Que faire d'un client ou d'une cliente qui tient des propos injurieux, qui vous crie après, qui met en doute votre compétence, qui ment, qui ne paie pas ses factures ou qui exige l'impossible?
Jay Foonberg, fondateur de la section sur la gestion de la pratique du droit de l'American Bar Association et expert en la matière, n'y va pas par quatre chemins. « DĂ©barrassez-vous de tous les clients non coopĂ©ratifs ou trop exigeants », dit-il.
« Une fois l'an, passez tous ces cas en revue. Invitez le client abusif au cabinet, remboursez-lui tous les honoraires payĂ©s et donnez-lui le numĂ©ro du service local de rĂ©fĂ©rence juridique. Vous pourriez perdre ainsi 10 % de vos clients et du mĂŞme coup Ă©liminer 90 % de vos embĂŞtements en ne perdant que 2 % de vos honoraires », poursuit-il dansThirty tips for a happier, better practice.
Sans appliquer la mĂ©thode Foonberg Ă la lettre, John Jones, associĂ© du cabinet Selby & Jones, Ă Winnipeg, a tirĂ© les leçons de ses propres confrontations avec quelques clients qu'il ne souhaite sans doute plus rencontrer sur le plan professionnel. « Le fait mĂŞme de soulever cette question suggère un problème plus gĂ©nĂ©ral dans l'ensemble de la profession juridique, opine-t-il. Nous tentons d'aider les gens Ă rĂ©soudre des problèmes. Notre mĂ©tier, c'est le litige. Pourquoi alors plusieurs avocats ont-ils tant de problèmes Ă rĂ©gler leurs propres conflits avec des clients abusifs?»
Me Jones n'hésite plus. Il les congédie.
Une question de confiance Titulaire d'une pratique qui englobe droit civil et criminel, Me Jones a depuis longtemps appris que la relation avocat-client repose au départ sur une confiance mutuelle. Une fois cette confiance ébranlée, peu importe le motif, le sort en est jeté.
RĂ©cemment, dans une cause de succession oĂą un document avait Ă©tĂ© transmis tardivement Ă la cour, sans consĂ©quences fâcheuses, l'avocat de Winnipeg s'est retrouvĂ© dans l'eau bouillante. « Ă€ partir de lĂ , le climat s'est dĂ©tĂ©riorĂ©. Je recevais du client des courriels ou des appels Ă tous les deux ou trois jours, des notes foudroyantes, disant sa dĂ©ception, son incertitude quant Ă ma volontĂ© de prendre soin de ses affaires, etc. », explique-t-il.
« Aucune rĂ©ponse ne pouvait plus satisfaire cette personne, et le retard d'un document s'Ă©tait transformĂ© en question d'intĂ©gritĂ© et de confiance. Ă€ un certain moment, je me suis bien rendu compte que ce serait l'enfer jusqu'Ă la fin du dossier et qu'il y aurait inĂ©vitablement dispute quant Ă la facture », dit-il.
Me Jones a convoquĂ© le client mĂ©content, lui a expliquĂ© l'importance d'une relation fondĂ©e sur la confiance et a proposĂ©, comte tenu qu'il ne rĂ©pondait plus Ă ses attentes, de mettre fin Ă la relation. « Peu importe sa rĂ©plique, j'Ă©tais dĂ©cidĂ© Ă ne pas changer d'idĂ©e, que je lui remettrais le dossier et la facture en lui proposant une liste d'avocats Ă consulter », dit-il.
« Le client est revenu en affirmant que mes honoraires Ă©taient excessifs. Je lui ai demandĂ© de fixer un montant que j'accepterais sur-le-champ. Je ne me suis jamais senti aussi libre de toute ma vie. Et j'Ă©tais davantage motivĂ© dans tous mes autres dossiers », lance Me Jones.
Un acompte, un contrat préalable Maintenant, pour éviter que de telles situations, peu fréquentes mais combien éprouvantes, se reproduisent, le cabinet Selby & Jones a modifié ses pratiques pour s'assurer que dès l'entrée d'un nouveau client, il y ait entente sur le versement d'un acompte et sur une description détaillée des honoraires prévus. Cette procédure aide en outre à identifier des clients difficiles et de régler les problèmes dès le départ. Pour les autres, il a développé une lettre-type de congédiement qu'il adaptera, au besoin, selon la situation.
Ancien bâtonnier de Montréal et avocat en litige civil et commercial depuis 30 ans, Pierre Fournier, du cabinet Fournier Associés, s'est toujours rappelé un incident survenu au début de sa carrière, alors que son patron Donald Byers lui avait demandé de communiquer avec un client non payeur.
« Je me suis prĂ©sentĂ© et j'ai demandĂ© au client pourquoi il n'avait pas acquittĂ© sa facture. Il m'a dit qu'il pensait devoir en payer la moitiĂ©. J'ai appelĂ© M. Byers qui m'a rĂ©pondu: « dis-lui de payer ce qu'il veut et de venir chercher son dossier demain matin » », raconte Me Fournier. « Ça ne vaut pas la peine de se battre pour conserver un tel client, le plus vite on s'en dĂ©partit le mieux on se porte. »
Le client menteur Selon Me Fournier, il existe trois catĂ©gories de clients Ă congĂ©dier : celui qui ment (Ă l'avocat, Ă la cour), celui qui n'a plus confiance en son avocat, et celui qui ne paie pas ses honoraires. Les clients qui mentent Ă la cour causent les problèmes les plus graves Ă l'avocat. « Ce client cause un Ă©norme problème de secret professionnel, car l'avocat sait parfois la vĂ©ritĂ© mais ne peut trahir le secret. » Dans ce cas, l'avocat n'a d'autre choix que de demander au tribunal l'autorisation de ne plus le reprĂ©senter en invoquant « un diffĂ©rend irrĂ©conciliable » avec son client. Par la suite, il essaiera d'aider le client menteur Ă se trouver un autre procureur, en lui expliquant qu'il n'a que deux options : dire la vĂ©ritĂ©, ou ne rien dire.
Quant Ă la solution des contrats prĂ©alables pour Ă©viter des diffĂ©rends au moment de la facture, Me Fournier n'y croit pas. « J'ai eu des clients avocats qui rĂ©clamaient leurs honoraires sur la base de tels contrats et dans tous ces cas, ces contrats Ă©taient une source d'aggravation et de litige », dit-il. Un client satisfait ne fera pas de chichis au sujet d'une facture raisonnable.
Me Fournier reconnaĂ®t que sa position Ă cet Ă©gard diverge des lignes de conduite recommandĂ©es par les associations professionnelles. En effet, selon le ComitĂ© de l'inspection professionnelle du Barreau du QuĂ©bec, « le mandat [Ă©crit] permet d'Ă©viter les malentendus et, assorti d'une convention d'honoraires, peut servir Ă l'Ă©tablissement d'une solide relation professionnelle [de l'avocat] avec son client ».
D'ailleurs, le ComitĂ© estime que les avocats et avocates devraient « dans tous les cas qui le permettent, exiger une avance d'honoraires et de dĂ©bours », notamment « pour vĂ©rifier le sĂ©rieux d'un nouveau client face Ă ses obligations financières. [...] L'avocat soucieux pour bien gĂ©rer sa pratique se prĂ©vaudra systĂ©matiquement de cette possibilitĂ©. »
Éviter ceux qui magasinent les prix Dans la formation qu'il donne aux notaires quĂ©bĂ©cois, M. Marc Cardinal, un expert en gestion de la sociĂ©tĂ© Sigmapi Management Corporation, Ă Brossard, insiste lui aussi sur l'importance d'Ă©viter les clients difficiles, notamment en Ă©tablissant dès le dĂ©part des contrats de travail explicites quant au travail Ă accomplir et Ă la rĂ©munĂ©ration. « Le client abusif n'est pas un client fidèle, il coĂ»te très cher et on ne se rattrape jamais », opine-t-il.
Le truc, dit-il, est de dĂ©celer les clients qui « veulent faire affaires avec vous » et d'Ă©viter ceux qui magasinent les prix. Quand une personne tĂ©lĂ©phone Ă un notaire, dit M. Cardinal, il faut lui poser deux questions : « qui vous a rĂ©fĂ©rĂ©s chez nous, et avez-vous achetĂ© une maison? Si la maison est dĂ©jĂ achetĂ©e et que les Pages Jaunes est la rĂ©fĂ©rence, dites vos honoraires et c'est tout. Neuf sur dix ne rappelleront pas. »
Les barreaux et les Ă©coles de droit n'enseignent pas comment traiter avec les clients abusifs. Peut-ĂŞtre la solution se trouve-t-elle chez les juristes eux-mĂŞmes. « Pour rĂ©gler le problème d'un client abusif, l'avocat lui-mĂŞme doit avoir un profond respect pour la valeur du service qu'il rend. Seulement ainsi rĂ©ussira-t-il Ă s'imposer devant le client, Ă le convaincre que ses services ont une grande valeur et que le client doit faire preuve de respect », conclut Me Jones.