Le scénario habituel
Un nouveau client ou une nouvelle cliente s’amène à votre bureau. Il ou elle a besoin de votre aide. Vous connaissez probablement la réponse avant même que le client n’achève son histoire. Vous discutez de stratégie, de frais juridiques et d’une avance sur les honoraires. Le client mentionne que son avocat précédent était trop lent et que cette question doit être réglée sans délai devant les tribunaux. Vous commencez à travailler.
La cause procède au rythme habituel, mais de petits problèmes surgissent en cours de route. Bien sûr, le client a payé l’avance initiale, mais n’a pas versé les avances suivantes telles que demandées. Le client devient de plus en plus exigeant et commence à harceler votre personnel avec des appels téléphoniques incessants, cherchant à savoir pourquoi l’affaire tarde tant. Vous êtes tellement impliqué dans la cause qu’il est devenu très difficile de dire non à ce client qui a, par ailleurs, vraiment besoin de vos services. De toute façon, vous savez que votre relation avec ce client est suffisamment bonne pour avoir l’assurance d’être payé plus tard.
Les relations surissent. Vous n’aimez pas travailler pour ce client et ce dernier décide de vous congédier. Bien sûr, votre facture ne sera pas payée. Vous attendez que le prochain client s’amène à votre bureau.
Pourquoi nous acceptons de mauvais clients
Quand une personne demande l’aide d’un avocat ou d’une avocate, nous sommes souvent reconnaissants d’avoir été consultés dans un domaine où nous possédons une certaine expertise. Notre ego est flatté et nous en ressentons une certaine satisfaction. D’autre part, nous avons besoin du travail, et tout client qui s’adresse à nous pourrait être celui ou celle qui renfloue la caisse et assure nos emplois. Alors, nous acceptons des clients même quand notre intuition nous dit qu’ils constituent des choix douteux, simplement parce qu’ils représentent une source potentielle de revenus.
Une nouvelle façon d’envisager la sélection de clients
Quant il s’agit d’augmenter les profits, de réduire le stress et de mieux servir sa clientèle, rien n’est plus important que le processus de sélection des clients et clientes. Malheureusement, c’est un aspect de l’exercice du droit que plusieurs d’entre nous négligeons.
Vous devriez adopter comme objectif d’identifier les clients problèmes dès que possible, et d’éviter de les prendre en charge. Tout aussi important, il faut s’efforcer d’identifier de bons clients et de les attirer à votre cabinet. Autant le client problème devient une source de malaise, autant un bon client devient source de plaisir. Avec ce dernier, vous et votre personnel serez plus heureux, et les clients que vous desservez seront nettement plus heureux.
Si vous pensez à tous les clients que vous avez appréciés par le passé, vous pouvez presque certainement identifier des caractéristiques ou des critères communs. De façon générale, on y retrouve la coopération, la valeur de la cause, l’ouverture à un règlement, ou encore la disponibilité du revenu et la volonté de payer la facture.
En y pensant et en ayant recours à votre bagage d’expérience, vous pouvez établir des critères précis de sélection de clients dans votre secteur de pratique. Identifiez ces critères et appliquez-les aux clients potentiels, pour sélectionner les causes que vous allez entreprendre. Vous devriez choisir vos clients – et non l’inverse.
Coter les clients : le modèle ABCD
Pour établir des priorités parmi les nouveaux clients et clientes, vous pouvez leur assigner une cote, comme un enseignant ou une enseignante avec un travail d’étudiant ou d’étudiante.
Dans ce modèle, les clients « A » seraient les meilleurs : ils paient leurs factures à temps, apprécient le travail que vous faites pour eux, vous confient d’excellents mandats, et vous recommandent de bons clients potentiels. Vous êtes toujours disponibles pour ces clients parce que vous aimez réellement travailler avec eux.
Les clients « B » sont eux aussi estimés, mais peuvent avoir quelques défauts. Peut-être ont-ils déjà eu un avocat ou une avocate à qui ils ont faussé compagnie, amicalement ou non. Peut-être sont-ils moyennement stressés. Mais ce sont tout de même de bons clients qui méritent d’être acceptés.
Les clients « C » sont moins attrayants. Ils peuvent se montrer à l’occasion peu coopératifs, ont des revenus et des actifs moins importants, et manifestent des attentes déraisonnables. Ce type forme souvent la majorité de la clientèle de petits cabinets.
Finalement, les clients « D », ce sont les cauchemars que vous devez éviter à tout prix. Ils se plaignent des services reçus, de la facture, de l’autre avocat ou avocate et de l’autre partie. Ils accaparent trop votre temps et doivent être évincés de votre cabinet.
Critères de sélection des clients
Bien sûr, les critères de sélection d’un client ou d’une cliente peuvent varier selon le domaine de droit et selon les individus. Mais dans la mesure où il n’existe aucun ensemble reconnu de repères pour juger du client convenable, quelques autres facteurs évidents peuvent s’appliquer universellement.
Coopération et crédibilité
Si un client ou une cliente vous apparaît coopératif et crédible, donnez-lui une bonne cote. Cherchez les indices qui vous permettent de déterminer s’il dit la vérité, s’il vous raconte toute son histoire ou s’il est crédible ou non. La confiance et le respect sont à la base des rapports entre juristes et clients.
Valeur de la cause
Les causes de grande valeur entraînent souvent des marges de profit plus élevées que les causes de valeur réduite. Essayez d’assigner une valeur en dollars à chaque cause, et tentez de déterminer si l’effort que vous y mettrez vaudra les retombées.
Niveau de revenu
Les clients et clientes avec des revenus plus élevés peuvent se payer vos services. Ceux qui ont des revenus moyens ou inférieurs, ou qui sont sans revenus, n’ont pas la capacité financière de vous embaucher.
Disponibilité ou accès aux avoirs
Certains clients et clientes ne gagnent pas beaucoup d’argent, mais auront des avoirs, des proches ou des amis, amies, qui peuvent les soutenir financièrement.
Avocat de la partie adverse
Dans l’évaluation d’un client, d’une cliente, ou de sa cause, l’avocat ou l’avocate de la partie adverse constitue un élément important. Nous savons bien que certains avocats et avocates sont plaisants, et d’autres pas. L’avocat de la partie adverse peut faire la différence entre un « A » et un « B », ou pire…
Gratitude
Un client ou une cliente qui apprécie vos efforts est souvent classé comme un « A » ou un « B ». Les clients et clientes qui n’écoutent pas vos conseils ou qui ont une aversion pour les avocats et avocates devraient généralement être évités.
Niveau d’accompagnement
Certains clients et clientes ont besoin, plus que d’autres, qu’on les tienne par la main tout au long de la cause. À l’opposé, un client ou une cliente qui assume ses responsabilités et communique avec vous au moment opportun doit être prisé.
Les avocats précédents
Si un client ou une cliente a eu d’autres avocats et avocates avant vous, soyez prudent. Ce n’est pas bon signe et vous devrez peut-être creuser un peu pour trouver les motifs de ces changements.
Capacité intellectuelle
Un client ou une cliente à l’esprit vif comprend habituellement les processus juridiques. Travailler avec une personne intelligente est le plus souvent plaisant. Certains clients et clientes ne comprennent tout simplement pas les concepts, ou expriment des attentes irréalistes : il est préférable de les éviter.
Ouverture au règlement/aux conseils
Un désir sincère de régler les problèmes et une volonté d’écouter et de suivre vos conseils comptent parmi les traits d’un bon client ou d’une bonne cliente. Par contre, un client vengeur qui tient à un procès se retrouvera le plus souvent dans les catégories « C » ou « D ».
Niveau de stress
Selon les circonstances, des clients et clientes moins stressés sont plus attrayants que ceux qui sont constamment en situation de crise ou d’urgence.
L’origine de la recommandation
Les recommandations de bouche à oreille d’autres clients et clientes « A » ou « B » sont typiquement de bons clients. En accumulant les clients « A » et « B », vous recevrez de plus en plus de ces recommandations. Par contre, face aux clients qui vous ont trouvé dans les Pages Jaunes ou qui proviennent de services de renvois juridiques, il faut faire preuve d’une plus grande prudence.
Ces critères généraux vous aideront à sélectionner des clients qui conviennent le mieux à votre pratique et à votre cabinet. Les critères peuvent évidemment varier selon les secteurs de droit. En droit familial, par exemple, il y a avantage à considérer le degré d’animosité qui existe entre les conjoints, les conjointes, ainsi que la volonté et la capacité de payer les pensions alimentaires, et aussi, de manière plus générale, l’attitude des parents à l’endroit de leurs enfants.
Dans une pratique de préjudices corporels, il peut y avoir des critères additionnels, y compris la couverture d’assurance, la valeur des réclamations de dommages ou de pertes de salaires, et le degré de responsabilité du client dans l’affaire.
S’en servir !
Une fois établis les critères de sélection convenant à votre pratique, vous devez développer un système de mise en œuvre de ces critères. Commencez par créer une évaluation écrite – une liste de contrôle, ou une matrice, peut-être – qui vous permettra de mesurer le pour et le contre de chaque client ou cliente.
Ce système doit être mis en œuvre dès la première communication du client – par exemple dès le premier appel téléphonique. Demandez à votre adjoint ou à votre parajuridique de compléter une brève évaluation de l’individu tout en lui parlant. On peut notamment demander au client potentiel des renseignements de base et les détails de la cause, tout en cotant le client à partir des critères de sélection adoptés.
Si votre personnel détermine que le client ne convient pas à votre pratique (un client « C » ou « D »), on le recommandera à d’autres avocats, avocates, à l’aide juridique ou à un autre service de ressources juridiques. Si le client potentiel est un « A » ou un « B », on le convoque à une rencontre initiale, où vous déciderez vous-même si vous devez ou non le conserver comme client.
Quand le client se rend par la suite au bureau pour me rencontrer, ou pour rencontrer un de mes collègues, la décision finale sur la « cote » du client est prise par l’avocat. Si l’avocat décide d’accepter le client, on s’entend sur une avance d’honoraires. Si l’avocat décide de refuser le client, ce dernier ne paie que pour la consultation et se fait aider à trouver un autre avocat.
Je recommande que votre personnel fasse l’évaluation initiale de tout nouveau client. Le personnel sera plus objectif que l’avocat ou l’avocate dans son évaluation. Si vous deviez diriger vous-même ce processus, votre ego pourrait intervenir, et vous pourriez accepter un client en dépit de fortes contre-indications. Évitez le piège de laisser entrer tous ceux et celles qui frappent à votre porte, simplement parce qu’ils vous ont choisi.
Renseignements additionnels
Plusieurs des idées exprimées dans cet article proviennent d’un cours intitulé The Practice Builder, que j’ai suivi en 2003. Le cours était offert par une entreprise américaine, Atticus, dirigée par un homme respecté et progressiste, Mark Powers.
Pour plus de renseignements sur les programmes disponibles à Atticus, visitez le site Web www.atticusonline.com .
Lonny L. Balbi, c.r., exerce le droit au cabinet Balbi & Company Legal Centre, à Calgary. Il est président de la Section nationale du droit de la famille de l’ABC. Son article précédent, « Tactiques de guérilla pour se faire payer » , est disponible dans la section « Argent et finances » du site EnPratique.