C’est une bonne époque pour les entreprises qui veulent sauver la planète. Il y a quelques dizaines d’années, lorsque le secteur des « investissements socialement responsables » en était à ses balbutiements, les ISR n’étaient que des produits locaux.
Ces investissements ouvrirent la voie à de grandes victoires. Ils parvinrent notamment à mettre de la pression sur le secteur des affaires de l’Afrique du Sud pour qu’il répudie publiquement l’apartheid. Malgré tout, il s’agissait toujours d’un marché à créneaux, d’une méthode qu’utilisaient des investisseurs consciencieux pour sacrifier un peu de rendement au profit de leur éthique personnelle. Personne ne s’attendait alors à ce que les ISR s’adaptent à l’évolution du marché. Toutefois, c’est ce qui s’est produit, et plus encore.
Le fonds d’action FossilFree de Genus, dont la valeur a augmenté de 102 pour cent depuis sa création en 2013, exclut les sociétés pétrolières et les grands émetteurs de carbone. Un fonds de référence comparable d’actions canadiennes et internationales à forte capitalisation a crû d’environ 81 pour cent au cours de la même période. L’indice social Jantzi, qui surveille les sociétés canadiennes à forte capitalisation respectant de hautes normes en matière de responsabilité sociale et environnementale, démontre que la valeur de ces sociétés a augmenté de plus de 41 pour cent depuis 2006, alors que le rendement de l’indice S&P/TSX 60 a été inférieur d’au moins deux points de pourcentage.
De nos jours, les ISR ne sont plus une pénitence pour les investisseurs qui veulent montrer leur vertu. Il s’agit plutôt d’une approche lucrative aux investissements. En fait, même si vous n’en avez que faire des rivières polluées ou du réchauffement de la planète, les ISR sont sensés, car les sociétés qui ne se qualifient pas pour de tels portefeuilles d’investissement sont parfois celles qui auront à se plier à des réglementations gouvernementales plus strictes a posteriori, alors que le monde s’efforce de composer avec les menaces que posent des changements climatiques incoercibles.
« La durabilité présente des avantages sur le plan des affaires », soutient Donald MacDonald, premier vice-président et avocat général chez IGM Financial. « La durabilité, c’est de la bonne gestion, et les sociétés bien gérées ont tendance à offrir un meilleur rendement. Les ISR exigent souvent l’utilisation de technologies de pointe, ce qui en fait des investissements attrayants à long terme. »
Il est facile d’évaluer la valeur éthique d’une entreprise qui fabrique des armes de poing. Il est plus ardu de mesurer la contribution d’une société aux changements climatiques. Un mouvement d’actionnaires, dont l’objectif est de contraindre les sociétés cotées en bourse à dévoiler la mesure dans laquelle les changements climatiques – et la réglementation que les gouvernements mettent en place pour lutter contre ceux-ci – peuvent exercer une incidence sur la croissance de leur valeur, a pris de l’ampleur au fil des ans. Les risques associés au défaut de partager certains renseignements avec les actionnaires donnent lieu à de plus en plus de mises en garde. Par exemple, le mois dernier, le plus haut tribunal du Massachusetts a rejeté la proposition d’Exxon Mobil Corporation d’empêcher les procureurs généraux de l’État d’accéder à ses dossiers, qui mettent en évidence le fait que la société cache depuis des décennies ce qu’elle sait des effets des combustibles fossiles sur les changements climatiques.
En vertu des lois sur les valeurs mobilières du Canada, les sociétés cotées en bourse sont tenues d’informer leurs actionnaires des risques que les changements climatiques posent à la valeur de leurs actions.
« Certains pays, comme le Royaume-Uni et l’Australie, imposent des exigences spécifiques en matière de changements climatiques », affirme Barbara Hendrickson, avocate en valeurs mobilières. « Il s’agit d’une obligation au Canada lorsque les risques sont substantiels, mais il dépend des sociétés elles-mêmes de définir ce qui est substantiel. »
L’an passé, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM), un groupe de coordination qui rassemblent les organismes de réglementation des marchés financiers des dix provinces et trois territoires du pays, a mené un sondage afin de vérifier la mesure dans laquelle les sociétés canadiennes cotées en bourse divulguent les risques climatiques auxquels elles sont exposées. Seulement 56 pour cent des sociétés émettrices interrogées par les ACVM ont fourni à leurs actionnaires des renseignements explicites sur les changements climatiques. Le reste leur a offert ce que les ACVM appellent dans leur rapport des « paragraphes passe-partout », ou rien du tout. Parmi les notices annuelles que remplissent les sociétés sur les risques climatiques, 41 pour cent ne sont pas en mesure d’estimer les répercussions financières qu’engendrent ces risques.
Est-ce que les actionnaires reçoivent tous les renseignements dont ils ont besoin pour comprendre l’exposition d’une société aux changements climatiques? Les lois canadienne et américaine ont en commun un indice de référence sur le « caractère substantiel », qui sous-entend que tout resserrement des règles de divulgation dans ce domaine pourrait comporter un désavantage concurrentiel pour des sociétés canadiennes. Le rapport des ACVM déclare que « l’ampleur et la qualité de la divulgation » ont tendance à augmenter avec la capitalisation boursière d’une société. Aussi, les sociétés pétrolières et gazières sont plus enclines à divulguer ces risques que d’autres entreprises. Ces deux faits donnent à penser que les sociétés canadiennes sont au courant des risques auxquels elles s’exposent si elles omettent de communiquer des renseignements importants à leurs actionnaires.
Néanmoins, les actionnaires qui souhaitent en savoir plus sont nombreux. « Des pressions sont exercées pour améliorer la production des rapports sur les risques climatiques », affirme Mme Hendrickson, qui considère la proportion de 56 pour cent comme étant trop basse.
« C’est ce que les investisseurs veulent. À mon avis, de nombreux grands investisseurs souhaitent réellement exercer une incidence positive sur l’environnement en tenant responsables les sociétés de leurs activités. Évidemment, ils se préoccupent beaucoup de ce qui peut avoir des conséquences sur leurs profits. »
Le rapport des ACVM abonde dans le même sens, signalant que les sociétés qui produisent des notices annuelles « affichent une nette préférence pour l’utilisation des exigences actuelles en matière de divulgation », alors que celles qui ont recours à ces divulgations – les investisseurs eux-mêmes – « se disent globalement insatisfaites des exigences actuelles de divulgation relativement aux changements climatiques ». Certains de ces investisseurs ont également informé les ACVM qu’une notice annuelle ne leur permettait pas de déterminer si une société qui choisit de ne pas signaler un risque climatique le fait à la suite d’une analyse rigoureuse ou simplement parce qu’elle n’a pas accompli le travail requis.
Entretemps, certaines des sociétés qui produisent des notices annuelles rechignent à se soumettre à des règles de divulgation plus strictes, car elles croient que les organismes qui les exigent ne se concentrent pas toujours sur les résultats essentiels. Quelques investisseurs, selon ce que les ACVM ont appris, adoptent un ordre du jour qui a peu à voir avec la valeur des actions, mais qui est davantage lié à des « poursuites en justice qui ont des conséquences négatives sur la réputation des émetteurs ou à des campagnes de désinvestissement de masse dans des industries à forte intensité d’émissions de carbone ».
Mme Hendrickson suggère que le Canada pourrait placer la barre plus haut pour les sociétés cotées en bourse en exigeant une « déclaration de fiabilité présumée ». Essentiellement, il pourrait contraindre les sociétés qui ne croient pas être confrontées à des risques climatiques à le déclarer dans leur notice annuelle et à en expliquer les raisons.
M. MacDonald émet des doutes à cet égard. « La divulgation publique est une question délicate », croit-il. « Si la déclaration d’une société est fausse, elle pourrait faire face à de lourdes conséquences. »
« Je crois qu’il y aura beaucoup plus de divulgations à partir de maintenant et que cela va se produire que des changements soient apportés ou non aux règlements. À mon avis, les règles actuelles en matière de divulgation sont appropriées. Des règles de divulgation négatives pourraient également constituer une approche raisonnable, mais si cette possibilité était envisagée, il serait important de prendre en considération tous les points de vue. »
Le débat se poursuit. Mme Hendrickson, M. MacDonald et d’autres spécialistes de l’économie verte participeront à un débat d’experts de l’Association du Barreau canadien traitant de ce domaine le 1er juin à Winnipeg. Visitez le site Web pour obtenir des renseignements sur l’inscription.
Doug Beazley apporte fréquemment sa contribution à EnPratique.