La Cour fédérale rejette la requête en injonction interlocutoire pour suspendre la politique de séjour obligatoire à l’hôtel en raison de la COVID-19 mise en œuvre par le gouvernement fédéral

  • 17 mai 2021
  • Christopher Wirth et Alex Smith

Contexte

Le gouvernement du Canada a mis en Ĺ“uvre une politique de sĂ©jour obligatoire Ă  l’hĂ´tel qui exige de toutes les personnes qui voyagent par avion qu’elles sĂ©journent Ă  leurs propres frais pendant trois jours dans des hĂ´tels autorisĂ©s par le gouvernement lors de leur entrĂ©e au Canada puis, après s’ĂŞtre soumises Ă  un test de dĂ©pistage de la COVID-19, terminent leur quarantaine de 14 jours Ă  la maison.

Les demandeurs ont dĂ©posĂ© une requĂŞte en injonction interlocutoire pour suspendre l’application de cette politique en attendant les rĂ©sultats de leur contestation constitutionnelle visant la politique, dans laquelle ils feraient valoir que la politique enfreint les droits que leur confère la Charte canadienne des droits et libertĂ©s (la Charte), et qu’ils pourraient effectuer leur quarantaine en toute sĂ©curitĂ© Ă  la maison.

Le dĂ©fendeur soulignait les incidences mondiales de la pandĂ©mie de COVID-19 et le risque grave pour la santĂ© publique au Canada, faisant valoir que la politique sur le sĂ©jour Ă  l’hĂ´tel rĂ©duit les risques d’introduction et de propagation accrue du virus de la COVID-19 et de ses variants sur le territoire, en rĂ©duisant le risque d’importation de cas en provenance de l’Ă©tranger.

Décision de la Cour fédérale

La Cour fĂ©dĂ©rale a utilisĂ© le critère des trois conditions applicable aux injonctions provisoires, qui exige que (1) la contestation constitutionnelle soulève une question sĂ©rieuse Ă  juger, (2) les demandeurs subiront un prĂ©judice irrĂ©parable si la demande d’injonction est rejetĂ©e, et (3) la prĂ©pondĂ©rance des inconvĂ©nients joue en faveur de l’octroi de l’injonction.

En ce qui concerne la première condition du critère, la Cour a conclu Ă  l’existence d’une question sĂ©rieuse Ă  juger en ce qui a trait aux arguments des demandeurs selon lesquels la politique sur le sĂ©jour Ă  l’hĂ´tel enfreint leurs droits garantis par les articles 7 et 9 de la Charte. La Cour a soulignĂ© qu’il ne s’agissait pas d’une dĂ©cision quant au fond de l’argument, mais une simple observation qu’ils ne devraient pas ĂŞtre Ă©cartĂ©s Ă  ce stade prĂ©coce de l’instance. Eu Ă©gard Ă  cette conclusion, la Cour a dĂ©clarĂ© qu’il n’Ă©tait pas nĂ©cessaire de commenter les autres arguments des demandeurs fondĂ©s sur l’article 6, le paragraphe 10b) et les paragraphes 11d) et e) de la Charte.

Concernant la deuxième condition du critère, la Cour a indiquĂ© que les prĂ©judices irrĂ©parables sont gĂ©nĂ©ralement dĂ©crits comme des prĂ©judices qui ne peuvent ĂŞtre quantifiĂ©s du point de vue monĂ©taire ou qui ne peuvent ĂŞtre remĂ©diĂ©s. Le prĂ©judice ne peut ĂŞtre fondĂ© sur une simple hypothèse, mais doit ĂŞtre Ă©tabli au moyen d’Ă©lĂ©ments de preuve suffisamment probants. Ladite preuve doit dĂ©montrer l’existence d’une forte probabilitĂ© qu’un prĂ©judice irrĂ©parable sera causĂ© et non pas qu’il est simplement possible.

Les demandeurs ont dĂ©crit la politique sur le sĂ©jour Ă  l’hĂ´tel comme une dĂ©tention obligatoire dans une installation fĂ©dĂ©rale, ce qui leur causerait [traduction] « un prĂ©judice Ă©motionnel, relationnel et spirituel dĂ©vastateur » qui ne peut ĂŞtre compensĂ© financièrement et qui est irrĂ©parable.

Cependant, la Cour a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni d’Ă©lĂ©ments de preuve Ă©tayant leur argument selon lequel la politique sur le sĂ©jour Ă  l’hĂ´tel leur causerait le prĂ©judice allĂ©guĂ©. Elle a conclu que n’Ă©taient pas manifestes les raisons pour lesquelles un court sĂ©jour dans un hĂ´tel avant une quarantaine supplĂ©mentaire Ă  domicile causerait inĂ©vitablement un tel prĂ©judice. En outre, la Cour a Ă©galement soulignĂ© que bien que les demandeurs aient un droit protĂ©gĂ© par la Charte de quitter le Canada et d’y revenir, ils connaissaient tous les restrictions en vigueur lorsqu’ils ont quittĂ© le territoire ou celles qui ont pris effet en leur absence. En raison de la nature changeante de la pandĂ©mie de COVID-19 et des variants causant des prĂ©occupations, aucun d’entre eux ne pouvait prĂ©tendre ĂŞtre surpris par les mesures de santĂ© publique rigoureuses imposĂ©es aux voyageurs qui reviennent au Canada. Par consĂ©quent, la Cour a conclu que les demandeurs n’avaient pas Ă©tabli l’existence d’un prĂ©judice irrĂ©parable.

En ce qui a trait Ă  la troisième condition du critère, la Cour a soulignĂ© qu’une Ă©valuation de la prĂ©pondĂ©rance des inconvĂ©nients s’impose pour pouvoir dĂ©terminer la partie qui subira le prĂ©judice le plus grave du fait de l’octroi ou du refus de l’injonction interlocutoire, en attendant une dĂ©cision sur le fond. Cette condition du critère acquiert une signification particulière dans une affaire comportant une demande de suspendre l’application d’une loi, d’un règlement ou d’un dĂ©cret puisque la Cour doit trancher en se fondant sur l’hypothèse que la loi vise le bien public et satisfait Ă  un objectif public valide.

Les demandeurs ont tentĂ© de rĂ©futer cette prĂ©somption en faisant valoir que la politique sur le sĂ©jour Ă  l’hĂ´tel n’est pas efficace, n’est pas appuyĂ©e par des preuves scientifiques, ni n’est justifiĂ©e dans une sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique.

La Cour a rejetĂ© les arguments des demandeurs, concluant que la preuve appuie amplement la position du dĂ©fendeur selon laquelle la politique sur le sĂ©jour Ă  l’hĂ´tel fournit un niveau supplĂ©mentaire de protection contre l’importation et la transmission de la COVID-19 et de ses variants au Canada, et qu’il s’agit d’une prĂ©caution rationnelle prise en rĂ©ponse Ă  une menace rĂ©elle et imminente pour la santĂ© publique. La Cour a conclu que la preuve appuie largement l’affirmation du dĂ©fendeur aux termes de laquelle toute suspension ou interruption du rĂ©gime existant nuirait gravement et immĂ©diatement Ă  la santĂ© publique.

Par consĂ©quent, la Cour a conclu qu’il ne serait ni juste ni Ă©quitable d’accorder l’injonction interlocutoire et a rejetĂ© la requĂŞte.

Enseignements

Cette affaire dĂ©montre la tension continue entre les graves prĂ©occupations en matière de santĂ© publique suscitĂ©es par la pandĂ©mie de COVID-19 et les prĂ©occupations quant aux rĂ©percussions du confinement sur les droits et libertĂ©s individuels. Cette dĂ©cision est la rĂ©plique parfaite d’une autre dĂ©cision rĂ©cemment rendue par la Cour supĂ©rieure de justice de l’Ontario dans l’affaire Canadian Constitution Foundation v. Attorney General of Canada, 2021 ONSC 2117, portant refus d’une injonction visant Ă  suspendre l’application de la politique sur le sĂ©jour obligatoire Ă  l’hĂ´tel. Bien qu’il reste Ă  voir comment ces contestations constitutionnelles se termineront, les dĂ©cisions qui ont Ă©tĂ© publiĂ©es Ă  ce jour suggèrent que les tribunaux continuent Ă  s’en remettre au gouvernement et aux prĂ©occupations en matière de santĂ© publique en confirmant les lois d’urgence mises en Ĺ“uvre en rĂ©ponse Ă  la pandĂ©mie de COVID-19.


Christopher Wirth est avocat plaidant et associĂ© chez Keel Cottrelle LLP Ă  Toronto. Il est prĂ©sident sortant de la Section du droit administratif. Alex Smith est avocat chez Keel Cottrelle LLP Ă  Toronto et membre du comitĂ© de direction de la Section du droit relatif Ă  l’Ă©ducation de l’Association du Barreau de l’Ontario.