La Colombie-Britannique se retrouve bonne première au Canada pour l’intĂ©gration des nouvelles technologies dans son système judiciaire. Des observateurs Ă©clairĂ©s sont d’avis que cette province de l’Ouest a une bonne longueur d’avance. De trois Ă cinq ans sur le QuĂ©bec et davantage sur l’Ontario. Ce qui n’a pas toujours Ă©tĂ© le cas.
En Ontario, l’affaire Bernardo-Homolka a servi de dĂ©clencheur. Le constat que Bernardo avait souvent fait l’objet d’enquĂŞtes de divers corps policiers, sans que l’information circule, a amenĂ© le gouvernement ontarien Ă investir dans la mise en place d’un système intĂ©grĂ© d’information de justice. Ainsi est nĂ© en 1997 le projet de gestion en partenariat public-privĂ© devant regrouper les dossiers de police, couronne, tribunal et services correctionnels. De l’arrestation Ă la libĂ©ration conditionnelle. Cet effort a Ă©chouĂ©.
La communautĂ© juridique s’est cabrĂ©e. « On demandait aux juges et aux avocats, du jour au lendemain, de complètement changer leur façon de faire. Ce fut un vĂ©ritable choc culturel. Ils ont continuĂ© Ă travailler en parallèle. Le projet a Ă©tĂ© abandonnĂ© », de dire Nicolas Vermeys, directeur adjoint du Laboratoire sur la cyberjustice de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al.
Un haut fonctionnaire quĂ©bĂ©cois près de ces projets attribue plutĂ´t l’abandon ontarien, au dĂ©but des annĂ©es 2000, aux coĂ»ts trop Ă©levĂ©s. « Ils avaient un bel objectif, mais ils se sont arrĂŞtĂ©s en cours de route. Depuis, le gouvernement insuffle de sommes d’argent, de temps en temps. »
Devant la tournure des Ă©vĂ©nements, le QuĂ©bec qui suivait de près l’Ontario a choisi de tourner son regard vers la Colombie-Britannique. Pour arriver Ă ce que le tribunal dispose des informations requises sur support numĂ©rique, il fallait que la police, la couronne, les avocats et les services correctionnels soient en mesure de produire et transmettre leurs documents respectifs en numĂ©rique.
Pour y arriver, la Colombie-Britannique s’est dotĂ©e, en 2004, d’un logiciel de dĂ©pĂ´t Ă©lectronique, JUSTIN, pour gĂ©rer les dossiers en matière criminelle. Ce premier pas de gĂ©ant accompli, JUSTIN a Ă©tĂ© adaptĂ© aux procĂ©dures en matière civile.
InformĂ© de ces avancĂ©es, le QuĂ©bec a fait l’achat de JUSTIN auprès de la Colombie-Britannique en 2007. Et voilĂ qu’en juin 2013, JUSTIN entrera en activitĂ© dans le district judiciaire de Gatineau pour la gestion des dossiers du tribunal et de la Couronne. Quelques mois auparavant, les services correctionnels de ce secteur auront lancĂ© leur projet pilote.
Dominic Jaar, du Centre canadien de technologie judiciaire, explique ainsi la longueur d’avance de la Colombie-Britannique. « Ils ont fonctionnĂ© de façon modulaire. Ils ont fait un premier module et l’ont implantĂ©. Après avoir corrigĂ© les erreurs observĂ©es, ils sont passĂ©s au second module et ainsi de suite. »
Ă€ l’Ă©chelle canadienne, le dĂ©pĂ´t Ă©lectronique des procĂ©dures a cours Ă la Cour fĂ©dĂ©rale ainsi qu’Ă la Cour suprĂŞme. Toutefois, le plus haut tribunal du pays exige Ă©galement le dĂ©pĂ´t des procĂ©dures sur papier.
Au QuĂ©bec, le dĂ©pĂ´t Ă©lectronique est entrĂ© dans les moeurs Ă la RĂ©gie de l’Ă©nergie et au Tribunal administratif. Il importe en outre de signaler que le QuĂ©bec a Ă©tĂ© un prĂ©curseur, Ă au moins deux reprises avec son plumitif en ligne en matière criminelle avec son système d’enregistrement numĂ©rique des audiences. Un plumitif de deuxième gĂ©nĂ©ration, contenant davantage d’informations, sera d’ailleurs rodĂ© au printemps 2012, dans le district de Gatineau.
Quant Ă l’enregistrement numĂ©rique dans les 400 salles d’audience, il permet aux juges en dĂ©libĂ©rĂ© de trouver rapidement le passage d’un tĂ©moignage ou d’une plaidoirie. Une brève recherche sur ordinateur suffit. « Quand j’en parle Ă mes collègues canadiens, ils me regardent avec de grands yeux », relate le juge en chef adjoint de la Cour supĂ©rieure, AndrĂ© Wery.
Le laboratoire de la justice L’UniversitĂ© de MontrĂ©al accueille un premier procès technologique.
Au Laboratoire de cyberjustice de l’UniversitĂ© de MontrĂ©al, le juge en chef adjoint de la Cour supĂ©rieure du QuĂ©bec, AndrĂ© Wery s’apprĂŞte Ă prĂ©sider cet automne le premier procès Ă s’y tenir. Ă€ guichets fermĂ©s tellement l’intĂ©rĂŞt est grand dans les rangs des juges et des avocats dĂ©sireux d’occuper l’une des 95 places de la salle d’audience.
Depuis que le juge Wery a vu cette salle ultra moderne, zen, oĂą la technologie est au service du droit, il nourrit l’ambition « d’entrer dans ce magasin de jouets ». Il s’y trouve des camĂ©ras dirigĂ©es sur le juge, sur chacun des avocats et des parties ainsi que sur le tĂ©moin; des Ă©crans et un système d’enregistrement audio et visuel. En outre, un système de dĂ©pĂ´t Ă©lectronique et de gestion des documents permet aux avocats d’y dĂ©poser pièces, procĂ©dures, jurisprudence. De sorte que « l’avocat qui entre dans la salle pourrait le faire les mains dans les poches », d’indiquer Nicolas Vermeys, directeur adjoint du laboratoire.
Celui-ci explique que l’Ă©cran tactile devant chacun des acteurs permettra de sĂ©lectionner le passage d’un document et de le faire apparaĂ®tre sur les Ă©crans du juge et des autres avocats. Et si requis, sur les Ă©crans stratĂ©giquement placĂ©s dans la salle d’audience.
Le juge Wery est d’ores et dĂ©jĂ convaincu que la cyberjustice va permettre des procès plus courts que s’ils Ă©taient tenus dans l’environnement classique d’un palais de justice oĂą le papier règne toujours en maĂ®tre.
« Un procès prĂ©vu durer huit jours pourrait bien n’en prendre que cinq », prĂ©voit le juge Wery. Me Vermeys estime que l’utilisation des technologies bien connues, mais jamais utilisĂ©es dans le contexte juridique, va permettre de s’attaquer aux principaux problèmes qui hantent notre système de justice : notamment la longueur des procĂ©dures et le coĂ»t qui sont souvent interreliĂ©s.
Cet artice a d'abord paru dans le numéro de septembre 2011 du magazine National de l'ABC.