Dans la décision Weld v Ottawa Public Library, 2019 ONSC 5358 (disponible uniquement en anglais) la Cour divisionnaire de l'Ontario a conclu qu’une décision prise par une bibliothèque publique de résilier un contrat de location de salle n’était pas assujettie au contrôle judiciaire étant donné qu’elle n’avait pas été prise dans le cadre d’une fonction publique.
Contexte
Madeline Weld a signé un contrat de location de l’auditorium avec la Bibliothèque publique d’Ottawa en vue d’y projeter le film « Killing Europe ». Après avoir reçu un certain nombre de plaintes émanant du public et avoir regardé la bande-annonce du film, les cadres supérieurs et le directeur ont résilié le contrat de location en raison de la nature du contenu du film. Le contrat de location stipulait qu’il pouvait être résilié s’il existait des probabilités que l’utilisation de l’espace loué fasse la promotion de la discrimination ou de la haine.
Madame Weld a déposé une demande de contrôle judiciaire, alléguant que la décision de la bibliothèque de résilier le contrat de location était déraisonnable et enfreignait ses droits à l’équité procédurale et à la liberté d’expression.
Cour divisionnaire de l'Ontario
La Cour a conclu qu’elle ne pourrait faire droit à la demande de contrôle judiciaire que si la bibliothèque était une instance publique et si le litige entre les parties avait une facette publique suffisante. Elle a examiné les facteurs énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Air Canada c. Administration Portuaire De Toronto Et Al, 2011 CAF 347.
Dans le cadre de la pondération de ces facteurs, la Cour a conclu que
- le litige était de nature privée car la projection du film était une activité privée assujettie à l’achat de billets par le public pour y assister,
- conformément à sa loi habilitante, les objectifs fondamentaux de la bibliothèque ne sont pas de veiller à ce que des espaces publics soient accessibles pour des activités privées, mais bien de mettre à la disposition du public des livres et autres documents,
- la décision de la bibliothèque relevait d’un pouvoir discrétionnaire privé conformément aux modalités du contrat de location et n’était fondée sur aucune exigence juridique ou obligation légale,
- bien que certains des administrateurs de la bibliothèque aient été des conseillers municipaux de la ville d’Ottawa, ils n’avaient pas insisté pour que le contrat de location soit résilié, et leur présence en tant qu’administrateurs ne suffisait pas à conférer un caractère public à la décision,
- le mandamus n’était pas un recours approprié dans ce litige relevant du droit contractuel. La bibliothèque n’était aucunement tenue de louer ses locaux ni de contracter avec une personne donnée à des fins de location. Cependant, elle pourrait être assujettie à des recours relevant du droit privé ou du droit en matière des droits de la personne,
- la bibliothèque ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur des personnes privées, plus particulièrement puisque ces dernières peuvent chercher d’autres emplacements à louer pour projeter un film,
- cette situation ne tombe pas dans une catégorie d’affaires exceptionnelles dans laquelle les mesures prises ont acquis une dimension publique importante.
Par conséquent, la Cour a affirmé que la décision de la bibliothèque de résilier le contrat de location était de nature privée et n’était pas assujettie au contrôle judiciaire. La Cour a en outre rejeté l’argument de madame Weld selon lequel la décision de la bibliothèque tombait sous le coup de la Charte et pouvait par conséquent être examinée par la Cour.
Enseignements
Bien qu’une bibliothèque soit une entité publique, une décision prise par elle de résilier un contrat de location est une décision de nature privée. Il s’ensuit que les instances publiques régies par une loi particulière peuvent prendre des décisions qui ne sont pas assujetties au contrôle judiciaire si elles n’agissent pas dans le cadre de leurs fonctions publiques. Toutefois, la décision peut faire l’objet de recours en droit privé.
Christopher Wirth est associé et Sakshi Chadha est stagiaire dans le cabinet Keel Cottrelle LLP.