Prenez l’iPhone par exemple. C’est un produit haut de gamme conçu pour rĂ©pondre aux besoins actuels de ses utilisateurs et Ă ceux qu’ils auront une fois qu’ils auront rĂ©alisĂ© ce que leur appareil peut faire pour eux. Sa conception et sa production ne se font pas sans frais. Personne ne s’attend Ă ce qu’Apple fasse don de cet objet aux personnes dont il pourrait changer la vie, mais qui ne peuvent se permettre la dĂ©pense.
Outre les Ă©vidences, en quoi l’iPhone est-il diffĂ©rent des services proposĂ©s dans le domaine du droit des particuliers?
Le droit pourrait bien ĂŞtre l’un des seuls domaines oĂą l’on s’attend Ă ce que vous fassiez don ou vendiez Ă un prix infĂ©rieur Ă sa valeur un produit haut de gamme conçu après avoir investi considĂ©rablement de temps et d’argent.
« Loin de moi l’idĂ©e de dĂ©nigrer l’altruisme ou de suggĂ©rer que le travail Ă titre bĂ©nĂ©vole est inutile », affirme Noel Semple, dont l’ouvrage intitulĂ© Accessibility, Quality and Profitability for Personal Plight Law Firms: Hitting the Sweet Spot a Ă©tĂ© publiĂ© plus tĂ´t cette annĂ©e par l’ABC (en anglais, avec un sommaire disponible en français). « ConsidĂ©rables sont les besoins juridiques au sein de notre sociĂ©tĂ©, et plus particulièrement ceux des personnes ayant des faibles revenus, qui ne pourraient sans doute jamais ĂŞtre satisfaits dans le contexte d’un modèle purement lucratif. Il est impĂ©ratif que l’État rĂ©investisse dans l’aide juridique et que la tradition d’altruisme et de travail bĂ©nĂ©vole se perpĂ©tue pour pouvoir rĂ©pondre Ă ces besoins. »
Cependant, il y a aussi des gens ayant des besoins juridiques qui, eux, peuvent payer, dans une certaine mesure. « Nous prĂ©sumons que l’Ă©conomie de marchĂ© libre pourra satisfaire Ă la plupart des besoins de la population de la classe moyenne sans avoir Ă s’attendre Ă ce que les professionnels fournissent leurs services gratuitement ou Ă ce que le gouvernement acquitte la facture. Je pense que cela peut et devrait Ă©galement s’appliquer aux services juridiques », affirme Me Semple. « Dans le contexte de l’exercice du droit, je pense que l’Ă©thique de professionnalisme nous a peut-ĂŞtre conduits Ă considĂ©rer que le service Ă la clientèle et l’accès Ă la justice s’opposent, de par leur nature, Ă la rentabilitĂ©. Il s’agit lĂ , Ă mon avis, d’une erreur. »
Me Semple, professeur adjoint de droit Ă l’UniversitĂ© de Windsor, affirme qu’il a abordĂ© la question sous deux angles distincts : le droit et l’Ă©conomie, qu’il a Ă©tudiĂ©s Ă l’UniversitĂ© de Toronto au niveau postdoctoral, et l’expĂ©rience de son Ă©pouse, avocate plaidante spĂ©cialisĂ©e en droit des successions qui a ouvert son propre cabinet.
Ă€ la lumière de ces deux points de vue, il a constatĂ© que « la façon dont les cabinets Ă but lucratif du secteur privĂ© peuvent amĂ©liorer l’accès Ă la justice sans nuire aux autres Ă©lĂ©ments fondamentaux de leur exploitation comme les aspects Ă©conomiques, la survie Ă long terme, et naturellement la haute qualitĂ© et le professionnalisme du travail lui-mĂŞme, devait ĂŞtre examinĂ©e ».
Me Semple a rencontré un certain nombre de praticiens du droit des particuliers dans toutes les régions du Canada en vue de la rédaction de son livre. Il a axé son étude sur les cabinets spécialisés en droit des particuliers en raison de la nature du travail. Les besoins juridiques qui ne portent pas à litige peuvent être banalisés car ils peuvent à la fois être répétés et prédits alors que les services connexes aux droits des particuliers doivent, par définition, être personnalisés pour répondre aux besoins spécifiques de chaque client.
« Lorsqu’il s’agit d’un besoin juridique connexe Ă un contentieux, Ă ce jour, la technologie est loin d’avoir eu les mĂŞmes rĂ©percussions », affirme Me Semple. « L’accès Ă la justice n’est pas un problème si insurmontable en ce qui concerne le droit des affaires personnelles ne portant pas Ă litige. Il n’a jamais Ă©tĂ© aussi peu onĂ©reux de faire rĂ©diger un testament, il est plus facile que jamais de transfĂ©rer un immeuble rĂ©sidentiel, entre autres exemples. C’est très diffĂ©rent en ce qui concerne le problème d’accès Ă la justice et du rĂ´le des avocats dans le contexte du droit des particuliers. C’est ce qui m’a amenĂ© Ă axer mes efforts sur ce domaine et ses dynamiques internes particulières. »
La technologie a jouĂ© un rĂ´le fondamental dans l’innovation juridique. Les cabinets gĂ©nĂ©ralement dĂ©crits comme novateurs sont ceux qui ont rĂ©duit leurs coĂ»ts en se servant de la technologie pour banaliser leur travail, effectuant notamment certains travaux en ligne pour se dĂ©charger de la tâche sur le client. Cependant, bien que la technologie puisse ĂŞtre la clĂ© de certaines innovations, l’innovation ne se limite pas Ă la technologie.
L’innovation dans le domaine de la technologie personnelle est une innovation descendante : Apple sort un nouvel iPhone et tout un chacun se prĂ©cipite pour aller l’acheter. En revanche, dans le domaine du droit des particuliers, elle est ascendante, affirme Me Semple, qui souligne en outre une lacune Ă ce niveau : un grand nombre de personnes Ă la source des innovations sont de jeunes loups qui veulent attirer le client, mais qui ne sont pas nĂ©cessairement les mieux placĂ©s pour les mettre en Ĺ“uvre avec succès. Les juristes les mieux placĂ©s pour ce faire ont dĂ©jĂ pignon sur rue et n’ont plus, par consĂ©quent, la motivation nĂ©cessaire puisque les vieilles mĂ©thodes qui ont fait leurs preuves continuent Ă les satisfaire.
« Il y a des juristes qui travaillent dans tel ou tel autre domaine, pour certains d’entre eux depuis 20 Ă 30 ans, et ils ont mis en Ĺ“uvre des petits trucs qui marchent; des petits trucs qui amènent leur cabinet Ă ce point prĂ©cis d’Ă©quilibre parfait d’oĂą ils peuvent offrir Ă leurs clients un service haut de gamme Ă des prix accessibles tout en rĂ©alisant un profit. Il y a aussi un certain degrĂ© d’innovation venant de praticiens qui ont embrassĂ© la profession plus rĂ©cemment; des gens qui sont admis au barreau et qui, pour bon nombre d’entre eux par simple nĂ©cessitĂ© Ă©conomique, sont amenĂ©s Ă innover. »
Dans la conversation sur l’avenir en droit, l’innovation tend Ă ĂŞtre prĂ©sentĂ©e comme un moyen de rĂ©duire les coĂ»ts des cabinets, et donc les factures prĂ©sentĂ©es aux clients. Cependant, alors que les coĂ»ts sont toujours un facteur, l’innovation ne se borne pas Ă trouver le moyen de faire le mĂŞme travail Ă moindres frais, affirme Me Semple.
« Je pense que l’innovation c’est aussi l’amĂ©lioration de la qualitĂ©, la crĂ©ation de nouveaux ensembles de services qui n’existent pas encore. C’est un autre Ă©lĂ©ment qui distingue les services en droit des particuliers de ceux offerts dans le domaine des affaires personnelles non litigieuses : les Ă©carts au niveau de la qualitĂ© sont plus amples. »
Une personne qui met la touche finale Ă une hypothèque souhaite Ă©viter toute erreur et le faire Ă aussi peu de frais que possible. Il en va de mĂŞme pour la rĂ©daction d’un testament, affirme Me Semple. En quelque sorte, peu importe qui effectue le travail. En revanche, un divorce peut avoir de multiples facettes : « il peut comporter l’utilisation de plusieurs langues, il peut ĂŞtre traitĂ© par des professionnels spĂ©cialisĂ©s dans le domaine des divorces avec violences familiales ou des divorces dans le contexte du droit islamique de la famille, pour ne citer que quelques exemples », dit-il.
« On pourrait dire que la rĂ©daction d’un testament est une marchandise et que dans le contexte d’un marchĂ© fondĂ© sur les marchandises, la concurrence fondĂ©e sur les prix est rude et l’innovation fait baisser les coĂ»ts. Lorsque les services ne sont pas identiques, ce qui est le cas dans le domaine du droit des particuliers, les consommateurs ont alors tendance Ă accorder une moins grande importance au prix qu’aux diffĂ©rences de qualitĂ© entre divers professionnels prĂ©sents sur le marchĂ©, ce qui accroĂ®t la rentabilitĂ© de ceux qui peuvent innover au niveau de la qualitĂ© au lieu de s’arrĂŞter aux coĂ»ts. »
Me Semple dit qu’il espère qu’en rassemblant ces Ă©lĂ©ments juridiques dans un livre, il pourra les mettre en lumière et, peut-ĂŞtre, encourager un plus grand nombre de cabinets Ă innover.