À chaque année, c’est la même chose ! Non, il ne s’agit pas du rendez-vous annuel chez le dentiste, ou de la facture d’assurances. C’est le temps de l’évaluation annuelle du rendement des employés, employées, quand les associés, associées, rencontrent les avocats salariés et avocates salariées pour leur donner l’heure juste. Personne n’aime annoncer de mauvaises nouvelles, et personne n’aime les entendre : alors pourquoi les évaluations du personnel deviennent-elles de plus en plus une partie intégrante du fonctionnement des cabinets juridiques canadiens ?
Faites à la dernière minute (comme les impôts), les évaluations d’avocats salariés peuvent être expéditives et stressantes. Exécutées sans anesthésie (ce qu’aucun dentiste ne ferait), elles peuvent être blessantes et entraîner des réfutations défensives ainsi que des relations tendues au bureau. Et pourtant (telles les assurances), on les oublie à ses risques et périls.
Les évaluations annuelles du personnel, déjà enracinées en entreprise, deviennent de plus en plus un outil important de gestion dans un cabinet juridique efficace et – bien oui – heureux. Les associés et les salariés ont tout à gagner d’un processus d’évaluation bien préparé, positif et bénéfique. Mais ce n’est pas plus facile pour autant.
Stressé à l’excès ?
Une évaluation stresse souvent à l’excès l’associé, l’associée, qui s’en trouve chargé et le salarié passé au tamis. Pour le salarié, salariée, la satisfaction au travail, le salaire, et même son statut d’employé, d’employée, peuvent dépendre d’une bonne évaluation.
Pour l’associé, l’évaluation annuelle peut sembler un mal nécessaire – une tâche que l’on entreprend sans joie.
« Le stress existe des deux côtés », affirme Janet Dean, consultante en ressources humaines juridiques et présidente de la société Advance Corporate Thinking, de Vancouver. « Cela explique pourquoi les évaluations du rendement ne se font pas, ou qu’elles sont faites comme si on faisait face à un peloton d’exécution. »
En vérité, la plupart des évaluations d’avocats salariés et d’avocates salariées évoquent des sentiments mixtes – quelque part entre douloureux et merveilleux. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut laisser rien au hasard. Une planification réfléchie peut faire la différence entre un processus d’évaluation agréable, médiocre et horrible. L’objectif, souvenez-vous en, reste l’amélioration, et non l’amertume.
« Ne mettez pas l’accent sur la faute, parce que cela entraîne souvent une réponse défensive. Soyez proactif et parlez de ce que l’on pourra faire différemment la prochaine fois. Transformez la rencontre en dialogue, plutôt qu’en sentence », dit Mme Dean.
Deux cabinets juridiques en exemple
Comme il n’existe pas deux cabinets juridiques identiques, le style et le contenu des évaluations de rendement refléteront la culture, les valeurs et les priorités du cabinet qui l’exécute. Chez Foster Hennessey MacKenzie, à Charlottetown, les évaluations d’avocats salariés et d’avocates salariées sont informelles et ad hoc.
« Si nous remarquons un problème, nous le réglons sans délai. Et si nous remarquons que les choses vont bien, nous félicitons sans délai », affirme l’associé Donald MacKenzie. Évidemment, avec seulement deux salariés, salariées, les chances d’assurer une évaluation continue ne manquent pas, dit-il.
Les évaluations de rendement prennent un caractère beaucoup plus officiel au cabinet Lavery, de Billy à Montréal. Le processus commence en décembre quand les salariés remplissent un questionnaire sur leur propre rendement. Ils répondent à environ 15 questions sur des sujets variés, y compris leur satisfaction à l’ouvrage, leurs besoins de formation et leurs activités paraprofessionnelles.
Parallèlement, les associés évaluent les salariés avec lesquels ils ont travaillé au cours de l’année précédente. Les deux documents sont ensuite remis à une équipe de deux associés qui évaluent les renseignements et assignent à chaque salarié une note de A, B ou C. Durant leur première année, les résultats des salariés tiennent davantage compte de leur connaissance du droit, mais au fil des ans, l’accent porte davantage sur la clientèle.
En février, l’équipe de deux associés rencontre le salarié pour passer les conclusions en revue. L’évaluation met l’emphase sur les commentaires constructifs et toute lacune s’accompagne d’objectifs visant à remédier le défaut dans l’année qui suit.
« Quand nous détectons un problème, nous prévoyons parfois une évaluation à mi-chemin, à l’été », précise Odette Jobin-Laberge, l’associée responsable du processus d’évaluation au cabinet Lavery, de Billy.
Selon elle, le caractère officiel du processus, ainsi que la délimitation claire des objectifs et des attentes, réduit le stress associé à l’évaluation. La plupart des salariés, dit-elle, arrivent à la rencontre avec une évaluation précise de leurs forces et faiblesses.
« Ils savent comment ça marche, que c’est fait sérieusement et qu’on leur donnera l’heure juste », ajoute Me Jobin-Laberge.
« C’est un processus stressant mais c’est constructif », déclare Sébastien Guénette, un salarié chez Lavery, de Billy qui a subi trois évaluations de rendement. L’évaluation, dit-il, prend la forme d’une conversation où les salariés ont aussi droit de parole.
« D’un côté, c’est un boniment de vendeur, parce que vous voulez montrer au cabinet que vous avez bien fait. De l’autre, vous avez la chance d’expliquer vos erreurs. Vous devez être honnêtes avec vous-mêmes », dit-il.
Arguments en faveur des évaluations de rendement
En surface, l’évaluation de rendement est une occasion de faire l’éloge et de critiquer. Mais s’il n’y a rien de plus, vous manquez la chance de fidéliser votre actif le plus précieux – une ou un employé dévoué. Dans une profession orientée vers la clientèle, voilà bien le temps de mettre l’accent sur les besoins et les objectifs des employés, employées.
« Les évaluations de rendement sont incroyablement importantes, mais ce n’est pas vraiment dans notre nature », affirme John Fraser, de Conseil Catalyst, à Toronto. « En tant que professionnels, nous mettons beaucoup l’accent sur le temps et sur la résolution de problèmes. Nous sommes motivés et analytiques. Les relations humaines ne sont pas toujours notre force. »
Quels sont les objectifs d’une évaluation de rendement ? En termes pratiques, cette évaluation peut aider votre cabinet à fixer les augmentations de salaires. Elles constituent l’occasion idéale de signaler des comportements troublants avant qu’ils ne s’enracinent, et de réaffirmer les objectifs et attentes du cabinet, pour que toutes et tous soient sur la même longueur d’ondes.
Les salariés, salariées, doivent y voir la chance de poser des questions et d’esquisser des objectifs personnels. Globalement, l’évaluation vise à établir pour la prochaine année un itinéraire qui aidera l’avocat salarié, l’avocate salariée, à croître comme avocat ou avocate et comme actif important du cabinet.
« L’expérience doit être motivante. Vous voulez optimiser vos ressources humaines, et pour réussir, vous devez pouvoir les motiver », déclare Lori Brazier, également du bureau de Toronto de Conseil Catalyst.
Voici, tant du point de vue de l’associé, associée, que de la perspective du salarié. quelques repères clés d’une évaluation réussie :
L’évaluation réussie, vue par l’associé
1 - Commencer un an à l’avance
L’évaluation de rendement doit se fonder sur des objectifs et des attentes articulées l’année précédente, pour que les salariés, salariées, puissent connaître les repères en vertu desquels ils et elles seront jugés. Cela permet aussi aux salariés de même niveau d’être évalués à partir des mêmes critères bien compris.
2 - Évaluer une gamme de compétences
Les compétences techniques et la connaissance du droit sont fondamentales, mais il ne suffit pas d’elles pour faire un bon avocat ou une bonne avocate. Définissez les qualités essentielles de l’associé dans votre cabinet. Formez des questions sur le rendement en fonction de chaque compétence espérée chez une ou un futur collègue.
3 - Commencer avec les forces
Dites aux avocats salariés et avocates salariées ce qu’ils et elles font bien et ce qui a favorablement impressionné les associés, associées. Cela prépare bien la voie pour la critique constructive à venir.
4 - Critiquer le comportement, pas la personne
Une critique efficace met l’accent sur le comportement à changer. Par exemple, une critique serait ainsi énoncée : « À votre niveau, nous attendons une facturation d’un tel nombre d’heures. Comment pouvez-vous y arriver ? » Une critique, dirigée vers la personne, aurait donné ceci : « Vous ne facturez pas suffisamment d’heures. Pourquoi ? »
« Ça ressemble à une attaque, et la seule réponse possible est une défense ou une acceptation », poursuit Mme Dean. « Les jugements individuels n’influencent pas le comportement. Si vous voulez un changement de comportement, vous devez donner des orientations de comportement. Alors ils achèteront et s’engageront. Vous obtiendrez la volonté de changer et une fidélisation à long terme. »
5 - Mettre l’accent sur l’année entière
La nature humaine fait en sorte que nous nous souvenons de l’échec le plus récent et que nous oublions le bon boulot qui l’a précédé.
6 - Fixer des objectifs d’avenir
Ne quittez pas la réunion en n’ayant abordé que le passé. Tant les salariés, salariées, que les associés, associées, doivent avoir un plan de formation et d’amélioration pour l’année à venir.
7 – Mettre tout sur papier
Avant de vous rendre à la réunion, notez par écrit les messages à livrer. Notez aussi les résultats. Non seulement cela est-il essentiel pour la prochaine évaluation de rendement, mais ces notes auront une grande importance si vous êtes obligé de mettre fin à l’emploi de ce salarié.
8 - Écouter !
Tout avocat ou avocate sait qu’il y a toujours deux versions des faits. Si le salarié, salariée, a des raisons qui expliquent (et non qui excusent) la non-atteinte des objectifs, écoutez-les objectivement. Puis demandez au salarié ce qu’il fera pour atteindre ses objectifs à l’avenir. Souvenez-vous que les salariés ont des objectifs personnels et qu’ils ont besoin de votre aide. Si l’évaluation est réellement un processus bidirectionnel, vous quitterez peut-être la réunion avec votre propre liste de choses « à faire ».
9 - Consacrer suffisamment de temps
Évaluer le rendement d’une ou d’un employé une heure avec la rencontre d’évaluation ne suffit pas. Cela vous donne juste assez de temps pour vous souvenir des erreurs et des échecs, mais pas des réussites. Assignez la tâche à des associés, associées, qui ont le temps et la volonté de faire un travail consciencieux.
10 - Choisir le bon évaluateur
Ne confiez pas la tâche à la personne la plus sévère du bureau. De l’autre côté, n’allez pas non plus choisir la plus malléable. La première peut ne pas se soucier des sentiments du salarié, salariée, la seconde peut trop s’en inquiéter. La bonne personne sera réfléchie, équitable, approchable, et se souviendra du temps où elle aussi était salariée.
11 - Pas de surprises
Ne guillotinez personne durant une rencontre d’évaluation. Les problèmes devraient être abordés tout au long de l’année, selon les besoins. Si le travail préparatoire a été bien exécuté, si les objectifs et attentes ont été clairement énoncés, et si le salarié, salariée, a fait une évaluation personnelle honnête – l’évaluation de rendement ne devrait comporter aucune surprise.
« La meilleure évaluation se fait tout au long de l’année, projet par projet. Quand arrive la rencontre d’évaluation, tant l’associé que le salarié devraient savoir assez bien comment les choses sont allées durant l’année », dit M. Fraser.
12 - Se préparer à un appel
Aucune évaluation n’est parfaite et rien n’est coulé dans le ciment. Si un salarié pense que son évaluation était injuste, et qu’il a préparé un argument raisonnable, écoutez-le. Votre évaluation ne changera peut-être pas, mais l’intervention pourrait vous inciter à fixer des objectifs de rendement plus clairs et de réévaluer la situation avant la fin de l’année.
Comment recevoir une évaluation favorable : le point de vue du salarié
1 - Faire ses devoirs
Évaluez votre rendement durant l’année précédente. Quand n’avez-vous pas répondu aux attentes et quand les avez-vous dépassées ? Comment pouvez-vous vous améliorer ? De quelle formation avez-vous besoin ? Préparez-vous pour l’évaluation.
2 – Ne pas insister sur les échecs récents
L’évaluation couvre une année entière, et les échecs récents ne doivent pas réduire votre confiance en soi. Conservez un journal, pour pouvoir vous souvenir de vos sentiments à l’endroit d’un projet vieux de douze mois.
« La nature humaine oublie », estime Sébastien Guénette, avocat salarié au cabinet Lavery, de Billy à Montréal. « Vous avez peut-être eu une excellente année, sauf durant le dernier mois. Ne ciblez pas un moment précis. »
3 - Être honnête
En abordant vous-même vos lacunes, vous réduisez le stress de l’évaluateur chargé des mauvaises nouvelles et montrez que vous avez la capacité de percevoir les situations avec clarté. Mais n’abordez pas un défaut sans avoir auparavant pensé à des moyens de vous améliorer.
4 - Accepter la critique courageusement
Si vous n’acceptez pas la critique avec courage, vous laissez entendre que vous n’avez peut-être pas l’étoffe d’un avocat ou d’une avocate. Souvenez-vous que vous n’avez pas tout appris à la faculté de droit, et que tout salarié, salariée, commet des erreurs.
« Vous serez évalué tout au long de votre carrière juridique. Vos clients et clientes vous évalueront. Même les associés, associées, d’un cabinet sont évalués par les associés gestionnaires. Dans notre boulot, nous devons pouvoir affronter la critique en tout temps », affirme Me Guénette.
5 - Éviter d’être sur la défensive
Si vous n’aimez pas ce que vous entendez, transformez ces propos négatifs en question positive. Au lieu d’affirmer « c’est faux », dites : « Comment puis-je changer cette perception ? »
6 - Se défendre
Si vous jugez l’évaluation injuste, préparez votre réponse. Assurez-vous d’attendre une journée ou deux, question de calmer vos émotions, pour pouvoir aborder le sujet calmement et de façon réfléchie, comme si vous plaidiez devant un tribunal.
7 - Savoir ce que l’on veut
L’évaluation vous donne la chance d’énoncer vos objectifs en tant qu’avocat, avocate, et de demander le soutien dont vous avez besoin pour atteindre vos objectifs.
Comment réparer une évaluation médiocre
L’associé ou l’associée était-il/elle une brute ? Le salarié ou la salariée était-il/elle sur la défensive ? Si l’un ou l’autre claquez la porte à l’évaluation, ne laissez pas le différend couver. Ne pas en tenir compte ne le fera pas disparaître.
Une fois les humeurs calmées, convoquez une autre réunion pour réduire la tension. Mettez l’accent sur les sentiments ressentis, et non sur les déclarations accusatoires. Si l’évaluateur était insensible, le salarié a raison d’exiger mieux.
« Toute personne a sa dignité et mérite d’être traitée avec respect. Il ne faut pas accepter une situation abusive. Il est important de se défendre », soutient M. Fraser.
« Si vous estimez avoir été traité injustement, vous devez le dire. Autrement, vous resterez dans votre coin, en colère », ajoute Me Guénette.
Commencer à zéro
Si votre cabinet n’a pas de régime d’évaluation du rendement, mais qu’il souhaite mettre un tel processus en place, commencez par évaluer le cabinet à l’interne. Quelles sont vos priorités ? Quelle est la culture du bureau ? Par exemple, votre cabinet met-il plus d’emphase sur le développement de la clientèle ou sur les heures facturables ? Qu’attendez-vous des salariés à chacune de leurs cinq premières années ? Articulez clairement les objectifs et les attentes.
Assoyez-vous avec les salariés, salariées, et préparez un plan d’atteinte de ces objectifs. Définissez les repères qui serviront à mesurer leur rendement d’ici un an.
L’ensemble du cabinet, des associés principaux jusqu’au bas de l’échelle, affirme que ce processus en vaut la chandelle. L’associé ou les associés qui se chargent de l’évaluation auront une grande influence sur le succès futur et la satisfaction à l’ouvrage des jeunes avocats et avocates à l’emploi du cabinet. Considérez l’embauche d’un consultant ou d’une consultante en ressources humaines pour aider à développer le processus et les formulaires d’évaluation.
Les petits et moyens cabinets
Selon les professionnels et professionnelles, la taille du cabinet n’a aucune importance. Une évaluation annuelle des salariés, salariées, est bénéfique pour tous les cabinets, grands et petits. Mais les petits et moyens cabinets font face à des défis particuliers.
Il peut déjà y exister une culture d’échanges constants – du moins jusqu’à ce que le débordement d’ouvrage le rende impossible. Dans une telle situation, la rétroaction survient seulement si un problème surgit, sans développement professionnel en parallèle. Et si les associés, associées, doivent s’occuper des besoins des clients et clientes, et de la survie du cabinet, ils et elles renonceront peut-être à la gestion d’une processus officiel d’évaluation, à moins que le mécanisme ne soit déjà en place.
Il n’est pas moins important, dans un petit ou moyen cabinet, de préparer les salariés à leur rôle éventuel d’associé ou d’associée. Une processus efficace d’évaluation contribue à la satisfaction au travail des salariés, et donc à leur fidélisation.
« Dans des cabinets plus petits, on veut que le salarié donne un bon coup de main, et il risque le tout pour le tout. Il est donc vraiment important de se concentrer sur leur croissance professionnelle au sein du cabinet. Cela vous permettra de garder des gens autour de vous pour plus que quelques années », affirme Mme Brazier.
Ressources additionnelles
Échantillon de formulaire d’évaluation d’avocat salarié (en anglais seulement)
Formulaire complet pour les associés responsables des évaluations, développé par Altman Weil, Inc.
Guide de survie du nouvel avocat : évaluations (en anglais seulement)
Développé par le Virginia State Bar Association, ce guide propose des conseils au salarié qui se prépare à une évaluation de rendement.
Amy Jo Ehman est rédactrice à la pige à Saskatoon.