Votre être tout entier : Prendre soin de votre pratique, à commencer par son actif le plus important

De nombreux avocats décident d’exercer seul ou de constituer une petite pratique en vue d’atteindre un meilleur équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle, mais ils constatent que ce genre d’équilibre est inatteignable puisque la difficulté d’édifier une pratique avec peu de personnel de soutien tout en essayant de passer du temps avec leurs jeunes familles – ou avec leurs parents âgés – leur gruge beaucoup de temps.

Surcharge des rôles

M^me Linda Duxbury, Ph. D., est professeure à la faculté Sprott des affaires de l’Université Carleton à Ottawa, où elle est une chercheuse reconnue à l’échelle internationale en matière d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle et une pionnière dans le domaine de la santé organisationnelle. Lorsqu’elle a commencé à recueillir des données sur le sujet en 1991, elle l’a énoncé de la façon dont le font la plupart des universitaires : le travail nuit à la famille et la famille nuit au travail. « Mais après avoir effectué la recherche pendant plusieurs années, j’en suis arrivée à la conclusion que c’est bêtement une question de charge de travail », déclare Mme Duxbury.

Le problème de la profession juridique réside dans le fait qu’elle se fonde sur les heures facturables – ce qu’elle appelle un paramètre explicite qui impose une pression indue aux avocats en raison de l’attente d’une récompense matérielle pour chaque heure supplémentaire.

« Dans bien d’autres sociétés que j’examine, le paramètre n’est pas explicite; il fait partie de la culture. Vous obtenez toujours le même comportement, mais celui-ci n’atteint pas le même niveau toxique que lorsque les heures sont explicitement liées à l’évaluation, déclare M^me Duxbury. Et la barre est fixée au sommet des heures facturables, à 40 heures par semaine, ce qui ne laisse pas de temps pour toutes les autres choses non facturables qu’il faut faire. On s’attend donc à ce que vous travailliez pendant 60 heures, seulement pour garder votre emploi. »

M^me Duxbury déclare que nous en sommes au point où un important changement psychologique s’impose. Selon sa recherche, les jeunes ont vu le mariage de leurs parents échouer par suite des longues heures qu’ils ont consacrées au travail – et ont constaté que ces longues heures de travail acharné ne confèrent aucune protection contre les coupures de postes. Ils sont déterminés à ne pas suivre cet exemple.

Mais se lancer à son compte ne constitue pas la réponse non plus, déclare M^me  Duxbury.

« C’est un mythe que de croire que si vous exploitez votre propre pratique, vous aurez automatiquement un meilleur équilibre. En fait, si vous exploitez votre propre entreprise, sauf si vous êtes prêt à accepter une importante réduction de revenu, vous n’aurez pas de meilleur équilibre. »

Penser à vous

Dans son nouveau livre intitulé Is Work Killing You? (House of Anansi Press), l’expert en gestion du stress, M. David Posen d’Oakville, en Ontario, répartit ainsi les rôles de la vie : le travail, la famille et soi-même. Pour les gens qui font du bénévolat, un quatrième rôle serait la collectivité.

Il y a déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle lorsque que ces rôles s’entrechoquent – généralement, lorsque le travail obtient tout le temps et l’énergie dont il a besoin dans une semaine moyenne, tandis que les autres parties de la vie se contentent de ce qui reste. Il avertit que ce genre de conflit, si on le laisse perdurer, se transforme souvent en stress chronique.

Selon lui, un certain niveau de bon stress contribue à la performance, mais lorsque le stress continue d’augmenter, vous « vous retrouvez en situation de détresse, où la performance commence à diminuer, tout comme la productivité, et où vous commencez à subir des symptômes », déclare M. Posen. La fatigue peut mener à l’épuisement, qui peut pour sa part mener à la maladie, notamment une crise cardiaque et un accident vasculaire cérébral.

« Je demande toujours aux patients, sentez-vous que la situation est sans espoir, que vous ne pouvez rien faire et vous sentez-vous pris au piège? Il faut vraiment faire attention à ce genre de sentiments et de symptômes. Lorsque les gens ont l’impression d’être sur un tapis roulant sans pouvoir en débarquer, qu’ils n’ont pas le temps de prendre des vacances, qu’ils ignorent s’ils peuvent continuer à avancer […] ils ont déjà depuis longtemps franchi la frontière » de la détresse, avertit-il.

Auto évaluation

Selon la conférencière et guide professionnelle de Vancouver Lisa Martin, créatrice des programmes Lead + Live Better et auteure de « Briefcase Mom » (Cornerview Press), l’épuisement professionnel est le plus grave danger qui guette ceux qui ne tiennent pas compte de leur être tout entier.

« Constituent des signes classiques le fait de travailler de plus en plus longtemps pour effectuer le même travail, la tension et l’irritabilité inhabituelles, l’absence de communication, l’inertie et l’indécision prolongée, le non-respect des échéances et les comportements d’évitement », déclare M^me Martin.

Elle insiste sur l’importance de pondérer proactivement le travail par du repos. Inscrivez des temps morts à votre agenda – et prenez-les. Lorsque vous le faites, vous vous sentez réénergisé, vous prenez une meilleure décision et vous favorisez de meilleures relations.

Et ne tâchez pas d’être parfait. Plus vous exigez la perfection de vous-même et de ceux qui vous entourent, plus la vie paraît désorganisée et ingérable.

« La perfection met fin aux carrières. Lorsque vous tentez de faire en sorte que tout soit parfait, vous vous agrippez inévitablement trop. Vous ne déléguez pas et ne laissez pas les choses aller. Votre fierté peut vous empêcher d’admettre que vous avez besoin d’aide. En vue de contrôler tout ce qui vous entoure, vous ratez des occasions de croître et de prendre des risques. »

Selon elle, il faut viser la réussite ou même l’amélioration plutôt que d’insister sur la perfection.

« Si vous visez l’amélioration plutôt que la perfection, vous disposerez de plus de temps pour accomplir des tâches importantes pour votre carrière, comme le réseautage, l’élaboration de stratégies, l’établissement d’un profil et l’annonce de vos réalisations », déclare M^me Martin.

M. Posen affirme que l’un des meilleurs conseils qu’il a reçus au début de sa pratique était de débuter de la même façon qu’il voulait continuer.

Faisant référence au nombre excessif souvent irréaliste d’heures facturables que s’imposent de nombreux jeunes avocats, M. Posen dit ceci : « Informez les gens dès le départ de ce qu’ils obtiendront, et vous décidez à l’avance du genre de vie que vous voulez avoir ».

M^me Duxbury met l’accent sur le fait que personne ne vous donnera l’équilibre. C’est plutôt une chose que vous devez atteindre par vous-même. « Lorsque je parle aux gens et que je leur dit, vous savez, sur votre lit de mort, qu’allez-vous dire? Mon Dieu, ne m’emportez-pas maintenant car des courriels m’attendent? », dit-elle en riant.

Jason Scott Alexander est un rédacteur pigiste d’Ottawa spécialisé en droit des médias d’avant-garde et de la technologie.