Trahi-cruellement

Chère Advy,

J’ai récemment accepté un poste au sein d’un nouveau cabinet dans un nouveau domaine de pratique. Avant la transition, j’ai dû me défaire des clients à qui je ne pouvais plus offrir mes services au sein de mon nouveau cabinet. Au cours de ce processus, plusieurs juristes de ma région, et même de mon ancien cabinet, ont voulu ternir ma réputation et discréditer mon travail auprès de mes anciens clients, ce qui m’a surpris et laissé une sensation de trahison. Jusqu’alors, je croyais jouir d’une solide réputation. J’ai entendu d’autres juristes dire qu’ils avaient vécu la même expérience lors d’un changement de carrière, alors je suppose que je suis en bonne compagnie. Cependant, cela m’a quand même fait mal mentalement et professionnellement. Comment puis-je surmonter ce sentiment de trahison?

Sincèrement,
Trahi-cruellement

Cher Trahi-cruellement,

Dans Jules César, Shakespeare décrit à la perfection la douleur que l’on ressent lorsqu’un ami nous fait du mal, affirmant qu’il s’agit de la blessure « la plus cruelle de toutes » et que l’ingratitude est « plus forte que les bras des traîtres ». La médisance à votre sujet est éprouvante, et cela fait encore plus mal lorsqu’il s’agit d’une personne que vous avez considérée comme un collègue de confiance, ou même comme un ami. Il est compréhensible que vous vous sentiez trahi. Vous pouvez obtenir de l’aide professionnelle en communiquant avec le Programme d’aide aux juristes de votre région. Il peut être très utile de parler de ce que vous avez vécu avec quelqu’un.

En attendant, voici quelques points à considérer :

1. Pourquoi avez-vous eu vent de cela? Ces médisances vous sont parvenues d’une manière ou d’une autre. Ce sont peut-être d’anciens clients que vous avez aiguillés vers quelqu’un d’autre qui vous ont rapporté de telles choses. Il s’agit peut-être d’autres juristes qui ont par hasard entendu cela et qui vous en ont fait part. Tenez compte de la source et surtout de la raison pour laquelle cette source vous passe le message. Il est plutôt rare que quelqu’un vous rapporte quelque chose de mauvais parce qu’il est d’accord avec ce qui est dit à votre sujet. Habituellement, si quelqu’un porte de tels commentaires à votre attention, c’est parce qu’ils ne correspondent pas à la façon dont cette personne vous perçoit. Pensez à la dernière fois où vous êtes allé voir quelqu’un qui, selon vous, est une nouille pour lui demander : « Hé, savais-tu que certaines personnes pensent que tu es une nouille? » Vous avez de la difficulté à repérer un exemple? C’est probablement parce que vous ne l’avez jamais fait. Vous ne poseriez cette question que si elle ne correspondait pas à l’opinion que vous vous faites de la personne concernée.
2. Il est presque certain que les juristes qui ont pris en charge les dossiers des clients que vous leur avez envoyés ont des idées sur la façon de gérer la question qui diffèrent de ce que vous pensiez être les meilleures solutions. Les juristes ont leurs opinions sur les meilleures stratégies et approches à adopter pour résoudre un problème juridique. Mettez deux juristes dans une salle pour discuter d’un problème juridique et vous finirez probablement par avoir trois opinions ou plus sur la meilleure façon de procéder. Ce désaccord est le produit de la pensée originale. Cette diversité de points de vue est également inestimable. Il se peut qu’elle semble relever de l’attaque personnelle, oui. Mais, si je devais deviner ce que pensaient ces juristes, je crois qu’ils affirmeraient avoir une idée différente de la meilleure façon de faire. Ce n’est pas étonnant. Il n’est pas non plus surprenant qu’au moment où ce message vous est parvenu, il soit devenu un désordre blessant et confus qui ne ressemblait en rien au sentiment exprimé à l’origine. Certains d’entre nous sont plus diplomates que d’autres. Parfois, lorsque nous voulons exprimer notre divergence d’opinions par rapport à une pensée stratégique ou juridique, nous pouvons être plus incisifs ou plus offensants que nous le souhaitons. C’est le résultat de notre passion pour notre travail et pour nos opinions.
3. Une attaque personnelle ad hominem a-t-elle un effet sur la prestation de bons conseils à un client? Non. Cela correspond à une version polie et licite des railleries de cour d’école que vous avez entendues quand vous étiez enfant, qui commençaient généralement par « Ta mère… ». C’est blessant, en effet, mais la personne qui profère l’insulte est celle qui s’en ressent le plus. Si des juristes disent vraiment des choses négatives à votre sujet, cela ternira leur réputation, pas la vôtre. S’ils le font, c’est probablement en raison de leurs insécurités. Ils ont un nouveau client et ils doivent avoir l’air plus compétents, voire plus habiles que ce que le client avait auparavant. La façon la plus simple de démontrer ses compétences ne consiste pas à prouver son excellence, mais à abaisser la barre en vous dénigrant pour vous surpasser selon leurs propres normes, ou encore selon celles de leur client. Une chose dont vous pouvez normalement être sûr, c’est que certains juristes ont l’habitude d’agir dans leur propre intérêt. Combien d’entre eux veulent vraiment dire des choses aussi ridicules devant leurs clients? Probablement aucun d’entre eux.
4. Vous avez sans doute de bonnes raisons de croire que vous avez bonne réputation. Vous vous êtes probablement forgé cette réputation à coup de réussites et de commentaires positifs sur vos compétences qu’ont faits des clients, des collègues, des juges et d’autres personnes. Comme tout bon juriste, vous vous êtes appuyé sur des preuves directes pour en venir à cette conclusion. Examinez à nouveau ces preuves. Réfléchissez aux moments où vous avez bien fait. Sans vouloir vous déclarer le meilleur juriste de tous les temps, les rumeurs que vous avez entendues ne sont que des ouï-dire. Traitez-les ainsi. Le juge de votre for intérieur qui préside l’audience de votre réputation devrait soit les exclure, soit leur donner très peu de poids. Ne laissez pas cette preuve de piètre qualité influencer votre décision à votre sujet.
5. Vous n’avez probablement pas fait ce changement de carrière sans raison. J’espère que votre nouveau poste est satisfaisant et enrichissant en ce qui concerne la façon dont vous vous voyez. Concentrez-vous sur votre développement personnel dans votre environnement actuel. Même si une minime proportion de ces rumeurs au sujet de la façon dont vous avez abordé d’anciens dossiers était vraie, elles n’ont rien à voir avec ce que vous pouvez faire dans votre nouveau poste. Trouvez des façons de savourer le plaisir du travail que vous accomplissez aujourd’hui.
6. Enfin, il y aura toujours des gens insatisfaits de votre travail. Certains clients, collègues et superviseurs ne seront pas toujours ravis de l’évolution de certains dossiers juridiques. C’est parfois difficile à accepter, mais c’est vrai. Ne laissez pas la perception que vous avez de votre propre valeur se colorer par une mauvaise critique occasionnelle. Un des biais avec lequel nous, humains, devons composer s’appellent le « biais de disponibilité cognitive ». Nous avons tendance à accorder beaucoup plus d’importance aux choses qui se démarquent dans notre mémoire parce qu’elles sont inhabituelles ou remarquables. Pourquoi les gens pensent-ils que les crimes violents sont en hausse alors qu’ils sont en baisse depuis des décennies? La principale nouvelle du bulletin d’information est normalement inhabituelle, généralement quelque chose de mauvais ou de bouleversant. Il est plus facile de se rappeler les mauvaises nouvelles en raison de leur caractère extraordinaire. Par conséquent, lorsque nous pensons à l’état dans lequel se trouve le monde, nous avons tendance à nous souvenir de ces mauvaises nouvelles et à oublier les nombreuses interactions qui ne sont pas mémorables, qui représentent la vaste majorité des cas.

Ces mauvaises nouvelles qui vous trottent dans la tête sur votre réputation sont dans la même catégorie. Il est facile de se rappeler la seule fois où quelqu’un s’est dit insatisfait du travail que vous avez fait. Il est tout aussi facile d’oublier les clients qui ont payé leur facture sans objection, ou encore qui sont revenus vous voir avec un nouveau problème ou qui vous ont recommandé à un ami. Vous vous trouvez où vous êtes parce que vous êtes compétent. Ne laissez pas l’actualité occasionnelle un peu moins favorable vous faire oublier cela. Il est facile de s’accrocher aux commentaires négatifs et au mal que d’autres personnes tentent de vous faire.

Malheureusement, ces gens existeront toujours. Souvent, nous pouvons éviter cette négativité en évoluant dans un environnement favorable et stimulant. J’espère que celui où vous commencez à travailler correspond à cette description.

Prenez bien soin de vous.
Advy