Aperçu et résumé
Les sinistres dits de « longue durée », c’est-à-dire les sinistres pour lesquels les dommages allégués s’étendent sur plusieurs années, posent divers problèmes de couverture aux assureurs et aux assurés.
Le 27 février 2024, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa décision dans l’affaire Loblaw Companies Limited v. Royal & Sun Alliance Insurance Company of Canada, 2024 ONCA 145 (CanLII) (« Loblaw »), où elle a tenté de clarifier certains des problèmes importants de couverture qui surviennent avec ces types de réclamations.
La décision découle de divers recours collectifs liés aux opioïdes au Canada. Les assurés ont recherché une couverture pour la défense des recours collectifs auprès de leurs différents assureurs de responsabilité civile, sur plusieurs années. Les questions en appel étaient les suivantes : l’approche de « toutes les sommes » adoptée par le juge de première instance était-elle préférée à l’approche fondée sur la répartition au prorata de la période de couverture préconisée par les assureurs, l’application des rétentions autoassurées (SIR) à plusieurs assureurs, les frais de défense engagés au préalable et un accord de communication de la défense. En bref, la Cour d’appel a rejeté l’approche de « toutes les sommes », a approuvé une approche fondée sur la répartition au prorata de la période de couverture, a statué que les SIR devaient être épuisées avant que les obligations de défense de chaque assureur ne commencent, a appliqué les frais de défense engagés au préalable aux SIR et a approuvé, mais n’a pas exigé un accord de communication de la défense.
Une grande partie du raisonnement de la Cour d’appel repose sur le fait que plusieurs assureurs sur plusieurs périodes d’assurance n’avaient pas d’obligations de couverture concurrentes comme le feraient plusieurs assureurs qui se chevauchent sur une même période d’assurance. À ce titre, la Cour a différencié les concepts de contribution équitable et de répartition équitable au prorata de la période de couverture du temps consacré aux risques.
Les assureurs et les assurés devraient examiner attentivement la décision Loblaw, car elle aborde non seulement ces questions, mais également un certain nombre de questions relatives à la couverture qui sont souvent vivement contestées. Il est fortement recommandé de faire appel à un avocat spécialisé en assurance lors de l’analyse de ces questions, car elles dépendent souvent des termes des polices applicables et de l’analyse d’un ensemble de jurisprudence complexe.
Contexte
La décision fait suite aux diverses actions collectives canadiennes liées à la fabrication, à la distribution et à la vente de médicaments opioïdes au Canada depuis 1996. Les recours collectifs réclament des milliards de dollars en dommages-intérêts. Les périodes pertinentes remontent à l’époque où Purdue Pharma a commencé à vendre l’opioïde connu sous le nom « OxyContin ». Il existe cinq recours collectifs : deux en Colombie-Britannique, une en Ontario, une au Québec et une en Alberta.
Les défenderesses dans les recours collectifs en cause étaient Loblaw Companies Limited (« Loblaw »), Shoppers Drug Mart Inc. (« SDM ») et Sanis Health Inc. (« Sanis »). Loblaw a acquis SDM en 2014. SDM est propriétaire de Sanis depuis 2009. Loblaw, SDM et Sanis ont déposé des demandes de couverture auprès de leurs divers assureurs de responsabilité principale et excédentaire. Le juge de première instance a décidé que les assureurs primaires avaient des obligations concurrentes de défense. Les assureurs ont fait appel de cette décision. Les principales questions en litige concernaient la répartition des coûts de défense entre les assureurs, le traitement des SIR, les frais de défense engagés au préalable et un accord de communication de la défense.
Décision d’appel
Sur la première question, le juge de première instance avait statué que chaque assuré pouvait choisir unilatéralement une seule police pour sa défense. Cet assureur pourrait alors solliciter une contribution équitable des autres assureurs primaires, tout en demandant une réallocation des frais de défense à la fin de la procédure dans la mesure où ceux-ci traitaient uniquement de sinistres non couverts. La Cour d’appel n’était pas d’accord. La Cour a noté que la couverture était limitée pour chaque police à la période d’assurance. Les assureurs n’étaient donc pas concurrents. Ils ont assuré des risques désignés sur des périodes successives. Ils n’ont pas accepté d’indemniser les risques en dehors de ces délais. Ainsi, les principes applicables aux obligations chevauchantes ou concurrentes des assureurs ne s’appliquaient pas. En conséquence, l’approche de « toutes les sommes » apparemment adoptée par le juge de première instance, selon laquelle chaque assureur est responsable de la totalité du montant des frais de défense et qu’il appartient à chaque assureur de demander la contribution des autres, a été expressément rejetée par la Cour. En conséquence, une répartition en fonction du risque était la solution la plus équitable, comme convenu par les assureurs eux-mêmes.
Sur la question des SIR, le juge de première instance a conclu qu’aucun assureur n’avait l’obligation de contribuer aux frais de défense jusqu’à ce que ses SIR soient épuisées. Cependant, le juge de première instance a également jugé qu’une fois les SIR épuisées dans la police d’assurance sélectionnée, toutes les rétentions du genre seraient ainsi épuisées.
La Cour d’appel était en désaccord et a conclu que, puisque Loblaw, SDM et Sanis considéraient chaque police d’assurance pour une couverture pour des périodes de police distinctes, les SIR de chaque police devaient être épuisées avant que cet assureur ait l’obligation de se défendre. Cela ne signifie pas que les SIR de toutes les polices doivent être collectivement épuisées avant que chaque police ne soit déclenchée. Un procès distinct aura lieu pour déterminer si certains des SIR ont déjà été épuisés.
Sur la question des frais de défense engagés au préalable, la Cour a convenu avec AIG et RSA que Loblaw n’avait pas droit à une exonération du défaut d’avis pour les frais engagés avant de fournir un avis des réclamations. Toutefois, ces coûts pourraient être imputés aux SIR. Si ces dernières étaient épuisées avant la soumission des réclamations, Loblaw assumerait ces coûts.
Enfin, sur la question de l’accord de communication de la défense, les assureurs qui n’ont pas souhaité le signer n’étaient pas obligés de le faire. Cependant, ils devaient s’assurer que les examens éthiques appropriés étaient mis en place par les examinateurs des réclamations concernées. La Cour a reporté la question de savoir si les assureurs non-signataires pouvaient recevoir certaines informations privilégiées en matière de défense, pour qu’elle soit traitée au cas par cas. La relation tripartite entre les assureurs, les avocats de la défense et les assurés, ainsi que les risques de conflits d’intérêts sont à l’origine du raisonnement qui sous-tend cette partie de la décision de la Cour. Nous ne commenterons pas davantage cette question, car elle pourrait faire l’objet d’un autre article.
Murray Stieber et Avi Sharabi sont associés chez Stieber Berlach LLP