Avec l'arrivée en masse des femmes au sein de la profession juridique au cours des trente dernières années, les questions d'égalité ont pris de plus en plus de place dans les discussions.
Malgré des améliorations statistiques notables de leur situation, les femmes juristes continuent de quitter la profession en plus grand nombre et plus rapidement que les hommes. Le phénomène tiendrait en bonne partie à leur vision différente du succès et du leadership.
Après cinq ans de recherche approfondie, j'ai découvert un jeu complexe de contradictions et de dilemmes que les femmes doivent manoeuvrer pour se faire une place et exercer leur leadership. En voici quelques-uns.
1. Des attentes contradictoires
Traditionnellement, on attend des femmes qu'elles fassent montre de sollicitude et de bienveillance. À cause de cela, il leur est plus difficile de percer dans un milieu où, de tout temps, le statut, le pouvoir, l'affirmation de soi, le succès financier et l'ambition personnelle ont déterminé la réussite en carrière. Aussi, les femmes juristes émérites ont-elles dû trouver des moyens d'élargir la définition même de leadership en priorisant par exemple le mentorat, la formation ou le bénévolat, des activités considérées plus compatibles avec leur soi-disant sensibilité féminine.
2. Une controverse historique
Les femmes juristes ne forment pas un bloc monolithique quand il s'agit d'évaluer la situation des femmes dans la profession en général et leur situation propre en particulier. Malheureusement, celles qui ont des préoccupations légitimes et qui voudraient du changement hésitent bien souvent à soulever la question à cause des autres, celles qui répugnent à jouer la carte des sexes et qui ne croient qu'au mérite individuel, celles qui se considèrent avocates d'abord, femmes ensuite.
3. Les retombées de mesures symboliques
Au cours des années 80 et 90, on a insinué que des femmes n'avaient accédé à la magistrature (et à d'autres postes importants) qu'à cause de leur sexe et avaient ainsi profité de mesures de pure forme destinées à donner bonne conscience au système. Les femmes doivent être prêtes à répliquer à ces accusations et au manque de respect qu'elles sous-tendent.
4. La question de l'engagement
Au risque de ne plus ĂŞtre considĂ©rĂ©es comme de « vraies juristes », des femmes remettent en question le dogme selon lequel « rien de moins qu'un engagement total envers la profession » n'est acceptable, et optent pour des milieux de travail plus sensibles Ă leurs responsabilitĂ©s personnelles et plus compatibles avec leurs valeurs. Pourtant, l'engagement peut revĂŞtir bien des formes.
Des suggestions pour les femmes
D'éminentes avocates partagent leurs idées sur les meilleurs moyens pour réussir.
1. La meilleure formation possible
Francine Swanson, avocate-conseil pour BP Canada, insiste pour que les jeunes avocates choisissent de travailler d'abord pour un grand cabinet qui leur offrira la meilleure formation possible avant d'envisager un changement vers l'entreprise.
2. Spécialisez-vous
Devenez aussi compétent que vous le pouvez dans un domaine précis de votre choix.
3. DĂ©veloppez vos relations interpersonnelles
La capacitĂ© de s'adapter Ă diffĂ©rents styles de communication est un atout de taille pour rĂ©ussir. Sachez faire connaĂ®tre vos rĂ©alisations sans craindre d'exercer votre autoritĂ©, tout en respectant vos valeurs dites « fĂ©minines ».
4. Un mentorat organisé
Allez plus loin que l'habituelle relation mentor-protégée. Recherchez aussi parmi vos pairs, et même à l'extérieur de votre cabinet, ceux et celles qui sont disposés à vous donner du feedback et à vous diriger.
5. Aidez d'autres femmes
Des réseaux informels favorisant les échanges sont cruciaux pour le succès des femmes. Ils contribuent aussi à lutter contre le préjugé selon lequel les femmes n'encouragent pas le succès de leurs consoeurs.
6. Devenez une figure connue
Impliquez-vous dans votre communauté, le plus tôt possible dans votre carrière.
Et pour les cabinets
Voici quelques suggestions pour les cabinets et contentieux qui veulent encourager l'Ă©panouissement de femmes-leaders.
1. Recueillez les données
Faites des entrevues, tenez des groupes de discussion, examinez les possibilités de changements positifs de votre culture du travail, des politiques et procédures en place.
2. Puisez aux examens de rendement et autres formes d'Ă©valuation
Les entrevues de départ sont parfois fort révélatrices et utiles. L'idée est de retenir les talents prisés avant qu'ils ne deviennent insatisfaits ou isolés.
Des progrès tout de même
Reprendre la discussion sur la place des femmes dans la profession juridique s'impose si on veut les encourager à contribuer pleinement, et ce, à tous les échelons et dans toutes les modalités de pratique.
Profitons-en : le désir existe bien de créer, tant pour les hommes que pour les femmes, un milieu de travail sensible, respectueux et disposé à répondre aux aspirations de tous, pour le plus grand bénéfice de la clientèle et de la profession juridique en général.