Soucieux-de-ma-sécurité

02 juillet 2025

Chère Advy,

Avec la montée du harcèlement en ligne et des menaces contre les juristes et les juges, j’ai commencé à me sentir en danger dans ma pratique, en particulier lorsque je m’occupe d’affaires très médiatisées ou litigieuses. C’est quelque chose dont je ne veux pas avoir à m’inquiéter, mais je viens de plus en plus à reculons au bureau tous les jours. Des suggestions pour un jeune juriste qui craint de surestimer l’importance de la question? Est-ce que je devrais simplement me ressaisir?

Sincèrement,
Soucieux-de-ma-sécurité


Cher Soucieux-de-ma-sécurité,

Tout cela n’est pas le fruit de votre imagination. Par exemple, des juges des États-Unis ont récemment dénoncé une série de menaces graves, crédibles et inquiétantes à leur vie et à celle de leur famille. La pratique du droit dans toutes les administrations est devenue plus vulnérable aux menaces et à la violence au cours des dernières décennies. Il y a toujours eu un danger associé à ce travail, mais l’accès facile aux plateformes en ligne rend les menaces plus répandues et souvent plus effrayantes.

Et, non, je ne vais pas vous dire de vous ressaisir. « Ressaisissez-vous » est l’équivalent de dire à un chômeur « trouvez-vous un emploi ». Ce n’est pas seulement grossier et blessant, mais c’est aussi complètement inutile.

Je ne vais pas non plus essayer de vous prodiguer des conseils de sécurité personnelle, à part vous dire que, si vous pensez être en danger, assurez-vous d’obtenir l’aide dont vous avez besoin et de contacter les autorités compétentes.

Fondamentalement, la question pour laquelle vous m’écrivez découle d’une rumination. Vous pensez et repensez aux risques qui ont fait les manchettes, et vous devez vous imaginer des scénarios qui vous effraient lorsque vient le temps de vous rendre à votre lieu de travail. Le mot « rumination » vient du terme désignant le mode de digestion des bovins et d’autres herbivores, qui remâchent leur nourriture encore et encore. Cette définition vous donne déjà une idée de ce que nous entendons par rumination cognitive. Lorsque nous parlons de l’esprit humain, la rumination désigne « la pensée répétitive ou à l’insistance de sentiments négatifs et de détresse, ainsi que leurs causes et conséquences ».

Maintenant, vous vous dites : « Génial. Je demande de l’aide et on me traite de vache. Ça ne se passe pas comme je l’entendais. »

La psychothérapeute Katie Krimer a écrit un livre très court au langage accessible sur le monologue intérieur dommageable, qui s’intitule Sh*t I Say to Myself (pages 50 et 51). Elle établit une pratique en six points pour gérer la rumination, pratique à laquelle j’emprunte généreusement dans le contenu ci-dessous :

  1. Cernez et étiquetez la pensée en boucle ou la rumination que vous vivez. Certaines personnes recommandent de donner un nom à cette pensée afin de pouvoir l’identifier comme quelque chose qui ne vous représente pas.
  2. Écrivez autant de pensées que vous le pouvez sur ce qui vous vient à l’esprit lorsque cette rumination se produit. Ne vous censurez pas. Vous devez coucher sur papier sans jugement toutes les pensées sensées et ridicules qui vous viennent à l’esprit. Votre commentaire sur le fait de vous ressaisir me fait croire que vous vous jugez peut-être un peu trop parce que vous avez ces pensées. Quoi que nous en disions, le jugement de soi (qui pourrait un jour faire l’objet d’une chronique) est tout à fait inutile pour gérer ce problème.
  3. Réfléchissez à la fonction de la pensée en boucle. Vous ne faites pas cela pour rien. La plupart des soucis sont enracinés dans des pensées qui sont réellement utiles même, si nous en perdons parfois le contrôle.
    1. Essayez-vous de vous protéger de la douleur de l’incertitude en faisant rejouer cette cassette?
    2. Est-ce que vous ruminez cette pensée parce que vous ne voulez pas oublier quelque chose? (Astuce : Prenez note de cette pensée quelque part où vous pourrez la consulter plus tard. Pour plus d’idées à ce sujet, lisez le livre de Daniel Levitan s’intitulant The Organized Mind : Thinking Straight in the Age of Information Overload).
    3. Y a-t-il un problème précis que vous vous employez à résoudre?
    4. Y a-t-il un autre besoin auquel vous répondez?
  4. Acceptez le fait que vous devez vivre dans l’incertitude. J’en aurai plus à dire à ce sujet plus tard.
  5. Occupez votre esprit à quelque chose d’utile. Vos mains, vos yeux et, finalement, votre esprit peuvent vous ramener dans le présent en faisant des choses qui demandent de la concentration. Cela peut être le travail, mais il peut aussi s’agir d’un passe-temps, d’un sport ou de l’apprentissage de quelque chose de nouveau. Penser à autre chose que vos propres angoisses peut s’avérer très utile.
  6. Chaque fois que vous remarquez le retour d’une pensée en boucle, rappelez-vous que vous avez déjà traité ce problème. Si votre nouvelle rumination n’ajoute rien d’utile pour l’élaboration d’un plan concret permettant de gérer cet avenir incertain, prenez les mesures indiquées au point 5 ci-dessus.

La partie la plus difficile de ce processus est d’accepter l’incertitude. Ça demande de la pratique.

Une menace peut être simultanément réelle sans pour autant être un facteur important autour duquel vous devez structurer votre vie quotidienne. Pour l’exprimer de façon négative, ce n’est pas parce que la pratique du droit rime avec des menaces à notre sécurité physique et psychologique que ces menaces sont quelque chose qui doit constamment meubler notre esprit.

Les médias sociaux ont tendance à accroître notre prise de conscience et notre préoccupation face à des risques réels, mais relativement improbables. Dans la logique des médias sociaux, cela a du sens. Quelque chose d’effrayant ou d’atroce tend à générer plus d’attention et d’engagement. Essayez de publier quelque chose sur la faible probabilité qu’un événement traumatique grave se produise et voyez le nombre de réactions que cela entrainera. Selon moi, il y en aura très peu. Rien de tout cela ne vise à minimiser l’importance que ces rares événements ont sur les gens quand ils se produisent. Cependant, il est important pour votre bien-être de comprendre que le risque n’est pas une proposition du type « tout ou rien ». Un risque peut être réel tout en demeurant improbable.

Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire. Les êtres humains ont tendance à penser en termes de « tout ou rien », de « noir ou blanc », et ceux d’entre nous qui souffrent de dépression, d’anxiété ou d’autres troubles psychologiques peuvent être encore plus enclins à adopter cette perception. Comment développer notre capacité à voir et à vivre avec des nuances de gris entre la réalité d’une situation et la probabilité qu’elle se produise?

Il peut être utile de repenser à votre consommation de médias sociaux et de contenu en ligne. Je ne dis pas que vous devez arrêter de lire les fils d’actualités ou autres publications de ce genre. Rappelez-vous, cependant, que ces sites cherchent à vous vendre quelque chose. Dans ce cas, ils utilisent des messages incendiaires sur votre sécurité personnelle afin de retenir votre attention et pendant qu’ils ont votre attention, ils vous montrent des publicités qui assurent la rentabilité de la plateforme de médias sociaux. Si vous voulez vous tenir au courant des nouvelles et que vous pouvez vous permettre un abonnement, envisagez de payer pour vos nouvelles. L’abonnement à un vrai site de nouvelles qui vous facture l’accès peut vous permettre de vous tenir au courant de l’actualité, mais dans un environnement d’information qui ne vise pas autant à attirer votre attention sur des choses qui peuvent vous ébranler.

Envisagez de développer une habitude de la pratique de la pleine conscience qui vous aidera à cerner les pensées dichotomiques et à gérer l’inconfort que l’incertitude peut provoquer. Il y a un groupe international de juristes qui s’aident les uns les autres à faire exactement ce que vous tentez d’accomplir. Votre programme local d’aide aux juristes a probablement aussi une ou plusieurs initiatives dans votre communauté pour vous aider. Il peut aussi vous proposer un conseiller professionnel et souvent un bénévole de soutien par les pairs pour vous aider.

Rappelez-vous que la gestion des pensées anxieuses n’est pas quelque chose que vous faites une seule fois, et qu’il s’agit d’une pratique constante. Ce genre de problème est quelque chose sur lequel vous devrez vous pencher encore et encore. Pour utiliser une analogie, c’est plus comme faire la lessive plutôt que réparer un tuyau cassé dans la salle de bain : c’est quelque chose qui doit être fait régulièrement. Laver, rincer, recommencer.

Prenez bien soin de vous (et restez en sécurité),
Advy