Il existe un certain nombre de phĂ©nomènes bien connus au sujet des carrières juridiques qui, lorsqu’ils sont juxtaposĂ©s, peuvent nous donner une idĂ©e plus prĂ©cise de la façon dont les nouveaux avocats abordent leur profession.
Le premier, c’est le fait qu’il soit frĂ©quemment tenu pour acquis qu’un baccalaurĂ©at en droit est un diplĂ´me d’Ă©tudes supĂ©rieures beaucoup plus facile Ă obtenir que, disons, un diplĂ´me de mĂ©decine ou un doctorat. Les Ă©ventuels mĂ©decins passent quatre ans en facultĂ© de mĂ©decine, endroit oĂą il est très difficile d’ĂŞtre acceptĂ© et duquel il n’est pas nĂ©cessairement facile de graduer. L’internat et la rĂ©sidence qu’ils effectuent ensuite s’Ă©tendent sur trois Ă huit ans. Pour obtenir un doctorat, il faut d’abord avoir sa maĂ®trise (cela prend habituellement 2 ans), puis poursuivre des Ă©tudes doctorales pendant au moins quatre autres annĂ©es, en plus d’ĂŞtre pourvu d’une intelligence hors du commun. Il existe d’autres diplĂ´mes d’Ă©tudes supĂ©rieures assortis de spĂ©cialitĂ©s diverses qui exigent une somme d’Ă©tude dĂ©concertante.
Par ailleurs, seuls trois ans d’Ă©tudes en facultĂ© de droit mènent au baccalaurĂ©at, suivi par la rĂ©ussite d’un examen unique administrĂ© par le Barreau (aux États-Unis par exemple) ou encore d’un stage d’apprentissage d’un an (au Canada par exemple). Qui plus est, le taux d’Ă©chec dans les facultĂ©s de droit est beaucoup plus bas que dans d’autres programmes d’Ă©tudes supĂ©rieures. Une fois l’Ă©tudiant admis Ă la facultĂ©, il est pratiquement certain qu’il obtiendra son baccalaurĂ©at et il est très probable qu’il sera bientĂ´t assermentĂ© comme membre du Barreau. Il possèdera dès lors les outils nĂ©cessaires Ă l’obtention d’un emploi qu’il pourra conserver aussi longtemps qu’il le dĂ©sire. Selon la rĂ©gion dans laquelle un avocat exerce, le genre de droit qu’il choisit, son employeur, son talent et le degrĂ© d’importance qu’il attache Ă l’Ă©quilibre entre le travail et la vie personnelle, il pourra bĂ©nĂ©ficier d’un revenu annuel se situant entre 30 000 $ et quelques millions. MĂŞme si, Ă sa sortie de la facultĂ©, il avait des dettes s’Ă©levant Ă 100 000 $, sa dĂ©marche vers une profession qui demeure respectĂ©e se rĂ©vèlera rentable, et pour y arriver, il aura empruntĂ© un chemin comportant relativement peu de risques ou d’exigences.
Quant au second phĂ©nomène, il s’agit de la dĂ©sillusion et de l’insatisfaction vĂ©cues par de nombreux nouveaux diplĂ´mĂ©s en droit au cours de leurs premières annĂ©es de pratique. Cela est particulièrement courant dans les grands cabinets d’avocats. UnerĂ©cente Ă©tude Hildebrant remet sĂ©rieusement en question la croyance voulant que les associĂ©s des grands cabinets forment un groupe tristounet. NĂ©anmoins, plusieurs parmi ces avocats vivent des moments d’angoisse, sont malheureux ou se sentent dĂ©sabusĂ©s alors qu’ils tentent de s’ajuster Ă leur dĂ©part de la facultĂ© de droit et que les grands cabinets leur promettent, de plus en plus, d’offrir un environnement flexible et accommodant pour les familles.
Contrairement Ă plusieurs partenaires nĂ©s lors de l’après-guerre, je ne crois pas que cette insatisfaction dĂ©coule de la paresse ou de la rapacitĂ© de la gĂ©nĂ©ration du millĂ©naire. Ce qui, selon moi, dĂ©stabilise rĂ©ellement ces nouveaux avocats est l’Ă©norme gouffre entre les attentes et la rĂ©alitĂ© et, encore davantage, la pensĂ©e fort troublante que leurs expĂ©riences pĂ©nibles en tant qu’associĂ©s sont normales et qu’il en sera ainsi pendant tout le reste de leurs carrières de juristes. Chez de nombreux nouveaux avocats, l’omniprĂ©sence des grands cabinets dans les facultĂ©s de droit gĂ©nère la conviction que l’environnement de ces cabinets est celui de la profession juridique et que les avocats y resteront enchaĂ®nĂ©s toute leur vie.
Pourquoi ne pas rĂ©flĂ©chir simultanĂ©ment Ă ces deux phĂ©nomènes? Peut-ĂŞtre pourrions-nous cesser de voir en l’obtention du diplĂ´me de droit et l’assermentation par le Barreau la fin de la pĂ©riode de qualification des avocats. Pourquoi ne pas plutĂ´t faire de cette Ă©tape le point mĂ©dian?
Supposons que le processus d’accès Ă la profession juridique dure sept ans; trois ans pour obtenir le baccalaurĂ©at, jusqu’Ă un an pour franchir les Ă©tapes d’examen et de stage du Barreau, puis trois ans de plus Ă titre « d’avocats internes » au cours desquels seraient acquises ou instaurĂ©es ce que les facultĂ©s de droit ne peuvent enseigner : des connaissances, des compĂ©tences, de l’expĂ©rience et la mise en place d’un rĂ©seau. Cela fait, les nouveaux avocats se sentiraient plus confiants face Ă leur profession et Ă la place qu’ils y tiendront, et ils seront en mesure d’entamer leurs carrières de bonne foi, tout en ayant remboursĂ© au fil du processus une bonne part des dĂ©penses gĂ©nĂ©rĂ©es par leurs Ă©tudes.
S’il faut trois ans Ă une personne pour comprendre la thĂ©orie du droit, alors peut-ĂŞtre cette personne a-t-elle besoin de trois autres annĂ©es pour devenir tout aussi compĂ©tente et sĂ»re d’elle-mĂŞme dans l’application pratique du droit, ce qui est après tout bien plus complexe. Si une avocate fraĂ®chement diplĂ´mĂ©e savait qu’elle passera les trois premières annĂ©es de sa pratique Ă « dĂ©mĂŞler tout ça », si elle savait que ces trois annĂ©es sont tenues comme Ă©tant un stage de travail prolongĂ© n’ayant pas de rĂ©percussions particulières sur ce qu’elle entend faire par la suite, alors elle serait vraisemblablement moins tendue et plus heureuse.
Ce que je suggère n’est pas de prolonger formellement le processus de qualification Ă sept ans, bien que plus je songe Ă l’idĂ©e des « avocats internes », plus je trouve qu’elle a du mĂ©rite. Tout ce que je suggère, c’est que si nous rĂ©ajustons les attentes des nouveaux avocats en ce qui concerne le temps qu’il leur faudra pour rĂ©ellement comprendre la profession et la place qu’ils y occuperont, ils y feront leur entrĂ©e dans un Ă©tat moins voisin de la panique et auront moins l’impression d’ĂŞtre des imposteurs attelĂ©s Ă un genre de pratique limitĂ©e. Il leur sera plus facile de mettre leurs premières annĂ©es de pratique en perspective et de faire des choix conscients visant l’amĂ©lioration des connaissances et capacitĂ©s nĂ©cessaires au bon Ă©quilibre de leurs carrières. L’ensemble des membres de notre profession pourrait, peut-ĂŞtre, avoir de meilleurs sentiments en ce qui concerne le temps requis pour devenirrĂ©ellement avocat.
Jordan Furlong est le rédacteur en chef du magazine National. Le présent article a été publié pour la première fois sur le blogue Law21.