Formes et écueils de la publicité moderne
Aperçu
Avec l’avènement de l’ère d’Internet, la publicité s’est élargie au-delà des formes traditionnelles des médias et de la presse écrite. Internet est devenu le moyen privilégié de communication dans tous les aspects de la vie et le droit ne fait pas exception1. Cette explosion de nouvelles technologies a ébranlé les concepts traditionnels de la publicité et soulevé de nouvelles questions déontologiques que les juristes doivent connaître au moment d’utiliser ces techniques. Les plateformes modernes de publicité comprennent les sites Web des cabinets juridiques, les balados, les blogues, YouTube et les médias sociaux comme Instagram, TikTok, LinkedIn, Facebook, Twitter et les groupes de discussion sur Internet comme Reddit.
Selon le rapport ABA Tech Report 2021 de l’American Bar Association, 86 % des cabinets juridiques sondés étaient présents sur les médias sociaux2 et selon un sondage du site Clio, 35 % des juristes et 42 % des petits cabinets qui utilisent les médias sociaux ont trouvé de nouveaux clients. Les médias sociaux peuvent améliorer la visibilité et la pertinence, cibler des communautés particulières et suivre l’efficacité des campagnes publicitaires. Ces plateformes peuvent être utilisées pour promouvoir les cabinets juridiques ou des juristes en particulier afin d’attirer l’attention et de diffuser des renseignements. D’autre part, comme les juristes utilisent les médias sociaux à des fins personnelles et professionnelles, la distinction entre communiquer des renseignements et faire de la publicité est devenue floue3.
Bien que plusieurs ne soient pas d’accord pour dire que l’utilisation de ces plateformes équivaut à faire de la publicité, le terme » publicité » peut être interprété de façon large. Par exemple, la Law Society of British Columbia a inclus une définition du terme » activité de commercialisation » dans son code de déontologie :
[TRADUCTION] » activité de commercialisation » Toute publication ou communication de nature publicitaire, activité ou matériel promotionnel, papier à en-tête, carte professionnelle, inscription dans un répertoire, présence en public ou tout autre moyen par lequel des services juridiques professionnels sont promus ou des clients sont sollicités.
Le Barreau de l’Ontario a défini le » marketing » de manière à inclure les publicités et d’autres communications de même type sous diverses formes ainsi que le nom des cabinets (y compris la raison sociale commerciale), le papier à en-tête, les cartes professionnelles et les logos.
Ces définitions sont vastes et peuvent facilement être étendues aux formes de publicité moderne examinées ci-dessous et à d’autres formes. Les ordres professionnels de juristes canadiens ont démontré, de manière cohérente, leur intention d’appliquer une définition large à la publicité et d’interpréter leurs codes de déontologie comme s’appliquant à toute forme d’activité promotionnelle. Par conséquent, nous mettons en lumière les questions déontologiques et les écueils courants que les juristes doivent connaître au moment d’utiliser ces formes modernes de publicité.
Autres préoccupations au chapitre de l’éthique de la publicité moderne
Avant d’examiner certaines plateformes de médias sociaux et les risques pertinents qu’elles posent, il convient de noter qu’il existe plusieurs règles supplémentaires que les juristes devraient connaître et auxquelles ils ne doivent pas contrevenir lorsqu’ils font de la publicité sur les médias sociaux.
Confidentialité
L’utilisation des médias sociaux ou d’autres formes de publicité moins traditionnelles peut entraîner la divulgation involontaire de renseignements protégés par le secret professionnel ou de renseignements confidentiels, y compris l’identité de clients actuels, anciens ou éventuels. Quelle que soit la plateforme qu’un juriste utilise, personnellement ou professionnellement, il doit veiller à ne pas divulguer par inadvertance des renseignements protégés par le secret professionnel ou des renseignements confidentiels. Un juriste qui donne des conseils à une personne sur une plateforme de médias sociaux pouvant être vue par le grand public peut manquer à ce devoir.
Protection des renseignements personnels
Une autre question déontologique qui découle de la publicité sur les médias sociaux est la protection des renseignements personnels et l’utilisation de tactiques publicitaires modernes au moyen de mégadonnées. De nos jours, tous les aspects de la vie sont de plus en plus liés à Internet et aux profils en ligne4. Les personnes partagent leurs photos en ligne, déclarent leur statut relationnel, demandent des conseils personnels, suivent et diffusent des renseignements sur des sujets qui les intéressent personnellement. Certaines personnes communiquent même l’endroit où elles se trouvent. L’accès à tous ces renseignements et à d’autres permet de faire de la publicité qui cible des groupes de personnes précis en fonction de leurs intérêts exprimés ou observés et des données recueillies auprès d’eux. Cette technique est appelée microciblage.
Par exemple, un avocat spécialisé en droit du divorce peut cibler des utilisateurs de médias sociaux qui publient des messages sur des problèmes relationnels ou qui modifient leur statut relationnel. L’avocat pourrait aller un peu plus loin et suivre les personnes qui voyagent pour aller en vacances dans le but de cibler des clients éventuels qui vivent des expériences stressantes. Les stratégies publicitaires qui s’éloignent du microciblage peuvent devenir de la sollicitation, car elles ciblent des groupes ou des personnes précis et offrent une aide juridique pour une question précise.
Dans une décision de 1995 portant sur l’éthique, la Law Society of Saskatchewan a conclu que l’envoi de lettres offrant des services à des personnes dont le juriste savait qu’elles étaient menacées de saisie équivalait à de la sollicitation directe et était de mauvais goût5. Dans une décision rendue en 2013, le même comité a fait remarquer que les publicités et les stratégies de marketing qui ciblent les personnes dans un » état de vulnérabilité » sont contraires à l’éthique6.
Réseautage et relations involontaires
Un autre problème omniprésent de la publicité en ligne et dans les médias sociaux est le risque de créer des relations involontaires. Le réseautage constitue un excellent moyen d’établir des liens avec une communauté ou un groupe de personnes, et il est extrêmement pratique de le faire sur les médias sociaux. Comme il est mentionné dans la Trousse d’outils sur les honoraires et mandats, les juristes doivent toutefois faire preuve de prudence pour ne pas établir, par inadvertance, une relation avocat-client par le biais de conversations informelles au sujet des problèmes juridiques d’un ami ou d’une connaissance.
Ce risque existe toutes les fois où un juriste communique avec une personne qui peut demander, de façon désinvolte, des conseils juridiques. Les publications en ligne, les gazouillis, les enregistrements vidéo, les réponses à des questions juridiques ou les suggestions de recours offerts peuvent tous être interprétés comme constituant des consultations qui donnent lieu à des relations avocat-client ou qui créent des conflits d’intérêts potentiels. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un nouveau problème de déontologie, les plateformes de médias sociaux augmentent considérablement les possibilités et, par conséquent, le risque que les juristes franchissent cette ligne par inadvertance.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur ce qui détermine s’il existe une relation avocat-client, consultez la Trousse d’outils sur les honoraires et mandats > Communiquer avec les clients potentiels.
Contenu viral et compétence
» Devenir viral » est en quelque sorte un insigne d’honneur et fait référence au niveau de popularité qu’un message ou une vidéo en particulier a suscité. Essentiellement, le contenu viral tire parti d’une version en ligne du marketing de bouche-à -oreille7 et joint des millions de personnes en relativement peu de temps. Alors que le fait de devenir viral semble excitant pour de nombreux annonceurs, les juristes doivent se rappeler qu’une fois qu’ils publient quelque chose en ligne, ils n’ont plus aucun contrôle sur qui le voit, ou qui l’utilise. Ce phénomène peut faire en sorte qu’un juriste donne des conseils dans une province ou un territoire où il n’a pas le droit d’exercer la profession juridique, ou que les consommateurs suivent des conseils qui n’ont pas été donnés dans le cadre de leur situation particulière.
Types de publicité moderne
Sites Web
Le principal moyen utilisé par bon nombre de cabinets juridiques pour communiquer des renseignements est leur site Web. Les sites Web juridiques constituent un moyen facile, efficace et rentable de faire de la publicité, d’améliorer l’image d’un cabinet juridique ou d’un juriste, de diffuser des renseignements et de maintenir un accès 24 heures sur 24 pour les clients8. Bien que le contenu varie d’un cabinet à l’autre, les sites Web sont devenus la principale source d’information pour une vaste gamme de renseignements juridiques, notamment des bulletins d’information, des services juridiques, des biographies des juristes et des domaines du droit dans lesquels ils oeuvrent, des communiqués de presse, des résumés jurisprudentiels et des billets de blogues.
Quels que soient les renseignements figurant sur un site Web, les juristes doivent s’assurer que les renseignements ne contreviennent pas aux normes de la publicité ou à d’autres dispositions de leur code de déontologie.
Par exemple, de nombreux sites Web de cabinets juridiques mettent en exergue des témoignages de reconnaissance ou des résumés d’affaires antérieures, y compris les noms de clients. L’identité des clients et les détails concernant les mandats sont confidentiels et, avant de pouvoir utiliser ces renseignements dans une publicité, le juriste doit obtenir le consentement du client. Même si l’identité du client n’est pas divulguée explicitement, les renseignements communiqués dans le résumé jurisprudentiel peuvent communiquer des renseignements confidentiels et particuliers8. Le consentement du client est essentiel même lorsqu’un juriste est l’avocat inscrit au dossier ou qu’il croit que sa participation à une affaire est de notoriété publique.
D’autres facteurs que les juristes pourraient vouloir prendre en considération en ce qui a trait au contenu de leur site Web :
- Ma biographie utilise-t-elle des termes comparatifs, des superlatifs ou énonce-t-elle que je possède une certaine expertise?
- Ma biographie fait-elle référence à des classements de tierces parties qui n’ont pas de processus d’évaluation justes et impartiaux?
- Un billet de blogue que j’ai écrit donne-t-il des conseils juridiques?
- Les résumés jurisprudentiels que j’ai affichés induisent-ils le public en erreur ou minent-ils sa confiance dans l’administration de la justice?
- Les rapports de mes réussites expliquent-ils que le succès dépendra des faits de chaque affaire?
- Si les témoignages de reconnaissance sont autorisés dans ma province ou mon territoire, induisent-ils le public en erreur?
- Ces témoignages contreviennent-ils au devoir de confidentialité?
- Ai-je incité mes anciens clients à afficher des témoignages de reconnaissance favorables?
Pour en savoir plus :
- Elaine Craig, » Examining the Websites of Canada’s Top sex Crime Lawyers’: The Ethical Parameters of Online Commercial Expression by the Criminal Defence Bar » (2015) 48 (2) UBC Law Rev, Ã la p. 257
- Vanessa S. Browne-Barbour, » Lawyer and Law Firm Web Pages as Advertising: Proposed Guideline) » (28:2 Rutgers Computer & Tech LJ (2002), Ã la p. 275.
Les plateformes modernes d’images vidéo et de vidéos comme TikTok et Instagram permettent de considérablement élargir le public cible. Ces plateformes peuvent aider les juristes à transmettre des concepts juridiques complexes simplifiés, à démontrer leurs connaissances, à interagir avec des clients éventuels et à se montrer sympathiques et accessibles9. Ces plateformes peuvent attirer l’attention et obtenir davantage d’abonnés qui peuvent par la suite faire appel au juriste pour leurs besoins juridiques.
TikTok et Instagram sont des plateformes puissantes qui permettent de joindre un grand nombre de personnes. Lorsque vous utilisez TikTok comme plateforme publicitaire, faites-le de façon éthique et professionnelle en y diffusant du contenu qui ne peut être interprété comme trompeur. L’efficacité de ces plateformes est souvent directement liée au nombre d’abonnés obtenus, et les juristes ne doivent pas recourir à des loufoqueries inappropriées ou non professionnelles pour augmenter ces chiffres.
Un juriste qui utilise ces plateformes à des fins personnelles devrait veiller à ne pas franchir les limites éthiques liées à l’exercice du droit. Des manquements au code de déontologie peuvent également survenir si un juriste ne respecte pas le devoir de confidentialité. Qu’il y ait ou non une intention de faire de l’annonce, la conduite peut être considérée comme de la promotion personnelle et être assujettie aux règles du code de déontologie de l’ordre professionnel de juristes.
Tout comme les sites Web, le contenu de ces plateformes peut comprendre des photos, des vidéos, des bribes de sagesse juridique, des biographies de juristes ou des témoignages de reconnaissance de la part de clients. Tout ce qui est publié doit respecter les règles de la province ou du territoire.
Si les abonnés demandent des conseils juridiques par l’entremise de ces plateformes, le juriste ne doit pas créer une relation client-avocat involontaire ou un conflit d’intérêts ni donner de conseils à une personne à l’extérieur du territoire juridique ou dans les cas où il n’a pas qualité pour le faire.
Pour en savoir plus :
Le Code type s’applique également au contenu publié sur Facebook et LinkedIn. En 2017, la Law Society of British Columbia a conclu que la publication de commentaires désobligeants sur Facebook au sujet d’un autre juriste équivalait à des activités de marketing10.
Comme pour Instagram et TikTok, les juristes qui utilisent ces plateformes pour des raisons personnelles doivent veiller à ne pas poser par inadvertance quelque geste que ce soit qui pourrait être interprété comme de la promotion personnelle ou de la publicité sans s’assurer qu’ils n’enfreignent pas les règles énoncées dans leur code de déontologie.
Pour en savoir plus :
Comme Internet est devenu une plateforme de discussion et de socialisation courante, les juristes qui utilisent des plateformes comme Twitter et Reddit doivent faire très attention pour ne pas établir de relations avocat-client involontaires ou pour ne pas créer de conflits d’intérêts.
Les répercussions déontologiques de ces conversations peuvent être importantes. Ces plateformes de discussion ne sont pas restreintes par pays ou par province ou territoire. Par conséquent, un juriste qui y donne des conseils peut ne pas avoir le droit de donner son avis sur la question en cause. Par conséquent, répondre à une demande de conseils juridiques et se présenter comme ayant l’autorité pour le faire en tant que juriste peut être trompeur.
Pour en savoir plus :
Isabella M. Leavitt, » Attorney Advertising in the Age of Reddit: Drafting Ethical Responses to Prospective Clients in Online Non-Legal Forums », Georgetown Journal of Legal Ethics 29, no 4 (automne 2016) : 1111-1130
Résumé
Les sites Web et les médias sociaux offrent d’excellentes occasions aux juristes de renforcer leur réputation, de diffuser des renseignements au public et de joindre un plus grand nombre de personnes qui demandent de l’aide. Ces plateformes sont également truffées de problèmes déontologiques éventuels. Voici quelques mesures qu’un juriste pourrait envisager de prendre pour éviter ces écueils11 :
- utiliser un avis de non-responsabilité lors de la communication de tout type de conseil juridique pour s’assurer que les consommateurs ne croient pas que les renseignements visent à créer une relation ou à constituer un avis juridique;
- se rappeler qu’une fois que quelque chose est dit, ce n’est plus assujetti à un contrôle et que les publications, les commentaires ou les vidéos peuvent être lus par des millions de personnes;
- s’identifier dans les communications en ligne, notamment en donnant son nom, ses coordonnées et le territoire où il est autorisé à exercer la profession juridique.
En prenant ces mesures, un juriste peut veiller à ce que les publicités relatives aux services juridiques qu’il offre ne soient pas trompeuses et ne puissent pas être mal interprétées par les personnes qu’elles rejoignent.
Notes de fin
1 Daniel Backer, » Choice of Law in Online Legal Ethics: Change a Vague Standard for Attorney Advertising on the Internet » () 70:6 Fordham L. Rev 2002), Ã la p. 2409.
3 William I. Weston, » The Ethics of Advertising and Other Issues Related to Law Firm Web Sites » (2005) 2005 Prof. Law. Symp., numéro 69.
4 Seth Katsuya Endo, » Ad Tech & The Future of Legal Ethics » 73:1 Alabama Law Review 107 (2021), Ã la p. 119.
8 Vanessa S. Browne-Barbour, Lawyer and Law Firm Web Pages as Advertising: Proposed Guideline) (28:2 Rutgers Computer & Tech LJ (2002), Ã la p. 275.
9 Saw Society of Alberta » Ethical and Effective Advertising », Confidentiality.
11 Law Society of British Columbia Benchers’ Bulletin (été 2017), à la p. 20, en ligne.
12 MMonica Befa » The Ethics of ‘The Tweeting Lawyer’: Powerful Platform or Risky Undertaking? » (19 avril 2016) Slaw en ligne.