Dans notre article du 27 novembre 2018, nous commentions l’arrĂŞt rendu par la Cour fĂ©dĂ©rale dans l’affaire Girouard c. Canada (Procureure gĂ©nĂ©rale), 2018 CF 865, qui affirme qu’une recommandation faite par le Conseil canadien de la magistrature (CCM) pour la rĂ©vocation d’un juge peut faire l’objet d’un contrĂ´le judiciaire. En appel, cette dĂ©cision a rĂ©cemment Ă©tĂ© confirmĂ©e par la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale (2019 CAF 148).
Contexte
La question a Ă©tĂ© suscitĂ©e par le rapport publiĂ© par le CCM recommandant la rĂ©vocation de monsieur le juge Michel Girouard, de la Cour supĂ©rieure du QuĂ©bec. Le CCM avait ouvert une enquĂŞte après avoir reçu une plainte et une vidĂ©o montrant le juge Girouard en train d’acheter une substance illicite Ă l’un de ses clients avant sa nomination Ă la magistrature. Comme notre article prĂ©cĂ©dent le mentionnait, le juge Girouard a dĂ©posĂ© des demandes de contrĂ´le judiciaire des rapports du CCM. Ce dernier a dĂ©posĂ© une requĂŞte en radiation de ces demandes. La Cour fĂ©dĂ©rale a toutefois affirmĂ© que le CCM et son ComitĂ© d’enquĂŞte peuvent faire l’objet d’un contrĂ´le judiciaire puisqu’ils constituent un office fĂ©dĂ©ral aux termes de la Loi sur les cours fĂ©dĂ©rales. Le CCM a interjetĂ© appel de cette dĂ©cision devant la Cour d’appel fĂ©dĂ©rale.
Cour d’appel fĂ©dĂ©rale
Le CCM a contestĂ© la conclusion de la Cour fĂ©dĂ©rale portant sur la source et la nature des pouvoirs qu’il exerce. Il soutenait que ses pouvoirs sont inhĂ©rents Ă la façon dont ses membres s’acquittent de leurs tâches et dĂ©coulent de la Constitution et non d’une loi fĂ©dĂ©rale.
La Cour d’appel a cependant confirmĂ© la conclusion de la Cour fĂ©dĂ©rale selon laquelle les pouvoirs du CCM dĂ©coulent exclusivement de la Loi sur les juges et a affirmĂ© que les pouvoirs du CCM en matière d’enquĂŞte sont purement dĂ©rivĂ©s d’une loi. La Cour d’appel a rejetĂ© l’argument du CCM selon lequel les pouvoirs et la compĂ©tence de ses membres sont de nature judiciaire. Elle a affirmĂ© que la Cour fĂ©dĂ©rale avait conclu Ă bon droit que les pouvoirs exercĂ©s par le CCM Ă©taient des pouvoirs d’enquĂŞte tels qu‘ils sont prĂ©vus par l’alinĂ©a 60(2)c) de la Loi sur les juges.
La Cour d’appel a soulignĂ© la distinction entre les pouvoirs d’enquĂŞte et les pouvoirs judiciaires. Ainsi, elle a indiquĂ© que la principale fonction d’un comitĂ© d’enquĂŞte est de rechercher et de recueillir des Ă©lĂ©ments de preuve alors qu’un juge se borne Ă soupeser les preuves fournies par les parties. La Cour d’appel a en outre ajoutĂ© qu’il n’Ă©tait pas incongru qu’un organisme formĂ© de juges soit assujetti Ă un contrĂ´le judiciaire.
Le CCM soutenait, Ă titre d’argument subsidiaire, que la Cour fĂ©dĂ©rale n’avait pas tenu compte du fait qu’une personne nommĂ©e en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, tel qu’un membre d’une cour supĂ©rieure provinciale, serait exclue de la dĂ©finition d’un office fĂ©dĂ©ral prĂ©vue par la Loi sur les cours fĂ©dĂ©rales. Le CCM se fondait sur le fait que plus de la moitiĂ© de ses membres reprĂ©sentent des cours supĂ©rieures provinciales. La Cour d’appel a rejetĂ© cet argument et adoptĂ© la conclusion de la Cour fĂ©dĂ©rale selon laquelle les juges du CCM effectuent une tâche administrative, tirent leur compĂ©tence de la Loi sur les juges, et que les pouvoirs du CCM en tant que comitĂ© sont indĂ©pendants du statut de ses membres en leur qualitĂ© de juge.
La Cour d’appel a soulignĂ© qu’une partie qui se fonde sur un argument textuel doit dĂ©montrer qu’une interprĂ©tation proposĂ©e est spĂ©cifiquement reflĂ©tĂ©e dans le libellĂ© et qu’elle se conforme au contexte et Ă l’objet de la loi. Il ne suffit pas, pour le CCM, d’indiquer une interprĂ©tation possible. Le paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges prĂ©cise que le CCM « est rĂ©putĂ© constituer » une juridiction supĂ©rieure, mais cette classification est limitĂ©e aux circonstances dans lesquelles il effectue une enquĂŞte. La Cour d’appel a centrĂ© son analyse sur cette restriction et sur l’expression « est rĂ©putĂ© constituĂ© » en tant que preuve tirĂ©e de la loi que le Parlement n’avait aucune intention d’accorder au CCM l’intĂ©gralitĂ© des attributs d’une cour supĂ©rieure. Comme l’avait soulignĂ© la Cour fĂ©dĂ©rale, la Cour d’appel a indiquĂ© que le Parlement aurait pu expressĂ©ment qualifier le CCM de cour supĂ©rieure s’il avait eu l’intention que ce soit le cas.
La Cour d’appel a en outre prĂ©cisĂ© que le CCM conserverait sa compĂ©tence pour trancher la question de la possible rĂ©vocation d’un juge d’une cour supĂ©rieure, et que la Cour fĂ©dĂ©rale se bornerait Ă examiner, dans le contexte du contrĂ´le judiciaire, l’Ă©quitĂ© procĂ©durale et la lĂ©galitĂ© des dĂ©cisions du CCM.
Conclusion
La Cour d’appel fĂ©dĂ©rale a rejetĂ© l’appel, confirmant la conclusion de la Cour fĂ©dĂ©rale selon laquelle les dĂ©cisions du CCM et de son ComitĂ© d’enquĂŞte peuvent faire l’objet d’un contrĂ´le judiciaire.
Christopher Wirth et un associĂ©, et Armin Sohrevardi est stagiaire d’Ă©tĂ© dans le cabinet Keel Cottrelle LLP.