Le nombre de personnes qui se représentent elles-mêmes devant les tribunaux de la famille et civils a considérablement augmenté au cours des quelques dernières années, partout au Canada. Ainsi, une étude menée en Alberta en 2012 a révélé que plus de la moitié des dossiers en droit de la famille comportaient une partie comparaissant en personne.
Les parties comparaissant en personne posent un défi aux avocats, à leurs clients et au système judiciaire en général. Voici quelques conseils pour traiter avec elles.
Toutes les parties comparaissant en personne ne sont pas similaires
Lawrence Pinsky, avocat chez Taylor McCaffrey LLP Ă Winnipeg, dit qu’il existe au moins deux sortes de parties comparaissant en personne.
« D’une part, vous avez celles qui ne peuvent pas se permettre financièrement d’engager un avocat. Ce sont des parties comparaissant en personne, pas par choix, mais par manque de choix », dit-il.
« D’autre part, vous avez les parties comparaissant en personne par choix, parce qu’elles pensent que point n’est besoin d’avoir une formation ou d’ĂŞtre objectif pour ĂŞtre avocat, ou elles veulent littĂ©ralement faire entendre leur voix, ou elles ont un trouble de la personnalitĂ© », dĂ©clare Me Pinsky.
« Je pense qu’il est injuste de les amalgamer dans une seule catĂ©gorie », ajoute-t-il.
Wayne Barkauskas, qui exerce chez Wise Scheible Barkauskas Ă Calgary, est d’accord.
« Il y a des gens qui ne peuvent tout simplement pas se payer de reprĂ©sentation juridique ou qui ne sont pas admissibles Ă l’aide juridique. Et ils sont nombreux. Ils n’ont pas le choix », dit-il.
« Toutefois, il y a un autre vaste groupe, celui des gens qui ont le choix. Ils peuvent financièrement s’offrir les services d’un avocat, mais choisissent de ne pas le faire, convaincus que l’embauche d’un avocat ne leur apportera pas une valeur ajoutĂ©e suffisante. »
Melanie Del Rizzo, avocate chez Smyth Woodland Del Rizzo Ă St. John’s, appelle la première catĂ©gorie les « parties non reprĂ©sentĂ©es » et la seconde les « parties comparaissant en personne ». Selon elle, traiter avec des membres de chacun de ces groupes constitue une « expĂ©rience totalement diffĂ©rente ».
Couchez tout par Ă©crit
Me Del Rizzo dit que sa première règle, quand elle traite avec des parties comparaissant en personne, est de veiller à ce que tout soit couché par écrit.
« Je ne traite jamais avec une partie comparaissant en personne autrement que par Ă©crit », dit-elle. « Le courrier Ă©lectronique Ă©tant maintenant tellement courant, il n’y a vraiment aucune raison de traiter avec quelqu’un autrement que par Ă©crit. »
Me Pinsky est d’accord. « Que ce soit des parties comparaissant en personne par choix ou par manque de choix, toutes les communications doivent ĂŞtre faites par Ă©crit, sous forme Ă©lectronique ou autre. Ne rĂ©pondez jamais aux questions posĂ©es au tĂ©lĂ©phone, car il peut s’agir d’une personne qui va dire “l’avocat m’a dit ceci ou cela ou m’a intimidĂ© ou je n’aurais jamais acceptĂ©, mais j’avais peur de l’avocat dĂ©sagrĂ©able”. »
NĂ©gociez devant un tiers neutre
Selon Me Pinsky et Me Barkauskas, les nĂ©gociations avec les parties comparaissant en personne sont le plus efficaces lorsqu’elles sont effectuĂ©es en prĂ©sence d’un tiers neutre.
Dans certaines régions, le processus judiciaire comporte une intervention judiciaire précoce. Ainsi, le Manitoba a un système de conférence préparatoire où les deux parties sont tenues de comparaître devant un juge.
« Une partie comparaissant en personne peut penser qu’elle ne peut se fier Ă l’objectivitĂ© de l’avocat de la partie opposĂ©e, mais si c’est le juge qui leur rĂ©pète ce que l’avocat a dit, un consentement peut parfois ĂŞtre donnĂ© dans un dĂ©lai raisonnable ou au moins dans un dĂ©lai qui n’est pas complètement dĂ©ment », ajoute Me Pinsky. « C’est la raison pour laquelle l’intervention judiciaire prĂ©coce donne de bons rĂ©sultats. »
Selon Me Barkauskas, en Alberta, la rencontre avec un tiers neutre est un véritable défi, car les ressources des tribunaux sont limitées et le processus ne comporte aucune conférence préparatoire obligatoire.
« Si vous traitez avec une partie comparaissant en personne, elle soupçonne toujours vos raisons. Peu importe le degrĂ© d’honnĂŞtetĂ© et d’Ă©quitĂ© de votre approche de la rĂ©solution du diffĂ©rend, l’autre partie prĂ©sume toujours que vous essayez de la flouer, car elle sait que sa position est dĂ©savantageuse dès le dĂ©part », dit-il. « Par consĂ©quent, il peut ĂŞtre extrĂŞmement frustrant d’essayer d’entamer des nĂ©gociations honnĂŞtes, car l’autre partie tient pour acquis que vous essayez de ruser avec elle. »
C’est la raison pour laquelle une intervention judiciaire peut aider, dĂ©clare Me Barkauskas.
« L’Ă©lĂ©ment essentiel lorsque l’on traite avec des parties comparaissant en personne, est de leur donner une possibilitĂ© de nĂ©gocier en prĂ©sence d’un tiers neutre, car dans ce cas, il est beaucoup moins probable qu’elles vont penser que vous essayez de les piĂ©ger. En outre, elles auront plus tendance Ă Ă©couter un tiers neutre que l’avocat de la partie opposĂ©e. »
Réalisez que les coûts de votre client pourraient augmenter
« Vous devez ĂŞtre prudent et contrĂ´ler le flux de la procĂ©dure, car il arrive que les parties comparaissant en personne tentent de vous inonder de lettres et de requĂŞtes et souhaitent accroĂ®tre les coĂ»ts pour votre client, pas parce que cela les aide, mais parce que cela nuit Ă votre client », dit Me Pinsky.
Il recommande aux avocats et aux avocates de fixer des paramètres.
« Disons qu’une ordonnance dĂ©clare que toutes les communications devraient passer par John Smith et que nous commençons Ă recevoir des lettres de la partie comparaissant en personne disant “je n’aime plus John Smith. DĂ©sormais, je veux que ce soit Peter David”. Vous devez fixer des paramètres pour dire que vous n’allez pas tolĂ©rer ce genre de discussion et que s’il existe une ordonnance, elle doit ĂŞtre respectĂ©e par tous », dit-il.
Deborah L. Giles, qui travaille chez Scharfstein Gibbings Walen Fisher LLP à Saskatoon, convient que le fait de traiter avec des parties comparaissant en personne peut augmenter le coût pour les clients.
« Traiter avec une partie comparaissant en personne peut Ă©galement augmenter le coĂ»t de votre client lorsqu’il aurait pu ĂŞtre possible de transiger, mais qu’en raison du fait qu’une partie comparaissant en personne pourrait nĂ©gocier en fonction d’Ă©motions plutĂ´t que de l’Ă©tat du droit, la transaction n’est plus une option », dit-elle.
Me Del Rizzo recommande aux juristes de faire face aux dépenses supplémentaires en demandant que le tribunal accorde les dépens à leur client.
« Votre client engage des frais supplĂ©mentaires face Ă une partie non reprĂ©sentĂ©e », dit-elle.
« C’est vous qui allez rĂ©diger les ordonnances. Le juge ne va pas aller demander Ă la partie non reprĂ©sentĂ©e de rĂ©diger l’ordonnance. N’hĂ©sitez pas Ă demander que les dĂ©pens soient accordĂ©s Ă votre client Ă chaque Ă©tape. »
Veillez à votre sécurité
Me Del Rizzo affirme que sans le « garde-fou » d’un reprĂ©sentant juridique, les parties comparaissant en personne « peuvent ĂŞtre beaucoup plus agressives et en colère ».
« Vous devez faire tout particulièrement attention Ă votre sĂ©curitĂ© personnelle », recommande-t-elle. « C’est très Ă©motionnel. En l’absence du garde-fou que constitue l’avocat, je pense que les risques pour la sĂ©curitĂ© personnelle sont accrus. »
Demeurez courtois
« Demeurez toujours courtois, sinon, vous le regretterez tĂ´t ou tard », recommande Me Pinsky. « Cela peut ĂŞtre difficile, particulièrement en prĂ©sence de parties comparaissant en personne par choix. Cependant, l’avocat est lĂ pour ĂŞtre objectif et ne pas se laisser piĂ©ger par ses Ă©motions personnelles. Ne l’oubliez pas. »
Me Giles est d’accord. « Surtout, soyez professionnel et respectueux lorsque vous traitez avec toute partie opposĂ©e, qu’elle comparaisse en personne ou pas. »
Carolynne Burkholder-James est avocate chez Heather Sadler Jenkins LLP Ă Prince George (C.-B.)