Parlons de l'enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics
Katherine : Vous écoutez Juriste branché présenté par l'Association du Barreau canadien. Bonjour et bienvenue à Juriste branché. Je suis votre animatrice Katherine Provost. L’épisode d’aujourd'hui continue notre exploration du droit autochtone au Canada en se penchant sur le rapport Viens, document final déposé au gouvernement en septembre 2019 par le juge du même nom suite à la conclusion dans la commission de l’enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics au Québec. Le mandat formel de cette commission d’enquête exigeait d’évaluer si le traitement réservé aux peuples autochtones dans la prestation des services publics était marqué par la violence ou des pratiques discriminatoires. En soi, les autochtones sont-ils traités différemment par les services publics parce qu'ils sont autochtones? Et si oui, est-ce un problème systématique et institutionnalisé?
Au long de son enquête, la commission a tenu 38 semaines d’audience, majoritairement à Val d’Or, qui se sont échelonnées sur 18 mois en 2017 et 2018. Ces audiences ont permis d’entendre 765 témoins, dont 277 témoins citoyens, alors que 1047 témoignages de gens issus de toutes les nations ont été recueillis au total. Le rapport compte 142 appels à l’action dont plusieurs sont communs à tous les services ayant fait l’objet de l’enquête, c'est-à-dire, ceux de la police, de la justice, de la santé et des services sociaux ainsi que des services correctionnels et de protection de la jeunesse. Il est à noter que le Rapport Viens se distingue de plusieurs commissions d’enquête réalisées dans les années 1990, car pour la première fois au Québec, il suggère la mise en place de mesures de suivi. Madame Cyndy Wylde est en onde avec nous pour discuter du rapport et des impacts que celui-ci aura sur les services publics au Québec. Madame Wylde, Anishnabe et Atikamekw de la communauté de Pikogan, a contribué à l’équipe de recherche de la Commission d’enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics, en tant qu’experte pour le service public des services correctionnels. Elle poursuit présentement un doctorat à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue où elle s’intéresse à la surreprésentation des femmes autochtones dans le système carcéral. Depuis aout 2020, elle est également conseillère politique pour l'Assemblée de premières nations Québec-Labrador. Alors bienvenue Madame Wylde.
Cyndy : Merci beaucoup de l’invitation.
Katherine : Pour lancer notre discussion, j’aimerais que vous parliez un peu du format de la commission d’enquête. Est-ce que la façon dont les témoignages se sont déroulés a répondu à vos attentes et à celles des témoins?
Cyndy : Bien pour moi, la Commission Viens c'était une première. Pour moi je voyais ça comme un mandat historique même. J'étais vraiment honorée de faire partie de l’équipe notamment au niveau de la recherche. J’ai appris au fur et à mesure, parce que je suis arrivée au tout début de l’élaboration de l’équipe. Donc, j’ai appris au fur et à mesure, des joueurs qui s’ajoutaient et la structure aussi. Je ne suis pas très certaine que c'était déjà très très élaboré théoriquement. En fait je pense qu’il y a plusieurs choses qui se sont ajustées au fur et à mesure. Mais je peux dire que oui. Ma seule préoccupation aurait été d’ajouter quelques coéquipiers de Premières Nations, même Inuit. En fait, je trouve qu’on n’était pas assez. Ça, c'est mon point de vue personnel. Notamment il n'y avait aucun procureur autochtone sur l’équipe donc, pour moi ça aurait été une plus-value.
Katherine : Est-ce que votre impression c'est qu’il n’y en a pas assez de procureurs, ou d’avocats, qui sont Premières Nations inuites? Ou, c'est simplement qu’on n’est pas vraiment allé les chercher?
Cyndy : Ah, je pense qu’il y a eu une volonté d’aller les chercher par exemple. Je serais de mauvaise foi de penser le contraire. Effectivement, ça se peut qu’il n’y ait pas assez de procureurs ou d’avocats… ou ils sont sollicités, il y avait une autre enquête au même moment, l’ENFADA. Personnellement j’ai une avocate dans ma famille qui travaillait sur l’équipe de l’ENFADA, donc je peux penser qu’on n’aurait pu être intéressé à aller la chercher c'est à peu près certain si c’était pas au même moment. Non c'est ça, ça se peut que… on ait du travaille à faire de ce côté-là.
Katherine : Il faudrait qu’il y ait une meilleure représentation aussi, exactement.
Cyndy : Oui, bien au niveau des procureurs, moi, ça m’a frappé, je pense qu’au niveau de la recherche on était bien représenté, au niveau aussi de l’équipe qui faisait les relations avec les collectivités autochtones, ça, c'était hyper important je pense que toute cette notion de sécurisation culturelle là, l’usage de la langue aussi. On avait des intervenants qui parlaient l'anishinabe aussi, donc ça c'était bien. Non c'est vraiment au niveau de… et puis pourquoi ça m’a sauté aux yeux c'est peut-être justement parce que l’usage du droit tel qu'on le connait, peut-être, je sais pas, j’aurais espéré qu’il soit peut-être adapté un peu au droit traditionnel autochtone, la façon de faire de la commission, peut-être que ça aurait pu être intéressant, mais… bon.
Katherine : Justement ça m’amène à la prochaine question que j’avais par rapport au droit autochtone. Donc, la Commission de vérité et réconciliation de 2015 aussi connue sous CVR reconnait l’existence des systèmes de droit et du droit autochtone qu’il faut distinguer du droit canadien applicable aux autochtones, donc on parle de deux choses différentes. L’appel à l’Action 40 du Rapport Viens de 2019 : demande de financement de projet développé et géré par les autorités autochtones qui ont pour objectif de revitaliser le droit autochtone. Donc, concrètement, c'est quoi la différence entre le droit autochtone et le droit civil ou la jurisprudence,
Cyndy : Ben en fait je pense qu’il y a une question de valeur là-dedans à la base. Moi j’ai travaillé très très longtemps dans les services correctionnels. On sait que tout ce système-là est basé sur un système punitif alors que dans les valeurs autochtones ben on va plus rechercher une cohésion positive dans la communauté, une sorte de réparation. Donc, juste la prémisse de base on voit qu’il y a une nuance fondamentale. Donc, si on avait amené davantage de nations de droit traditionnel dans la façon de faire de la commission peut-être que ça aurait été peut-être moins… je veux dire, très rigide dans la façon de déposer la preuve, de faire témoigner les témoins aussi. Je trouvais que c'était très très structuré comme à la cour justement et je ne suis pas certaine que c'était peut-être la façon la plus habile d’aller faire parler certains témoins sur des sujets très sensibles. Par exemple, au niveau de la Protection de la jeunesse, au niveau des services correctionnels on a eu peu de témoignages. Je ne suis pas surprise étant donné la structure, mais étant donné aussi les barrières qu’impose cette structure-là parce qu'il fallait des ententes avec le service correctionnel. Il fallait des permissions au niveau de la sécurité, il y avait plein de défis finalement à remonter parce qu'on a utilisé cette sorte de droit là à mon avis. Je pense qu’on aurait pu faire les choses de façon un petit peu plus simple, mais bon.
Katherine : Mais si on avait suivi justement une approche plus de droit autochtone, comment est-ce que ce serait passée l’écoute des témoignages par exemple?
Cyndy : Ben je pense que ça aurait été moins formel. Le juge lui a fait un travail d’écoute extraordinaire. Quand on le regarde, j’en revenais pas. J’en revenais pas comment à chaque fin de témoignage, qu’il revenait et résumait ce qui avait été dit ou répétait ce qui lui apparaissait avoir été important dans le témoignage qui avait été présenté devant lui. Donc, là-dessus c'est pas ça, c'est plus comme au niveau de l’échange. C'était moins fluide, c'était plus euh... bon, témoignage, après ça ben le procureur posait ses questions, là y avait un retour, là y avait des pièces déposées en preuve. Si elles n’étaient pas déposées en preuve, ben on attendait de les déposer avant d’en parler. Donc, c'était très très formel. Je ne sais pas si c'était nécessaire, comme je vous dis, moi, c'était ma première commission d’enquête. C'est bien là qu’il y ait une structure, je ne veux pas dire qu’il ne faut pas que ce soit aussi structuré, mais peut-être différemment, moins formel justement. Toutes ces structures-là qui, on va se le dire, coloniales sont… y ont été comme un peu répétées. On parle d’une commission qui s’en va enquêter sur des possibles situations de discrimination et de racisme dans les services publics. Donc, je sais pas, on aurait pu juste mettre la table autrement peut-être pour euh...
Katherine : Un peu plus comme une table ronde.
Cyndy : Oui
Katherine : Une discussion ouverte.
Cyndy : Exact oui.
Katherine : Un peu dans la perspective de réconciliation pis… oui de compréhension que ce n’est pas seulement de… donner son histoire, attendre de voir comment ça va être reçu du côté juridique.
Cyndy : Non, c'est ça puis y a certains témoignages, j’ai vraiment compris qu’il y avait une préparation nécessaire, évidemment. Souvent c'est pour mettre à l’aise le témoin qui est nerveux et tout ça, ça je comprends tout ça et c'est parfait. Sauf que ça l’avait le contrebalant un peu négatif de… de statuer le témoignage dans ce qui avait été préparé. C'est-à-dire que le témoin ne pouvait pu sortir de ce qui avait été préparé comme cadre. Donc, ça j’ai trouvé ça que… pis on l’a vu dans quelques témoignages que à certains moments la personne voulait sortir du cadre, en ajouter ou aller ailleurs. C'était pas permis, parce que ça n’avait pas été préparé ainsi. Donc euh... ça j’ai trouvé ça comme un peu dommage pour la personne qui témoigne, mais aussi pour nous pour l’auditoire, on voulait savoir ce que la personne avait à ajouter de façon spontanée ou dans l’effet du moment. Parfois on a des beaux détails.
Katherine : Oui, des fois ça nous revient.
Cyndy : Extact, exact.
Katherine : Dans ce cadre un peu plus, disons, colonial, est-ce qu'on avait mis un espace pour le chant, le poème, l’art, donc d’autres façons de s’exprimer que juste de témoigner?
Cyndy : Je pense que oui, j’espère que les gens se sont sentis à l’aise. Moi j’ai eu la chance d’aller dans les bureaux de la CRP à quelques reprises à Val-d’Or. Il y avait beaucoup d’œuvres d’artistes autochtones. L’environnement était très positif à cet égard-là, dans la salle d’audience quand c'était à Val-d’Or, on voyait qu’il y avait… tsé, les tables étaient placées en cercle. Y avait le gros capteur de rêves qui, d’ailleurs, ils en ont fait don à l’UQAC par après la Commission Viens. Donc, oui y avait certains éléments, les prières, les mots de bienvenue des ainés, la fermeture des séances. Ça, je trouvais que c'était une belle sensibilité, un beau respect. Je pense que oui, j’espère que les témoins se sont sentis vraiment interpellés par ce qui avait été mis en place.
Katherine : Selon vous, voyant cette ouverture à accepter d’autres types de témoignages avec… l’art, entre autres, est-ce que vous croyez qu’il y a une ouverture ou un intérêt à accepter le droit autochtone comme troisième type de droit au Canada, donc en s’ajoutant au droit civil et à la jurisprudence ?
Cyndy : Ouf! Ben moi je ne travaille pas en droit, mais j’ai travaillé dans le système de justice canadien assez longtemps pour savoir sans problèmes vous affirmer qu’il y a beaucoup de résistance. Plusieurs personnes se demandent au nom de quoi il faudrait adapter, soit nos façons de faire ou encore mieux pour nous les changer. Mais, je ne le sais pas. Moi j’espère qu’on va réussir à avoir ce qu’on souhaite, c'est-à-dire, une autodétermination aussi dans ce domaine-là. Les chiffres actuellement sont effrayants. On parle de surreprésentation au niveau carcéral, mais dans le système de justice entier. Donc, j’espère que ça interpelle les Canadiens, les Canadiennes, les Québécois, les Québécoises tout le monde dans ce pays, qu’il faut faire de quoi pour un moment donné essayer d’assainir ça parce que ça n’a aucun bon sens, on le voit que ça ne fonctionne pas. Il faut aller jusqu’où pour qu’on se révise comme société. Je ne dis pas que de refaire le système de justice en entier ce serait la façon de faire idéal. Comme je vous dis, je ne travaille pas en droit, je pense que la règle de droit est importante aussi à certains égards. Mais je pense qu’il faut faire une place à nos façons de faire.
Traditionnellement on se gérait, ça fonctionnait, on avait une organisation politique et on avait une organisation juridique et ça fonctionnait. Je ne vois pas pourquoi que ça ne pourrait pas fonctionner aujourd'hui. Donc, je pense qu’on a intérêt comme société à faire une place les uns et les autres.
Katherine : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce système, parce que vous avez mentionné que le système, disons canadien ou coloniale, est assez punitif. Qu'est-ce qu'on voit du côté autochtone traditionnel ?
Cyndy : Bien, on voit beaucoup la… une recherche de cohésion de paix sociale. Ça passe beaucoup par la réparation, on parle beaucoup de justice réparatrice. Mais ça, c'est vraiment un concept qui nous rejoint beaucoup. Dans les services correctionnels, on essaie d’adapter les façons de faire dans ce sens-là. Mais en même temps, c'est un peu contradictoire parce que on a ce qu’on appelle les principes de l’arrêt Gladu que non seulement les juges doivent appliquer dans leur prise de décision, mais aussi au niveau du service correctionnel. Les agents de libération conditionnelle sont tenus d’évaluer les antécédents sous la lunette Gladu dans toute prise de décision. En fait, ce que ça devrait faire, c'est d’ouvrir un peu… d’avoir une ouverture d’esprit sur le concept non punitif. C'est-à-dire, de trouver des alternatives, des façons de faire, pour réparer au lieu de continuer dans la coercition.
Fait que, on essaie, mais le Code criminel étant lui-même punitif c'est un peu contradictoire, fait que ça devient difficile. Puis tout est méritoire aussi, donc méritoire selon le concept qu’on connait, législatif actuel, les critères de libération conditionnelle et tout ça. Donc, c'est ça, c'est des vœux, c'est très légitime, je pense. Je pense que les gens qui ont pensé à ça ont une bonne volonté, mais dans les faits c'est difficilement praticable.
Katherine : Vous avez parlé plus tôt de votre expertise dans le système carcéral. Vous avez une expertise particulière sur la surreprésentation des autochtones au sein de celui-ci. Que dit le Rapport Viens à ce propos?
Cyndy : Bien, ce qu’il dit, c'est qu’il y a une surreprésentation carcérale dans le système provincial québécois. Pourquoi je le précise? Y en a qui peuvent penser : ben oui, mais c'est à ça que ça sert! Non, pas du tout. C'est que, il faut le… non c'est que depuis à peu près 25, 30 ans la surreprésentation carcérale des autochtones elle est décrite comme étant vraiment au niveau national. Et c'est souvent basé sur les chiffres de l’Ouest-Canadien. Des études précises sur la situation au Québec ne sont pas nombreuses, on l’a vu. Quand les travaux à la Commission Viens ont débuté, on s’est buté à un manque flagrant de données ou de recherches qui pourraient nous donner un portrait clair finalement. Et la commission bien elle a permis ça d’aller chercher un portrait actuel dans ce qui se passe dans les services correctionnels, dans les prisons au Québec, notamment pour les femmes et aussi pour les hommes. Et ce que ça l’a amené comme conclusion, c'est que oui effectivement y a aussi une surreprésentation carcérale dans le système au Québec. Même si elle est moindre que dans l’Ouest-Canadien elle existe pareil. Notamment pour les femmes, pour les femmes on s’est rendu compte qu’elles ont une double surreprésentation dans leur surreprésentation finalement. Elles sont plus représentées que les hommes autochtones encore. Donc, ça c'est les grandes conclusions.
Le rapport a permis aussi de mettre en lumière qu’effectivement aussi ici les échelles actuarielles par exemple, les outils d’évaluation je parle là, ils ne sont pas adaptés. Et que de toutes les barrières systémiques qui peuvent exister dans les services correctionnels nationaux on les retrouve peut-être à plus petite échelle, mais on les retrouve pareil dans le système provincial. Je pense à la langue, je pense à la présence de services spirituels, je pense à des outils qui permettent à ces gens-là de réintégrer la société aussi rapidement que des allochtones par exemple. Mais il manque de services. La situation géographique peut causer aussi des problématiques. Donc, c'est ça, ça met en lumière qu’on a du travail à faire.
Katherine : Oui donc, avez-vous des données sur le taux d’incarcération des autochtones versus la population en général.
Cyndy : Oui. En fait, les autochtones au Québec représentent 2,3% de la population totale dans la population en général je parle. Quand on parle de la surreprésentation, on obtient un facteur de surreprésentation qui est de 6,8 pour le Canada et de 2,2 pour le Québec plus spécifiquement. Donc c'est une surreprésentation, mais ce qui est intéressant, c'est que quand on a demandé des chiffres au ministère de la Sécurité du public lors des travaux de la commission, c'est que cette fois-ci, comparativement au profil qui avait été établi 10 ans auparavant, le ministère nous a envoyé les chiffres les étalant par nations. Donc, ç’a été bien, dans le sens qu’on avait un portrait par nation, mais c'était aussi confondant dans le sens qu’on n’avait pas le taux de surreprésentation total finalement parce que tout le monde était séparé par nation. Et ce que ç’a permis de savoir c'est que notamment pour les femmes, les femmes inuites ont vraiment un taux de surreprésentation qui est vraiment alarmant. Ça, ç'a été une désagréable surprise finalement parce qu’elles sont vraiment vraiment en nombre numérique assez important.
Katherine : Et si vous le savez, de quoi… est-ce qu'on sait c'est quoi la nature du crime, pourquoi elles sont incarcérées ces femmes?
Cyndy : Les femmes… ben c'est souvent des… comment je peux dire ça, des amendes qui se cumulent au niveau municipal, des contraventions à… municipales qui s’accumulent et un moment donné, les amendes impayées ça s’ajoute. Y avait beaucoup aussi de délits de nature reliée à la prostitution. En gros, c'était ce qui ressortait majoritairement dans les chiffres du MSP.
Katherine : Donc on ne parle pas de cas de violence extrême à grande échelle?
Cyndy : Ben, au provincial c'est des sentences de 2 ans moins un jour et moins, donc on avait de tout. On avait… tsé on avait vraiment un portrait étalé. C'est assez difficile de dire, les sentenciés mettons de un an et plus, voici le portrait en termes de criminalité. C'est pas comme ça que les chiffres nous ont été présentés.
Katherine : Si on revient au rapport, les appels à l’action parlent en large de l’amélioration des conditions de détention, mais concrètement, quelles sont les démarches qui doivent être entreprises pour réduire la présence des autochtones dans le système carcéral tout court.
Cyndy : En fait, je pense que si on misait sur les services vraiment adaptés à la culture, mais tsé quand je dis adapté réellement là, pas juste peut-être inclure un chapitre dans un programme correctionnel. Tsé vraiment d’aller voir les communautés, d’aller les impliqués dans les modes d’intervention, dans l’élaboration de programmes, dans l’élaboration de services ou des maisons de transitions. Ça je pense que ce serait gagnant comme façon de faire. Il faut des intervenants des Premières Nations des Inuits dans le système. Ce qui était très surprenant au service correctionnel du Québec c'est qu’il y avait peu d’employés autochtones en fait, ceux où il y avait une déclaration autochtone c'était au niveau sécuritaire plus statique un peu les agents correctionnels. Mais au niveau des intervenants et agents de probation, y en avait aucun. Donc, tsé ce sont ces personnes-là qui font l’évaluation du comportement humain, pour évaluer le risque. Je me dis que ce serait une plus-value s’il y avait des Premières Nations d’impliquées là-dedans parce que on a tout le concept aussi des rapports pré-sentenciels à saveur Gladu. Je ne me souviens pas exactement le terme que le MSP utilise, mais je pense qu’on aurait intérêt à aller s’allier soit avec des organismes ou des employés autochtones, en tout cas de trouver une façon de travailler ensemble. En ce moment y a comme une espèce de dichotomie entre ce qui se passe dans le service correctionnel et les attentes des communautés autochtones. On revient aussi à cet objectif-là d’autodétermination. Ça se passe aussi au niveau de la reprise de ces services-là évidemment.
Katherine : Si on parle plus du côté représentation, quand on représente un client autochtone comment est-ce qu’un avocat devrait se préparer ou préparer son client avant de passer en cour?
Cyndy : Bien, la première chose que moi je conseillerais, c'est de connaitre la nation de son client et de se renseigner sur cette nation-là, sur son histoire, son historique, sur sa réalité socioculturelle, socioéconomique ça peut expliquer plein de choses. Au Québec on a une colonisation qui s’est faite assez tardivement, les pensionnats sont arrivés tardivement à comparer au reste du pays. Mais c'est une réalité qui a un impact encore aujourd'hui très réel, même sur… si je regarde les effets intergénérationnels, c'est jeune, c'est la génération juste avant moi, c'est la génération de mes parents. Donc on est encore tous touchés par ça. Donc ça, je pense que c'est une réalité à savoir si on parle d’Inuits par exemple, ben de savoir un peu les réalités historiques qui ont touché ce peuple-là. La déportation des territoires, l’abattage des chiens, c'est tout des évènements qui ont été traumatisants et qui ont un impact sur la vie de ces peuples-là. Donc ça ce serait la première chose et on revient toujours au même point, c'est de mieux se connaitre, l’éducation et tout ça. Je pense que quand on connait la réalité de son client, là on parle de Première Nation, d’Inuit, mais peu importe la nationalité du client. Je pense qu’on se garde, un moment donné, une ouverture qui est différente que juste de son propre postulat. Puis ça je pense que tant l’avocat que le… le client a à gagner là-dedans.
Katherine : Donc on ne peut pas parler des services publics au Québec sans parler du sort de Joyce Echaquan. Son décès est survenu un an après le dépôt du Rapport Viens qui reconnait les lacunes importantes en ce qui a trait à l’accès aux services de santé pour les peuples autochtones. L’incident tragique et médiatisé est un exemple concret de discrimination dans le système de santé. Pensez-vous qu’il va finalement y avoir des changements?
Cyndy : Euh.... vous savez, je travaille à l’APNQL et la même journée on sortait notre plan d’action pour contrer la discrimination et le racisme au Québec. En fait, ce que c'était ce plan-là, au début on se demandait quoi faire pour remettre sur les rails l’ENFADA et l’ACRP, un rapport qui dormait, les deux rapports, depuis bientôt plusieurs mois, qu’on avait des attentes et qu’il n’y avait rien qui bougeait au gouvernement du Québec à cette époque-là. On a fait un sondage et on s’est rendu compte que monsieur et madame tout le monde avaient beaucoup de questions par rapport à aux premiers peuples, et étaient tous d’avis à 93% du sondage des répondants disaient qu’ils étaient au courant que les autochtones étaient discriminés. Donc on s’est dit, ben partons de là, allons travailler avec monsieur et madame tout le monde, c'est-à-dire la population québécoise. De là est parti le plan d’action et tragiquement, lorsqu’on a sorti notre plan d’action, le décès de Joyce est arrivé. Ç’a été comme… vraiment un choc évidemment, mais ç’a été en même temps une obligation pour tout le monde de faire face à ce qu’on essayait de dire dans l’ENFADA dans l’ACRP, dans le CVRet que nous on essayait comme organisation de relancer en tendant la main à la population québécoise avec notre plan d’action. Donc tout ça mis ensemble, conjointement lié au décès de Joyce, ç'a été le Momentum je pense qui a vraiment provoqué l’obligation de tout le monde de se regarder comme individu dans une société. Non seulement ça met en évidence ce que plusieurs rapports essayaient de faire, mais ç’a vraiment comme, je pense, réveillé les gens à vouloir s’impliquer. Sans dire qu’on a gagné et que la discrimination et le racisme systémique disparaitra d’ici quelques semaines, moi je sens vraiment une ouverture que je n’ai jamais vue personnellement comme première nation jusqu’à présent. On a des mains tendues à plusieurs niveaux dans le système éducatif, dans le système municipal, j’ai même des éditeurs qui ont communiqué avec nous pour savoir s’ils pouvaient ajuster leurs écrits ou leurs nouvelles éditions de livres, des bédéistes, fait que la réponse est bonne finalement. C'est vraiment encourageant, mais y a encore du travail à faire et on a un premier ministre en ce moment qui refuse le concept de racisme systémique. Donc, ça complique certaines choses, notamment, pour le Principe de Joyce qu’on veut faire reconnaitre. C'est un document hyper important pour justement enrayer la discrimination et le racisme systémique dans le système de santé.
Katherine : Pouvez-vous nous en dire plus un peu sur ce document, le Principe de Joyce?
Cyndy : Ben je ne sais pas si vous connaissez un peu les principes de Jordan. En fait, c'est vraiment comme une reconnaissance finalement que : 1) Il y a du racisme systémique dans le système de santé, mais c'est aussi un appel vraiment officiel à adapter tous les services afin qu’il y ait une sécurisation culturelle présente dans toutes interventions à tous les niveaux. Ça peut impliquer, quand on parle de sécurisation culturelle, ça peut impliquer au niveau de la barrière linguistique, au niveau des façons de faire, au niveau de la présence de la famille. Ça peut… tsé les fameux vols nolisés, qu’il y ait interdiction que la famille accompagne le patient. Y a tellement de sphères à aller toucher dans le fond, la Commission Viens les avait mis en lumière. Ce qui est arrivé à Joyce malheureusement c'est un peu d’appliquer tout ce qui avait été recommandé finalement.
Katherine : Et suite au décès de Joyce, au Principe de Joyce, est-ce que vous croyez que les municipalités plus que la province devraient s’engager à respecter un plan d’action qui cible les appels à l’action du rapport Viens?
Cyndy : Je pense qu’ils sont autant responsables, tout le monde. Mais je pense que le municipal, là on a une belle portée, ça va bien, on a des municipalités qui lèvent la main de plus en plus et qui se demandent comment adopter par résolution et tout ça. Je pense que si on est de plus en plus à le faire dans des municipalités, tsé c'est une gestion locale, donc si on est de plus en plus forcément ça va rayonner sur l’ensemble du Québec. Donc, je pense que c'est une façon de faire qui est très prometteuse. Moi j’ai espoir. Pour l’instant avec le gouvernement du Québec y a pas de développement possible, donc essayons autrement. On a une bonne réponse ça va bien, moi je garde espoir.
Katherine : Donc, justement en parlant d’espoir, au bout de tout ça est-ce que le Rapport Viens crée une lueur d’espoir pour tous les peuples autochtones au Canada?
Cyndy : Peut-être pas au Canada, mais au Québec j’ose espérer un peu, mais en même temps je me rends compte que les gens ne le lisent pas tant. On l’a vu dans les médias avec Joyce, ce qui est arrivé malheureusement y a certains gestionnaires qui ont comme : ah! J’ai demandé à mon équipe de lire le rapport. Moi, j’en revenais même pas de lire ça, je me disais c'est décevant, c'est… Parce que le Rapport Viens, y est bien écrit là, il est facile à lire, il est accessible. C'est pas dans une écriture scientifique qui est compliquée. Puis y a des fiches aussi, pour les gens qui ne le savent pas, y a des fiches sur le site, qui sont le résumé de ce qui a été constaté. Donc, je trouve ça tellement accessible, j’espère que ça peut toucher les gens, mais malheureusement, c'est ça, je me rends compte que c'est pas tout le monde qui l’a lu. Donc euh... je ne sais pas la portée que ça peut donner finalement là.
Katherine : Mais dans le rapport, y a des mesures de suivi qui sont censé s’assurer que les appels à l’action vont être répondues, vont être réalisées. Est-ce que vous croyez que c'est vraiment des mesures de suivi ou c'est juste pour dire qu’on prétend prendre des actions?
Cyndy : Ouf… c'est une question qui est difficile à répondre dans le sens que : on a un discours politique dernièrement avec le changement de ministre aux Affaires autochtones qui veut… qui veut être dans l’action et se mobiliser pour répondre aux deux différents rapports. Mais concrètement, qu'est-ce que ça va donner? Y a des choses qui sont profondes là-dedans, notamment au niveau des services policiers là tsé, c'est pas rien ce qui est demandé par les chefs. Et c'est vraiment ce qui a été aussi entériné comme recommandation par le commissaire. Donc, est-ce que Québec va s’engager là-dedans? Honnêtement rendu à ce moment-ci j’ai des doutes, l’avenir va nous le dire, mais j’ai des doutes. Le temps avance pis y a pas eu tant d’avancés que ça encore sur les 141 appels à l’action. On va se le dire.
L’ENFADA c'est la même chose. Donc je sais pas, je suis de nature optimiste d’habitude. Mais il reste que c'est encore un rapport de commission d’enquête et vous savez un peu notre façon de voir les issus de tout ça. Donc je ne sais pas.
Katherine : Ce serait quoi la prochaine étape? Au lieu de toujours refaire des commissions d’enquête, de refaire des consultations de ce type-là, est-ce qu'il y a d’autres moyens qu’on pourrait pour rejoindre la communauté?
Cyndy : Oui, absolument, ben enchâsser la DNUDPA dans un cadre légal, ce serait le rêve.
Katherine : Est-ce que vous pourriez élaborer sur ces acronymes?
Cyndy : Oui. Non ben en fait c'est la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones. En fait, ce que ça dit, c'est sur deux plans. C'est sur : enrayer la discrimination toute forme de discrimination envers les premiers peuples. Puis c'est aussi de favoriser une autodétermination. Je pense que comme pays et comme province, si on réussit à aller résoudre, dans ces deux avenues-là, tout ce qui englobe la DNUDPA, ben on va être une société meilleure. Nous, les Premières Nations, on va être des peuples heureux. Mais je trouve qu’on nous confine encore dans un paternalisme qui perdure. L’autodétermination elle est refusée à certains égards encore. Je trouve ça difficilement justifiable. Moi je suis une Première Nation, je considère que je suis éduquée. On n’est plus en 1800. Je ne comprends pas qu’on nous refuse ça, je trouve ça absolument incompréhensible, j’ai pas d’autres mots. Je me dis, la génération qui suit, qui sont mes enfants, eux y vont le faire le changement parce que en nombre, ils sont… on le sait là, le taux de natalité des autochtones est vraiment favorable, les jeunes sont vraiment très représentés, ils sont éduqués et ils sont impatients. Donc, ça j’ai bon espoir que si c'est pas ma génération qui réussit à… ben ça va être la prochaine. Je pense que de toute façon il n’y aura plus de retour par en arrière.
Des fois je me demande ça, tsé comme Première Nation je me dis, souvent les Québécois on a un peu le même genre d’objectifs, les mêmes revendications de se faire reconnaitre comme nation, l’autodétermination, le territoire et tout ça, des fois j’ai peine à comprendre qu’on n’arrive pas à mieux vivre ensemble dans tout ça. Il me semble qu’on devrait se reconnaitre et s’allier. Ça de fois je trouve ça un peu difficile, je ne comprends pas qu’on ne le fasse pas maintenant. Parce que le nombre, comme je vous dis là, les jeunes qui s’en viennent, qui sont impatients, ben ça va donner quoi comme résultat finalement si c'est encore toujours des batailles. Je pense qu’on n’a rien à gagner à se battre on devrait s’entendre.
Katherine : Je suis bien d’accord avec vous, on devrait juste arrêter…
Cyndy : Oui…
Katherine : […] de se battre pour tirer son bout de couverture comme on dit.
Pour terminer, moi j’aimerais avoir votre impression un peu, au niveau de votre profession, de votre présence politique, vous côtoyez un grand nombre de gens qui viennent de tous les milieux. Est-ce que vous voyez cette vague de changement?
Cyndy : En fait oui, puis je le vois beaucoup… moi je suis doctorante, je suis étudiante, et ces temps-ci c'est incroyable la vague qui se passe dans les milieux universitaires et collégials. En tout cas il y avait des balbutiements évidemment, des chaires de recherche ou des conseils étudiants. Mais là, c'est comme incroyable, depuis novembre je vois que les gens déploient leurs énergies à faire des initiatives inclusives pour les étudiants, pour les employés, pour faire de la place à la recherche autochtone. Ça, je trouve ça vraiment bien. Au niveau politique, je pense que c'est un peu le statuquo avec notre gouvernement actuel malheureusement je suis honnête dans ce que je dis. J’ai bon espoir qu’à un moment donné le vent puisse tourner, mais malheureusement je trouve encore que les Premières Nations et les Inuits au Québec ont fait les frais de partisaneries politiques. Je pense que Monsieur Legault son électorat est beaucoup plus important que nos droits actuellement et c'est malheureux. J’espère qu’à un moment donné y va y avoir une occasion de réviser cette façon de faire là, parce que je trouve ça malheureux on n’avance pas actuellement au niveau politique québécois. Au niveau fédéral, ben on a toujours les belles promesses et l’engagement du gouvernement actuel. Mais on s’en va vers des élections, qu'est-ce que ça va donner? On retient un petit peu notre souffle. Mais bon, y a des belles choses qui se passent, y a le projet de loi C15 qui a été déposé en décembre. Donc, allons voir où ça nous mène. Mais, comme toute chose, je ne vous surprendrai pas quand je vous dis que je me garde une réserve avant de crier victoire.
Katherine : C'est une attitude compréhensive.
Cyndy : J’ai été éduqué comme ça.
Katherine : Et pour clore l’entrevue, est-ce que vous avez un mot de la fin, est-ce que vous avez quelque chose que vous aimeriez partager qui n’a pas été dit?
Cyndy : Ben, si on regarde le droit, moi je me souviens justement à la Commission Viens, Monsieur Saganash avait parlé de 150 ans de bataille juridique, j’aimerais ça que ça arrête. C'est mon vœu, je me dis… moi j’ai une fille de 18 ans qui étudie le droit, puis elle c'est son intention c'est d’une façon quelconque d’aller faire valoir notre droit à la dignité, notre droit à la reconnaissance, notre droit d’être respecté. Donc, je ne sais pas de quelle façon qu’elle va le faire dans quel type de droit qu’elle va le faire, mais je fais juste partager un peu ce qui s’en vient. Donc, c'est ça, ce serait bien qu’on se tende la main, mais qu’on se donne la main finalement, pas juste la tendre se donner la main. C'est tout c'est mon mot de la fin.
Katherine : C'est un très bon mot de la fin. J’adore! Bien merci énormément Madame Wylde.
Cyndy : Bien ça me fait plaisir.
Katherine : Un grand merci Madame Wylde de votre participation à Juriste branché. Je n’ai pas l’ombre d’un doute que nos auditeurs en ont appris beaucoup sur le Rapport Viens et le droit autochtone grâce à vous. À nos auditeurs, via Twitter partagez-nous vos impressions grâce au Rapport Viens et la Commission d’enquête sur les relations entre les autochtones et certains services publics. Que pouvez-vous faire en tant que juriste et avocat? N’hésitez pas à partager cet épisode sur vos réseaux sociaux et à nous suivre sur Twitter @nouvelles_ABC. Pour nos épisodes précédents et futurs, abonnez-vous à Juristes branchés sur Apple Podcast, Stitcher et Spotify et n’hésitez pas à nous laisser des commentaires et des évaluations sur ces plateformes. Vous y trouverez également notre balado en anglais : The Every Lawyer. À la prochaine.