Quelques minutes après avoir atterri Ă Memphis pour une prĂ©sentation Ă la maison-mère de Fedex, James Andrews a envoyĂ© ce message sur Twitter : « Confession. J’suis dans une de ces villes oĂą je me dis: ‘Je prĂ©fère mourir que de vivre ici!’ » Peu après, Andrews recevait un courriel de la part d’un responsable des communications de Fedex lui rappelant que l’important messager a Ă©tĂ© fondĂ© Ă Memphis et que l’entreprise aurait apprĂ©ciĂ© plus de respect pour sa ville d’origine. Le courriel se terminait sur une pointe de sarcasme : « [...] confession: mes collègues et moi ne voyons pas le rapport entre votre prĂ©sentation de ce matin et notre travail en communications avec les employĂ©s ». AĂŻe!
Pour ajouter Ă l’odieux, Andrews n’Ă©tait pas un novice du système de microblogues, mais un spĂ©cialiste des mĂ©dias sociaux pour une importante entreprise de relations publiques, Ketchum Digital. Inutile de souligner qu’il n’est plus Ă l’emploi de cette dernière. Alors, si un expert peut commettre une telle bourde, quels risques courent les avocats, pour qui la confiance du client est primordiale?
« Nous avançons dans l’inconnu, admet Andre Mazerolle, responsable du marketing chez Bereskin & Parr Ă Toronto. D’une part, nous voulons profiter des opportunitĂ©s que nous offrent les mĂ©dias sociaux, mais nous voulons aussi Ă©viter que nos collègues se placent dans une situation fâcheuse. »
Son cabinet alimente un fil Twitter depuis moins d’un an et trois employĂ©s ont leur propre compte sur lequel ils sont clairement liĂ©s Ă Bereskin & Parr. Une situation ambiguĂ« pour le cabinet. « Nous ne surveillons pas leurs propos et les mĂ©dias sociaux Ă©voluent si vite que nous n’avons pas le temps de mettre en place une rĂ©elle politique pour leur utilisation, dit Mazerolle. Pourtant, c’est comme si on leur avait donnĂ© un immense mĂ©gaphone. »
Un mégaphone dans un 5 à 7
En effet, un faux pas sur Twitter peut avoir des rĂ©percussions beaucoup plus importantes que dans une soirĂ©e cocktail. Le principal danger concerne bien entendu les informations des clients. « Dans les grands cabinets, on ne peut pas tout savoir sur tous les clients de l’entreprise. Alors, il faut ĂŞtre extrĂŞmement prudent pour Ă©viter de dĂ©voiler de l’information concurrentielle, dit l’avocat Xavier Beauchamp-Tremblay, spĂ©cialisĂ© en litige chez Stikeman Elliott Ă MontrĂ©al.MĂŞme une info banale peut donner un indice Ă des investisseurs ou des compĂ©titeurs sur la stratĂ©gie d’une compagnie. »
MalgrĂ© tout, Me Beauchamp-Tremblay se permet commentaires et opinions sur son fil Twitter, qu’il tient depuis 2007. « Les gens n’ont pas envie de lire un robot », illustre-t-il.
Autre danger des mĂ©dias sociaux : la spontanĂ©itĂ©. Oubliez l’article rĂ©flĂ©chi relu par trois associĂ©s ou le communiquĂ© Ă©mis par la responsable marketing. « On peut imaginer un avocat qui sort de la cour et qui twitte ses commentaires sur le jugement… ou le juge », dit Dominic Jaar, prĂ©sident de Ledjit, une firme spĂ©cialisĂ©e en gestion de l’information, e-discovery, ainsi qu’en droit et technologie. Les risques sont d’autant plus grands que, sur Twitter, les avocats ont souvent plus d’influence que leur cabinet.
Chez Bereskin & Parr, par exemple, Megan Langley Grainger, spĂ©cialisĂ©e en propriĂ©tĂ© intellectuelle, cumule plus de 1 800 followers, contre 353 pour son cabinet. Le phĂ©nomène s’explique par deux raisons. D’une part, les internautes prĂ©fèrent lire les propos d’une personne, plutĂ´t que d’une entitĂ© impersonnelle. D’autre part, les pages Twitter des cabinets consultĂ©s se rĂ©sument gĂ©nĂ©ralement Ă des communiquĂ©s de presse avec peu de valeur ajoutĂ©e.
Et qu’en est-il de la relation avocatclient si on donne un conseil en ligne? Bien qu’il prĂŞche la prudence, Me Jaar estime que le danger est minime. « Ça ne peut pas ĂŞtre considĂ©rĂ© comme un conseil juridique si on fait un commentaire gĂ©nĂ©ral. C’est comme Ă©crire un article, dit-il. Mais si on communique directement, ou par courriel, lĂ on entre dans une relation avocat-client. »
Établir une politique claire
MalgrĂ© les risques potentiels, tous les intervenants contactĂ©s voient d’un bon oeil l’utilisation de Twitter et autres mĂ©dias sociaux. Pour Megan Langley Grainger, Twitter lui a permis d’ĂŞtre plus assidue dans ses lectures professionnelles. « ĂŠtre prĂ©sente en ligne m’oblige Ă faire des recherches sur mon domaine quotidiennement, afin d’alimenter mon fil Twitter. »
Me Jaar, lui, a obtenu quelques contrats en suivant des responsables des affaires juridiques dans les grandes entreprises. Toutefois, il ne sollicite que ceux qui expriment clairement un besoin dans son domaine. « En fait, rĂ©sume-t-il, Twitter est surtout un outil de rĂ©seautage et d’apprentissage très puissant », plus que de dĂ©veloppement d’affaires. Mais il faut savoir l’utiliser.
C’est pourquoi Nicole Black, avocate amĂ©ricaine et auteure de Social Media for Lawyers : the Next Frontier (disponible dès mars 2010), souligne l’importance d’Ă©tablir une politique claire pour l’utilisation des mĂ©dias sociaux. « Les cabinets doivent s’asseoir avec leurs avocats et dĂ©cider des buts recherchĂ©s avec leur prĂ©sence en ligne », explique-t-elle.
Chez Bereskin & Parr, par exemple, Me Langley Grainger a choisi de se concentrer sur les enjeux qui impliquent les stratĂ©gies de marques, les marques de commerce et le droit. « Avec mon cabinet, nous avons dĂ©cidĂ© que c’Ă©tait le crĂ©neau dans lequel je peux apporter une contribution originale Ă la conversation en ligne », dit-elle.
Afin d’Ă©tablir une politique des mĂ©dias sociaux, quelques documents peuvent ĂŞtre utiles. Le livre de Nicole Black, prĂ©parĂ© pour l’Association du Barreau amĂ©ricain, consacre plusieurs chapitres Ă la question.
Au nord de la frontière, l’Association du Barreau canadien a publiĂ© en septembre 2008 ses « Lignes directrices pour un exercice du droit conforme Ă la dĂ©ontologie dans le cadre des nouvelles technologies de l’information », en complĂ©ment Ă son code de dĂ©ontologie. La dernière partie (page 20) est dĂ©diĂ©e aux « discussions en ligne ». Et pour ceux qui hĂ©siteraient toujours Ă faire le saut en ligne, Nicole Black rappelle que des gens discutent dĂ©jĂ des cabinets et de leurs clients sur les diffĂ©rents sites de mĂ©dias sociaux.
« Si les cabinets ne savent pas utiliser ces outils, demande-t-elle, comment pourront-ils rĂ©agir rapidement en cas de crise? » Vous croyez qu’une erreur typographique s’est glissĂ©e dans le titre? Il s’agit plutĂ´t d’un clin d’oeil aux symboles utilisĂ©s par convention sur Twitter pour se conformer au maximum de 140 caractères exigĂ© par le site. Ainsi, le titre se lit : « Aux cabinets : sujet, quefont vos avocats sur Twitter? »
– Patrick Bellerose. M. Bellerose est journaliste pigiste Ă MontrĂ©al avec une expertise dans le domaine des mĂ©dias sociaux.