Par courriel : yourbudget-votrebudget@fin.gc.ca
Ministère des Finances du Canada
90, rue Elgin
Ottawa (Ontario) K1A 0G5
Objet : Consultation prébudgétaire 2025 – S’assurer que les tribunaux canadiens puissent s’acquitter de leur mandat constitutionnel
Nous vous écrivons au nom du Comité de liaison entre la magistrature des Cours fédérales et le barreau et du Comité de liaison entre la Cour canadienne de l’impôt et le barreau, avec le soutien de la section du droit de l’immigration (les « Comités de liaison et la Section de l’ABC ») en réponse aux consultations prébudgétaires 2025 du gouvernement du Canada.
L’Association du Barreau canadien représente plus de 40 000 juristes, dont des avocats et avocates, des notaires, des professeurs et professeures de droit et des étudiants et étudiantes en droit dans l’ensemble du Canada. Nous avons pour mandat de promouvoir la primauté du droit, d’améliorer l’accès à la justice, de défendre une réforme du droit efficace et de fournir une expertise sur les répercussions des lois sur la vie quotidienne des Canadiens et des Canadiennes.
Nous sommes conscients des pressions financières que subit le Canada et reconnaissons l’engagement du gouvernement à dépenser de façon responsable. Par ailleurs, les tribunaux occupent une place unique dans notre paysage constitutionnel. Contrairement aux autres secteurs du gouvernement, leur mandat n’est pas discrétionnaire : la magistrature doit bénéficier de ressources adéquates pour appliquer et interpréter les lois adoptées par le Parlement. D’excellents tribunaux indépendants et efficaces sont essentiels pour maintenir la confiance du public dans nos institutions et protéger la primauté du droit au Canada.
La présente lettre a pour but de mettre en évidence les contraintes financières auxquelles font face les tribunaux fédéraux du Canada et proposer des solutions collaboratives, que nous résumons à la fin de la lettre.
Pressions systémiques sur la capacité de la Cour fédérale
Le Service administratif des tribunaux judiciaires (SATJ) a exercé ses activités pendant de nombreuses années malgré un sous-financement structurel1. Les ressources à la disposition du SATJ n’ont pas progressé au rythme de la complexité et du volume croissants des travaux des tribunaux fédéraux. Le SATJ gère un déficit ou un écart de financement structurel d’environ 35 millions de dollars, malgré de nombreuses demandes de répit.
Ce sous-financement met à rude épreuve les activités essentielles et, s’il n’est pas corrigé, risque de miner la capacité des tribunaux à s’acquitter de leur mandat de façon efficace et indépendante.
Ces pressions ne se limitent pas au niveau fédéral. Il existe des tendances similaires dans les systèmes judiciaires provinciaux et territoriaux, où les contraintes financières et les défis pour l’infrastructure compromettent l’administration de la justice.
Le législateur continue d’adopter des lois dans des domaines complexes et en évolution, comme l’immigration, la sécurité nationale et la réalisation de grands projets, et il doit s’assurer que les tribunaux bénéficient de ressources adéquates pour remplir leur mandat.
Nous sommes disposés à appuyer cet effort, ayant fait progresser de nombreuses réformes politiques et procédurales afin d’améliorer l’efficacité des tribunaux, notamment grâce à la formulation de recommandations pour diminuer les arriérés de la Cour fédérale2.
Aborder le financement structurel et les pressions opérationnelles
Bien que de récentes réaffectations aient abordé certains des déficits immédiats du SATJ, elles ont également ajouté des risques à long terme pour l’intégrité des programmes et la prestation de services, notamment dans les domaines suivants :
- Risques de cybersécurité : Contrairement aux autres ministères fédéraux, le SATJ ne dispose pas d’un soutien centralisé en cybersécurité et assume l’entière responsabilité de sécuriser son infrastructure numérique. Les tribunaux doivent protéger les renseignements sensibles et veiller à ce que leurs activités ne soient pas interrompues, ce qui nécessite un soutien durable grâce à d’excellentes stratégies en cybersécurité, à des systèmes de TI fiables et à des mesures de protection des données rigoureuses (cinquième priorité du mandat).
- Nombre d’affaires en immigration et financement temporaire : Le nombre d’affaires en matière d’immigration commencées devant la Cour fédérale a quadruplé depuis 2020 (passant de 6 424 à 24 667). Toutefois, le financement opérationnel pour appuyer la capacité judiciaire accrue a expiré en 2023 et n’a pas été renouvelé. Sans renouvellement, on prévoit que la Cour instruira environ 400 affaires d’immigration de moins par année – ce qui augmentera considérablement les arriérés et minera l’intégrité des systèmes d’immigration et frontaliers du Canada. Comme l’a indiqué la Section du droit de l’immigration de l’ABC dans un mémoire de 2025 intitulée, « Droit, technologie et responsabilisation : Repenser l’immigration canadienne pour le 21e siècle3 », les arriérés persistants et les retards continuent d’affecter presque tous les volets d’immigration, les demandeurs devant souvent attendre des mois ou des années, ce qui peut entraîner une perte d’emploi, la séparation familiale ou l’incapacité d’accéder aux services essentiels. La capacité réduite de la Cour fédérale aggrave ces retards systémiques, ce qui crée de nouveaux goulots d’étranglement judiciaires. Un investissement durable ferait avancer les deuxième, troisième, cinquième et sixième priorités du mandat du gouvernement parce qu’il permettrait d’assurer des prises de décisions judiciaires opportunes et essentielles pour l’intégrité de la frontière, la crédibilité du système d’immigration du Canada ainsi que les objectifs globaux du pays en matière de sécurité et de souveraineté.
- Traduction : La nature temporaire du financement requis par la Loi sur les langues officielles représente également un risque alors qu’il ne reste que deux ans de financement. Sans un financement durable, adapté aux exigences changeantes imposées aux tribunaux, l’arriéré de 2 400 décisions attendant d’être traduites (en juin 2025) continuera de croître à moins que des mesures soient prises pour réduire les retards de traduction.
Recommandation :
- Finance Canada devrait examiner minutieusement les besoins d’investissement dans la capacité essentielle du SATJ dans ces domaines.
Une partie importante des arriérés de la cour peut être attribuée à des politiques ministérielles qui ont des conséquences imprévues pour le système de justice. Par exemple, la pratique d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada de taire les motifs de certaines décisions a amené des milliers de demandeurs à se tourner vers la Cour fédérale pour comprendre pourquoi leur demande avait été rejetée. Cette inefficacité met à rude épreuve la capacité limitée de la Cour et mine l’accès à la justice4.
Recommandation :
- Pour 2025 ou le prochain cycle budgétaire, les Comités de liaison et la Section de l’ABC offrent d’entamer des discussions sur la demande d’un examen indépendant qui cernerait les politiques ministérielles, dans le domaine de l’immigration, mais sans nécessairement s’y limiter, lesquelles risquent de créer des pressions imprévues sur les tribunaux fédéraux, et qui quantifierait leur effet cumulatif sur la capacité judiciaire. Cet examen permettrait de formuler des recommandations fondées sur des éléments probants pour des réformes politiques ciblées afin de réduire les exigences évitables sur la magistrature, tout en établissant le fondement d’un cadre de financement durable et pluriannuel pour les tribunaux fédéraux du Canada dans les cycles budgétaires futurs.
Résumé des recommandations
Les investissements dans les infrastructures des tribunaux appuient directement les priorités du gouvernement, dont la transformation économique, le gouvernement numérique ainsi que la souveraineté et la sécurité nationales. Les tribunaux sont essentiels au fonctionnement du gouvernement et à une société économiquement prospère et fondée sur des règles.
Nous invitons le gouvernement à faire ce qui suit :
- Tenir compte des besoins des tribunaux fédéraux en ce qui concerne leur capacité essentielle pour ce qui est de :
- l’infrastructure de cybersécurité et le soutien dans ce domaine (cinquième priorité du mandat);
- les activités relatives aux nombres d’affaires en immigration (deuxième, troisième, cinquième et sixième priorités du mandat);
- le financement durable des services de traduction en vertu de la Loi sur les langues officielles (septième priorité du mandat).
- Collaborer avec l’ABC afin de :
- demander un examen indépendant qui cernerait les politiques ministérielles, en particulier dans le domaine de l’immigration, et décrirait comment elles créent des pressions imprévues sur les tribunaux fédéraux, accompagné de recommandations fondées sur des éléments probants pour des réformes politiques (septième priorité du mandat);
- créer un processus politiquement indépendant pour mettre en œuvre un financement stable et pluriannuel pour le SATJ qui tient compte du mandat constitutionnel des tribunaux et suit le rythme de la complexité du nombre d’affaires croissant (deuxième et septième priorités du mandat).
Nous serons heureux de collaborer avec vous et votre ministère pour soutenir la force et l’efficacité du système judiciaire fédéral du Canada.
Cordialement,
(lettre originale signée par Yves Faguy au nom de Jordana Sanft, Marie-France Dompierre et Kamaljit Kaur Lehal)
Jordana Sanft
Présidente, Comité de liaison entre la magistrature des Cours fédérales et le barreau
Marie-France Dompierre
Présidente, Comité de liaison entre la Cour canadienne de l’impôt et le barreau
Kamaljit Kaur Lehal
Présidente, Section du droit de l’immigration de l’ABC
Notes de fin
1 Le SATJ appuie la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada et la Cour canadienne de l’impôt.
2 Association du Barreau canadien, Droit, technologie et responsabilisation : Repenser l’immigration canadienne pour le 21e siècle, Ottawa, ABC, 2024, aux p. 61 et 62. Consulter en ligne.