Le mythe du bureau sans papier

  • 01 mars 2013
  • Kerry Mogg and Elisabeth Davies

Nous avons tous vĂ©cu l’expĂ©rience d’avoir laborieusement fouillĂ© des tiroirs de classeur sans fond et parcouru des rames de papier sans pour autant rĂ©ussir Ă  retrouver ce document dont nous avions urgemment besoin. C’est Ă  ces moments-lĂ  que le grand dessein d’un bureau bien ordonnĂ© et dĂ©gagĂ© se forme. L’ironie veut que cela fait maintenant de nombreuses annĂ©es que les mĂ©dias nous ont fait miroiter leurs pronostics d’un monde sans papier…Nous voici cependant en 2013, toujours en train de parler de papier! Le bureau sans papier est-il donc un mythe?

Certes non, comme l’a dĂ©montrĂ© Donna Neff, une avocate de Stittsville (Ontario), dont la dĂ©cision de travailler sans papier a dĂ©jĂ  fait l’objet de plusieurs articles de presse. Me Neff maĂ®trise manifestement cet art, elle qui a rĂ©ussi Ă  faire de son petit cabinet un environnement sans papier.

Me Neff est-elle toutefois l’exception? Si vous ĂŞtes curieux de connaĂ®tre le nombre d’arbres qui sont abattus chaque annĂ©e au nom de la quĂŞte de papier du Canadien moyen, un article de blogue publiĂ© en 2012 sur le site Web de la revue The Economist affiche, sous forme graphique, les donnĂ©es pertinentes. Cet article indique un total annuel, pour le Canadien moyen, de 4,89 arbres d’une hauteur de 40 pieds, dont une grande proportion est sans aucun doute utilisĂ©e sous forme de papier de bureau. Toutefois, comme le savent les professionnels de la gestion de l’information, il existe plusieurs raisons de la survie tenace du papier. Par exemple, bien qu’il existe sur le marchĂ© de bons systèmes Ă©lectroniques de gestion des documents qui permettent, par l’intermĂ©diaire d’une application bureautique, de saisir, d’ordonner mĂ©thodiquement, et de supprimer ou sauvegarder automatiquement vos courriers Ă©lectroniques et autres documents gĂ©nĂ©rĂ©s par ordinateur, l’installation de ces systèmes et leur adaptation aux besoins de l’utilisateur coĂ»tent cher et exigent une main-d’Ĺ“uvre abondante.

Pareillement Ă  votre tĂ©lĂ©phone intelligent, que vous n’obtenez pas avec vos donnĂ©es dĂ©jĂ  chargĂ©es Ă  l’avance, un système de gestion des documents Ă©lectroniques (SGDE) (ou « SGDDE » dans le cas de systèmes qui gèrent autant des dossiers que des documents Ă©lectroniques) n’est pas livrĂ© Ă  vos bureaux avec une programmation entièrement personnalisĂ©e comprenant les dĂ©clencheurs automatiques de suppression ou de sauvegarde qui sont propres Ă  votre organisation. Il faudra que quelqu’un accomplisse ce travail (idĂ©alement après l’installation d’un programme de gestion des dossiers). Afin que le système soit pleinement intĂ©grĂ© et qu’il fonctionne vĂ©ritablement de manière intuitive, souvenez-vous Ă©galement que vous aurez besoin de connaĂ®tre le moment prĂ©cis auquel votre fichier deviendra un « dossier » (par opposition Ă  un simple « document »), ainsi que le moment prĂ©cis auquel ce dossier devra ĂŞtre dĂ©truit. Cela signifie que tous les dĂ©clencheurs – c’est-Ă -dire les mĂ©canismes du système qui amènent l’exĂ©cution automatique d’une procĂ©dure pour chaque dossier et pour chaque type de dossier – devront ĂŞtre bien planifiĂ©s Ă  l’avance.

Qui plus est, il y a la question de la Loi sur la preuve au Canada et des lois provinciales Ă©quivalentes. Si vous prĂ©voyez utiliser les documents qui sont gĂ©nĂ©rĂ©s et archivĂ©s dans votre SGDE Ă  titre d’actes officiels et d’Ă©lĂ©ments de preuve et voulez qu’ils soient acceptĂ©s Ă  ce titre, ces lois exigent que vous dĂ©montriez que ces documents sont intacts (c’est-Ă -dire qu’ils n’ont pas Ă©tĂ© modifiĂ©s ou falsifiĂ©s depuis qu’ils se trouvent dans le système) et dignes de foi.

Par consĂ©quent, avant de vous engager dans un processus d’Ă©limination du papier, interrogez-vous bien sur les motivations, la nĂ©cessitĂ©, les coĂ»ts et les avantages d’un tel processus. Songez entre autres aux facteurs suivants :

1. De temps en temps, l’utilisation d’un support papier sera justifiĂ©e par certaines exigences juridiques ou par de très bonnes raisons reliĂ©es aux besoins de l’organisation. Pour ne citer qu’un exemple, les actes constitutifs de fiducies sont accompagnĂ©s de plusieurs conditions relatives Ă  la conservation de copies papier de transactions Ă©lectroniques. De façon similaire, des copies papier d’avis de transactions qui auront Ă©tĂ© signĂ©es (comme des avis de retrait du système d’enregistrement immobilier Ă©lectronique Teranet) devront Ă©galement ĂŞtre conservĂ©es. Et n’oubliez pas que, si vous avez une copie papier en plus d’une copie Ă©lectronique d’un document, et si vous avez – dans le cours normal de vos affaires – utilisĂ© la copie papier et agi sur la base de cette dernière, les meilleures pratiques prĂ©voient que ce sera la copie papier qui sera jugĂ©e le document probant Ă  des fins de preuve.

2. Deuxièmement, au sein de toute organisation, la transition entre une documentation sur support papier et une documentation Ă©lectronique exigera un examen de l’ordonnancement et de l’organisation du travail. Que vous procĂ©diez Ă  l’acquisition d’un SGDDE ou simplement Ă  la numĂ©risation du flux existant de documents imprimĂ©s, cette transition exigera Ă©galement du temps, de la planification ainsi qu’une certaine mise de fonds. Par exemple, si vous commencez un programme de numĂ©risation (par balayage) :

a) Avez-vous l’intention d’inscrire cette numĂ©risation des donnĂ©es de votre bureau dans une perspective d’avenir, ou d’adopter une approche rĂ©trospective? Dans le deuxième cas, connaissez-vous (prĂ©cisĂ©ment) le volume de la documentation qui doit ĂŞtre numĂ©risĂ©e?

b) Avez-vous Ă©tudiĂ© les coĂ»ts, avantages et contraintes de l’achat d’un numĂ©riseur de haute qualitĂ©? Avez-vous pris une dĂ©cision au sujet des procĂ©dures de numĂ©risation et de la rĂ©solution de l’image? La loi exige-t-elle que la rĂ©solution de l’image soit d’une qualitĂ© particulière? Quel est le plus grand format de fichier que peut supporter votre système? Ce type de fichier dĂ©pend-il d’un programme informatique protĂ©gĂ© par un droit d’exclusivitĂ© d’exploitation, et que ferez-vous si vous changez un jour de programme? Quelle est votre stratĂ©gie de contrĂ´le de la qualitĂ© et comment gĂ©rerez-vous la qualitĂ© de l’image au cours du processus de numĂ©risation?

c) Où archiverez-vous vos dossiers électroniques? Quelle est la capacité de votre serveur? Avez-vous pensé à la sécurité du système?

d) Avez-vous pensĂ© Ă  une convention d’appellation des fichiers? Comment organisez-vous vos dossiers – ĂŞtes-vous en train de reproduire un système d’organisation de documentation sur support papier? Afin de rĂ©duire la charge de travail qui sera nĂ©cessaire par la suite, il vaut mieux prendre ces dĂ©cisions avant de commencer le processus de numĂ©risation.

e) Si vous dĂ©truisez en masse d’importantes quantitĂ©s d’anciens dossiers (confidentiels) sur support papier, avez-vous prĂ©vu un processus sĂ©curisĂ© pour ce faire?

Si cette liste vous semble trop intimidante, songez Ă  la possibilitĂ© d’utiliser moins de papier, plutĂ´t que de l’Ă©liminer complètement :

  • Faites le point sur les dossiers que vous dĂ©tenez actuellement sur support papier, sur ceux qu’il faudrait garder et sur ceux qui pourraient ĂŞtre dĂ©truits. Éliminez les plus vieux dossiers qui ne sont plus utilisĂ©s et, par après, rĂ©duisez-en le volume en organisant rĂ©gulièrement, dans votre cabinet, des journĂ©es de gestion des dossiers, qui permettront d’y faire le mĂ©nage.
  • Songez Ă  la question de la responsabilitĂ© : quels documents avez-vous l’obligation de garder sur support papier? Quel volume de ce type de document produisez-vous en une annĂ©e?
  • Examinez l’ordonnancement de votre travail : quelles sont les raisons pour lesquelles certains documents se retrouvent en format imprimĂ©, alors qu’ils n’ont vraisemblablement pas Ă©tĂ© crĂ©Ă©s sur support papier? Serait-ce en raison de besoins de collaboration, par exemple pour les besoins de rĂ©unions? Recherchez des solutions Ă  ces problèmes. Ă€ condition de ne pas restreindre la crĂ©ation de dossiers qui doivent obligatoirement ĂŞtre imprimĂ©s, songez Ă  mettre en Ĺ“uvre des politiques et des procĂ©dures qui visent un environnement sans papier. Encouragez l’utilisation de technologies infonuagiques sĂ©curisĂ©es : utilisĂ©es correctement, ces technologies peuvent s’avĂ©rer une bonne solution Ă  ce problème Ă©pineux.

Conclusion

La solution qui sera indiquĂ©e en matière de gestion de l’information sera celle qui rĂ©pondra spĂ©cifiquement aux besoins de votre bureau. L’Ă©limination du papier pourrait s’avĂ©rer utile, mais pourrait tout aussi bien entraĂ®ner des complications coĂ»teuses. Avant toute prise de dĂ©cision, n’oubliez pas d’analyser et de planifier Ă  la fois les besoins de votre organisation et en mĂŞme temps l’ordonnancement des tâches de celle-ci.

Kerry Mogg, titulaire de maĂ®trise en bibliothĂ©conomie et en sciences de l’information, a dĂ©jĂ  travaillĂ© comme archiviste et gestionnaire de documents administratifs. Elle travaille actuellement dans les domaines de l’accès Ă  l’information et de la protection des renseignements personnels dans le secteur de la santĂ©. Elisabeth Davies, titulaire de doctorat, est chercheuse en bibliothĂ©conomie et en sciences de l’information Ă  l’UniversitĂ© de Western Ontario.