Le principe selon lequel les revenus s’ensuivent pour qui s’emploie à ce qu’il aime peut être une réalité pour les avocats qui travaillent dans un créneau. Laissez-vous guider par votre passion et découvrez une spécialité qui vous convient.
Vous envisagez de renoncer à une pratique généraliste en faveur d’un créneau? Il y a d’excellentes raisons de le faire. La moindre n’est pas la perspective de faire ce qui vous passionne – et ce, en vous faisant payer.
Les avocats ont découvert un large éventail de domaines de pratique uniques : droit des animaux, droit des soins dentaires, droit de l’adoption internationale, droit des résidences secondaires ou droit des aînés, pour ne nommer qu’eux. Si un domaine vous intéresse particulièrement, découvrez tout ce que vous pouvez à son sujet et consacrez-y tous vos efforts. C’est ce que recommandent des avocats qui l’ont fait.
Le vin est un objet de passion et un passe-temps de longue date pour Mark Hicken, un expert-conseil en marketing et avocat de Vancouver spécialisé dans le marketing direct auprès des consommateurs pour les producteurs et négociants de vin. Bien qu’il continue de faire un peu de travail en droit des successions et des fiducies, il a résolument axé sa pratique sur le droit du vin depuis un an. Il s’explique ainsi : « J’ai décidé que si j’allais persister en droit, je voulais que ce soit dans un domaine qui m’intéresse et me passionne profondément. »
M. Hicken a trouvé sa voie en suivant le programme pour dirigeants d’entreprises vinicoles de l’université de la Californie. Richard Mendelson, un avocat qui travaille à temps plein dans le domaine du vin à Napa et qui enseigne le droit à Berkeley, a donné une exposé sur les enjeux juridiques qui touchent l’industrie du vin. « Il était véritablement inspirant », dit M. Hicken. C’est alors qu’il a compris quelle devait être la spécialisation de sa pratique du droit.
Très peu d’avocats pratiquent le droit du vin au Canada, même si notre industrie vinicole fortement réglementée offre d’amples débouchés. Comme le soutient M. Hicken, « il n’y a pas dans le monde occidental de pays producteur de vin qui dispose de lois aussi archaïques sur la distribution que le Canada ».
Devenez un expert
Il peut falloir des années pour acquérir les connaissances nécessaires et se ménager un créneau, surtout si le domaine visé est d’avance peu connu. Faites d’abord vos devoirs et apprenez tout des enjeux du secteur. Faire du bénévolat auprès d’organisations du secteur est un excellent moyen d’apprendre – et de nouer des liens avec des gens qui pourraient devenir des clients.
L’avocate spécialiste du droit international de l’art Bonnie Czegledi, établie à Toronto, reçoit de nombreux courriels d’avocats intéressés à son domaine. « Les gens veulent savoir s’il y a un cours pratique de trois mois permettant de devenir un avocat en droit international de l’art, dit-elle. Mais ce n’est pas ainsi que les choses se passent. En réalité, il faut une combinaison d’un éventail d’aptitudes et de talents centrés sur un domaine. Comme je suis une artiste, je me suis toujours intéressée aux droits des artistes et aux galeries, et je connaissais les divers acteurs du domaine. Pendant toute ma carrière, j’ai aidé des artistes et des galeries à titre pro bono. »
Même quand elle était à l’école de droit, Mme Czegledi savait qu’elle voulait travailler dans le droit international de l’art, mais elle s’était laissé dire que ce n’était pas possible. « Je n’ai reçu que peu ou pas d’encouragements mais beaucoup de réactions négatives pendant mes années d’études, que ce soit en discutant de mes projets avec des professeurs ou de la part d’autres étudiants. Personne ne semblait croire que mon ambition de créer ce genre de pratique spécialisée serait réalisable. »
Après son admission au barreau en 1987, elle a travaillé dans le droit des contrats commerciaux et les litiges connexes, mais elle pensait toujours au droit de l’art. À force de détermination, elle a fini par réunir ses deux passions, l’art et le droit, en une pratique prospère. Elle y a été aidée par le fait que son intérêt pour l’art et la propriété culturelle a coïncidé avec un essor mondial de l’intérêt pour le domaine de l’art, accompagné d’une flambée des prix des œuvres d’art.
Ralliez votre cabinet
Chris Bennett, du cabinet Davis s.r.l. à Vancouver, a su saisir une possibilité lorsqu’elle s’est présentée. Lui et un collègue au sein du cabinet avaient des clients dans le domaine des jeux vidéo. Ils ont constaté que le travail qu’ils effectuaient ressemblait beaucoup ce qu’ils faisaient pour d’autres clients en matière de technologie et de propriété intellectuelle, mais avec certaines différences. Par exemple, il y avait des dispositions contractuelles différentes et l’industrie des jeux ne procédait pas de la même manière dans la mise au point des produits et leur distribution. « Nous avons compris que personne ne se spécialisait dans ce domaine au Canada, donc nous avons pensé “pourquoi pas nous?” »
Il en a discuté avec ses associés au cabinet, qui ont appuyé le projet de constituer le premier service de droit des jeux vidéo au pays. M. Bennett incite les avocats travaillant dans un cabinet à s’assurer que celui-ci les appuie avant d’investir un nouveau domaine. « Les choses sont très difficiles sans l’appui du cabinet », dit-il. Un avocat pratiquant seul peut faire ce qu’il veut mais pour lui, « l’appui du cabinet a été essentiel ». Il ajoute que certains cabinets rejetteraient sans ambages une telle idée. « Ils diraient que c’est enfantin, ou ridicule. »
M. Bennett dit que ses solides assises en droit de la technologie et de la propriété intellectuelle ont été très importantes au lancement de sa pratique spécialisée. Lorsque des étudiants en droit lui demandent comment commencer en droit des jeux vidéo, il leur répond : « Veillez à maîtriser aussi tous les autres aspects; apprenez-en beaucoup sur d’autres domaines du droit. Il ne suffit pas de connaître uniquement le droit relatif aux jeux vidéo. Vous devez savoir s’il y a un enjeu relevant du droit de la fiscalité ou de l’emploi. Pour ce faire, vous avez aussi besoin d’une base dans ces domaines. »
Les pour et les contre
Il y a de nombreux avantages à limiter une pratique à un seul domaine. Si vous devenez la personne à qui on s’adresse forcément dans un certain domaine, les gens pensent spontanément à vous. Par ailleurs, il devient plus facile de rester au fait de l’évolution du droit pertinent, et vous pouvez mieux rationaliser votre travail.
« Un des avantages est de pouvoir faire quelque chose que peu d’autres personnes font », dit M. Bennett. Il évoque l’expérience fréquente des avocats qui participent à une réunion au sein d’une industrie et y trouvent « des douzaines et des douzaines d’autres avocats cherchant le même genre de mandats qu’eux ». Quant à lui, dans son industrie, il est souvent le seul avocat présent. « Cette situation est excellente; elle permet d’obtenir beaucoup de mandats et beaucoup de recommandations. »
Une des choses qu’apprécie M. Bennett est le fait que le droit des jeux vidéo porte sur la nouvelle technologie, donc il se pose fréquemment d’intéressantes nouvelles questions juridiques. « Souvent, vous ne connaissez pas la réponse parce qu’il n’en existe pas et les tribunaux n’ont pas encore statué. Vous devez donc assimiler quelque chose d’inusité et de différent, et en comprendre les tenants et les aboutissants. C’est stimulant. »
Michael Penman, au cabinet Blaney McMurtry s.r.l. de Toronto, qui travaille dans les litiges commerciaux, a commencé à s’intéresser au droit des sports il y a environ 30 ans. C’était à l’occasion d’un mandat en matière de litige, pour la Ligue de hockey du grand Toronto. Le travail dans le domaine du sport a ensuite pris un élan. L’expérience que vous avez accumulée permet à vos clients de bénéficier de ce que vous avez déjà appris, affirme M. Penman. « Vous devenez un expert. Et comme vous faites tant de travail dans votre domaine, vous avez déjà vu bon nombre des problèmes qui surviennent. Ainsi le client ne paie pas pour les efforts d’une personne qui doit commencer à zéro, parce que vous possédez déjà la moitié des éléments de la solution grâce à votre expérience. »
M. Penman, un fanatique des sports avoué, a eu l’occasion « de rencontrer des gens très intéressants, par exemple les responsables de Hockey Canada ou Ken Dryden ». Et en ce qui concerne les rumeurs de hockey, « tout le monde vient me voir pour savoir qui va rejoindre quelle équipe ».
Les connaissances d’initié dont il dispose signifient aussi que M. Penman trouve d’emblée des intérêts communs avec les clients qui connaissent son travail dans le monde du hockey. « La moitié du temps, au cours de la conversation, on finit par parler de hockey. »
Si vous percevez une possibilité de pratiquer le droit dans un domaine que personne n’a choisi, tant mieux. Il peut toutefois être difficile de bien saisir les enjeux juridiques pertinents. Il y a beaucoup à apprendre, et l’absence de mentors peut compliquer les choses. M. Penman affirme qu’un autre problème possible est le fait de mettre tous ses œufs dans un seul panier : « Si votre secteur périclite, il en ira de même de votre pratique. »
Mettez-vous en valeur
Comme dans toute pratique du droit, vous devez bien promouvoir vos services. Mais en étant spécialisé dans un créneau, « vous n’avez pas à ajouter votre nom aux dizaines de milliers de plaideurs en droit des affaires », dit M. Penman. Si vous visez des clients faisant partie d’un groupe distinct, il est plus facile de concentrer vos efforts et de faire connaître votre nom.
M. Penman soutient aussi que les avocats au sein d’un cabinet devraient sans délai faire connaître leurs intérêts aux collègues qui travaillent déjà dans le domaine qui les intéressent. « Ne cachez pas votre jeu; faites savoir ce que vous aimeriez faire et n’attendez pas que les choses arrivent par pure chance. Faites en sorte que quelqu’un se dise : “J’aimerais mieux confier ce travail à quelqu’un qui est intéressé plutôt qu’à quelqu’un qui ne l’est peut-être pas.” »
Une fois que vous commencez à vous faire connaître dans votre domaine, mettez-vous à la disposition des journalistes pour des entrevues. M. Penman donne des entrevues à la télévision et à la radio au sujet de questions d’actualité dans le monde du hockey. « Le dossier des pensions dans la LNH a été très intéressant, et il m’a permis de voir défiler tous les héros de ma jeunesse lorsqu’ils arrivaient au tribunal, dit-il. Si vous allez faire ce genre de travail, autant que ce soit passionnant. »
Il importe aussi au spécialiste d’un créneau d’avoir une bonne présence sur le Web. M. Hicken affirme qu’en ce qui concerne les dépenses en marketing, « l’investissement le plus rentable est de créer un site Web soigné, informatif et faisant autorité, puis de dépenser un peu pour qu’il soit bien classé par les moteurs de recherche ».
Lorsqu’il a commencé à se spécialiser dans les jeux vidéo, M. Bennett a lancé un bulletin juridique sur ce sujet. « Chaque semaine, nous réunissons des articles intéressants que nous diffusons par courriel ». Puis, il y a quelques années, « nous avons suivi l’évolution technologique et créé un blogue dans notre site Web. C’était unique à l’époque; il n’y avait pas encore beaucoup de cabinets qui faisaient des blogues, et ceux qui le faisaient ne les mettaient pas dans leur site Web. » M. Bennett a ainsi bénéficié d’une bonne source de mandats, mais il rencontre aussi de nombreuses personnes lors d’événements liés à l’industrie. « Au fil des ans, nous avons été amplement recommandés. Nous n’avons donc plus à aller cogner aux portes. »
M. Bennett a aussi recouru à une autre solution novatrice pour promouvoir sa pratique en ouvrant un bureau dans Second Life, un univers virtuel 3D en ligne habité par des millions de personnes du monde entier. « C’est un lieu que vous pouvez explorer en assumant l’identité d’un caractère et en interagissant avec d’autres personnes. Nous y avons ouvert un bureau pour voir ce que cela donnerait et pour faire quelque chose de différent. »
Renseignez-vous et créez des liens avec d’autres acteurs du domaine. Mieux vous connaissez le domaine qui vous intéresse, meilleures seront vos chances de succès. « Si vous restez aux aguets et à l’écoute, les possibilités sont là, dit M. Penman. Trouvez-vous une passion et faites-en une carrière. »
Ann Macaulay est une rédactrice à Toronto.