Plus tĂ´t cette annĂ©e, dans l'article Oui, le diplĂ´me en droit mène Ă tout, j’ai recensĂ© les diffĂ©rentes carrières qu’ont choisies mes anciens camarades de la facultĂ© de droit : j’ai trouvĂ© parmi eux des hommes et des femmes politiques (dont une première ministre), un chef, des doyens, des juges, des professeurs de droit, et j’en passe.
J’ai d’ailleurs revu rĂ©cemment une de mes amies mentionnĂ©es dans l’article, Sameena Quresh. Peu après son entrĂ©e au barreau, elle s’est jointe Ă ce qui s’appelle maintenant le ministère des Affaires Ă©trangères, du Commerce et du DĂ©veloppement (MAECD). Cet emploi l’a conduite Ă Prague, Ă Milan, Ă Rome et Ă Beyrouth… outre des destinations moins exotiques : Edmonton et Ottawa. J’ai discutĂ© avec Sameena et Cyril BorlĂ©, l’un de ses collègues, qui m’ont parlĂ© de leur travail, de leurs cheminements respectifs et de leurs perspectives d’avenir.
Ni Sameena ni Cyril n’avaient l’intention de devenir fonctionnaires des Affaires Ă©trangères, et ni l’un ni l’autre n’avait donc choisi d’Ă©tudier en droit dans cette optique. Pourtant, les deux conviennent sans hĂ©sitation que leur formation a constituĂ© un avantage pour leurs carrières respectives et leur servira de levier pour la suite, qu’importe le chemin qu’ils choisissent. « Une formation en droit mène Ă tout, affirme Cyril. Ce n’est pas une question de contenu, mais de mĂ©thode : on y apprend Ă penser de manière rationnelle. » Ayant commencĂ© Ă travailler pour la division politique du ministère, il a vite Ă©tĂ© choisi comme liaison avec la division juridique.
Comme beaucoup d’entre nous, Sameena et Cyril ont choisi le droit non pas en poursuivant un rĂŞve prĂ©cis, mais plutĂ´t avec l’objectif gĂ©nĂ©ral de faire quelque chose d’utile et d’intĂ©ressant qui leur apporte au moins une certaine sĂ©curitĂ© financière. Sameena avait toujours Ă©tĂ© intĂ©ressĂ©e par l’international. Elle se souvient d’une sĂ©ance d’information sur les choix de carrière pendant sa première annĂ©e Ă Osgoode : sa curiositĂ© avait Ă©tĂ© piquĂ©e par une prĂ©sentation du MAECI (le ministère des Affaires Ă©trangères et du Commerce international – son nom Ă l’Ă©poque) sur les choix de carrière pour les diplĂ´mĂ©s en droit. NĂ©anmoins, une fois son diplĂ´me en poche, elle choisit de rester Ă Toronto et d’y faire son stage pour ensuite devenir associĂ©e. « Je me voyais lĂ longtemps, se rappelle Sameena. J’aimais ce que faisait le cabinet, j’y croyais et je croyais Ă son approche. »
C’est lĂ que l’option des affaires Ă©trangères montre Ă nouveau le bout de son nez. En effet, durant la première annĂ©e de Sameena au cabinet, une entreprise lui offre un contrat de rĂŞve Ă l’Ă©tranger. Elle part avec la bĂ©nĂ©diction de son employeur, qui lui laisse la porte ouverte si elle dĂ©cide de revenir. Dans le cadre de ce contrat, elle se rendra dans divers pays oĂą elle sĂ©journera chaque fois plusieurs mois. Ă€ son retour, elle a repris goĂ»t aux affaires internationales. Grâce Ă une rencontre fortuite, elle apprend que le MAECI recrute activement des avocats. Elle se porte candidate et, huit ans après sa collation des grades, elle peut « marier » sa formation en droit, son intĂ©rĂŞt redĂ©couvert pour les affaires internationales et « de nouvelles compĂ©tences linguistiques » dans une carrière au MAECI. (Plus tard, en fonction de ses affectations, le ministère lui fournira des cours de français, d’italien et de tchèque.)
L’aventure de Cyril part aussi de son intĂ©rĂŞt pour le vaste monde : quelques annĂ©es après ĂŞtre sorti de la facultĂ© de droit, Cyril se rappelle avoir fait les examens d’entrĂ©e du MAECI lorsqu’il Ă©tait Ă©tudiant de premier cycle, mais avoir abandonnĂ© cette option au profit du droit. Il avait choisi l’UniversitĂ© de Victoria pour son programme d’alternance travail-Ă©tudes, qui lui permettait apparemment d’aller vivre et travailler dans une autre ville, voire Ă l’Ă©tranger, pendant ses Ă©tudes. Comme il ne savait pas vraiment quel aspect du droit l’attirait, il se disait que ce programme l’aiderait Ă se faire une idĂ©e. C’est ainsi qu’il a Ă©tĂ© amenĂ© Ă travailler dans des ministères provinciaux et fĂ©dĂ©raux et dans deux cabinets : l’un en Ontario et l’autre en ThaĂŻlande.
Ce dernier emploi sera dĂ©terminant. Ayant obtenu son diplĂ´me, Cyril fait son stage en Alberta. Ă€ cette Ă©poque, il voudrait devenir avocat de sociĂ©tĂ© ou pratiquer le droit des sociĂ©tĂ©s ou le droit commercial dans un cabinet. Mais la ThaĂŻlande l’appelle. Cyril retourne donc travailler pour le cabinet thaĂŻlandais qui l’avait accueilli pendant ses Ă©tudes. (Comme il n’Ă©tait pas membre du barreau de ThaĂŻlande, il occupera un poste de conseiller.) C’est lĂ -bas qu’il rencontre sa future femme, et lorsqu’ils rentrent au Canada, Cyril repense aux examens du MAECI.
Que ce serait-il passĂ© s’il avait poursuivi la carrière traditionnelle qu’il avait envisagĂ©e? « Je me serais Ă©tabli quelque part et j’aurais peut-ĂŞtre gagnĂ© plus d’argent, mais je n’aurais pas eu autant de plaisir et j’aurais moins eu l’impression d’ĂŞtre au cĹ“ur de l’action, » suppose Cyril. Quelques exemples : il a vĂ©cu trois ans Ă La Haye, oĂą il jouait un rĂ´le d’intermĂ©diaire entre la Cour pĂ©nale internationale et des tribunaux; au dĂ©but de son cheminement, il a Ă©tĂ© affectĂ© pendant 18 mois Ă la force opĂ©rationnelle en Afghanistan, oĂą il travaillait de près avec le service juridique du MAECD lorsque la question des dĂ©tenus est apparue. Il s’est retrouvĂ© Ă Kaboul pendant deux semaines, « une expĂ©rience professionnelle unique. »
Autant Cyril que Sameena soulignent la multiplicitĂ© des affectations rendue possible par leur courte durĂ©e. « C’est un dĂ©veloppement professionnel continu : les gouvernements changent et les Ă©vĂ©nements politiques se succèdent. Nous vivons dans un creuset en perpĂ©tuelle transformation, » s’Ă©merveille Sameena. « La description de poste change tous les deux Ă quatre ans, mais un Ă©vĂ©nement international peut la changer du jour au lendemain, » ajoute Cyril en citant l’exemple de l’Afghanistan.
« Nous sommes des gĂ©nĂ©ralistes avec une sous-spĂ©cialisation, » explique Sameena. « Pour quelqu’un qui cherche la variĂ©tĂ©, qui s’intĂ©resse au chemin le moins frĂ©quentĂ©, c’est intĂ©ressant. » Ce travail ne conviendrait peut-ĂŞtre pas Ă ceux qui veulent faire une carrière dans une sphère prĂ©cise du droit, « mais on peut crĂ©er son propre travail, » indique Cyril. « Concentrez-vous sur vos prĂ©fĂ©rences. On peut faire Ă©voluer sa propre carrière dans des directions diffĂ©rentes et changeantes. »
Les deux conviennent que le travail pour le MAECD est un choix de style de vie et conseillent Ă ceux qui ont une famille ou un conjoint ayant aussi une carrière active Ă y penser Ă deux fois. Cela dit, les enfants de Cyril, aujourd’hui adolescents, sont heureux d’avoir vĂ©cu Ă La Haye leurs premières annĂ©es du secondaire. « Il y a un bon Ă©quilibre entre le travail et la vie personnelle dans les affaires Ă©trangères. »
Enfin, Sameena et Cyril soulignent qu’ils sont au service de l’État. « On est fier de reprĂ©senter son pays », explique Sameena. Lors de rencontres internationales, « on prend place dans le fauteuil? Canada, » renchĂ©rit Cyril. « Personne d’autre ne peut ĂŞtre lĂ . »
Ă€ propos de l'auteur
Kim Nayyer est bibliothĂ©caire universitaire associĂ©e en droit et professeure agrĂ©gĂ©e adjointe Ă l’UniversitĂ© de Victoria.