Dans SNC-Lavalin Group Inc. c. Canada (Service des poursuites pénales), 2019 CF 282 (CanLII), la Cour fédérale a jugé que la décision de ne pas offrir une invitation à négocier un accord de réparation relève du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et n’est pas susceptible de contrôle judiciaire1.
Contexte
Le Groupe SNC-Lavalin inc. a été accusé de fraude sous le régime du paragraphe 380(1) du Code criminel et de corruption d’un agent public étranger sous le régime de l’alinéa 3(1)(b) de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers. Le Directeur des poursuites pénales (DPP) a intenté des poursuites sous ces deux chefs d’accusation.
Un accord de réparation, aussi appelé accord de poursuite suspendue, constitue une solution de rechange à une poursuite traditionnelle et est défini au paragraphe 715.3(1) du Code criminel comme un « accord entre une organisation accusée d’avoir perpétré une infraction et le poursuivant dans le cadre duquel les poursuites relatives à cette infraction sont suspendues pourvu que l’organisation se conforme aux conditions de l’accord ». L’article 715.32 du Code criminel expose les conditions à respecter pour que le procureur entame la négociation d’un accord de réparation.
Le DPP a envoyé une lettre à SNC dans laquelle il signifiait son refus d’offrir à la société une invitation à négocier un accord de réparation en lien avec les accusations. SNC a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision, plaidant que la décision d’offrir une invitation à négocier un accord de réparation est une décision administrative susceptible de contrôle judiciaire, car la décision doit être prise en tenant compte de plusieurs facteurs, lesquels sont exposés à l’article 715.32 du Code criminel. Le DPP a présenté une motion visant à annuler la demande, soutenant que la décision de proposer un accord de réparation est un exercice de pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites qui n’est pas assujettie à un contrôle judiciaire, sauf s’il y a abus de procédure.
Décision de la Cour fédérale
La cour a conclu qu’une décision prise dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. Elle a noté que l’exercice de ce pouvoir est quasi judiciaire et que son indépendance est essentielle pour le système de justice pénale, car il permet aux procureurs de respecter leurs obligations professionnelles sans crainte d’ingérence juridique ou politique. La cour a constaté qu’il serait problématique d’importer des principes de droit administratif dans le système de justice pénale, car cela « ouvrirait toute grande la voie au contrôle d’innombrables décisions relevant du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et que cela aurait pour résultat de paralyser le processus pénal». La cour a conclu que la jurisprudence démontre clairement que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est défini au sens large et n’est pas susceptible de contrôle par la cour.
Ensuite, la cour a jugé que la décision du DPP constituait un exercice de pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Elle a examiné le libellé de l’article 715.32 du Code criminel et a noté que le texte portant sur la décision du procureur de conclure un accord de réparation était permissif et préservait manifestement le pouvoir discrétionnaire du procureur.
La cour a également souligné le fait que la décision est analogue à d’autres décisions que des tribunaux ont rendues dans les limites du pouvoir de poursuite discrétionnaire, comme la décision de poursuivre un chef d’accusation ou de suspendre la procédure, ou la décision d’adopter une mesure de rechange. La cour a conclu que « [l]a prise en compte de l’intérêt public et des facteurs spécifiques pour guider l’intérêt public ne transforme pas la décision visée à l’article 715.32 en décision administrative »..
Enfin, la cour a jugé que la décision du DPP était un exercice de pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et que le DPP n’est pas un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Plus précisément, la cour a déclaré que « le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites découle de la common law et de la Constitution ».Par conséquent, la cour a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour exercer un contrôle judiciaire de la décision.
En conséquence, la cour a établi qu’il n’existait pas une possibilité réelle que la demande soit accueillie et a annulé la demande de contrôle judiciaire sans autorisation de modification.
Conclusions
Cette décision confirme que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites sera interprété dans son sens large et ne sera pas assujettie à un contrôle judiciaire, sauf dans les cas d’abus de procédure.
Christopher Wirth est un associé et Alana Spira est une stagiaire chez Keel Cottrelle LLP
Note
- La décision a été portée en appel à la Cour d’appel fédérale le 4 avril 2019.