ă la politique qui sous-tend le Tarif douanier. Plus particulièrement, selon la dĂ©cision, la dĂ©termination du classement doit ĂŞtre axĂ©e sur les libellĂ©s des positions sans Ă©gard Ă la question de savoir si les autres Règles gĂ©nĂ©rales pourraient s’appliquer, ce qui, Ă notre avis, est appropriĂ©.
Ceci Ă©tant dit, la façon dont la Règle 1 a Ă©tĂ© appliquĂ©e concernant le classement proposĂ© par l’importateur au dĂ©part est peut-ĂŞtre l’aspect le plus intĂ©ressant de cet arrĂŞt. Il semble inappropriĂ© de refuser aux marchandises un classement dans la position 39.26 conformĂ©ment Ă la Règle 1 en se fondant apparemment uniquement sur le libellĂ© selon lequel parmi les marchandises couvertes par ce tarif « sont compris » les vĂŞtements confectionnĂ©s par couture ou collage Ă partir de matières plastiques en feuilles. L’analyse dissidente de la juge CĂ´tĂ© sur ce point est prĂ©fĂ©rĂ©e. Elle souligne que ce libellĂ© ne limite pas ce qui peut ĂŞtre classĂ© dans la position 39.26, mais dĂ©crit simplement le genre d’articles qu’elle comprend. Bien que la dĂ©cision de la majoritĂ© n’ait pas ignorĂ© ce point, elle a conclu que l’analyse opposĂ©e du TCCE n’Ă©tait pas dĂ©raisonnable. Cela suggère que les cours d’appel reconnaĂ®tront dans une large mesure les dĂ©cisions du TCCE. Il sera par consĂ©quent difficile de faire invalider, par voie d’appel, les dĂ©cisions de ce tribunal quant au classement tarifaire.
Rob Kreklewetz et Bryan Horrigan travaillent au cabinet Millar Kreklewetz LLP Ă Toronto