Parlons de l’Enquête nationale FFADA : Partie 2
Katherine : Vous écoutez Juriste branché, présenté par l’Association du Barreau canadien. Bonjour et bienvenue à Juristes branchés. Je suis votre animatrice Katherine Provost. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées étant cruciale aux droits des autochtones, nous recevons une deuxième invitée aujourd'hui pour en parler. Si vous n'avez pas encore eu la chance, je vous invite à télécharger notre premier épisode, qui porte sur l’enquête, et au cours duquel, j’ai eu le plaisir de discuter avec Madame Michèle Audette, commissaire à l’enquête et activiste métisse. Pour récapituler, le rapport fait état des violences persistantes et délibérées contre les droits de la personne et les droits des autochtones, et que les abus qui en découlent sont à l’origine du volume de la violence envers les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA. L’Association du Barreau canadien appuie les principaux objectifs du rapport pour mettre fin à la violence contre les femmes et les filles autochtones et à la discrimination fondée sur le sexe, orientation, pauvreté, origine ethnique et âge. La réponse de l’ABC est disponible dans la description de cet épisode.
Nous recevons aujourd'hui Aimée Craft, avocate autochtone anishnabe métisse, professeure associée à la Faculté de Common Law de l’Université d’Ottawa, et professeure auxiliaire d’études autochtones à l’Université du Manitoba. Maître Craft a servi en tant que directrice de recherche jusqu’au moment de la publication du rapport intérimaire dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et est donc une experte prisée. Elle a été élue une des 25 avocats les plus influents du Canada en 2016, a été présidente de la section du droit autochtone de l’Association du Barreau canadien et est actuellement membre du Barreau des conférenciers de la commission des relations de traités du Manitoba. Bienvenue Maître Craft.
A. Craft : Bonjour.
Katherine : J'aimerais qu’on ouvre aujourd'hui notre discussion sur une revue des fondements de l’enquête qui se devait inclusifs aux valeurs autochtones. En tant qu’experte dans le domaine, de quelle façon le droit autochtone a-t-il été intégré au travail de l’enquête.
A. Craft : Bien je pense que dès le départ c'était une priorité pour les commissaires et l’équipe juridique et l’équipe de recherche, de s’assurer que toutes les traditions juridiques autochtones soient représentées dans la composition des équipes, mais aussi dans la façon que l’enquête allait développer sa théorie et aussi développer ses pistes d’enquête. Alors, à quelques reprises, à plusieurs reprises pendant le travail de l’enquête, l’équipe juridique, l’équipe de recherche et les commissaires se sont rencontrés pour essayer, justement, d’atteindre ces objectifs-là. Alors pour moi, sur l’équipe de recherche que je dirigeais, j’avais des gens qui provenaient de différentes Premières nations, qui représentaient aussi les Métis et les Inuits. Et, dans tout ça, on en avait certains qui avaient une formation juridique et d’autres en recherche en sciences sociales. Alors il fallait toujours revenir à cette complémentarité entre les différentes traditions, entre les différents peuples autochtones et ce qui est juridique dans un sens du droit canadien et les traditions des peuples eux-mêmes.
Katherine : Est-ce que c'était facile d’amalgamer ces traditions-là avec quand même un côté légal canadien qui est plutôt strict?
A. Craft : Je ne pense pas que c'est une question de facile ou de pas facile. C'est que ç’a besoin d’être fait. Et il y a évidemment plusieurs défis quand on essaye de marier plusieurs systèmes juridiques un à l’autre, de les travailler en conséquence de l’un et l’autre. Évidemment le cadre dans lequel l’enquête avait été établie, c'est un cadre juridique canadien, mais qui faisait quand même un espace pour les traditions juridiques autochtones. La grande question, je pense, devient la possibilité de mettre œuvre et aussi les questions de traduction entre les différents systèmes juridiques autochtones on a à la fois l’élément substantif et l’élément procédural. Et je pense que là où l’enquête s’est vraiment concentrée au tout début, c'était de s’assurer que les procédures qui se rattachent aux traditions juridiques autochtones pouvaient être observées dans le contexte des audiences. Et ensuite, de penser de façon substantive à qu'est-ce que ça engage, encore plus loin que la procédure elle-même, quels sont les systèmes de valeurs, les principes sur lesquels ont prend des décisions qui devraient informer les conclusions de l’enquête nationale et aussi les recommandations qui seraient émises.
Katherine : Et donc en soi, est-ce que cette intégration vous l'avez trouvée suffisante ou est-ce qu'il y aurait plus d’efforts qui auraient dû être faits?
A. Craft : Moi comme directrice de recherche j’étais là jusqu’ à la publication du rapport intérimaire, ensuite c'est une autre directrice de recherche qui a travaillé sur le rapport final avec les commissaires et les autres membres de l’équipe de l’enquête. Je dirais qu’au tout début, au départ, y a beaucoup d’emphase qui a été mise sur, comme j’ai dit, l’établissement d’une procédure pour les audiences, qui respecterait les traditions juridiques autochtones. Pis je pense que c'est un grand défi, surtout quand on a une multiplicité de différentes traditions juridiques autochtones.
Alors au Canada on pense à cette idée pluri-juridique. Puis on voit la tradition de droit civil et la Common Law et on a des règles qui s’appliquent quand on essaye de naviguer l’interaction entre ces deux systèmes-là. Notre pays, si on accepte le multi-juridique c'est pas seulement une troisième, ou un troisième ordre juridique qui s’intègre. C'est multiples ordres juridiques autochtones. Alors, même parmi les ordres juridiques autochtones y a différentes façons de faire les choses. Je pense à un exemple en particulier sur la question de procédure et comment commencer une audience. Ce qu’on a fait comme équipe, c'était de s’asseoir et d’essayer de ressortir les éléments les plus importants selon les différentes nations, les peuples métis, inuits et de premières nations au Canada. Mais, aussi, de faire honneur au territoire où on se retrouvait.
Alors il y avait une façon délicate d’approcher l’uniformité des audiences en allant repérer dans chacune de ces différentes traditions des éléments qui contribuaient à l’établissement du début d’une audience. Mais, aussi, de penser à ce qui est intégrant à toutes les traditions juridiques autochtones, qui est de respecter le territoire dans lequel on se trouve. Alors dans ce sens-là, c'était une interaction entre les différents systèmes juridiques et la retrouvaille d’une valeur première qui est celle du respect du territoire d’autrui, puis, la mise œuvre de ce système de reconnaissance du territoire d’autres nations. Alors pour moi c'était une façon de respecter les traditions juridiques autochtones d’avoir aussi un processus délibératif qui était constructif et respectueux des différentes traditions. Et, aussi, qui mettait en valeur vraiment là où on se trouvait comme commission d’enquête. Alors moi je trouve que dans le travail qu'on a fait, au début de l’enquête, pour établir ce protocole-là, y a eu beaucoup d’efforts et je pense qu’ils ont porté fruit, dans le sens que tout le monde était généralement d’accord que c'était la meilleure façon de procéder.
Katherine : Vous avez abordé le sujet un peu plus tôt, vous avez expliqué que vous étiez directrice de la recherche, au sein de l’enquête qu'est-ce que ça veut dire? Quel était votre rôle?
A. Craft : Le rôle principal de l’équipe de recherche c'était de rédiger les rapports pour les commissaires. Alors ça veut dire de faire la recherche concrète en sciences sociales, mais aussi de travailler avec l’équipe juridique pour faire l’analyse des données obtenues à partir des audiences. On avait plusieurs différents intervenants dans les audiences. Les familles de femmes autochtones disparues et assassinées, mais aussi des intervenants institutionnels, des experts dans plusieurs différents domaines. Alors, l’équipe de recherche devait être quand même assez polyvalente et pouvoir cadrer le tout dans une analyse juridique qui reposait sur les valeurs normatives canadiennes, mais aussi sur les valeurs normatives autochtones. Ensuite, de regrouper ça de façon analytique pour en produire des recommandations. Évidemment, c'est en collaboration avec toute la grande équipe et les commissaires aussi sur la façon d’obtenir les genres de preuves nécessaires, de faire la recherche, de faire l’analyse, de faire l’écriture et les recommandations. Alors une tâche assez complexe.
Katherine : Oui!
A. Craft : Mais qui prenait une belle équipe et je dois dire que l'équipe de recherche a bien travaillé, a travaillé très fort aussi pour essayer de réaliser ces objectifs.
Katherine : Sous cet éventail de responsabilités quand même assez multiples, comment trouvez-vous que vous avez réconcilié le processus de consignation de la vérité autochtone et les principes juridiques canadiens, tout en respectant ce respect du territoire que vous avez mentionné?
A. Craft : Bien moi je ne veux pas présumer que l’enquête ou nous comme équipe de recherche a vraiment réussi. Je pense que c'est une tâche difficile qui continue pour l’avenir de comprendre cette interaction entre les valeurs normatives de l’État canadien et celles des peuples autochtones. Y a aucune façon de devenir expert dans une tradition, même ceux qui la vivent à tous les jours ne se diraient souvent pas experts dans cette tradition juridique. Alors je pense que l’essentiel est de démontrer un respect et une ouverture d’apprentissage et ensuite de se fier à ceux qui vivent l’expérience. Puis vraiment c'était le mandat dès le début de l’enquête de mettre l’histoire de l’enquête dans les mains de ceux qui l’ont vécu et qui vont continuer à le vivre.
Alors pour moi, y a des choses que comme chercheur ou équipe… je vais nous appeler une équipe de traduction ou l’équipe de recherche devait traduire des données dans une forme de rapport, y a des choses qu’on va évidemment manquer ou sur lesquelles on ne va pas pouvoir saisir l’important ou l’amplitude. Alors une des choses qu’on a faites et dont je suis vraiment fière, c'est dès le début de l’enquête d’établir ce qu’on appelle : Legacy Archives en anglais. C'est une archive, mais pas une archive dans un sens statique, mais plutôt une archive vivante d’œuvre d’art d’objets, de choses qui se rapportent à l’expérience particulière, soit de participer à l’enquête ou qui se rattache à ceux qui ont été perdues : les femmes, les mères, les sœurs, les tantes. Et des expressions de, justement, qui feraient partie d'une histoire à long terme, de leur histoire.
Alors au lieu de rencontrer l’histoire de quelqu'un d’autre par l’entremise de mots et ultimement un rapport, ce qui était le produit final de l’enquête, c'était de penser : comment est-ce que les paroles, les gestes, les œuvres peuvent se représenter elles-mêmes. Et la classification de ces œuvres-là s’est faite selon l’histoire qui a voulu être racontée par la personne qui faisait le don à l’enquête nationale et à l’archive elle-même. Ce qu’on a fait c'est des enregistrements de gens qui déposaient ces œuvres, qui faisaient un don. Et de leur donner la chance de raconter leur histoire et de créer un narratif autour d’un objet ou d'une chanson, ou d’une pensée, d’une sculpture, d’une peinture, d’une couverture, pis ensuite de pouvoir faire leur propre narration, leur propre analyse et leur propre… vraiment leur propre contribution à l’histoire de l’enquête.
Katherine : Savez-vous si cette archive est disponible pour le public? Est-ce que c'est accessible?
A. Craft : Oui l’archive est en ligne, puis évidemment, y avait tout un processus de consultation, mais aussi de consentement de ceux qui voulaient donner des éléments, des objets matériaux à l’archive. Mais elles sont disponibles sur le site Web de l’enquête nationale. L'idée c'était d’avoir non seulement les objets physiques qui font partie de cette archive, mais d’avoir une présence électronique. Alors il y a des enregistrements, des photos, qui sont disponibles, qui se rattachent au rapport et au travail ultimes de l’enquête. Puis je dois dire que l’idée pour ça provenait directement de mon expérience comme directrice de recherche au Centre national pour la vérité et la réconciliation, où on avait parlé à des survivants de pensionnats indiens qui nous disaient que les archives de documents de l’État étaient importantes, mais que leurs expériences et leurs archives personnelles avaient une valeur aussi importante, égale à toutes autres archives qui pourraient être produites sur leur expérience. Pis je pense que ça, c'était un message fort, un message très clair qui avait été véhiculé par les survivants des pensionnats indiens. Puis quand on a pu penser à ça dans le contexte de femmes autochtones disparues et assassinées, ce qui est survenu c'est cette idée que le narratif doit être contrôlé par ceux qui vivent l’expérience et non pas une archive indépendante, objective, créée par autrui. Que c'est vraiment l’expérience de l’individu qui l’emporte.
Katherine : En soi, est-ce que vous voyez un peu cette archive vivante, cette contribution artistique, comme une forme de décolonisation du processus légal?
A. Craft : Absolument. Puis dans plusieurs de nos traditions juridiques, dans les langues autochtones, on m’a dit que le mot pour les artistes pis les avocats se distingue très peu, vraiment c'est les communicateurs, c'est ceux qui essayent de créer des ponts et des liens pour que les gens puissent communiquer ensemble et se comprendre. Alors pour moi, l’idée de l’archive est très décolonisatrice dans le sens que… Puis je pense y a une complexité de penser comment les archives dans leurs sources, sont des fondations du colonialisme. Puis de penser à décoloniser par l’entremise d’une archive qui a sa source une valeur autochtone, une façon de procéder qui amplifie et respecte les traditions autochtones, ça vraiment été quelque chose de très constructif. Y a plusieurs gens qui ont participé, incluant une famille qui ont écrit et enregistré une chanson pour l’archive, qui nous ont dit que ça, c'était le processus de guérison le plus important. Alors non seulement c'est une œuvre de décolonisation, c'est aussi une œuvre et un effort de guérison.
Katherine : Oui, corrigez-moi si j’ai tort, mais c'est une façon de redonner le pouvoir et du contrôle à ces familles, aux familles des victimes?
A. Craft : Absolument, la narration du vécu de quelqu'un plus jeune ne peut se faire mieux que par la personne ou les personnes elles-mêmes. Et c'est exactement ce que l’archive tente de faire, c'est de remettre dans les mains de ceux qui sont directement affectés le contrôle sur leur narratif, sur leur histoire et leur façon de se remémorer leurs personnes.
Katherine : Leur histoire. Somme toute, croyez-vous que les femmes et les filles autochtones assassinées ont obtenu justice à travers l’enquête?
A. Craft : Je pense que c'est impossible de penser à une justice quand on a un passé colonisateur comme ici au Canada. Je pense que la question la plus importante qui a été posée par l’enquête nationale, c'est pourquoi on permet ces systèmes qui enlèvent de la valeur aux vies de femmes autochtones. Et je pense que tant et aussi longtemps qu’on aura des systèmes qui continuent à dévaloriser les la vie de femmes autochtones, incluant les systèmes de soins sociaux et de soins de santé, qu’on ne pourra pas penser à une égalité justice pour les femmes autochtones à l’échelle du pays. On a beaucoup de travail qui reste à faire, et je pense que le changement sociétal que la Commission vérité et réconciliation nous a demandé de faire, elle s’applique de façon encore plus accrue dans le contexte des femmes autochtones, parce que c'est elles qui ont vécu le pire des pires atrocités dans les efforts de colonisation pis d’assimilation. C'est elles qui ont vécu le pire de l’assimilation et la décolonisation au Canada. Dès le tout début du contact européen et encore aujourd'hui.
Katherine : Tout ce travail qui est à faire justement c'est le rapport qui fait état de la réalité des autochtones du Canada, mais qui formule aussi des recommandations qu’ils ont appelées : Appel à la justice. Quelles mesures sont réellement en place afin de s’assurer de l’implémentation juridique de ces Appels à la justice?
A. Craft : Bien je pense que comme tout autre enquête ça devient une question du vouloir politique de mettre en œuvre des appels à la justice. Pis je pense que ça va prendre des femmes fortes, des organisations, des organismes, et aussi des alliés qui vont faire revenir ces questions, ces recommandations, puis de continuer à leur donner vie, pour s’assurer qu’il y a du progrès. Avant de débuter l’enquête, on se faisait dire souvent : toutes les questions, tous les problèmes sont déjà documentés et les solutions l’ont été aussi. Et la réponse à ça, c'est : bien pourquoi est-ce qu’elles ne sont pas mises en œuvre. Alors ça va prendre un gros effort pour continuer à essayer de faire un changement. Évidemment aussi du financement qui se rapporte directement aux choses qui ont été identifiées comme prioritaires.
Puis aussi un changement sociétal, le racisme continu à se perpétuer au Canada. Tant et aussi longtemps qu’on ne change pas ce racisme qui est à la fois individuel, mais aussi systémique, on ne peut pas vraiment en venir à une égalité et une justice.
Katherine : Donc le document en soi, il n’y a pas d’obligations légales qui vont forcer les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral à suivre les recommandations?
A. Craft : Justement, en parti, les… on n’a pas pris les recommandations « des recommandations », mais plutôt des « appels à la justice ». Parce que ce qu’on essayait de véhiculer comme message, c'était que la justice requiert que ces actions soient prises. Alors y a des mécanismes en droit canadien pour essayer de mettre en œuvre les principes qui sont véhiculés, mais d’essayer de mettre en œuvre de façon juridique, et d’avoir des conséquences juridiques pour les manquements aux appels à la justice, c'est vraiment difficile. Comme j’ai dit, c'est le vouloir politique et je pense qu’on a besoin de tous prendre en main cet appel à la justice pis de continuer à travailler envers la mise en œuvre de ces recommandations.
Katherine : Donc si au niveau macro ça ne se produit pas, au niveau micro on a des juristes, on a notre audience, nos auditeurs par exemple aujourd'hui qui se demandent comment est-ce que je peux améliorer ma pratique en conséquence. Comment est-ce qu’un juriste peut-il ou elle, adopter un esprit de décolonisation, une pleine conscience par rapport à cet enjeu?
A. Craft : Je pense qu’il y a deux exemples qui me viennent à l’esprit quand je pense à la décolonisation dans une pratique juridique. Premièrement c'est la décolonisation des connaissances et deuxièmement des processus ou des procédures qu’on emploie. Et, sur le niveau substantif des connaissances, c'est d’apprendre à comprendre la situation canadienne, de voir quel est le vécu de femmes autochtones et de penser à cette discrimination systémique qui s’effectue. Je pense justement, à… les… civilisations forcées dans l’Ouest canadien de femmes autochtones, quand je pense au système des appréhensions en protection de l’enfance et l’impact sur les familles autochtones, la criminalisation de la pauvreté qui s’effectue dans le système de protection de l’enfance. Toutes ces choses-là sont des choses qui se réalisent dans le jour le jour et qui sont cachées essentiellement à la majorité des gens.
Comme avocat, de savoir c'est quoi l’histoire du droit canadien, puis comprendre aussi comment les efforts d’assimilation au Canada ont eu un impact direct sur les femmes et les familles autochtones, l’histoire des pensionnats indiens. De savoir tout ça, et de comprendre les circonstances socioéconomiques, politiques et culturelles des peuples autochtones au Canada, c'est déjà un bon point de départ pour chaque juriste qui exerce le droit au Canada. Puis je pense ensuite de voir l’empathie, la possibilité d’être dans une relation qui prend en compte ces réalités-là, de penser à la contribution, à remédier à la situation, par exemple par l’entremise du travail pro bono. Ou d’autres choses qu’on peut faire comme juriste, de penser : voici l’intersection de ces différents facteurs, voici un racisme systémique, d’essayer de voir avec une différente lentille, quelle est la réalité qui se présente devant nous, et aussi de prendre action et d’appuyer ceux qui font ce travail si c'est pas dans notre domaine de pratique quotidienne.
Katherine : Croyez-vous que ce serait bénéfique qu’un certain volume de travail des juristes soit pro bono ou même axé sur une perspective racialisée?
A. Craft : Je pense que ça peut être fortement encouragé. Je ne pense pas qu’on peut dire que pro bono c'est obligatoire. Je pense que ça défait l’intention justement.
Katherine : Oui.
A. Craft : Alors pour moi, l’idée de forcer des avocats à faire du travail pro bono c'est pas constructif. Mais à la fois de l’encourager et aussi de le récompenser de façon non monétaire ceux qui font ce travail important et qui font une contribution sociétale par l’entremise du pro bono c'est très important.
Katherine : En effet. Donc, pour terminer notre entretien, j’aimerais vous demander un peu vos impressions personnelles quant à la force du rapport. On a vu récemment des situations, on a vu le cas de Joyce à Joliette où on voit encore des violences faites contre des femmes autochtones. Êtes-vous optimiste en général quant au futur des femmes et des filles autochtones au Canada?
A. Craft : C'est vraiment une question difficile à répondre. Un rapport ne peut pas résoudre… toutes les questions qui sont soulevées par le rapport. Ces plus de 200 appels à l’action ne vont pas tous être mis en œuvre. Pis je pense qu’une des choses qu’on voit dès le départ avec la situation de Joyce Échaquan, comment ce racisme qui est individuel et systémique peut se combiner pour créer une situation absolument dévastatrice pour une personne, pour une vie humaine, pour une famille, une communauté et une nation. Tant et aussi longtemps qu’on se permet comme société d’accepter ce racisme et de penser à une femme autochtone comme moindre que quelqu'un d’autre, on va continuer à avoir ces mêmes situations qui se produisent. Alors je pense que le rapport et l’enquête au complet a apporté une certaine lumière des situations qui se produisent au Canada, mais il y en a encore beaucoup plus. Je pense que ça devient un devoir sociétal d'avoir ces discussions, de créer des relations de collaboration, de reconnaitre la compétence, l’autonomie, l’autorité d’une nation autochtone à s’autodéterminer en question de santé, de justice, de bien-être, pour pouvoir enfin répondre aux besoins internes des communautés, des nations puis celle des femmes autochtones.
Katherine : Ce que je vais vous demander, c'est que vous qui avez beaucoup d’expérience et avez énormément d’étude et de recherche dans le domaine, quelles sont les recommandations, quelles sont les avenues qu'on doit adopter pour reconstruire l’imaginaire canadien quant à l’historique colonial des Européens sur le Canada, qu’on a eu le génocide autochtone qui perdure. Les gens éduqués le savent, pas nécessairement les gens éduqués, mais ceux qui s’intéressent au sujet le savent. Comment est-ce qu'on rejoint une population qui est peut-être désintéressée ou qui n’est pas au courant?
A. Craft : Je pense qu’une des façons qu’on rejoint ceux qui ne sont pas au courant ou qui sont désintéressés, c'est par l’entremise de choses qui sont accessibles. Des campagnes de prises de connaissance y a des artistes qui font du travail exceptionnel pour essayer de changer les idées des gens, de créer un rapprochement entre les peuples autochtones et monsieur et madame tout le monde. Je pense que c'est important aussi de raconter les histoires, et de comprendre les histoires d’individus et de leur vécu. C'est une des choses sur lesquelles on a mis de l’emphase dès le début de l’enquête, c'était de comprendre l’histoire d'une personne et de les voir par l’entremise de leur histoire, de leur narratif. Et de les voir comme personne justement au lieu d'un sujet. Et une des choses qu’on besoin de penser et je pense que c'est la clé pour essayer de combattre le racisme dans n’importe quel contexte, c'est vraiment de s’assurer qu’on voit les autres comme des personnes à part entière qui sont valorisées comme être humain, qui ont des contributions à faire.
Pis la façon qu’on y arrive comme société, c'est, premièrement, en s’éduquant l’un et l’autre, mais aussi en créant des opportunités pour le développement de relations. Et c'est pas toujours facile, les relations ne sont pas toujours faciles, mais de faire ces efforts-là. D’éduquer les prochaines générations sur les questions de pensionnats indiens, sur les traités, sur les relations avec la couronne, de penser à la mise en oeuvre aussi de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Pis les valeurs qui s’y retrouvent, comme, les valeurs d’autodétermination, de protection de la culture et du patrimoine des nations autochtones. Je pense que c'est essentiel si on pense à l'avenir de notre pays, du Canada, mais aussi si on pense à l’avenir de notre société globale. C'est de penser à comment être en bonne relation.
Une des choses que je crois fermement, c'est que, pour bien vivre sur un territoire on doit se fier aux connaissances des peuples qui y ont vécu pendant des milliers d’années. Et si on peut commencer à penser au territoire où l’on vit selon les valeurs et les perceptions de peuples originaux de ce territoire-là, d’apprendre les nous-mêmes des places, des rivières, dans les territoires où on vit, de comprendre les relations de traités qui existent, qui nous permettent d’être sur place, qui permettent aux personnes allochtones de vivre sur un territoire autochtone, bien je pense que ces choses-là vont commencer à faire une différence dans nos relations entre Canadiens et nous comme peuple autochtone.
Je pense qu’il faut comprendre la tristesse profonde qui existe dans les familles et les communautés qui ont perdu des femmes et des filles autochtones. Puis je pense que le mot « perdre », le verbe de « perdre » c'est une trahison de ce que la réalité qui s’est produite. Elles ne sont pas perdues, elles ont été enlevées et il faut penser à la tristesse que ça engendre que ça engage et de pense à la réparation à long terme de systèmes qui ont permis une violence, mais aussi de penser à qu'est-ce qui est constructif, en allant de l'avant, en respectant les valeurs des différentes communautés autochtones et des familles de femmes qui ont été enlevées.
Katherine : Bien merci beaucoup Maître Craft.
A. Craft : C'est un plaisir.
Katherine : Et merci particulier d’avoir partagé votre expérience de la façon dont vous l’avez fait, vous avez été extrêmement personnelle et vraie, et je trouve que c'est important qu’on se parle comme ça et qu’on se dise vraiment c'est quoi la réalité chacun de notre côté.
Un grand merci Maître Craft de votre participation à Juriste branché. Je souhaite sincèrement que vos propos vont avoir clarifié nos auditeurs, plusieurs aspects du rapport et sa place au sein de notre société. À nos auditeurs, via Twitter, partagez-nous vos impressions quant à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Comment serez-vous un acteur de changement? N’hésitez pas à partager cet épisode sur vos réseaux sociaux et à nous suivre sur Twitter : @nouvelles_abc. Pour nos épisodes précédents et futurs, abonnez-vous à Juriste branché sur Apple Podcast, Stitcher et Spotify et n’hésitez pas à nous laisser des commentaires et des évaluations sur ces plateformes. Vous y trouverez également notre balado en anglais The Every Lawyer. À la prochaine.