Quand Peter Engelmann a pris deux mois de congĂ© pour passer du temps avec son jeune fils en 1994, il faisait figure d’exception, Ă son dire.
« C’Ă©tait quelque chose d’assez rare Ă l’Ă©poque, indique Me Engelmann, père de deux enfants et associĂ© chez Goldblatt Partners LLP, Ă Ottawa. Il y a eu de la rĂ©ticence au dĂ©but. Mais mes collègues se sont faits Ă l’idĂ©e. »
Son cabinet, qui se spĂ©cialise notamment dans le droit du travail (cĂ´tĂ© syndical), offre aujourd’hui des possibilitĂ©s de congĂ©s parentaux Ă prestations complĂ©mentaires aux associĂ©s et associĂ©es. Une politique qui, selon Me Engelmann, « joint le geste Ă la parole ».
« Je sais qu’il y a un coĂ»t immĂ©diat, mais je le vois comme un sacrifice Ă court terme pour un bĂ©nĂ©fice Ă long terme. On attire et on garde de meilleurs talents. Grâce Ă des congĂ©s de maternitĂ© et Ă des congĂ©s parentaux novateurs, et mĂŞme Ă certains rĂ©gimes Ă temps partiel, nous avons attirĂ© de bons candidats – hommes et femmes – qui ne s’intĂ©ressent pas seulement au travail. »
Me Engelmann dit qu’actuellement, la majoritĂ© des associĂ©s chez Goldblatt Partners LLP sont des femmes, ce qui est exceptionnel pour un cabinet de cette taille.
« Certains de nos associĂ©s potentiels ont reportĂ© d’un an leur accession au statut d’associĂ© pour tirer pleinement parti de notre programme de congĂ©s parentaux », prĂ©cise-t-il.
Jean-Michel Corbeil, avocat spĂ©cialisĂ© en droit du travail au sein du cabinet, vient d’entamer son deuxième congĂ© parental et prĂ©voit retourner au travail en mai.
« Vu les politiques du cabinet en la matière, ce serait absurde de ne pas prendre de congĂ© parental », soutient Me Corbeil, dont la conjointe, mĂ©decin, est retournĂ©e travailler.
« On m’a fortement encouragĂ© Ă le faire. En tant que cabinet spĂ©cialisĂ© en droit syndical, nous nous battons pour que les membres de nos clients aient ces avantages. »
Bien que les avocats interrogĂ©s pour EnPratique de l’ABC aient fait Ă©tat d’expĂ©riences de congĂ© parental positives, des Ă©tudes sur la diversitĂ© dans la profession montrent qu’ils font peut-ĂŞtre partie des rares chanceux. Pour ne citer qu’un seul exemple : un rapport produit en 2018 pour la Commission on Women in the Profession de l’American Bar Association et la Minority Corporate Counsel Association, intitulĂ© You Can’t Change What You Can’t See: Interrupting Racial and Gender Bias in the Legal Profession, pointe le « mur maternel » comme prĂ©jugĂ© touchant les femmes de manière disproportionnĂ©e. Or, la stigmatisation entourant le recours aux politiques de travail flexible d’un cabinet touche tout le monde presque Ă©galement. Selon le rapport, 47 % des hommes de couleur, 50 % des femmes de couleur, 57 % des femmes blanches et 42 % des hommes blancs jugent qu’un congĂ© pour obligations familiales nuirait Ă leur carrière.
Ryley Mennie, aujourd’hui avocat spĂ©cialisĂ© en droit du travail et de l’emploi chez Miller Titerle + Company, a fait Ĺ“uvre de pionnier lorsqu’il a pris congĂ© pour passer du temps avec son fils en bas âge. MalgrĂ© tout, il dit ne pas avoir rencontrĂ© d’opposition au cabinet oĂą il travaillait Ă l’Ă©poque.
« Pour autant que je sache, je suis le premier au sein d’un grand cabinet d’avocats national Ă avoir pris un plein congĂ© de paternitĂ© de quatre mois avec prestations complĂ©mentaires, souligne Me Mennie, qui habite Ă Vancouver. Quelques-uns de mes collègues masculins avaient pris deux semaines ou un mois, mais je ne connaissais personne qui s’Ă©tait absentĂ© plus longtemps. C’Ă©tait donc nouveau pour l’organisation. »
Depuis la naissance de son fils il y a deux ans, Me Mennie a observé une tendance.
« D’autres prennent aussi de plus longs congĂ©s de paternitĂ©. Je sais qu’au moins trois de mes collègues dans de grands cabinets nationaux ont pris au moins trois mois de congĂ©. D’après moi, c’est le rĂ©sultat d’un changement d’attitude dans notre gĂ©nĂ©ration. Et il est important de continuer Ă progresser et de permettre le partage Ă©gal des responsabilitĂ©s entre les parents. »
Nickolas Tzoulas travaillait aussi dans un cabinet d’envergure nationale lorsqu’il a pris neuf mois de congĂ© parental Ă la naissance de sa fille en 2016.
« Je suis le premier homme Ă avoir demandĂ© un si long congĂ©, prĂ©cise Me Tzoulas, aujourd’hui conseiller juridique chez Bentham IMF, Ă Toronto. Mais le cabinet m’a soutenu, et je lui en Ă©tais vraiment reconnaissant. Il a aussi pu complĂ©ter les prestations gouvernementales, ce qui m’a aidĂ©. »
Jonathan M. Richardson, associé du contentieux chez Augustine Bater Binks LLP à Ottawa, a pris un mois de congé à la naissance de sa fille aînée, et trois semaines à celle de sa fille cadette.
« Je suis associĂ© de mon cabinet, alors je n’ai pas vraiment laissĂ© le choix aux gens. Mais il n’y a eu aucune objection. C’est un cabinet qui favorise la conciliation travail-vie personnelle. Tout le monde m’a soutenu pleinement, du dĂ©but Ă la fin », explique Me Richardson, dont la conjointe est mĂ©decin.
Il ajoute que sa clientèle est tout aussi comprĂ©hensive, mĂŞme quand des rĂ©unions sont annulĂ©es parce qu’il doit rester Ă la maison avec une enfant malade.
« Jamais un client ne s’est plaint. C’est l’un des avantages de pratiquer le droit de la famille : nos clients savent très bien ce que nous vivons. »
Me Richardson recommande aux pères d’envisager un congĂ© parental.
« Faites-le sans hĂ©siter. L’arrivĂ©e d’un premier enfant, ça donne de nouveaux parents en Ă©tat de choc. Avoir Ă travailler alors qu’on est si Ă©nervĂ©s et dĂ©lirants Ă cause du manque de sommeil, c’est insensĂ©. »
Avec son mari, un travailleur autonome, Me Tzoulas a adoptĂ© sa fille Ă la naissance. Il affirme que les neuf mois passĂ©s Ă la maison avec elle ont Ă©tĂ© « très, très gratifiants ».
« Tout le monde ne peut pas se payer un congĂ© parental; certains n’en veulent mĂŞme pas, prĂ©cise-t-il. Il faut faire ce qui est le mieux pour soi, son conjoint et son enfant. Si on peut et qu’on veut prendre congĂ©, cela vaut la peine d’en parler Ă son employeur. Dans mon cas, ça s’est bien passĂ©. »
Me Corbeil dit avoir « apprĂ©ciĂ© Ă©normĂ©ment » son premier congĂ© parental et a hâte Ă son deuxième.
« Je pense que c’est important de passer du temps avec ses enfants quand on le peut. »
Il ajoute qu’on doit cependant garder en tĂŞte certaines considĂ©rations pratiques.
« Comme on est absent du bureau, il est impossible de rencontrer les clients en personne. Il faut mettre en veilleuse l’expansion de sa clientèle, l’autopromotion et la facturation », explique-t-il.
Me Engelmann recommande aux avocats qui partiront en congé parental de bien se préparer.
« Rencontrez vos mentors. Assurez-vous que les dossiers Ă traiter en votre absence sont prĂŞts. Planifiez tout correctement. Soyez organisĂ©. RĂ©servez votre pĂ©riode de congĂ©. Si vous dĂ©cidez d’aller de l’avant, faites-le sans revenir Ă mi-parcours », conseille-t-il.
Me Richardson est du mĂŞme avis, faisant valoir que les avocats devraient prĂ©voir leur congĂ© plusieurs mois Ă l’avance.
« PrĂ©parez-vous comme il faut. PrĂ©voyez vos dates d’audience en consĂ©quence. Choisissez l’avocat Ă qui vous confierez vos dossiers, et rencontrez-le quelques semaines Ă l’avance pour assurer un transfert adĂ©quat, de façon que tout se dĂ©roule rondement. »
Carolynne Burkholder est avocate chez Marcotte Law Ă Prince George, en Colombie-Britannique.