L’incidence de la preuve par enregistrement vidĂ©o sur le processus judiciaire est sans prĂ©cĂ©dent. Lorsqu’ils sont confrontĂ©s Ă un enregistrement vidĂ©o des actes qui leur sont imputĂ©s, de nombreux accusĂ©s renoncent Ă plaider non coupables et passent aux aveux. Une preuve vidĂ©o n’est toutefois pas infaillible. MĂŞme une vidĂ©o claire, convenablement authentifiĂ©e et accompagnĂ©e d’une documentation complète peut ĂŞtre jugĂ©e inadmissible dans un tribunal canadien.
Peu importe combien elle est solide, une preuve vidĂ©o est inadmissible si sa pertinence Ă l’affaire en cause ne peut pas ĂŞtre dĂ©montrĂ©e. « Par exemple, une vidĂ©o d’un marteau maculĂ© de sang sĂ©chĂ© et de cheveux n’est pas pertinente si elle ne peut pas ĂŞtre reliĂ©e au meurtre », explique l’avocat Elliott Goldstein de Woodbridge (Ontario). Il est un expert reconnu de la preuve vidĂ©o qui donne des cours au Collège de police de l’Ontario, et l’auteur de l’ouvrage en deux volumes Visual Evidence: A Practitioner’s Manual. « Cependant, ajoute-t-il, il est pertinent de montrer la vidĂ©o de ce marteau et du crâne de la victime en dĂ©montrant que le marteau s’insère dans le crâne endommagĂ© de la victime. »
La règle Ă respecter est de ne pas laisser la qualitĂ© ou les implications apparentes ou imaginaires d’une vidĂ©o occulter son jugement. Pour qu’une preuve vidĂ©o soit admise en cour, « sa pertinence doit ĂŞtre dĂ©montrĂ©e », affirme le procureur de la Couronne de l’Alberta Jonathan W. Hak, c.r.
Authenticité incontestée
Aujourd’hui, un enregistrement vidĂ©o peut ĂŞtre manipulĂ© de façon Ă changer la chronologie des Ă©vĂ©nements y figurant, fausser l’Ă©coulement du temps et montrer des Ă©vĂ©nements hors sĂ©quence et hors contexte. L’enregistrement numĂ©rique, qui suppose habituellement une « compression » des donnĂ©es vidĂ©o visant Ă minimiser l’espace occupĂ© sur disque dur, peut mener Ă une perte de donnĂ©es et compromettre la qualitĂ© des images. Si la chaĂ®ne de possession ne peut pas ĂŞtre prouvĂ©e (faute d’une documentation adĂ©quate), la preuve vidĂ©o peut ĂŞtre rejetĂ©e par le tribunal.
« Avant, les images vidĂ©o Ă©taient enregistrĂ©es sur une bande, explique Elliott Goldstein. Au moment de les prĂ©senter en preuve, il n’y avait pas de problème : vous n’aviez qu’Ă apporter la bande d’origine au tribunal et la faire jouer pour le juge et le jury. Mais aujourd’hui, les images vidĂ©o (de surveillance) sont gĂ©nĂ©ralement enregistrĂ©es sur des disques durs qui sont constamment effacĂ©s lorsque de nouvelles donnĂ©es arrivent. Ainsi, la preuve vidĂ©o doit ĂŞtre copiĂ©e sur un DVD ou une bande magnĂ©tique, ce qui exige une mĂ©thode très rigoureuse, la constatation par des tĂ©moins et une documentation prouvant que la copie est un double exact de l’original. »
Jonathan Hak partage ces prĂ©occupations : « La partie prĂ©sentant une preuve vidĂ©o doit prĂ©ciser comment la vidĂ©o a Ă©tĂ© enregistrĂ©e, comment le mode d’enregistrement a conditionnĂ© les images, la mesure dans laquelle l’exportation des donnĂ©es vidĂ©o peut avoir compromis la fiabilitĂ© des images et la mesure dans laquelle toutes les images pertinentes de l’incident en cause ont Ă©tĂ© saisies. La preuve vidĂ©o doit ĂŞtre authentifiĂ©e pour que le tribunal l’accepte. L’authentification peut ĂŞtre assurĂ©e par des tĂ©moins connaissant le contenu vidĂ©o – par exemple la personne qui a capturĂ© les images – ou par des moyens techniques dĂ©montrant que les images n’ont subi aucune modification inappropriĂ©e. C’est ce qui est nĂ©cessaire aussi bien selon la Loi sur la preuve au Canada et selon la common law.
Élément probant ou préjudiciable
Gene Henderson travaille depuis longtemps comme vidĂ©ographe de scènes du crime pour les services de la sĂ©curitĂ© publique du Texas. Il a Ă©tabli une documentation sur la ferme des davidiens Ă Waco oĂą ont pĂ©ri 76 personnes, dont 20 enfants et deux femmes enceintes. MĂŞme dans cet horrible carnage, il a filmĂ© une vidĂ©o mĂ©thodique et factuelle, sans sensationnalisme. « Je n’essaie pas de produire un effet avec mes images sinon l’effet rĂ©el de ce qui est filmĂ© », dit-il.
Il y a une très bonne raison pour laquelle Gene Henderson et d’autres vidĂ©ographes de scènes du crime rĂ©sistent Ă la tentation d’impressionner la galerie : ils savent que si leurs images sont trop choquantes, le juge les dĂ©clarera prĂ©judiciables et ne les admettra pas en preuve.
« La clĂ© consiste Ă trouver l’Ă©quilibre entre valeur probante et effet prĂ©judiciable, selon Elliott Goldstein. Si la vidĂ©o est trop lugubre, mĂŞme si elle reprĂ©sente fidèlement le lieu du crime, le juge peut l’exclure au motif qu’elle serait trop prĂ©judiciable. En effet, le caractère explicite d’une vidĂ©o influe sur les Ă©motions des jurĂ©s, suscite la sympathie et les passions, et fausse les impressions, soit exactement ce que le juge tente d’Ă©viter. »
Mais certains lieux du crime sont inĂ©vitablement et foncièrement macabres. Leurs images ne peuvent pas ĂŞtre aseptisĂ©es pour Ă©pargner les sentiments du jury, sans risquer de fausser la preuve. Comment faut-il concilier les points de vue de la poursuite et de la dĂ©fense? « Le critère dĂ©terminant de l’admissibilitĂ© est que la valeur probante doit surpasser l’effet prĂ©judiciable, affirme Jonathan Hak. Dans ce contexte, “prĂ©judiciable” s’entend d’un Ă©lĂ©ment de preuve qui peut injustement compromettre l’accusĂ© ou qui peut ĂŞtre mal utilisĂ© par le juge des faits. Une preuve vidĂ©o qui prĂ©sente des images dures n’est pas exclue uniquement Ă ce motif. Tout dĂ©pend des enjeux de la cause et du but dans lequel la preuve vidĂ©o est prĂ©sentĂ©e. »
Avantages et inconvĂ©nients de l’amĂ©lioration des images
Les policiers parlent d’un « effet CSI » : certains juges et certains jurĂ©s s’attendent Ă ce que des images vidĂ©o embrouillĂ©es puissent ĂŞtre amĂ©liorĂ©es jusqu’Ă rĂ©vĂ©ler les plus menus dĂ©tails – comme le font les « dĂ©tectives de Hollywood » (ainsi que les appelle Elliott Goldstein) dans l’Ă©mission tĂ©lĂ©visĂ©e CSI: Crime Scene Investigation..
La rĂ©alitĂ© est toute diffĂ©rente. Il est certes possible de faire ressortir des dĂ©tails en modulant la clartĂ©, le contraste et la couleur d’images vidĂ©o grâce Ă des logiciels comme dTective d’Ocean Systems. Ce logiciel peut aussi supprimer le bruit vidĂ©o et la granulation pour dĂ©gager des dĂ©tails sous-jacents. Mais guère plus.
La clĂ© consiste Ă trouver l’Ă©quilibre entre valeur probante et effet prĂ©judiciable.
— Elliott Goldstein, avocat et auteur
Une telle « amĂ©lioration » comporte toutefois un risque. Plus vous amĂ©liorez une vidĂ©o, plus l’admissibilitĂ© du produit final peut ĂŞtre contestĂ©e en cour au motif que les images ont Ă©tĂ© altĂ©rĂ©es et ne sont plus exactes ou Ă©quitables.
« J’y vois une situation avant-après, affirme Elliott Goldstein. Vous devez produire au tribunal Ă la fois la vidĂ©o originale non amĂ©liorĂ©e (la source) – l’“avant” – et la version amĂ©liorĂ©e (modifiĂ©e) – l’“après” – de sorte que le juge et le jury puissent voir ce que vous avez fait et entendre vos explications. Cette façon de procĂ©der peut parer Ă une opposition de l’avocat adverse. »
Elliott Goldstein ajoute que « toute mĂ©thode dĂ©fendable utilisĂ©e pour obtenir et prĂ©server une preuve vidĂ©o numĂ©risĂ©e doit rĂ©pondre aux questions suivantes :
Goldstein adds, “any defensible procedure for documenting and preserving digital video evidence must answer with these questions:
- Qui a capturé les images, et quand?
- Qui a eu accès aux images entre le moment où elles ont été capturées et le moment où elles ont été présentées au tribunal?
- Les images originales ont-elles Ă©tĂ© modifiĂ©es après qu’elles ont Ă©tĂ© capturĂ©es?
- Qui a amélioré les images, quand et pourquoi?
- Quelle est la méthode utilisée pour améliorer les images, et peut-elle être reproduite?
- Les images amĂ©liorĂ©es ont-elles Ă©tĂ© modifiĂ©es après qu’elles ont Ă©tĂ© amĂ©liorĂ©es? »
Expert video witnesses
Il ne suffit pas d’apporter une preuve vidĂ©o au tribunal, de la projeter et de supposer que le jury comprendra parfaitement ce qu’il voit. Pour assurer la comprĂ©hension, vous devez faire expliquer la vidĂ©o par un ou plusieurs tĂ©moins experts compĂ©tents.
« Si une preuve vidĂ©o est prĂ©sentĂ©e sans interprĂ©tation par un expert, il y a un risque qu’elle ne mène pas aux bonnes conclusions, voire qu’elle mène Ă de mauvaises conclusions, estime Jonathan Hak. L’analyse et l’interprĂ©tation de l’expert aideront Ă comprendre l’incidence d’aspects techniques et pratiques comme les prises de vues multiples, les images/seconde, le format, la compression, le suivi de personnes, de vĂ©hicules ou d’objets, et la synchronisation entre l’audio et les images vidĂ©o. »
« Dans R. c. Nikolovski, la Cour suprĂŞme du Canada a reconnu et sanctionnĂ© l’analyse d’une preuve vidĂ©o image par image, acceptant clairement que la simple projection d’une vidĂ©o de surveillance ne permet pas de tirer tout le parti possible d’une telle preuve, ajoute-t-il. Un expert possĂ©dant la formation et la compĂ©tence voulues aura passĂ© de nombreuses heures Ă examiner la preuve vidĂ©o et peut aider le juge des faits Ă saisir non seulement la globalitĂ© des Ă©vĂ©nements en cause, mais aussi les dĂ©tails qui seraient autrement nĂ©gligĂ©s ou mal compris. »
The bottom line
La preuve vidéo est comme de la nitroglycérine. Utilisée convenablement, elle peut démolir les arguments de la partie adverse. Sinon, elle peut vous exploser au visage.
C’est pourquoi, ceux qui prĂ©sentent une preuve vidĂ©o doivent faire preuve d’une prudence extrĂŞme. En mĂŞme temps, ceux qui veulent s’opposer Ă une telle preuve doivent s’y prendre mĂ©ticuleusement parce qu’il y a des moyens de contester lĂ©gitimement une preuve vidĂ©o au motif qu’elle n’est pas pertinente, pas exacte, pas Ă©quitable, pas authentifiĂ©e ou prĂ©judiciable et donc qu’elle doit ĂŞtre rejetĂ©e.
James Careless est un rédacteur pigiste.