Pratiques exemplaires en matiĂšre dâenquĂȘte internes
L’indĂ©pendance du conseiller juridique responsable de l’enquĂȘte
De façon traditionnelle, c’est le chef du contentieux qui menait l’enquĂȘte interne de façon Ă servir l’intĂ©rĂȘt de la sociĂ©tĂ© de ne pas Ă©bruiter l’affaire et ainsi entraĂźner une chute du cours de l’action. Or, le chef du contentieux contribuait souvent Ă l’Ă©tablissement des protocoles de conformitĂ© pour la sociĂ©tĂ© oĂč il travaillait et il se trouvait donc en situation de conflit d’intĂ©rĂȘts en enquĂȘtant sur des allĂ©gations de manquement Ă ces mĂȘmes protocoles.
Les lois amĂ©ricaines comme Sarbanes-Oxley et Dodd-Frank sont venues changer la donne. Il existe Ă prĂ©sent une prĂ©somption selon laquelle les services de conseillers juridiques indĂ©pendants seront retenus dĂšs le dĂ©but du processus. Cela donne aux parties prenantes la certitude que l’affaire fera l’objet d’une enquĂȘte sĂ©rieuse dont les conclusions pourront ĂȘtre utilisĂ©es avec confiance.
Les personnes chargĂ©es des enquĂȘtes et des poursuites au sein du gouvernement et des organismes de rĂ©glementation ne tolĂ©reront aucune apparence de partialitĂ© ni aucun problĂšme touchant l’Ă©tablissement de responsabilitĂ© dans le cadre d’une enquĂȘte interne. Tout « crĂ©dit de coopĂ©ration » avec les autoritĂ©s chargĂ©es d’appliquer la loi pourra ĂȘtre compromis s’il y a apparence de partialitĂ© dans la nomination de l’enquĂȘteur ou la conduite de l’enquĂȘte.
Aucun membre du conseil d’administration, de la direction ou du personnel ni aucun mandataire dont les agissements font l’objet de l’enquĂȘte ne devrait participer Ă l’enquĂȘte – sauf en qualitĂ© de tĂ©moin. Les membres de la direction, particuliĂšrement les gestionnaires du service visĂ© par les allĂ©gations, ne devraient pas superviser l’enquĂȘte interne et devraient se rĂ©cuser de la prĂ©sentation de tous ses rapports. De plus, les membres du conseil d’administration ou de la haute direction qui pourraient ĂȘtre impliquĂ©s dans l’allĂ©gation (directement ou indirectement) ne devraient pas superviser l’enquĂȘte interne. D’autres rĂšgles et politiques de gouvernance pourraient Ă©galement exclure toute forme de participation de la direction Ă l’enquĂȘte interne — sauf en qualitĂ© de tĂ©moin.
Comme pratique exemplaire, le conseil d’administration devrait nommer un comitĂ©, composĂ© de membres indĂ©pendants (souvent les membres du comitĂ© d’audit), pour retenir les services de conseillers juridiques externes pour mener l’enquĂȘte interne et leur faire rapport directement.
L’indĂ©pendance de ces conseillers juridiques est essentielle et devrait ĂȘtre guidĂ©e par les principes suivants :
- Le conseil d’administration devrait adopter une rĂ©solution autorisant le comitĂ© indĂ©pendant Ă retenir les services de conseillers juridiques et de leurs mandataires (p. ex. des juricomptables et autres experts) pour mener une enquĂȘte interne et transmettre leurs conclusions directement au comitĂ©.
- Le comitĂ© indĂ©pendant devrait prĂ©ciser par Ă©crit l’Ă©tendue du mandat qui est confiĂ© aux conseillers juridiques responsables de l’enquĂȘte. On recommande que la lettre de leur mandat Ă©nonce les allĂ©gations qui font l’objet de l’enquĂȘte et la portĂ©e de l’enquĂȘte et prĂ©cise qu’ils conseilleront le comitĂ© indĂ©pendant quant Ă ses droits, ses obligations et ses responsabilitĂ©s Ă©ventuelles.
- Les conseillers juridiques externes doivent ĂȘtre impartiaux et indĂ©pendants Ă l’Ă©gard des intĂ©rĂȘts du conseil d’administration, de la haute direction, des employĂ©s et des mandataires de la sociĂ©tĂ©. Ils doivent faire preuve de la plus grande discrĂ©tion et se conformer aux normes dĂ©ontologiques les plus rigoureuses.
- Les conseillers juridiques externes doivent avoir de l’expĂ©rience et ĂȘtre familiers avec le secteur au sein duquel Ă©volue la sociĂ©tĂ©.
- Le comitĂ© indĂ©pendant devrait faire savoir que la coopĂ©ration avec les conseillers juridiques responsables de l’enquĂȘte comprend la transmission de tous les documents pertinents, l’accĂšs Ă tous les appareils numĂ©riques personnels et autorisĂ©s par l’employeur, ainsi que la participation aux entrevues auprĂšs de tĂ©moins.
- En l’absence de partialitĂ© potentielle, de conflit d’intĂ©rĂȘts ou de restrictions relatives Ă l’obligation de confidentialitĂ©, l’Ă©quipe du contentieux de la sociĂ©tĂ© ou ses conseillers juridiques externes habituels peuvent conseiller la sociĂ©tĂ© relativement Ă ses droits, obligations et responsabilitĂ©s Ă©ventuelles connexes.
- Le comitĂ© indĂ©pendant et les conseillers juridiques responsables de l’enquĂȘte devraient convenir de procĂ©dures de prĂ©sentation de rapports claires et prĂ©cises. Les juristes responsables de l’enquĂȘte peuvent faire rapport au comitĂ© indĂ©pendant oralement plutĂŽt que par Ă©crit, en temps utile et rĂ©guliĂšrement.
- Les conseillers juridiques responsables de l’enquĂȘte retiennent souvent les services d’experts ou de consultants tiers dans les enquĂȘtes internes menĂ©es pour dĂ©busquer la criminalitĂ© en col blanc. MĂȘme si le mandat de ces derniers devrait s’inscrire dans la portĂ©e de celui dont ont convenu les juristes responsables de l’enquĂȘte et le comitĂ© indĂ©pendant, il est recommandĂ© de maintenir le dialogue et de leur demander d’obtenir des autorisations rĂ©guliĂšrement afin de s’assurer qu’ils agissent dans le cadre du mandat qui leur a Ă©tĂ© confiĂ© par le comitĂ© indĂ©pendant.
- Les experts et consultants tiers devraient signer une convention de mandat et des accords de confidentialitĂ© avec les conseillers juridiques responsables de l’enquĂȘte qui confirment que leur mandat comporte des questions protĂ©gĂ©es par le secret professionnel de l’avocat et que l’expert ou le consultant ne peut faire aucun rapport sans consentement Ă©crit prĂ©alable.
B. Conservation, collecte et examen de documents
Les sociĂ©tĂ©s devraient adopter de façon proactive des politiques et des procĂ©dures encadrant la conservation et la collecte d’Ă©lĂ©ments de preuve par anticipation d’enquĂȘtes. Par exemple, les professionnels de la technologie de l’information (TI) devraient ĂȘtre consultĂ©s pour mettre en place des systĂšmes pour l’organisation visant Ă s’assurer que l’on peut accĂ©der aux dossiers de façon centralisĂ©e et que ceux-ci sont enregistrĂ©s pendant un certain temps mĂȘme s’ils sont supprimĂ©s par un utilisateur.
Les sociĂ©tĂ©s devraient envisager de publier un avis de conservation des documents pour informer les responsables de la gestion des documents de conserver les dossiers susceptibles d’ĂȘtre utiles Ă l’enquĂȘte. Le dĂ©faut de conserver et de recueillir adĂ©quatement des Ă©lĂ©ments de preuve en Ă©tablissant des protocoles de conservation des documents peut entraĂźner la destruction d’Ă©lĂ©ments de preuve clĂ©s (intentionnellement ou non) et compromettre l’enquĂȘte. Cela peut Ă©galement entraĂźner des consĂ©quences nĂ©fastes en matiĂšre civile, rĂ©glementaire et mĂȘme pĂ©nale.
Les conseillers juridiques doivent faire preuve de prudence. D’un cĂŽtĂ©, il ne leur incombe pas de faciliter la tĂąche des autoritĂ©s de faire la preuve des actes rĂ©prĂ©hensibles. De l’autre cĂŽtĂ©, les conseillers juridiques doivent Ă©viter de faire quoi que ce soit qui puisse ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une entrave Ă la justice.
Remarque : ĂlĂ©ments Ă considĂ©rer en lien avec le secret professionnel : Il est presque certain que les documents prĂ©existants ne seront pas considĂ©rĂ©s comme privilĂ©giĂ©s et qu’ils pourront donc possiblement ĂȘtre obtenus par les autoritĂ©s. Les communications entre non-parties pourraient Ă©galement ne pas ĂȘtre protĂ©gĂ©es par le secret professionnel et leur production pourrait ĂȘtre exigĂ©e. Par exemple, les communications avec les autoritĂ©s chargĂ©es d’appliquer la loi ne sont gĂ©nĂ©ralement pas privilĂ©giĂ©es.
Les spĂ©cialistes des TI judiciaires crĂ©eront souvent des images des disques durs des parties pertinentes et dĂ©termineront les catĂ©gories de documents qui doivent ĂȘtre conservĂ©s et recueillis. Les enquĂȘtes internes peuvent gĂ©nĂ©rer des milliers de fichiers, il appartient donc aux sociĂ©tĂ©s de trouver l’Ă©quilibre entre la surproduction et la sous-production de documents. Si la surproduction peut ralentir l’enquĂȘte et augmenter les coĂ»ts, elle prĂ©sente moins d’inconvĂ©nients que la sous-production. Pour remĂ©dier aux dĂ©fis posĂ©s par la surproduction, les conseillers juridiques devraient faire des recherches ciblĂ©es pour s’assurer que le temps et les ressources sont consacrĂ©s au repĂ©rage de documents pertinents.
Ils devraient contrĂŽler la collecte de documents afin de veiller au respect des politiques de conservation/rĂ©tention des documents, des protocoles d’examen et des mandats de l’enquĂȘte.
Les documents et donnĂ©es Ă©lectroniques crĂ©ent des problĂšmes particuliers pour les conseillers juridiques. Ă titre d’exemple, s’ils obtiennent des copies de documents et de donnĂ©es Ă©lectroniques, ces renseignements se retrouveront Ă l’endroit oĂč ils travaillent. Les autoritĂ©s locales auront alors accĂšs Ă ces renseignements et pourraient perquisitionner le cabinet juridique.
Pour Ă©viter ce problĂšme, vous pouvez suivre les directives suivantes :
- N’apportez aucun document comportant des Ă©lĂ©ments de preuve relatifs Ă une infraction au sein d’un territoire susceptible de faire l’objet d’une enquĂȘte. Cela s’applique autant aux documents sur papier qu’aux documents Ă©lectroniques.
- IdĂ©alement, le conseiller ou la conseillĂšre juridique devrait examiner les documents lĂ oĂč ils se trouvent. Subsidiairement, il devrait les examiner au moyen d’un service infonuagique, Ă condition que ce service ne gĂ©nĂšre aucune copie stockĂ©e localement. Cette option est toutefois plus risquĂ©e.
- Examinez comment votre client accĂšde Ă ces documents – surtout les façons dont les diffĂ©rentes succursales situĂ©es dans divers pays y accĂšdent. Les mesures de protection existantes empĂȘchant l’accĂšs aux documents depuis l’extĂ©rieur du territoire pertinent devraient ĂȘtre maintenues en place. Cependant, avant de mettre en Ćuvre des mesures de protection supplĂ©mentaires, le conseiller ou la conseillĂšre juridique devrait se demander si cela constituerait une entrave Ă la justice.
Une fois tous les documents recueillis, ils devraient ĂȘtre organisĂ©s et consignĂ©s selon une mĂ©thode semblable Ă celle utilisĂ©e dans les litiges traditionnels. Des copies des documents originaux ou sur papier devraient ĂȘtre faites pour garantir leur prĂ©servation.
Les entrevues de tĂ©moins sont indissociables des enquĂȘtes internes. En plus de situer les Ă©lĂ©ments de preuve documentaires et autres dans leur contexte, les dĂ©clarations de tĂ©moins reprĂ©sentent souvent la seule façon d’obtenir de l’information clĂ©.
Les entrevues initiales peuvent avoir lieu avant d’avoir terminĂ© l’examen des documents, afin de mieux comprendre les questions en litige et vous aider Ă cerner les documents pertinents. Il est toutefois prĂ©fĂ©rable de rĂ©aliser la plupart des entrevues une fois l’examen des documents terminĂ©.
Les entrevues qui prĂ©cĂšdent l’examen des documents ont gĂ©nĂ©ralement lieu avec des personnes pouvant offrir de l’information de base qui seront disponibles pour une entrevue de suivi. Si la personne menant l’enquĂȘte risque de ne pouvoir interviewer un tĂ©moin qu’une seule fois (p. ex., un tiers ou l’auteur allĂ©guĂ© de l’infraction), vaut mieux d’abord procĂ©der Ă l’examen des documents et rĂ©aliser les entrevues permettant d’Ă©tablir le contexte. Cela permettra Ă la personne qui procĂšde Ă l’enquĂȘte d’ĂȘtre aussi bien informĂ©e que possible pour les entrevues clĂ©s.
Il est gĂ©nĂ©ralement prĂ©fĂ©rable de rĂ©aliser les entrevues en personne, car cellesâci permettent Ă la personne menant l’entrevue de mieux apprĂ©cier la crĂ©dibilitĂ© et de s’assurer que la piĂšce est sĂ©curisĂ©e. Il peut cependant arriver qu’une entrevue en personne ne soit pas pratique.
Avant de rĂ©aliser une entrevue Ă distance, la personne qui mĂšne l’entrevue devrait confirmer un certain nombre de dĂ©tails d’ordre administratif, notamment l’interdiction d’enregistrer l’entrevue ou de communiquer avec un tiers pendant l’entrevue, que ce soit dans la mĂȘme piĂšce ou par messagerie Ă©lectronique.
Un scĂ©nario ou une Ă©bauche dĂ©taillĂ©e du dĂ©roulement de l’entrevue devrait ĂȘtre prĂ©parĂ© en prĂ©paration de toutes les entrevues de tĂ©moins. Les questions de dĂ©dommagement, de rĂ©munĂ©ration ou d’avances au titre des frais juridiques et les questions liĂ©es Ă la divulgation subsĂ©quente des dĂ©clarations de tĂ©moins devraient ĂȘtre abordĂ©es. Tous les tĂ©moins devraient ĂȘtre informĂ©s avant l’entrevue du point de vue de la sociĂ©tĂ© quant Ă ces questions.
Au dĂ©but de chaque entrevue, un aperçu des fins de l’enquĂȘte devrait ĂȘtre prĂ©sentĂ© aux tĂ©moins et l’on devrait les informer de leurs droits et obligations au cas oĂč les organismes de rĂ©glementation ou les avocats de la poursuite communiqueraient avec eux.
L’entrevue devrait toujours ĂȘtre consignĂ©e dans un dossier. La prudence est de mise si l’on dĂ©cide d’enregistrer une entrevue sous forme numĂ©rique. Bien qu’il s’agisse de la mĂ©thode la plus rigoureuse pour crĂ©er un dossier, elle peut avoir un effet paralysant sur les tĂ©moins; il est donc gĂ©nĂ©ralement prĂ©fĂ©rable de ne rĂ©diger qu’un rĂ©sumĂ© Ă©crit de l’entrevue. En outre, il existe une jurisprudence amĂ©ricaine selon laquelle les entrevues enregistrĂ©es ne sont pas privilĂ©giĂ©es, parce que, contrairement aux notes d’entrevue Ă©crites, elles ne peuvent contenir les pensĂ©es et impressions des juristes.
La plupart du temps, on prĂ©fĂ©rera donc un rĂ©sumĂ© Ă©crit d’une entrevue attirant l’attention sur les points importants. Le rĂ©sumĂ© Ă©crit devrait ĂȘtre prĂ©parĂ© immĂ©diatement aprĂšs l’entrevue. Le contenu et le format des notes d’entrevue devraient ĂȘtre laissĂ©s Ă la discrĂ©tion des conseillers juridiques externes et comprendre leurs impressions, dans le but de favoriser le maintien du privilĂšge. La personne qui est principalement responsable de poser les questions devrait ĂȘtre accompagnĂ©e d’une personne dont la tĂąche consiste Ă prendre des notes (souvent un juriste dĂ©butant) afin d’assurer l’exactitude des notes d’entrevue.
D. TĂ©moins employĂ©s et avertissement de type « Upjohn »
Les personnes qui devront ĂȘtre interviewĂ©es lors d’une enquĂȘte seront gĂ©nĂ©ralement les employĂ©s de la sociĂ©tĂ©.
Les tĂ©moins employĂ©s confĂšrent deux avantages importants. PremiĂšrement, en tant qu’employĂ©s, ils ont le devoir de collaborer Ă l’enquĂȘte : un refus de le faire pourrait constituer un motif de congĂ©diement. DeuxiĂšmement, la sociĂ©tĂ© exerce un certain contrĂŽle sur ces tĂ©moins qui pourraient s’avĂ©rer utiles par la suite. Par exemple, si la sociĂ©tĂ© souhaite participer Ă un programme d’immunitĂ© ou de clĂ©mence offert par un organisme chargĂ© d’appliquer la loi, le fait de pouvoir obtenir des Ă©lĂ©ments de preuve de la part d’employĂ©s pourrait reprĂ©senter une partie importante de la coopĂ©ration.
Pour conserver ces avantages, une sociĂ©tĂ© ne devrait gĂ©nĂ©ralement pas congĂ©dier un employĂ© officiellement avant que celui-ci ait fourni son tĂ©moignage Ă la personne responsable de l’enquĂȘte du cĂŽtĂ© de la sociĂ©tĂ©. En effet, comme la valeur de l’employĂ© en tant que tĂ©moin est en grande partie perdue si l’employĂ© est congĂ©diĂ©, la menace de congĂ©diement ne sera probablement pas efficace pour obliger un employĂ© Ă coopĂ©rer. La sociĂ©tĂ© pourrait dĂ©terminer que le prix de la coopĂ©ration est de garder l’employĂ© en poste aprĂšs l’enquĂȘte, ou de dĂ©frayer ses frais juridiques. Dans certaines circonstances, il pourrait toutefois ĂȘtre nĂ©cessaire de placer un employĂ© en congĂ© payĂ© durant une enquĂȘte.
Il est Ă©galement essentiel que les conseillers juridiques Ă©vitent de crĂ©er des conflits lorsqu’ils interagissent avec les employĂ©s, surtout quant Ă la question de savoir si le caractĂšre privilĂ©giĂ© de l’entrevue pourra ou non ĂȘtre invoquĂ©. Ă cette fin, une pratique exemplaire consiste Ă commencer une entrevue en donnant une mise en garde de type Upjohn (aussi appelĂ©e avertissement de type « corporate Miranda ») pour garantir qu’il n’y a aucune confusion au sujet de l’objet de l’entrevue et du privilĂšge qui s’y rattache. Dans une mise en garde de type Upjohn typique, le conseiller juridique formulera au tĂ©moin les mises en garde suivantes :
- Le conseiller juridique de la sociĂ©tĂ© ne reprĂ©sente pas l’employĂ©, mais bien la sociĂ©tĂ©.
- L’employĂ© est libre de retenir les services du juriste de son choix s’il le dĂ©sire.
- L’entrevue est privilĂ©giĂ©e, et le privilĂšge appartient Ă la sociĂ©tĂ©, non Ă l’employĂ©.
- La société, à son entiÚre discrétion, peut choisir de renoncer à ce privilÚge en tout temps et sans préavis.
- La sociĂ©tĂ© a le droit de communiquer l’information obtenue des tĂ©moins employĂ©s avec d’autres autoritĂ©s, et elle pourra le faire.
Une mise en garde de type « Upjohn », nommĂ©e ainsi d’aprĂšs la dĂ©cision de la Cour suprĂȘme des Ătats-Unis dans l’affaire Upjohn Co. v. United States, 449 U.S. 383 (1981), vise Ă dissiper tous les doutes quant aux personnes que reprĂ©sente le conseiller juridique et celles qui contrĂŽlent la confidentialitĂ© de la conversation qui est sur le point d’avoir lieu. Bien que le droit canadien ne prĂ©voie pas officiellement une telle exigence juridique, il est recommandĂ© d’adresser aux tĂ©moins employĂ©s la mise en garde de type « Upjohn ».
MĂȘme si les employĂ©s pourraient ĂȘtre moins communicatifs ou coopĂ©ratifs aprĂšs avoir entendu cette mise en garde en dĂ©but d’entrevue, elle est nĂ©anmoins essentielle pour s’assurer que les employĂ©s ne pourront ensuite affirmer que le processus d’entrevue n’Ă©tait pas Ă©quitable ou que leurs dĂ©clarations devraient ĂȘtre exclues au motif qu’elles sont privilĂ©giĂ©es.
Une description gĂ©nĂ©rale des fins de l’entrevue devrait ĂȘtre prĂ©sentĂ©e aux tĂ©moins employĂ©s. Par exemple, ils devraient ĂȘtre informĂ©s du fait que l’entrevue est nĂ©cessaire pour obtenir de l’information qui sera utile Ă la sociĂ©tĂ© dans le cadre d’une enquĂȘte sur l’affaire XYZ. Ce n’est toutefois pas nĂ©cessaire de tout leur dire (p. ex., la stratĂ©gie globale de la sociĂ©tĂ© ne devrait pas leur ĂȘtre communiquĂ©e). Bien que toute l’information n’ait pas Ă ĂȘtre transmise, induire un tĂ©moin en erreur quant Ă l’objet de l’entrevue peut entraĂźner une condamnation plus importante en dommages-intĂ©rĂȘts (voir Chapell v. Canadian Pacific Railway, 2010 ABQB 441).
La personne responsable de l’enquĂȘte devrait Ă©galement informer le tĂ©moin employĂ© de l’importance de fournir de l’information vĂ©ridique et franche, car la malhonnĂȘtetĂ© durant des enquĂȘtes internes en milieu de travail a donnĂ© lieu Ă des congĂ©diements pour motif valable. Voir, Ă titre d’exemple, les dĂ©cisions suivantes :
L’employĂ© devrait ĂȘtre mis au courant si la sociĂ©tĂ© a obtenu une forme d’immunitĂ© ou de clĂ©mence qui protĂšge l’employĂ© contre les poursuites personnelles.
Lorsque l’on dĂ©termine qu’il est probable qu’un employĂ© a commis une infraction, il est souvent prudent de recommander Ă cet employĂ© de retenir les services de son propre conseiller juridique. La sociĂ©tĂ© devrait envisager la possibilitĂ© de payer les honoraires de ce juriste externe distinct. Cela peut contribuer Ă favoriser la coopĂ©ration de l’employĂ©. La sociĂ©tĂ© devrait Ă©galement dĂ©terminer si les polices d’assurance des administrateurs et dirigeants peuvent couvrir certains frais juridiques.
E. Protection des données et respect de la vie privée
Pratiquement chaque pays a adoptĂ© des lois sur la protection de la vie privĂ©e et des renseignements personnels. Les lois sur la protection de la vie privĂ©e n’empĂȘcheront gĂ©nĂ©ralement pas une sociĂ©tĂ© de mener une enquĂȘte interne et d’utiliser ces renseignements dans ses interactions avec les organismes chargĂ©s d’appliquer la loi, mais elles peuvent imposer certaines restrictions.
Ă titre d’exemple, au Canada, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents Ă©lectroniques (LPRPDE) permet Ă un organisme de recueillir des renseignements personnels Ă l’insu de la personne intĂ©ressĂ©e ou sans son consentement pour enquĂȘter sur la violation d’un accord ou la contravention au droit fĂ©dĂ©ral ou provincial et d’utiliser les renseignements personnels dans le cadre d’une enquĂȘte sur une contravention au droit fĂ©dĂ©ral, provincial ou Ă©tranger. Par consĂ©quent, la LPRPDE permet Ă un organisme d’utiliser des renseignements personnels pour enquĂȘter sur une contravention au droit Ă©tranger, mais, curieusement, pas d’en recueillir Ă cette fin.
Les juristes devraient donc toujours connaĂźtre les lois sur la protection de la vie privĂ©e qui sont susceptibles de s’appliquer Ă la collecte et Ă l’utilisation de renseignements personnels dans le cadre d’une enquĂȘte.
Ă la fin de l’enquĂȘte, le conseiller juridique devrait communiquer toute l’information et toutes ses conclusions. Une attention particuliĂšre devrait ĂȘtre accordĂ©e au format du rapport final.
Un rapport Ă©crit a l’avantage de documenter clairement le processus, les conclusions et les mesures correctives requises. Il aide les membres du conseil Ă bien s’acquitter de leur devoir fiducial de tirer leurs propres conclusions en fonction de toute l’information qui a Ă©tĂ© mise Ă leur disposition.
Le principal inconvĂ©nient du rapport Ă©crit est qu’il crĂ©e souvent un registre clair des actes rĂ©prĂ©hensibles ou pĂ©naux. Bien qu’il soit privilĂ©giĂ©, ce rapport pourra ĂȘtre sollicitĂ© par les organismes de rĂ©glementation, les autoritĂ©s poursuivantes, les reprĂ©sentants des parties adverses dans un litige civil et les parties contractantes dans d’Ă©ventuels contrĂŽles diligents de routine. Un rapport Ă©crit augmente en outre le risque de fuites et de perte de confidentialitĂ© et de privilĂšge.
Lorsque les organisations dĂ©cident de ne pas prĂ©parer de rapport Ă©crit, il arrive souvent que le conseiller juridique prĂ©sente oralement un rapport dĂ©taillĂ© (appuyĂ© par un diaporama), qui sera conservĂ© dans ses dossiers privilĂ©giĂ©s. Mais mĂȘme lorsque les conclusions clĂ©s sont prĂ©sentĂ©es verbalement, une pratique exemplaire consiste Ă documenter le processus d’enquĂȘte, puisque cela consacre la bonne foi de la rĂ©ponse de la sociĂ©tĂ©. Les conseillers juridiques visent souvent Ă concilier les avantages et les inconvĂ©nients du rapport Ă©crit en prĂ©sentant un rapport Ă©crit des Ă©tapes de l’enquĂȘte et des recommandations de mesures correctives, mais en ne signalant qu’oralement les dĂ©tails de tout acte rĂ©prĂ©hensible.