Contre-les-Agressions

09 avril 2025

Chère Advy,

J’ai récemment été témoin d’un comportement vraiment inquiétant d’un associé principal envers l’un des stagiaires de notre cabinet. Les erreurs se produisent et il n’y a aucun moyen de les éviter, mais je ne crois pas que cela justifie de crier, de pousser des jurons ou de menacer quelqu’un qui fait ses premiers pas dans la profession. J’ai essayé de soutenir le stagiaire, mais si j’étais dans sa situation, aucun encouragement ne suffirait à compenser pour pareil abus (appelons ce comportement par son nom). L’associé principal en question n’est pas d’un abord facile et je crains que toute intervention de ma part puisse rendre l’associé plus agressif plutôt que de régler la situation. Je ne sais vraiment pas quoi faire.

Sincèrement,
Contre-les-Agressions


Bonjour Contre-les-Agressions,

Malheureusement, de nombreux juristes chevronnés considèrent la situation que vous décrivez comme une partie normale du processus d’apprentissage des jeunes juristes. Certains cabinets croient que l’évaluation des gens qui sont capables « d’en prendre » fait partie du processus de dotation.

Aucune de ces choses ne justifie les violences. Je ne dis donc pas cela pour défendre le comportement que vous avez observé. Il est utile de comprendre l’état d’esprit de quelqu’un qui adopte ou cautionne ce genre de comportement lorsque vous tentez de le changer.

Le rôle des observateurs est essentiel pour réduire et pour éliminer les agressions. Le comportement des observateurs pendant les incidents d’intimidation peut modérer l’effet de l’intimidation sur la victime et diminuer la probabilité que de telles scènes se produisent à nouveau. En revanche, la présence d’un public apathique – ou pire d’un public qui semble soutenir le comportement d’intimidation – encourage un agresseur à poursuivre et souvent à intensifier sa campagne de terreur. La dynamique de l’intimidation fait qu’il est très difficile pour la victime de l’abus de la contester, mais nous aborderons quelques idées pour le faire ci-dessous.

Les incidents en milieu de travail comme celui que vous décrivez ne sont pas seulement une tragédie pour la victime, bien que cela soit assez grave. Les professionnels du droit qui sont des femmes, des jeunes, des personnes LGBTQ+ ou de membres de groupes qui ont historiquement été victimes de discrimination raciale sont confrontés à des incivilités de façon disproportionnée par rapport aux personnes qui ne font pas partie de ces groupes. Comme il fallait s’y attendre, les personnes qui sont visées par de tels comportements sont plus susceptibles de vouloir quitter leur travail et de laisser tomber complètement la profession. Le résultat est que l’intimidation en milieu de travail annule les efforts visant à diversifier notre profession.

Vous dites craindre que toute intervention de votre part ne provoque la colère de l’associé. C’est une inquiétude raisonnable. Cela est sûrement moins probable que vous le croyez vous-même, car nous surestimons généralement le risque de « retour de bâton » social. Cependant, personne ne peut vous reprocher de vous en inquiéter.

Ce n’est pas facile d’être un brave observateur qui conteste le comportement d’un intimidateur. Une personne qui se livre à des agressions est, possiblement davantage que le contraire, une personne qui détient du pouvoir et qui a un statut élevé, tandis que la victime est généralement une personne avec peu de pouvoir et un statut faible. Comme vous l’avez mentionné, dans votre situation de travail, la victime est un stagiaire alors que l’agresseur est un associé. Il y a un important déséquilibre de pouvoir en jeu. Pour cette raison, il est d’autant plus important que vous et vos collègues fassiez quelque chose pour changer la façon dont les stagiaires (et, vraiment, tout le monde) sont traités dans le cabinet.

Nous, les humains, sommes profondément influencés par le comportement de nos semblables. Dans une entreprise, il est fréquent que nous soyons prêts à nous en remettre aux personnes ayant plus de pouvoir et un statut supérieur. Un autre facteur qui va à l’encontre de l’action positive est que nous sommes souvent surpris par un incident d’incivilité en milieu de travail et que le choc qu’il provoque en nous peut nous paralyser. Votre inclination naturelle sera de ne rien faire, du moins sur le moment. Cela signifie que vous devez travailler dur pour sortir de votre réaction conditionnée, et vous devrez peut-être préparer des stratégies et même répéter votre réaction à l’avance pour réagir de manière appropriée lorsque la situation se présentera à nouveau. Heureusement, l’intervention la plus importante que vous pouvez faire n’est pas celle au moment d’une altercation. Vous pouvez être d’une aide énorme à ce stagiaire en travaillant à l’élimination ou, à tout le moins, à l’atténuation de ces incidents avant qu’ils ne se produisent.

Une grande partie de ce qui carbure le comportement d’intimidation est le consentement apparent et même l’approbation du public de l’intimidateur, soit les observateurs évoqués plus tôt. Cela peut sembler décourageant au début, mais c’est aussi un rappel de l’efficacité de la désapprobation pour désamorcer une situation d’agressions. Nous imaginons souvent devoir prendre des mesures héroïques pour arrêter des violences, mais le simple fait d’exprimer notre désapprobation avec notre langage facial ou corporel peut avoir un effet significatif, surtout si cela encourage les autres personnes du « public » de l’intimidateur à en faire de même. Même si vous n’avez pas la présence d’esprit de dire la brillante réplique que vous imaginez devoir dire au bon moment, vous pouvez toujours exercer une influence en fronçant les sourcils, en croisant les bras, en regardant avec incrédulité l’associé agressif ou en ayant d’autres réactions de cette nature.

En passant, je n’essaie pas de vous décourager de vous exprimer. Le problème est que nous nous persuadons souvent que, si nous ne trouvons pas le courage ou le sang-froid d’agir adéquatement au moment où une situation d’intimidation se produit, nous ne pouvons rien faire. Ne laissez pas la croyance que votre réaction doit être « parfaite » entraver la façon de faire quelque chose pour aider. Vous pouvez commencer avec un détail et construire à partir de là.

Le cabinet peut aider en signalant clairement aux agresseurs du milieu de travail que le défoulement de leurs frustrations sur quelqu’un dans une position plus faible nuira à leur statut au sein du groupe plutôt que d’augmenter leur pouvoir. Ces incidents que vous remarquez semblent probablement sortir de nulle part. Cependant, les accès de colère de l’associé ont des racines non seulement dans l’attitude de cet associé, mais aussi dans le renforcement que celui-ci reçoit pendant ses agressions et par la suite. Une étude sur l’intimidation au sein d’un groupe a révélé que le meilleur indicateur de la possibilité qu’un acte d’intimidation se produise est de savoir si les membres du groupe croient que la personne ayant le statut le plus élevé du groupe l’approuverait. Les gens plaisantent-ils et prennent-ils ces incidents à la légère? Expliquent-ils les incidents comme un effet secondaire de l’engagement de cet associé envers l’excellence? Parlent-ils de ces incidents comme d’une sorte de rite de passage ou d’expérience d’apprentissage? Ces types de justifications peuvent être des moyens compréhensibles pour les collègues de faire face à ce dont ils sont témoins, mais ils alimentent la tendance de cet associé à agresser de jeunes juristes. Le plus tôt ces comportements arrêteront, le plus tôt le cabinet pourra renverser cette dynamique afin que l’associé réalise le coût de ces accès de colère, et le plus tôt ces situations cesseront de se produire.

Ce changement à la culture du cabinet peut commencer avec vous. Discutez de vos préoccupations avec vos collègues. Lorsque les gens prennent les comportements abusifs à la légère, profitez-en pour exprimer votre désaccord. Envisagez d’officialiser une formation sur les principes du cabinet. Même si cet associé n’est pas officiellement responsable des stagiaires, l’élaboration d’un programme de formation officiel envoie le message qu’il y a un certain niveau de conduite qui est attendu des personnes ayant la responsabilité de former de nouveaux juristes.

Si vous devez donner à vos collègues une raison de travailler pour mettre fin aux agressions, n’oubliez pas que cet associé n’adopte pas seulement un comportement qui est offensant. Cela constitue probablement une violation de ses obligations déontologiques. Le Code type de déontologie de la Fédération des ordres professionnels de juristes, que de nombreux territoires de compétence ont repris, interdit explicitement le comportement que vous décrivez de cet associé. Consultez le Code type et jetez aussi un coup d’œil au code de votre propre territoire de compétence.

Vous m’avez peut-être écrit en espérant obtenir des conseils que vous pourriez donner au stagiaire qui a été victime de la situation que vous décrivez. Bien que ce que vous faites et ce que le cabinet fait soient plus susceptibles de s’attaquer à la base du problème, voici quelques idées de ce que le stagiaire pourrait lui aussi faire :

  • Comme le suggère la disposition du Code, ce genre de comportement n’est pas la norme. Il serait très utile pour ce stagiaire de savoir que c’est le comportement de l’associé qui est aberrant, pas le sien. Il peut être très utile de se souvenir de cela.
  • Le stagiaire devrait chercher d’autres mentors et d’autres personnes avec qui travailler dans le cabinet. Il peut craindre que le refus de travailler avec l’associé problématique nuise à ses perspectives d’obtenir un emploi au cabinet. Dans une certaine mesure, cette crainte peut être fondée. Vous connaissez sans doute mieux que moi le fonctionnement de votre cabinet quand il s’agit de fidélisation des employés. Mon point de vue extérieur est que, si la « capacité de travailler avec un tyran agressif dans le bureau situé au fond du couloir » fait partie de la liste de contrôle du cabinet au moment de prendre la décision de garder ou non un employé, cela expose non seulement votre cabinet à des réclamations potentielles d’employés qui remettent leur démission, mais prive aussi votre cabinet de recrues de talent. La santé à long terme de votre cabinet (sans tenir compte des questions d’équité) dépend de la résolution des problèmes connexes à la conduite de cet associé. Ainsi, bien que le stagiaire puisse chercher d’autres mentors avec qui travailler, vous et vos collègues devez travailler sur la réaction du cabinet.
  • Il serait bien que le stagiaire dise à l’associé quelque chose comme « je ne peux pas collaborer avec vous si vous me parlez de cette façon » ou « je veux vraiment apprendre, mais cela ne fonctionne pas ». C’est évidemment plus facile à dire qu’à faire lorsque vous êtes un stagiaire qui s’adresse à un associé. Si vous et le cabinet apportez le genre d’aide discutée ci-dessus, le stagiaire pourrait éventuellement se trouver dans une position où il lui est possible de parler ainsi.
  • La façon de traiter les incivilités est malheureusement une compétence qui doit être apprise. Certains collègues font preuve d’incivilité, mais c’est aussi le cas de certains juristes, juges et clients. Bien que cela n’excuse pas le comportement, il s’agit d’une occasion d’acquérir de nouvelles compétences. Une partie de ce qui est décrit ci-dessus est une façon de réagir aux incivilités en général. Encouragez le stagiaire à demander à ses pairs des idées sur la façon de gérer les incidents d’incivilité en général. Il peut y avoir des stratégies qui fonctionnent bien dans le contexte de ce cabinet, soit pour sortir d’une situation de violence ou au moins pour s’en remettre a posteriori. Une mise en garde concernant le fait de se fier aux stratégies d’adaptation des pairs est que celles-ci peuvent souvent impliquer la consommation d’alcool ou d’autres substances. Bien que l’automédication puisse sembler efficace à court terme, cette voie aggravera le problème plutôt que de l’améliorer à long terme.

La chose la plus importante que vous pouvez dire au stagiaire est que ce n’est pas une situation de laquelle il doit se sortir seul. L’isolement rend plus difficile le traitement de l’intimidation. Si le stagiaire ne semble pas avoir un réseau de soutien, cherchez des moyens de briser l’isolement qu’il ressent probablement. Ce sentiment encourage les comportements d’intimidation parce que l’agresseur détecte souvent la plus grande vulnérabilité de la victime. Un groupe de soutien n’a pas à se concentrer directement sur la lutte contre les agressions. Le simple fait de démontrer à ce stagiaire qu’il a des amis dans le cabinet ou dans la profession en général peut aider à en atténuer les effets.

N’oubliez pas que le programme d’aide aux juristes de votre territoire de compétence offre du soutien psychologique gratuit aux stagiaires. Il peut aussi y avoir un programme de soutien par les pairs. Le stagiaire peut ne pas savoir ce qui est à sa disposition ou peut être réticent à recourir à ces aides de peur d’être étiqueté négativement. La stigmatisation liée à des problèmes de santé mentale peut aggraver les dommages que la violence elle-même cause. Faites de votre mieux pour briser la stigmatisation liée à la recherche d’aide dans votre organisation en parlant ouvertement de ce que vous faites pour prendre soin de votre propre santé mentale.

De nombreux programmes d’aide aux juristes donnent des tasses, des stylos et d’autres articles que vous pouvez laisser au bureau. Ceux-ci donnent non seulement des informations sur la façon d’entrer en contact avec le programme, mais ils aident aussi à briser la barrière invisible de la stigmatisation. Si votre organisme d’aide aux juristes offre ce genre d’articles, trouvez un moyen d’en laisser traîner dans le bureau à des endroits où le stagiaire pourrait les voir. Il est moins étrange d’appeler une ligne d’assistance d’un numéro vu sur une tasse du bureau que de prendre la peine de chercher la page Web de l’organisme.

Plus nous normalisons notre demande d’aide, plus les gens autour de nous prendront la mesure courageuse d’y recourir eux-mêmes. Merci de faire ce que vous avez fait jusqu’à présent pour ce stagiaire et d’avoir écrit votre lettre.

Prenez bien soin de vous,
Advy