Après un entretien avec son avocat, le client ressort souvent avec l'Ă©trange sensation qu'ils ne sont pas sur la mĂŞme longueur d'ondes. Pourtant, le juriste semble bien saisir les tenants et les aboutissants de son dossier, mais un doute s'est installĂ© dans l'esprit du client. « Je ne suis pas certain qu'il ait bien compris que je prĂ©fĂ©rais un règlement Ă l'amiable Ă une confrontation au tribunal, dit-il, dĂ©pitĂ©. Il me semble bien lui avoir dit pourtant, mais j'ai l'impression qu'il ne m'Ă©coute pas. »
VoilĂ le genre de situation qui peut nuire Ă la relation entre le juriste et son client. Ă€ moins de rĂ©tablir le cap, les deux parties se dirigent tout droit vers une mĂ©sentente. « Savoir Ă©couter son client est un Ă©lĂ©ment essentiel de la pratique du droit, affirme Francis Gervais, bâtonnier du QuĂ©bec. Quand il y a une situation difficile dans un dossier, c'est souvent dĂ» Ă une mauvaise comprĂ©hension du problème auquel fait face le client. »
Marc Cardinal, prĂ©sident de Sigmapi Management Corporation, une firme spĂ©cialisĂ©e en formation et en service-conseils dans le domaine de la gestion, en sait long sur le sujet. « Tous les avocats sont en mesure de rendre des services juridiques. Ce qui les diffĂ©rencie, c'est qu'il y en a qui savent mieux que d'autres comment rĂ©pondre aux besoins intangibles de leurs clients. Ceux-ci ont besoin d'ĂŞtre informĂ©s et rassurĂ©s en fonction de leurs apprĂ©hensions personnelles. Pour cela, il faut bien les saisir. »
Il y a bien des avantages à appliquer les rudiments de l'écoute active, laquelle établit un climat de confiance entre le juriste et son client. Se sentant compris, le client n'hésitera pas à recommander le professionnel à son entourage.
L'Ă©coute active, c'est quoi?
« Écouter, ce n'est pas seulement se taire, explique M. Cardinal. Il s'agit de percevoir la personne dans toutes ses facettes. » Pour cela, il ne faut pas seulement entendre les mots, mais aussi comprendre le langage non verbal pour dĂ©couvrir la personnalitĂ© du client. Il est souvent nĂ©cessaire de l'aider Ă bien exprimer son point de vue en reformulant ses propos. On utilisera des formules du genre : « Si je vous ai bien compris... » ou «Vous voulez dire que... »
« Cela permet d'aller plus loin dans les diffĂ©rents aspects du dossier, soutient Jean-Yves Brière, professeur Ă l'École du Barreau du QuĂ©bec et Ă l'UniversitĂ© de MontrĂ©al. Certains clients sont plus fermĂ©s que d'autres. C'est au juriste de s'adapter Ă la personnalitĂ© de son client. »
Selon lui, la capacitĂ© d'Ă©coute est un aspect de la profession qui laisse place Ă l'amĂ©lioration. « Durant leur formation, les juristes apprennent davantage Ă dĂ©velopper une argumentation, Ă expliquer et Ă convaincre qu'Ă faire de l'Ă©coute active, reconnaĂ®t Me Brière. Il leur faut donc faire un effort pour contrer leur rĂ©flexe naturel qui est de parler. Pour y arriver, ça nĂ©cessite une prise de conscience de ses capacitĂ©s et, surtout, de ses lacunes. »
Une technique qui s'apprend
Comment dĂ©velopper ses habiletĂ©s et devenir un pro de l'Ă©coute active? De l'avis de M. Cardinal, le secret d'une communication rĂ©ussie passe d'abord par la passion du mĂ©tier. « Bien sĂ»r, il faut rendre un service juridique de qualitĂ©, mais ce n'est pas la seule finalitĂ©, explique-t-il. On doit aussi avoir du plaisir Ă Ă©couter le client et vouloir l'aider. Si vous n'avez pas de prĂ©dispositions naturelles pour la communication, allez chercher une formation ou prenez conseil auprès de gens d'expĂ©rience. On peut apprendre Ă percevoir le profil psychologique des gens en quelques secondes et agir en fonction de leur personnalitĂ©. »
Selon Me Brière, une entrevue rĂ©ussie devrait se dĂ©rouler en deux phases. « Durant la première phase, il est prĂ©fĂ©rable d'adopter une approche non directive, conseille-t-il. Ce n'est pas le temps de prendre des notes. Il faut plutĂ´t maintenir un contact visuel avec le client pour qu'il ait le sentiment d'ĂŞtre Ă©coutĂ©. On analyse son langage non verbal, et l'on fait attention Ă sa propre attitude. Par exemple, on Ă©vite de garder les bras croisĂ©s : cela donne l'impression d'ĂŞtre repliĂ© sur soi-mĂŞme. « Au besoin, on peut interrompre le client pour valider une information, mais on retient l'essentiel de ses questions pour la deuxième phase de l'entrevue oĂą, lĂ , on peut se montrer plus directif. »
L'utilitĂ© de l'Ă©coute active ne se limite pas Ă la relation client-juriste. Cette habiletĂ© se rĂ©vèle tout aussi essentielle dans le cadre d'une nĂ©gociation, que ce soit dans le contexte d'une convention collective ou dans une cause de divorce. « Pour comprendre les intĂ©rĂŞts et les aspirations de la partie adverse, il faut bien Ă©couter ce qu'elle a Ă dire, ajoute Me Brière. On peut alors mieux confronter ses arguments aux demandes de son client dans la recherche d'une solution acceptable pour les deux parties. »
Vouloir à tout prix faire montre d'efficacité en allant directement à l'essentiel et en proposant une solution immédiate et toute faite ne fait qu'envenimer les choses. Brusqué et frustré, le client pourrait bien aller raconter son histoire ailleurs, là où il aura le sentiment qu'on prendra le temps de l'écouter.
Sylvie Lemieux est journaliste pigiste à Montréal.