Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (UCCA-SACC-CSN) c. Procureure générale du Canada, 2018 QCCS 2539
Le 6 juin 2018, monsieur le juge Davis, de la Cour supérieure du Québec, a rendu une décision concernant la possibilité de négocier les modalités des prestations de retraite dans le cadre du régime applicable à la fonction publique du Canada. Le Syndicat des agents correctionnels du Canada souhaitait négocier certains aspects de ses régimes de retraite malgré l’interdiction de ce genre d’activité que semblait dresser la législation.
C’est l’article 113 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (LRTPF) qui prescrit, dans les termes suivants, le processus de négociation pour ce secteur.
La convention collective qui régit une unité de négociation qui n’est pas définie à l’article 238.14 ne peut pas avoir pour effet direct ou indirect de modifier, de supprimer ou d’établir :
- une condition d’emploi de manière que cela nécessiterait l’adoption ou la modification d’une loi fédérale, exception faite des lois affectant les crédits nécessaires à son application;
- une condition d’emploi qui a été ou pourrait être établie sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, la Loi sur la pension de la fonction publique ou la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État.
Le syndicat appuie sa contestation sur l’argument selon lequel cet article est inconstitutionnel et entrave la liberté d’association de ses membres, argument auquel s’oppose la Procureure générale du Canada. Sauf lorsqu’une exemption est prévue, le Conseil du Trésor du Canada est l’employeur des fonctionnaires et ses pouvoirs sont inscrits dans la Loi sur la gestion des finances publiques.
Il va sans dire que dans le contexte canadien, le droit à la négociation collective n’est pas un droit absolu et la législation doit entraver considérablement ce droit pour qu’un tribunal reconnaisse cette violation. La preuve produite par le syndicat vise à établir la haute importance de la négociation des prestations de retraite pour le syndicat et ses membres, et le fait qu’ils ont demandé de négocier leurs prestations depuis 2002.
En ce qui concerne les prestations de retraite, la LRTPF prévoit la création d’un comité consultatif et la Cour reconnaît que la consultation effectuée sous les auspices de ce comité a débouché sur un certain nombre de modifications des régimes de retraite au fil des ans, plus précisément celui qui vise les agents correctionnels. Toutefois, elle n’a pas pu conclure que ces consultations ou modifications sont le fruit d’un processus de négociation collective étant donné que lesdites consultations étaient entièrement ad hoc et ne découlaient que de la décision de l’employeur de les organiser. Il n’existe aucune garantie que ces consultations se poursuivront lors des prochaines séries de négociations. Qui plus est, le processus existant ne pouvait pas permettre aux membres du syndicat de négocier certaines conditions de travail très importantes à leurs yeux et, ce qui importe davantage, aucun mécanisme de ce genre n’a été établi pour prévoir un mécanisme de règlement des différends en dernier ressort et sans appel (ni aucun processus de médiation). Selon la Cour, une procédure de griefs qui prévoit un règlement final d’un litige portant sur les conditions de travail est un élément essentiel d’une entente découlant d’une négociation collective et, par conséquent, du processus même de négociation collective. La Cour a par conséquent conclu que l’interdiction de négociation sur les questions connexes aux prestations de retraite entrave la liberté d’association garantie aux membres du syndicat par la Charte canadienne des droits et libertés.
La Cour a ensuite effectué une analyse de l’article 1 de la Charte. Elle a conclu que l’argument du gouvernement selon lequel l’uniformité des régimes de retraite des fonctionnaires relève de l’intérêt national n’avait pas été prouvé et que l’atteinte n’était pas minimale. La réalité de l’uniformité des dispositions des régimes de retraite se réduit comme une peau de chagrin au fil des ans et si des négociations étaient autorisées, leur portée ne serait toujours pas absolue.
La Cour a également conclu que l’alinéa b) de l’article 113 de la LRTPF va au-delà de la stricte nécessité de protéger les éléments dont le gouvernement estime qu’ils ne devraient pas être négociables et que le gouvernement n’a pas établi que l’interdiction est justifiée aux termes de l’article 1 de la Charte. La Cour a ordonné que la mise en œuvre de la décision soit suspendue pendant une période de 12 mois à partir du 6 juin 2018.
Sonia Massicotte est juriste-conseil dans le cabinet PBI Actuarial Consultants Ltd.