Il y a près de 16 ans, le 12 mars 2009, le gouvernement canadien a adopté des modifications importantes à la Loi sur la concurrence (la « Loi ») dans le cadre du projet de loi C-10, la Loi d’exécution du budget de 2009 (« projet de loi C-10 »). Les modifications apportées à la Loi sont entrées en vigueur un an plus tard, le 12 mars 2010, et ont transformé les dispositions relatives aux complots de la Loi en créant un « régime à deux volets » – un régime civil1 et un régime criminel.
Les modifications ont créé une infraction de complot criminel « en soi » pour les ententes « injustifiables » en vertu de l’article 45 de la Loi, et ont ainsi criminalisé les complots, accords ou arrangements visant à fixer les prix, à attribuer les ventes ou à limiter la production. Avant les modifications, le critère des effets concurrentiels nécessitait la preuve (i) qu’un accord contesté en vertu de l’article 45 empêchait ou réduisait « indûment » la concurrence et (ii) que les éléments objectif et subjectif de l’intention étaient respectés. Les modifications n’exigeaient pas en théorie la nécessité de prouver les effets anticoncurrentiels sur le marché; mais le fait de ne plus exiger le critère des effets concurrentiels entraînerait « un régime criminel d’application de la loi plus efficace » où il serait plus facile de mettre en place des « formes les plus flagrantes d’ententes injustifiables2 ».
Le nouvel article 45 et son régime en soi ont-ils cependant entraîné une application de la loi plus efficace et un nombre plus élevé de plaidoyers de culpabilité ou de condamnations pour complot criminel comme on le prévoyait? Pas jusqu’à maintenant. L’analyse des condamnations pour complot obtenues depuis 2010 indique que toutes les affaires, à l’exception d’une seule, concernaient un comportement antérieur (en tout ou en partie) au projet de loi C-10, ce qui fait que des accusations ont été portées entièrement en vertu de l’ancien article 45 ou à la fois en vertu de l’ancien et du nouvel article 45. En d’autres termes, les modifications apportées à l’article 45 ont entraîné au plus une seule condamnation en 15 ans. Voici les statistiques :
- Entre janvier 20143 et mars 2025, le Bureau a dévoilé 23 cas d’ententes, qui ont donné lieu à au moins 52 condamnations criminelles. De ce nombre, environ 43 condamnations portaient sur le truquage des offres, visé à l’article 47 de la Loi, et non un complot, visé à l’article 45.
- Sur les autres cas, seul un petit nombre concernaient la fixation des prix ou d’autres complots criminels. Une seule affaire – un complot pour répartir des contrats de rénovation de logements sociaux au Manitoba – concernait un comportement qui avait commencé entièrement après l’adoption du projet de loi C-10, et les accusations ont été déposées entièrement sous le régime du nouvel article 45.
- Dans tous les autres cas de complot, les modifications apportées au projet de loi C-10 étaient entièrement ou essentiellement négligeables, puisqu’une condamnation aurait été obtenue en vertu de l’ancien article 45.
Affaire |
Type d’infraction |
Durée du complot |
Article 45 applicable (c.-à-d. ancien, ancien et nouveau ou nouveau) |
Sanction |
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Fixation des prix |
Du début de 2004 à la fin de 2006 |
Ancien et nouveau |
Amendes cumulatives de 4,124 millions de dollars |
|
Fixation des prix |
2007 |
Ancien |
Amendes de 4 millions de dollars |
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Fixation des prix |
De janvier 2005 à mars 2011 |
Ancien et nouveau |
Amendes de 675 000 $ |
|
Fixation des prix |
De janvier 2005 à mars 2011 |
Ancien et nouveau |
Amendes de 1 million de dollars |
|
Fixation des prix |
2007, 2011 |
Ancien et nouveau |
Amendes de 50 millions de dollars |
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Nippon Yusen Kabushiki Kaisha et Kawasaki Kisen Kaisha, Ltd. |
Autre complot |
2008 |
Ancien |
Amendes cumulatives de 1,96 million de dollars |
Autre complot |
De décembre 2011 à février 2016 |
Nouveau |
Amendes cumulatives de 196 000 $ |
Qu’apprend-on de l’effet du projet de loi C-10 et de ses modifications sur l’article 45? Tout d’abord, le nouvel article 45 n’a pas entraîné plus de condamnations ou d’activités d’application de la loi. Bien qu’il y ait un écart évident entre le moment où le comportement survient et celui où le Bureau obtient une condamnation, une condamnation en vertu du nouvel article 45 en quinze ans ne peut être décrite comme une « augmentation » du nombre de condamnations relatives à celles qui auraient été obtenues même sans le projet de loi C-10. Ensuite, il semblerait que l’ancien article 45 pouvait raisonnablement viser les ententes injustifiables horizontales que le nouvel article 45 a explicitement été conçu pour viser.
Ces observations donnent à penser que le principal avantage à réduire la portée de l’article 45 n’était pas de permettre au Bureau d’obtenir plus de condamnations, mais que les entreprises aient plus de certitude quant à la ligne séparant les comportements légaux et illégaux que ce qui était possible en vertu de l’ancien article 45. Cette situation touche directement l’autre principal facteur sous-tendant les modifications apportées à l’article 45 : soit que l’ancien article 45 a trop dissuadé le comportement proconcurrentiel parce que les entreprises craignaient que leurs accords verticaux ou accords horizontaux non injustifiables puissent néanmoins être considérés comme réduisant indûment la concurrence illégalement en vertu de l’ancien article 45. La question de savoir si un tel avantage s’est réellement matérialisé et a produit des résultats économiques positifs dépasse la portée du présent blogue, mais c’est un sujet intéressant pour discussion et examen futur.
Emrys Davis est un associé et Mercy Liu est une avocate chez Bennett Jones
Notes de fin
1 Les modifications comprenaient également une disposition sur la pratique civile « qui peut faire l’objet d’un examen » en vertu de l’article 90.1 afin d’aborder les accords actuels ou proposés qui ne sont pas « injustifiables » (c’est-à-dire qui ne sont pas des accords visant à fixer les prix, à attribuer les ventes ou à réduire la production), mais qui sont conclus entre deux ou plusieurs concurrents et qui empêchent ou réduisent considérablement la concurrence dans le marché, comme des accords de non-concurrence et des accords de recherche et de développement. La création d’un deuxième « régime » permet d’assujettir les accords non injustifiables en vertu de l’article 90.1 à une analyse et à un examen plus rigoureux afin d’établir leurs effets potentiellement proconcurrentiels ou anticoncurrentiels.
3 Le Bureau ne divulgue pas publiquement et/ou ne donne pas le nom des affaires antérieures au 30 janvier 2014.