David Fraser a commencĂ© Ă bloguer lorsqu’il Ă©tait jeune avocat dans un cabinet de Halifax. Les mĂ©dias sociaux en Ă©taient Ă leurs dĂ©buts et il n’y avait guère personne qui puisse le conseiller sur les avantages et les risques potentiels des communications en ligne.
« J’ai tout dĂ©couvert chemin faisant », dit Me Fraser, l’ancien prĂ©sident de la Section nationale du droit de la vie privĂ©e et de l'accès Ă l'information, qui est devenu blogueur il y a presque dix ans, quelques annĂ©es après ĂŞtre sorti de l’Ă©cole de droit. « Il n’y avait pas de politiques sur les mĂ©dias sociaux, en tout cas pas dans mon cabinet. Je me disais que si je le faisais convenablement, je parviendrais Ă Ă©viter les problèmes. »
Aujourd’hui, il est un des blogueurs juridiques les plus connus au Canada et il attribue l’essor de sa pratique en droit de la vie privĂ©e, d’Internet et de la technologie en partie Ă son entrĂ©e prĂ©coce dans le monde des mĂ©dias sociaux. Outre son blogue primĂ© Canadian Privacy Law Blog, il publie des gazouillis sous le pseudo Twitter @privacylawyer et il a Ă©tĂ© un adopteur prĂ©coce de Facebook – qu’il utilise pour fins d’affaires et fins personnelles.
Le cas de Me Fraser, associé chez McInnes Cooper, illustre bien comment les médias sociaux peuvent transformer de jeunes avocats relativement inconnus en chefs de file dans leur domaine, quelle que soit la taille de leur cabinet ou de leur marché. Ils leur permettent de bien figurer dans les recherches Google et ainsi de se faire reconnaître.
Sara Cohen, avocate en droit de la fertilité et de la maternité de substitution, est une fervente adepte des blogues, de Twitter et de Facebook. Elle ajoute que les médias sociaux peuvent être un puissant outil de promotion professionnelle, aussi bien pour les nouveau-venus que pour les avocats autonomes.
« Si vous tentez de vous faire connaĂ®tre, je crois que les mĂ©dias sociaux nivellent rĂ©ellement les chances parce que vous n’avez pas besoin d’ĂŞtre au sein d’un Ă©norme cabinet pour avoir voix au chapitre », dit Me Cohen, avocate autonome Ă Toronto et auteure du blogue primĂ© Fertility Law Canada.
Me Fraser et Me Cohen font tous deux valoir l’intĂ©rĂŞt des mĂ©dias sociaux pour crĂ©er des relations, attirer des clients et fournir une tribune pour Ă©changer de l’information, mais ils mettent aussi en garde contre les risques d’une frĂ©quentation de places publiques en ligne.
Ils dĂ©conseillent de transiger des affaires avec les clients au moyen de Facebook, de Twitter ou de blogues. Lorsqu’ils reçoivent des demandes de clients existants ou potentiels, ils font rapidement passer la conversation Ă des moyens de communication plus traditionnels – moins publics et plus sĂ»rs – comme le courriel ou le tĂ©lĂ©phone.
« Dès qu’il s’agit de conseils juridiques, je ne serais pas Ă l’aise de m’exprimer en 140 caractères ou moins », dit Me Cohen.
Me Fraser et Me Cohen Ă©vitent aussi d’Ă©crire quoi que ce soit au sujet de clients dans leurs blogues. Me Fraser ajoute qu’il est d’usage d’effectuer une « recherche de conflits d’intĂ©rĂŞts » avant de publier quoi que ce soit sur une question d’actualitĂ©, pour s’assurer de ne pas aborder un sujet, directement ou indirectement, qui pourrait mettre en cause des clients d’autres avocats de son cabinet.
Il prĂ©cise encore qu’il met parfois la sourdine sur les mĂ©dias sociaux quand il est en voyage d’affaires. Il veut Ă©viter le risque de rĂ©vĂ©ler de l’information confidentielle qui peut parfois ĂŞtre dĂ©duite par les concurrents d’un client simplement en connaissant le lieu oĂą il se trouve.
Me Fraser et Me Cohen soulignent deux autres prĂ©cautions qui s’imposent dans la profession juridique : protĂ©ger le secret professionnel de l’avocat et Ă©viter d’Ă©tablir une relation avocat-client. Le simple fait de rĂ©pondre Ă une question d’un lecteur risque de crĂ©er une telle relation si la rĂ©ponse peut ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme un conseil juridique.
De nombreux avocats Ă©laborent encore leurs propres règles de base en matière de mĂ©dias sociaux parce que tous les cabinets n’ont pas des politiques Ă ce sujet. C’est ce que constate Dan Pinnington, vice-prĂ©sident responsable de la prĂ©vention des rĂ©clamations chez LawPRO, qui offre de l’assurance contre la faute professionnelle aux membres du Barreau du Haut-Canada.
M. Pinnington encourage certes les jeunes avocats Ă « faire du social » en profitant des mĂ©dias sociaux, mais il prĂ©vient que tous les risques ne sont pas Ă©vidents et qu’il importe d’exercer du jugement.
« La première règle absolue est d’ĂŞtre professionnel en tout temps, 100 % du temps, que ce soit dans LinkedIn, dans Twitter, ou en versant des commentaires que vous croyez par ailleurs privĂ©s ou personnels dans votre page Facebook, dit M. Pinnington. Vous devez supposer que tout et chacun des messages que vous publiez restera dans le paysage très longtemps et pourrait devenir public un jour ou l’autre. Vous ne voulez jamais dire quoi que ce soit qui vous causerait de l’embarras sur le plan personnel ou professionnel. » Il a dressĂ© une liste de conseils pour parer aux Ă©cueils :
Ne parlez pas des clients ou de leurs affaires, ce qui est d’après lui « un des principes les plus fondamentaux de la relation avocat-client ».
- Ne parlez pas aux clients de leurs affaires. Il vaut probablement mieux Ă©viter d’utiliser des outils des mĂ©dias sociaux pour communiquer quoi que ce soit au sujet d’une affaire prĂ©cise que vous traitez pour un client, mĂŞme si vous envoyez un message direct qui n’est pas censĂ© ĂŞtre public.
- Ne donnez jamais d’avis juridiques en ligne. « Il y a une Ă©norme diffĂ©rence entre de l’information juridique et un avis juridique », dit-il. Évitez toute communication qui pourrait ĂŞtre considĂ©rĂ©e comme relevant d’une relation avocat-client.
- Évitez les conflits d’intĂ©rĂŞts, qui pourraient se poser quand une personne ayant un motif ultĂ©rieur communique avec un avocat en ligne. Les avocats devraient confirmer l’identitĂ© des personnes auxquelles ils ont affaire, et faire attention Ă l’information qu’ils communiquent.
- Ne mĂ©langez pas vie privĂ©e et vie professionnelle. Pour l’Ă©viter, une possibilitĂ© est d’avoir des pages Facebook distinctes. M. Pinnington dit que les avocats devraient tenir compte de l’outil prĂ©cis des mĂ©dias sociaux qu’ils utilisent dans les communications en ligne. Règle gĂ©nĂ©rale, refusez les invitations Facebook de personnes que vous ne connaissez pas ou ne connaissez que de nom. Rejetez aussi les invitations LinkedIn de parfaits Ă©trangers, mais acceptez volontiers celles de personnes que vous connaissez tant soit peu ou seulement de nom. Si vous ĂŞtes avocat plaidant, faites attention aux communications avec les juges et les experts, qui seraient suspectes pour vos avocats adverses. M. Pinnington ne dĂ©conseille pas absolument d’ĂŞtre ami avec des clients dans Facebook, mais note que c’est probablement une mauvaise idĂ©e dans certains cas. Par exemple, les avocats en droit de la famille ne devraient pas nouer des liens avec des clients, parce que leur vie personnelle fait en gĂ©nĂ©ral partie de leur problĂ©matique juridique.
M. Pinnington estime que faire preuve de jugement est une mesure Ă©volutive, qui pourrait changer dans les annĂ©es Ă venir. « Il sera intĂ©ressant de voir ce qui arrivera Ă l’avenir, quand la gĂ©nĂ©ration plus jeune arrivera dans des postes de responsabilitĂ© et d’autoritĂ© : y aura-t-il de nouveaux critères Ă l’Ă©gard de la vie privĂ©e ou pour accepter de nouveaux modes de communication? »
Janice Tibbetts est journaliste indépendante à Ottawa.