« L'air dĂ©terminĂ©, elle m'a tendu la main et est entrĂ©e dans la pièce en me bousculant presque. Elle n'a pas attendu que je lui dĂ©signe un siège et s'est dirigĂ©e tout de go vers... mon fauteuil. L'entrevue d'embauche Ă©tait mal partie. Elle ne s'est jamais aperçue de sa bourde. Ă€ la fin de la rencontre, je lui ai fait remarquer qu'elle Ă©tait assise Ă ma place. Elle a fait : «Hon!», et ne s'est jamais vraiment excusĂ©e. Pas besoin de vous dire qu'elle n'a pas dĂ©crochĂ© le poste de conseillère juridique. »
Cette anecdote, recueillie lors d'un colloque réunissant des professionnels des ressources humaines, démontre bien l'importance de la maîtrise des règles de l'étiquette dans le cheminement d'une carrière.
« Les bonnes manières se perdent », se dĂ©sole Louise Masson, fondatrice de Beaux Gestes, une entreprise qui offre des ateliers sur l'Ă©tiquette des affaires et de la table. « Aujourd'hui, il faut redĂ©finir la politesse parce que ça fait tellement longtemps qu'on ne l'a pas enseignĂ©e qu'on n'en connaĂ®t plus le sens. On croit Ă tort que c'est du snobisme, du chichi. ĂŠtre poli, c'est dĂ©montrer de la considĂ©ration pour les autres. C'est le reflet de notre image et de celle de l'entreprise qu'on reprĂ©sente. »
Pour Louis Dussault, ancien chef du protocole Ă la Ville de MontrĂ©al et auteur du livre Le Protocole (Protos), les règles de l'Ă©tiquette, utilisĂ©es adĂ©quatement, peuvent contribuer Ă la rĂ©ussite d'une occasion d'affaires. « L'objectif, c'est de faire en sorte que la personne que l'on rencontre se sente Ă l'aise. On obtient ainsi son attention ce qui pourra nous aider Ă la gagner Ă notre point de vue », explique-t-il.
Il y a un an, les avocats du cabinet Lapointe Rosenstein de MontrĂ©al ont Ă©tĂ© conviĂ©s Ă un atelier sur l'Ă©tiquette des affaires. Selon Lyne Robinson, directrice du marketing, ce sont les jeunes juristes qui ont particulièrement tirĂ© profit des conseils de la confĂ©rencière, Louise Masson. « Grâce aux trucs qu'ils ont appris, ils ont pu constater que ça pouvait ĂŞtre plus facile qu'ils ne le pensaient de faire du dĂ©veloppement d'affaires », explique Mme Robinson. On leur a notamment appris l'art de se prĂ©senter avec charme dans le but de laisser une impression durable, de se dĂ©marquer et favoriser la conversation.
Les règles de l'étiquette permettent d'affronter avec élégance des situations délicates.
Ă€ la table
C'est lĂ oĂą on se rĂ©vèle le plus. « On est assis Ă proximitĂ© des gens, dit M. Dussault. Nos manières, notre langage, notre tenue vestimentaire, tous ces Ă©lĂ©ments sont vus de près. C'est comme un huis clos et il n'y a pas de pardon. »
Pour dĂ©partager les candidats finalistes Ă un poste, de plus en plus d'employeurs les invitent, Ă tour de rĂ´le, Ă manger au restaurant. « C'est l'Ă©preuve finale avant de fixer son choix », rapporte Mme Masson qui est aussi l'auteure du livreDu tic au tact (StankĂ©).
Premier piège : le service du pain. On doit prĂ©senter la corbeille Ă son voisin de droite pour ensuite faire circuler le panier vers la gauche. Autre Ă©cueil : savoir beurrer son pain. « Le morceau doit ĂŞtre appuyĂ© sur le bord de l'assiette et non pas tenu en l'air. De plus, on dĂ©chire une bouchĂ©e de pain avec ses doigts, on ne mord pas dans le pain », explique Denyse Bisson, experte/conseil en Ă©tiquette de la table et prĂ©sidente de l'entreprise Le Remarquable, de QuĂ©bec.
Attention Ă la posture. On garde le dos droit et l'on ne croise pas les jambes sous la table. Et les coudes? « Il est permis de les mettre sur la table jusqu'Ă ce qu'une assiette soit placĂ©e devant soi », prĂ©cise Mme Bisson.
Selon M. Dussault, l'hĂ´te d'un repas au restaurant doit agir Ă la manière d'un metteur en scène qui règle au quart de tour les diffĂ©rents tableaux de la pièce. Il lui revient de rĂ©server l'endroit et de payer l'addition. « Et il doit arriver le premier, prĂ©cise-t-il. Inviter quelqu'un au restaurant, c'est comme recevoir chez soi. De plus, on peut ainsi s'assurer qu'on nous a rĂ©servĂ© la bonne table. Pour Ă©viter les mauvaises surprises, mieux vaut choisir un restaurant qu'on connaĂ®t. Une fois sur place, on dĂ©cide qui s'assoit oĂą. La politesse veut qu'on rĂ©serve la banquette Ă notre invitĂ© pour qu'il ait le meilleur point de vue. »
Une marque de considĂ©ration qui aura son effet : rĂ©gler l'addition en arrivant. « On remet sa carte de crĂ©dit au maĂ®tre d'hĂ´tel et l'on signe le relevĂ© Ă l'avance, poursuit M. Dussault. Ă€ la fin du repas, on apporte l'addition avec la preuve de paiement qu'il suffit de glisser dans notre poche. Cela Ă©vite toute discussion au sujet de la facture Ă la fin du repas. Une fois de retour au bureau, on peut toujours vĂ©rifier l'addition. S'il y a erreur, on n'aura pas de difficultĂ© Ă la faire corriger Ă©tant donnĂ© qu'on est allĂ© dans un Ă©tablissement oĂą l'on est connu. »
Un moment redouté par plusieurs : goûter le vin. Si on n'est pas connaisseur, on risque de vivre un moment fort embarrassant. Selon M. Dussault, il est possible de s'entendre avec le maître d'hôtel pour qu'on le goûte pour nous. On évite ainsi un rituel qui peut interrompre une conversation déjà bien entamée. De plus, si le vin est bouchonné, les reproches ne nous seront pas adressés et iront plutôt vers le personnel.
Qui commande en premier? « Bien que l'usage accepte que ce soit aussi bien l'hĂ´te que l'invitĂ©, je prĂ©fère que ce soit le premier, indique l'ancien chef du protocole. Si l'hĂ´te choisit le homard, l'invitĂ© saura qu'il peut prendre ce dont il a envie peu importe le prix. »
On se demande souvent quand entamer le sujet qui nous intĂ©resse. Lors d'un repas bref comme le petit dĂ©jeuner, on peut entrer dans le vif du sujet aussitĂ´t le jus d'orange servi. Si c'est un lunch d'affaires, on attend que le repas soit commandĂ©. Quand on tient un dĂ®ner, c'est qu'on veut disposer de plus de temps pour converser et connaĂ®tre les invitĂ©s. On aborde les questions plus sĂ©rieuses une fois rendu au milieu du repas. Si les conjoints sont prĂ©sents, on Ă©vite de parler affaires sauf pour prĂ©ciser des dĂ©tails techniques comme le lieu ou l'heure de la prochaine rĂ©union. « Dans tous les cas, on attend que l'hĂ´te aborde le sujet. C'est lui qui mène le bal », rappelle M. Dussault. « Et on ne parle jamais d'argent Ă la table qui est un lieu de plaisir, de convivialitĂ©. On attend d'ĂŞtre au bureau », fait remarquer Mme Masson.
Tous s'entendent sur un point : on Ă©teint son tĂ©lĂ©phone cellulaire lors d'un repas ou d'une rencontre d'affaires. « Si on attend un appel urgent, on le met sur le mode vibratoire et l'on prĂ©cise aux personnes prĂ©sentes qu'on devra se retirer pour y rĂ©pondre », explique M. Dussault.
Des détails qui comptent
Un cocktail exige aussi un peu de dĂ©corum. Parce que c'est l'Ă©vĂ©nement idĂ©al pour rencontrer des gens, on fait en sorte de se tenir prĂŞt. Ainsi, on porte son verre dans la main gauche et l'on ne prend pas d'assiette pour dĂ©poser les bouchĂ©es. On en choisit une et on la mange aussitĂ´t. Pourquoi? « Pour que notre main droite soit toujours libre lorsqu'on rencontre quelqu'un », prĂ©cise Mme Masson.
On ne distribue pas sa carte d'affaires Ă la volĂ©e. On attend qu'on nous la demande. Et on la prĂ©sente du bon cĂ´tĂ©, c'est-Ă -dire de façon Ă ce que la personne qui la reçoit puisse la lire. « On prend le temps de la regarder et de lire ce qui y est Ă©crit, conseille M. Dussault. Ensuite, on la range, idĂ©alement dans son porte-cartes ou dans la poche de son veston. Jamais dans la poche arrière de son pantalon pour ne pas s'asseoir dessus. »
CompliquĂ©, tous ces dĂ©tails? Difficile de tout retenir? « Contrairement Ă ce que l'on pense, ces règles existent pour nous faciliter la vie, affirme Mme Bisson. Quand on les connaĂ®t, on comprend leur logique. C'est alors facile de les appliquer. De plus, elles nous Ă©vitent d'ĂŞtre pris au dĂ©pourvu. » Somme toute, elles permettent Ă ceux qui en font usage de se faire remarquer davantage pour leur savoir-faire que pour leurs faux-pas!
Sylvie Lemieux est journaliste pigiste à Montréal.