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Les organismes de bienfaisance doivent respecter leurs propres règlements

24 mai 2024

Une société agricole qui était bénéficiaire d’une succession a mis fin à l’adhésion d’une administratrice en raison d’un conflit d’intérêts apparent lorsque des membres de sa famille ont vendu des biens de la succession en question. L’administratrice a toutefois intenté une action en justice et a obtenu le rétablissement de son adhésion. Dans l’affaire Dillon v Carp Agricultural Society, publiée le 28 mars 2024, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que l’intimée, Carp Agricultural Society (« CAS »), avait violé les règles de justice naturelle dans la manière dont elle enquêtait et a annulé sa décision de révoquer l’adhésion de la demanderesse. CAS, un organisme de bienfaisance enregistré, avait conclu que la demanderesse, Mme Laurie Dillon, avait manqué à ses obligations fiduciaires en tant qu’administratrice parce qu’elle se trouvait en conflit d’intérêts relativement à la vente des biens de la succession. La Cour a décidé que le conseil d’administration de la CAS avait commis une erreur dans sa décision et a réintégré la demanderesse comme membre de la CAS en vertu de l’article 191 de la Loi sur les organisations sans but lucratif de l’Ontario (la « LOSBLO »), qui donne à la Cour la compétence et l’autorité pour rendre des ordonnances de conformité et, dans ces circonstances, a permis à la Cour de déterminer si la demanderesse était « lésée » par le processus qui a mené à la révocation de son adhésion.

La demanderesse et son mari, Tim Dillon, sont tous deux agents immobiliers à Ottawa. La demanderesse a appris à la fin de 2020 que la CAS était bénéficiaire à 75 % d’une succession, qui comprenait principalement la maison du testateur décédé. Le testateur avait promis à son voisin, Taylor White, le droit de premier refus sur sa maison après son décès au prix demandé de 300 000 $. M. White a refusé d’acheter la maison parce qu’il pensait qu’elle ne valait que 240 000 $. La liquidatrice de la succession, Margaret Blair, était la voisine de la demanderesse et a demandé conseil à M. Dillon sur la valeur de la maison. Il a suggéré une valeur d’environ 310 000 $, mais a également souligné que la seule façon de confirmer le prix serait de la mettre sur le marché, ce que Mme Blair n’a pas fait. Le père de la demanderesse, Bruce Baird, a fini par acheter la maison pour 300 000 $, tout en insistant pour que M. Dillon reçoive une commission. M. Baird a ensuite vendu la propriété en 2021 pour 500 000 $. Ni la demanderesse, ni son mari, ni la maison de courtage immobilier pour laquelle ils travaillaient, dont la mère de la demanderesse est propriétaire, n’ont touché de commission lorsqu’ils ont représenté M. Baird dans le cadre de la vente de 500 000 $.

En juin 2021, la demanderesse a assisté à une réunion au bureau de la CAS et a apporté des documents à l’appui de son affirmation selon laquelle elle n’avait été impliquée dans aucune des transactions concernant la vente de la propriété successorale. En août 2021, la CAS a formé un comité exécutif pour enquêter sur la vente de la propriété, laquelle enquête fut finalisée en novembre 2021, concluant que la demanderesse avait manqué à ses obligations fiduciaires, était en conflit d’intérêts et avait violé les statuts, les politiques et les procédures de la CAS. La CAS a conclu que des mesures disciplinaires étaient justifiées puisque la demanderesse n’avait pas divulgué un conflit d’intérêts et que son mari avait reçu une commission sur la vente de la propriété que le père de la demanderesse avait vendue à profit. Même si le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de la CAS ne mentionnait pas les conclusions de l’enquête, il indiquait que le conseil d’administration avait demandé la démission de la demanderesse en tant qu’administratrice, sous peine de révocation de son adhésion.

La demanderesse a refusé de démissionner, a fait appel de la décision de révocation et a demandé qu’on lui donne la possibilité de plaider sa cause en personne devant les membres du conseil d’administration. La CAS a rouvert l’enquête en janvier 2022 et a posé une série de questions par écrit à la demanderesse, qui a soumis des documents supplémentaires en mars 2022 pour étayer son appel. Toutefois, en avril 2022, la CAS a maintenu et communiqué sa décision initiale dans une lettre. La Cour a observé qu’aucune explication ni information sur les conclusions sur lesquelles reposait cette décision n’ont été fournies.

Dans son analyse, la Cour a cité les statuts et la politique disciplinaire de la CAS, estimant que le conseil d’administration de la CAS avait mal géré le processus dès la première réunion lorsque les questions de succession avaient été portées à son attention et n’avait pas respecté ses propres statuts et règlements. La Cour a conclu que le processus suivi par le comité exécutif et les raisons qu’il a fournies n’ont pas permis une analyse significative pour déterminer si la politique disciplinaire des statuts de la CAS avait été respectée, que ce soit dans ses phases d’enquête ou de décision. Même si les conseils d’administration des organismes sans but lucratif, comme la CAS, ne sont pas tenus de respecter une norme de perfection et devraient faire l’objet de déférence, la Cour a déclaré que le conseil d’administration de la CAS a suivi un processus fondamentalement entaché d’irrégularités et n’a pas respecté ses propres statuts. Le conseil d’administration n’a pas non plus suivi un processus juste et raisonnable, comme l’exige l’article 51 de la LOSBLO.

En ce qui concerne l’allégation de conflit d’intérêts de la CAS, il n’y a eu aucun contrat ou transaction important en lien avec le conseil d’administration de la CAS et donc aucun conflit d’intérêts ne devait être déclaré. La notion de conflit d’intérêts a été mal interprétée par la CAS puisque l’organisme de bienfaisance n’était qu’un bénéficiaire et n’avait droit qu’à ce qui avait été légué dans le testament; il n’y a eu aucune transaction devant le conseil d’administration de la CAS qui nécessitait un vote de quelque nature que ce soit. Enfin, la Cour a statué que la demanderesse n’avait pas manqué à ses obligations fiduciaires parce qu’elle n’avait pas personnellement profité de celles-ci ni fait passer ses propres intérêts avant ceux de la CAS, qui, selon la Cour, n’a pas subi de préjudice du fait que le mari de la demanderesse fournissait des services immobiliers à la succession. La Cour a déclaré que le paiement de la commission ne découle pas des obligations fiduciaires de la demanderesse. Quant au statut de la demanderesse en tant qu’administratrice ou dirigeante, la Cour a refusé d’offrir ses commentaires.

Une fois de plus, cette affaire rappelle que les organismes sans but lucratif et les organismes de bienfaisance doivent suivre leurs propres règlements et politiques lorsqu’ils imposent des mesures disciplinaires à leurs membres. S’ils ne le font pas, la Cour peut intervenir et délivrer une ordonnance de conformité. De plus, la décision fournit un sérieux avertissement selon lequel les règles de justice naturelle doivent être respectées pour la discipline des membres corporatifs.


Jennifer M. Leddy est associée chez Carters.