Me Marie Laure Leclercq
This is Conversation with the President presented by Canadian Bar Association
Intervieweur : Santé Marie Laure.
Marie Laure : Santé Steeves.
Intervieweur : C'est un plaisir de t’avoir pour mon balado Entretien avec le Président. Ça fait plusieurs fois qu’on essaie de se rencontrer dans nos horaires mutuellement chargés. Voilà! c'est aujourd'hui. Je suis très excité de pouvoir te poser toutes les questions que j'ai imaginées en préparation de cet entretien.
Marie-Laure : Merci de me recevoir Steeves.
Intervieweur : Je me permettrai de t'appeler Marie Laure durant notre entrevue. Un petit retour sur ta carrière. Après avoir complété un baccalauréat et une maîtrise en sciences appliquées à Polytechnique, tu as ensuite complété ta licence en droit à l'Université de Montréal, complété ton barreau, ainsi qu'un MBA à l'université McGill. Tu es devenue agente de commerce et tu as débuté ta carrière chez Desjardins-Ducharme en droit corporatif commercial, propriétés intellectuelles et financement bancaire. Tu as ensuite travaillé chez Bélanger-Sauvé depuis plus de 25 ans. Tu pratiques chez Degrandpré Chait en droit corporatif, commercial, dessin industriel, brevets, etc. Tu as occupé plusieurs postes d'administratrice au sein de conseils d'administration d'entreprises, notamment dans le domaine de la technologie. Je sais que tu as été aussi une haute dirigeante d'une compagnie technologique, peut-être qu'on en parlera tout à l'heure.
Au sein de l'Association du Barreau canadien tu as été présidente de la division du Québec en 2008 -2010. Tu as été membre du Comité national CORIS, la Conférence sur l’orientation et l’identité sexuelle, et fondatrice de ce même comité pour la division du Québec. C'est d'ailleurs à l'événement de lancement de 2007, le temps passe vite, que nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Tu es membre fondatrice du Forum des femmes de l'ABC, instigatrice du Comité législation et réforme du droit. Tu as aussi été administratrice des Outgames de Montréal, et l'une des signataires de la Déclaration de Montréal. Tu as été aussi très impliqué à la Chambre de commerce LGBT du Québec, et je vais devoir en passer, mais je me dois de souligner que tu es la première femme avocate ayant fait sa transition tout en exerçant dans un cabinet au Québec. Tu es une pionnière, un modèle pour toute une génération. C'est un honneur de t'avoir avec nous aujourd'hui Marie Laure.
La première question, comment vas-tu?
Marie-Laure : Je vais très bien. Sauf que c'est une journée un peu particulière, en fait on va peut-être y revenir, comme tu le sais, je n'ai pas internet chez moi. Et là, je trouve que pour l'occasion, c'est un heureux hasard, et tu sais combien j'aime les hasards et j'aime leur donner un sens caché, provenant de quelque part. Parce que, effectivement, quand je vais retourner chez moi ce soir, je vais retourner dans la grande noirceur, parce que je vais être coupé de toutes sources d’information. En fait, ça va très facilement me remémorer la condition dans laquelle j'étais avant 1998, lorsque, désespérée, je cherchais des ressources pour éventuellement effectuer ma transition.
Intervieweur : Tu m’amènes à ma deuxième question. Peux-tu partager avec nous ton parcours, sens-toi libre de me dire, et aux quelques centaines de personnes qui, je l’espère, vont nous écouter, de nous partager les éléments de ta vie qui font de toi qui tu es aujourd'hui, tes défis et tes moments de bonheur.
Marie-Laure : Écoute, on va essayer de faire ça court. Je vais te dire tout d'abord, les moments de bonheur, si j'ai à décrire mon enfance, je crois que j'ai vécu mon enfance dans la lumière. J'ai eu une enfance des plus heureuses, j'ai été catapulté sur cette planète et j’étais à toute occasion ce que l'on appelle un enfant enthousiaste. Si tu t’interroges sur l'étymologie du mot enthousiaste, ça veut dire entheos, je vivais en Dieu, quelle que soit le sens que l'on donne à ce mot-là. Je faisais un avec le monde et tout était magnifique. A suivi une adolescence, et là je suis rentrée dans la grande noirceur pour toutes sortes de circonstances qui ne sont pas pertinentes pour aujourd'hui. Mais, je me suis sentie tout d'un coup complètement perdu. Je me suis introverti, je me suis renfermé à moi-même, j'ai souffert beaucoup. Puis, je me suis plongé dans les sciences pour essayer de m'accrocher à quelque chose. Honnêtement, c'était vraiment une période très difficile. Là, j'ai étudié, je passais des journées à la bibliothèque de Polytechnique, j'ai eu un emploi comme ingénieur. J'ai eu quand même quelques expériences. Je suis allé dans le Nord comme arpenteur, en tout cas, diverses expériences intéressantes.
Là, j'ai commencé le droit et j'ai pris conscience de ma condition plus particulièrement parce que, je ne sais pas ce qui en est pour toi, mais on vit des choses, puis ça nous passe et puis dépendant du degré de conscience que l'on peut avoir, on n’y attache pas nécessairement d'importance. On ne réfléchit pas sur ces expériences-là, il n'y a pas une espèce de fil conducteur qui explique tout ça. Donc, moi je vivais des choses qui passaient dans mon esprit, puis ça disparaissait. Un beau jour, d'abord il y a eu, et je tiens à souligner l'importance qu'elle a eue dans ma vie, il y a eu un première page du Journal de Montréal, il y avait la photo de Micheline Montreuil qui passait en cours. Qui, une fois passait en tant que Micheline Montreuil et à d'autres occasions passait en tant que Pierre Montreuil. Ça m'intriguait grandement. Parce que c'était une avocate et elle avait cette condition de dysphorie de genre et avait le culot de se montrer sur la première page. Pour moi c'était un courage exceptionnel.
Comme tu le sais, parce qu'on en a déjà parlé dans les conférences qu'on organise ensemble, le changement législatif de 1978 a également eu un grand impact pour moi. Lorsque pour la première fois il a été prévu qu'il y avait la possibilité de changer de sexe en effectuant des chirurgies. Pour moi ça a été…
Intervieweur : Quel effet ç’a eu sur toi?
Marie-Laure : J’étais sur les bancs de la faculté à l'Université de Montréal, je m'en rappelle très bien. C'est comme si je venais de manger deux coups de poing de Sylvester Stallone dans la face. C'était comme : Pow! Pow! Ça ne se peut pas! Puis là, je me suis dit : c'est pour moi ça, c'est sûr! Il n'y a même pas l'ombre d'un doute. C'était clair, c'est pour des gens comme moi.
Intervieweur : La possibilité de pouvoir changer de sexe légalement.
Marie-Laure : Voilà! Donc ça existait, il y avait un mot, il y avait un processus il y avait toute une démarche. Mais, quand même, les quelques années de vie que j'avais derrière moi, j'ai quand même toujours été sous des côtés de ma personne qui devaient être un peu plus fantasques. Je suis une personne très conservatrice et très prudente. Tout de suite, je me suis dit : c'est impossible, je ne peux pas faire ça. Puis, je me suis dit : je le ferai quand j'aurai 40 ans. Puis c'était comme un sort que je me suis jeté. Effectivement, à 40 ans jour pour jour, je suis allé sur le boulevard Saint-Joseph voir un psy pour lui dire : je veux changer de sexe. Puis le psy m’a interviewé pendant deux heures et il m'a dit : pourquoi avez-vous attendu si longtemps? C'était un peu facile pour lui de dire ça, parce que lui il voit ça de son côté médical. Mais disons que les épreuves à traverser, je savais très bien qu'elles existaient. Surtout dans le milieu dans lequel toi et moi on évolue, le milieu des cabinets d'avocats qui peuvent effectivement défendre de grandes idées, puis supporter les droits de la personne acquis, etc. Mais, quand vient le temps de servir les clients, puis de la réputation du bureau, puis des qu'en-dira-t-on, et toutes ces dimensions un peu plus prosaïques, dirons-nous, bien souvent ça se concrétise un peu plus difficilement.
Toujours est-il que j'étais dans ce mode de prudence et j'ai géré ma vie comme je le pouvais, c'est-à-dire en la dédoublant. Je vivais une double vie. J'ai développé un savoir-faire extraordinaire de pouvoir me métamorphoser une, deux ou trois fois par jour, tchouk, tchouk, tchouk, m'habiller tchouk, tchouk, tchouk, avoir des kits un peu partout, vraiment une double vie.
Intervieweur : Donc, tu continuais à vivre ta vie professionnelle…
Marie-Laure : Professionnelle et dans cette période là, après mes années chez Desjardins Ducharme, j'ai eu un client qui m'est arrivé par le bénévolat que je faisais dans la communauté française, j'ai eu un client qui m'a recruté. Finalement pendant trois ans, j'ai fini comme étant vice-président exécutif d'une entreprise de 300 personnes en technologie, qui était sur cinq continents. J’avais… j’avais… I was success! J'étais un gars qui était un succès. I was leaving a Big Life! Et puis, était en train de devenir Superman, effectivement. La question qui tue c'est effectivement celle que tu poses, moi à l’intérieur il y avait un malaise intense! Intense! D'être une fraude, de savoir que I was acting. Et puis je le savais.
Par exemple, quand je partais en voyage en France, dans ma valise il y avait toujours un petit kit pour pouvoir, quand je me retrouvais avec moi même le soir, pour pouvoir m'habiller, mon petit kit pour me réconforter.
Intervieweur : Ta muzette.
Marie-Laure : Voilà! Exactement. On ne peut rien te cacher, je vois que tu… Et…
Intervieweur : Ce sera pour une autre émission.
Marie-Laure : Et en fait aussi, ce qui est très commun de toutes les personnes, les femmes trans de ma génération, j'en ai au moins six ou sept à l'esprit dont les noms viennent tout de suite, on a tous essayé d'être Superman. Descendre la rivière Mackenzie en canot en février, devenir champion de Moto Cross-Country canadien. Moi, j'ai fait des arts martiaux, parce que I want to become a Man.
Intervieweur : Aller aux extrêmes de ce qu'est un homme.
Marie-Laure : C'était toujours ça, et, frapper à l'âge de… j'en avais un qui avait travaillé pour la US Navy durant la guerre du Vietnam, qui posait des bombes sur les sous-marins ennemis, ce genre de profil là, pour prouver que… En général, c'étaient tous des « he man » vraiment. On a maintenant l’exemple a posteriori de Katleen Jenner, qui était la championne, American Champion.
Intervieweur : Du décathlon oui.
Marie-Laure : Et du décathlon et qui finalement a fait son coming-out 30 ans plus tard. Donc, ce profil-là psychologique il existe, d'une personne qui se bat avec elle-même. C'est vraiment de ça dont on parle, cette dualité, qui avait cette espèce de modèle masculin qu'on ne peut pas atteindre. C'est vers 40 ans, 45 ans, que là [00:12:26] n'est plus possible. Il y en a qui passe au suicide, il y en a… mais c'est la situation, et je suis passé dans cette situation là. Moi au niveau du timming, ce qui est arrivé au niveau de cette lutte intérieure, c'est qu'il y a eu internet. Internet est arrivé et puis…
Intervieweur : À la fin des années 90.
Marie-Laure : Oui, 98 à peu près, déjà en 97 on pouvait aller sur des sites, j'avais réussi à me faire ami avec une personne en Californie. J'ai essayé d'avoir de l'information sur le Canada, there was nothing! Et le jour où j’ai réussi à avoir une amie qui était le professeur Jensen à l'Université McGill, à qui j'ai réussi à parler, elle m'a dit : va voir un tel. Tout de suite : Ploum! Ploum! Je suis allé dans un groupe de soutien Crossroads. Puis, dans ce groupe il y avait un jeune qui avait 16 ans, puis le jeune je lui dis : comment tu as su cela? — Bien, sur internet! Là, j'étais jalouse, parce que j'avais 25 ans de plus que lui, et puis c'est ça. Alors que j’avais toutes ces années-là avant internet, j'avais appelé à l’Hôtel-Dieu, on me disait : oui, tel médecin fait ça, mais il a pris sa retraite, rappelez dans 6 mois. Je rappelais dans 6 mois : ouais mais…
Intervieweur : C'est une expertise rare.
Marie-Laure : C'était très rare et puis je n’avais pas eu le réflexe de… en tout cas, j'étais peut-être très inhibé, j'étais une personne très occupée aussi.
Intervieweur : Parce qu’à ce moment-là, la chirurgie était un prérequis.
Marie-Laure : Absolument. Alors ça, c'est clair que… j'étais prête à le faire. On s'entend que j'avais également des hésitations. J'étais sûr que je voulais avoir ma poitrine, mais en bas quand même, on a toutes sortes de… qu'est-ce qu'on connaît de l'impact que peut avoir la disparition de la testostérone et toutes ces choses-là. Ce sont des mystères qui semblent assez insondable et pour lesquelles on a très peu d'informations. À l'époque, encore une fois, il n'y avait pas de Wikipédia, il n'y avait rien. Alors, c'est cette grande noirceur, et je trouve qu'aujourd'hui le fait que chez moi en ce moment je n'ai pas d'internet, je trouve que le timing est bon. C'est un… it’s a good omen.
Intervieweur : C'est un signe.
Marie-Laure : Oui, c'est un signe. Alors, l'autre chose qui est arrivée, j'ai commencé à avoir un support psychologique, j'ai participé à un groupe à l'hôpital, etc. Mais, ce qui a été sensationnel c'est quand même temps que j'avais ma petite démarche personnelle, le monde changeait. Le monde quant à moi, je pense qu'il a changé. Il a eu cette accélération et cette modification de toutes ces idées, de toute cette conscientisation des causes LGBT grâce à internet, la circulation des idées, ils ont commencé à avancer. Je pense que ça s'explique. Combien j'ai été abasourdi, à un moment donné, de voir un cahier spécial de la Presse au début des années 2000 sur la réalité trans et tout, c'était assez sensationnel. Puis comme tu le sais, les années 2000, il y a eu d'autres avancées au niveau de la communauté LGBT, le mariage gai qui a été un combat extraordinaire.
Intervieweur : Peux-tu nous parler, tu as fait ta transition dans ton cabinet, tu es resté dans le même milieu de travail. Pour moi j'ai toujours jeté un regard très courageux à cette expérience-là que tu as eue. Peut-être en pensant à nos auditeurs qui se disent, si j'ai à accompagner quelqu'un, un collègue passe à travers cette expérience-là, peux-tu nous dire qu'est-ce qui t'a supporté? Quels comportements ou attitudes ont été aidantes et lesquels sont à éviter?
Marie-Laure : Encore une fois, on parle d'une réalité qui a complètement changé. Je vais le dire encore, ç’a complètement changé. Parce que quand on est des avocats du secteur privé, encore une fois mon amie Olivia était professeur titulaire à McGill quand elle a fait sa transition. Elle avait sa permanence et tout ça. Elle a connu l'ostracisme, elle a connu l'isolement, mais au moins au niveau monétaire elle avait de quoi survivre. Il y avait ce côté-là qui est quand même une dimension non négligeable, on ne se le cachera pas dans notre présence sur terre. Moi, si tu veux, j'avais une base de clientèle technologique, en particulier j'avais un gros client, j'étais sur bras droit. J'ai tout fait pour lui en 10 ans. Un moment donné j'ai pris mon courage à deux mains, je suis allé le voir, puis je lui ai dit : voilà! Je lui ai montré une photo de Marie Laure qui était vraiment pas ressemblant de Philip du tout, pas du tout, du tout. Là, c'était un gros choc pour lui. Et il m'a dit candidement : écoute si tu es mieux dans ta peau, mes plus fidèles collaborateurs sont des femmes, vas-y je t'appuie à 100%.
Je suis sorti de là, mon [00:17:56] représentait la moitié de ma business, je rêvais. Alors, j'ai fait ça, et oui j'ai du courage, oui j'étais naïve aussi, très naïve.
Intervieweur : Mais avais-tu le choix?
Marie-Laure : Voilà. Ta question elle est à plusieurs niveaux. Vue d'un certain niveau, qui peut être un niveau plus prosaïque simple, comme si la vie était juste au-dessus de la surface, ç’a l’air bien facile de décider. Mais ce n'est pas à ce niveau-là que ça se passe. Toujours est-il que, il y avait eu aussi des fuites, parce qu’au départ j'avais informé une avocate du bureau qui a tout de suite diffusé l'information, c'est parti comme une traînée de poudre et en 24 heures tout le monde le savait. Alors qu’elle m’avait promis sur la tête de ses enfants qu'elle ne le dirait à personne. Tout ça ce sont des choses qui t'arrivent, tu peux dire : j'ai été trahi. Mais en même temps c'est peut-être ce qu'une partie de moi-même désirait aussi, va-t-on savoir. Et c'est comme ça que ça se passe, ça se passait en tout cas en l'an 2000. Quand j'ai fait mon coming out, devant tout le bureau, on parle quand même de 200, 250 personnes au party de Noël, je m'étais bien préparée, puis j’avais ma conseillère vestimentaire qui avait fait un bon show. Et puis, bien j’ai vu des visages, et j'ai vu des gens qui ne me parlaient pas et qui du jour au lendemain se sont mis à me parler et à me manifester une grande sympathie. En particulier toutes les assistantes et les avocates. Ça, ça a été un succès phénoménal. Chez les avocats, il y avait des personnes qui en avaient entendu parler. Il y avait eu un mémo qui circulait quelques mois auparavant, disant que j’allais faire mon coming out à Noël. Il y a des gens qui sont venus faire des déclarations, me disant qu'il n'y avait aucun problème pour eux, sauf que la minute qu’ils m’ont eu dans ma nouvelle identité, ils ne m’ont plus jamais adressé la parole. Là, je n’exagère pas quand je dis ça, c'est strictement vrai et je me sens à l'aise de le faire, parce que ces gens-là ne sont plus au bureau de toute façon.
Encore une fois, je suis bien consciente que… comment dire… l'adversité à laquelle j'ai pu faire face, j'en étais mon propre artisan en partie. Il y a peut-être une partie qui appartient aux autres, mais ça, ça fait partie de la dynamique. Je peux très bien entendre des voix qui me disent : comment as-tu pu être aussi stupide que de croire que ça n'aurait pas de conséquences sur ta pratique. Mais, la bonne nouvelle, c'est l'espoir. L'espoir, ça, j'ai eu ça. Là, tu découvres… moi c'est quoi m'a beaucoup aidé dans ça, il y a ma pratique zen. J'ai eu la chance d'avoir un maître de zen qui m'a fait faire des retraites fermées très sérieuses et qui m'accompagnent encore aujourd'hui. Qui m'ont permis de découvrir la partie immergée de l'iceberg. Et en même temps, comme je l'ai dit quand j'ai reçu le prix du [00:21:32] Award, du Barreau canadien, il y a eu dans cette traversée du désert que j'ai vécue, il y avait une oasis au loin et cette oasis, ç'a été l'Association du Barreau canadien, où j’ai reçu beaucoup d'empathie et beaucoup de soutien. Je crois que j'ai fait un peu de bien, je me suis réalisée dans ça.
Parallèlement à ça, au niveau du travail, j'avais quand même des amis, j'ai quand même réussi, bon an mal an, à avoir une pratique réduite, mais une pratique concrète qui m’a… que j’ai encore .
Intervieweur : J’ai une question que je ne t'ai jamais posée, si c'est possible.
Marie-Laure : Oui
Intervieweur : Tu as une expérience unique d'avoir été dans ta vie, à la fois dans le rôle social d'un homme, dans le rôle social d'une femme.
Marie-Laure : Oui
Intervieweur : Alors, tu as une position privilégiée pour nous parler de la fameuse question de l'égalité homme et femme, du traitement identique ou différent ces deux genres. Alors, dis-nous tout ce qu'il faut savoir.
Marie-Laure : Alors, comment te dire… quand j'ai fait mon changement, comme je te parlais iceberg, j'aime bien l'image de l'iceberg, parce qu'on essaie d'avoir des mots qui nous structurent, là tu m'interroges sur moi même, puis là il va y avoir des mots qui vont sortir de ma bouche, et il y a des personnes qui vont entendre et qui vont pouvoir utiliser des mots et qui vont essayer avec ces mots-là de m'identifier. L'identité, c'est le gros sujet. Quand on parle de gender identity, c'est toute la question, la question des identités. La présence sur terre, la minute où notre mental arrive sur la terre, on met des mots et on essaie d'identifier les choses. Puis, quand une société se structure, on essaie d'avoir des catégories de structures, ce qui est bien et n'est pas bien. C'est comme ça que ça fonctionne. Mais là en fait, on s'entend que tout ça est un grand fantasme et quand on rentre un peu plus dans le dessous du iceberg, on s'aperçoit que la grande réalité qui nous gouverne, elle se préoccupe assez peu de toutes ces contingences.
Ceci étant dit…
Intervieweur : La question était…
Marie-Laure : Ceci étant dit, la question étant, c'est que j’ai entendu, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le podcast de Kael McKenzie que je connais bien, qui est une amie que j'ai côtoyée au SOGIC, qui est maintenant juge à Winnipeg. Donc, il a fait sa transition, je m’excuse du pronom, moi je l’ai connu dans son ancienne identité. Il exprimait à la fin, en réponse à ta question, en disant que lui se considérait clairement comme une personne hétérosexuelle masculine, etc. Et, si tu veux, tu m'aurais posé la même question à moi il y a peut-être quatreou cinq ans, je t'aurais dit la même chose : je suis une personne… peut-être pas hétérosexuelle, mais je suis certainement une femme comme tu le sais, c'est comme ça que je me suis inscrite au recensement fédéral, et je me considérais comme une femme. Je me suis tellement battu. J'ai fait des transformations sur mon corps pour rentrer dans la catégorie des femmes. Donc, j'aurais également eu ce même genre d'attitude d'affirmation.
Aujourd'hui, après Center for Gender, aujourd'hui après l'avancement de la cause des personnes non binaires et des réflexions que ça m'a suscitées profondément, intimement, ça me ça me confirme que, si la même expérience que j'ai vécu au début de ma vie était répétée aujourd'hui, je ne sais pas comment ça aurait tourné. Peut-être que j'aurais été dans une espèce de compromis qui est peut-être fluctué dans le temps et qui aurait peut-être été pluriel. Parce que maintenant, encore une fois, après réflexion, comme tu le sais on a rencontré beaucoup de gens, on a eu l'occasion de discuter de ces choses-là. Je suis plus à l'aise pour avoir entendu des jeunes avec les notions que l'identité peut être plurielle et qu'elle peut être évolutive aussi.
Je ne pense pas qu'il y a quelqu'un qui a la vérité ce que j'y vois, c'est que ce sont des notions complexes et qui peuvent changer. Mais, l'autre grande distinction que je voulais faire avec la prestation de Kael, c'est que Kael est un homme trans. Lui, ce qu'il a réalisé, c'est que c'était une femme, et c'est devenu un homme. Son intégration s'effectue très bien. Moi, quand j'ai fait mon changement, j'étais un homme et je suis devenue une femme. Là, les deux post-transitions, on était tous le deux des personnes trans. Donc, on vivait, on a vécu cet étiquetage social d'être regardé comme des personnes qui étaient quelque peu différentes et qui rentraient dans cette catégorie incertaine LGBT. Mais, l'issue de ça, pour ce qui est de Kael, et il se retrouvait un homme, et moi, j'ai découvert que je devenais une femme. Là j’ai compris ce qu’était une femme.
Intervieweur : Alors qu'est-ce que c'est?
Marie-Laure : Alors, je te rappelle que lors d'une présentation qu'on a donnée ensemble devant le tribunal du logement, il y avait un juge à la fin de la représentation qui a dit : Maître Leclercq, je ne peux pas comprendre moi, pourquoi un homme veut devenir une femme. Je lui ai dit : qu’en effet, si ma motivation n'était qu’individuelle, pour des bénéfices et pour du respect social, c'était incompréhensible. Sauf que dans mon cas, je dirais honnêtement, et si j'essaie de faire du sens dans tout ça, c'est que d'abord il y a une réalité intime, et d'autre part ce qui est devenu ma cause fondamentale, c'est une question de justice. Là, si je me remémore aussi jeune que je pouvais l'être, je me rappelle ma mère qui me racontait que son frère, qui était devenu millionnaire, avec sa pharmacie, etc. et elle qui était 10 fois plus intelligente que lui n'a pas pu. Elle voulait être médecin et ne pouvait pas. J'ai trouvé ça injuste, pas un peu injuste, fondamentalement injuste. Et cette espèce de banalisation de cette injustice, ça me porte toujours.
Quand je vois d'anciens collègues qui me regardaient avec intimidation, parce que dans mon ancienne identité, je pouvais être intimidant. Et là, ils me croisent, et là, on voit l'attitude changer, on voit l'attitude collective changer, on voit une espèce de distanciation, ensuite on voit l'humiliation.
Intervieweur : Alors que tu es la même personne, mais tu n’as pas la même identité.
Marie-Laure : Je suis fondamentalement la même personne. Alors cette espèce de poids, qui est, encore une fois, le prix des religions abrahamiques qui ont prévalu.
Intervieweur : Millénaires.
Marie-Laure : Millénaires. Ce poids-là, je le porte comme un fardeau, et c'est ma cause. Et cette vision qui est présente dans ses murs, qui est présente partout, qui est toujours cette façon fondamentale, sur laquelle on travaille, mais qui est de voir les choses de manière binaires, où plus de la moitié de l'humanité ce défini dans le regard dominant de l'autre moitié. Et, c'est toujours perçu verticalement. C'est comme s’il faut toujours avoir ce poids-là qui est, si on y pense deux secondes, complètement infondé, infondé! Aujourd'hui, il y a eu l'annonce, si j'ai bien compris, d'une grande indemnisation pour les enfants autochtones, on parle d'une dizaine de milliards. Je me demande quel serait le montant en milliards qu'on devrait payer pour les injustices faites aux femmes durant, mettons, on va juste dire, les 100 dernières années. Alors, si tu me demandes, cette dimension de cause des femmes pour moi ça compte beaucoup. Mais ça n'enlève rien à la lutte des personnes transgenres. Alors est-ce que j'ai répondu à ta question? Plus ou moins.
Intervieweur : C'était divin.
Marie-Laure : Tu vois, si on va… là je reviens avec mon iceberg, on peut parler du yin et du yang, c'est que nous sommes tous un peu animés, tu te rappelles lors de notre dernière représentation, j'ai interpellé chacun des participants en leur disant que… il y avait un homme devant nous, je lui ai dit : « vous savez ce n'est pas que vous n'êtes pas en contact avec la partie féminine de votre personne qu'elle n'est pas là. » Réciproquement, je lui ai dit la même chose. C'est un peu cette notion de l’iceberg. Si on va voir un peu, ce n'est pas moi qui le dis, les grands psys du début du 20e siècle, si on pense à Freud qui parlait de l'inconscient, qui parlait aussi de la pulsion de désir. Cette pulsion d'un désir, c'est la pulsion d'amour, c'est la pulsion de rapprocher de l’autre. Alors qu’il y avait Adler que lui disait que la pulsion fondamentale était la pulsion de puissance. On s'entend que la première c'est plus le côté féminin de chacun et la deuxième c'est le côté masculin de chacun. Il y a même des images en zen où on va dire que, si on prend la métaphore pour ce qui est du côté masculin, c'est le grain de sable dans le désert où on essaye de devenir le meilleur grain de sable dans le désert. Alors que du côté féminin, on peut prendre l'image de la goutte de mercure, qui tend à se fondre dans l'ensemble pour disparaître en tant que personne et pour participer, d'une manière océanique, à l'ensemble de la conscience universelle.
Toutes ces préoccupations-là, c'est ça qui m’a permis moi de survivre dans tout ça, de donner un sens à tout ça. Ça, il faut le réaliser, c'est un vrai combat.
Intervieweur : Qui est rempli de sagesse.
Marie-Laure : Voilà.
Intervieweur : J’aimerais que tu nous dises ce que tu penses du monde actuel dans lequel on vit. On sait toi et moi, on a donné des présentations sur l'histoire sociale et juridique de notre communauté, des combats qui ont été livrés, des droits qui ont été obtenus souvent à l'issue de longs combats. Mais, on voit un retour en arrière actuellement. Aux États-Unis, on est au mois d'avril et il y a déjà eu actuellement deux fois plus de lois anti LGBTQ présentées devant les assemblées législatives qu'il y en a eu dans toute l'année dernière. Donc, c’est une recrudescence, une augmentation exponentielle, un retour en arrière. On a vu ici récemment des manifestations contre des lectures données par des drag queens dans des bibliothèques, des activités tout à fait volontaires publiques, et on a des manifestations publiques qui s'y opposent. Alors, est-ce que tu es préoccupé?
Marie-Laure : Alors, je réponds tout de suite à ta question, je voulais juste finir, parce que tu m’avais posé la question et là j'ai à l'esprit les personnes de notre profession qui éventuellement envisagent de transitionner ou autre, la raison pour laquelle j'ai fait cette espèce d'incursion philosophique, psychologique et méditative et autre. C'était pour montrer qu'il ne s'agissait pas juste d'une question de hauteur de talons hauts, et que ce n'était pas juste une question non plus d’apparence. C'est qu'il y a de vrais combats, c'est de montrer que : “ you go for the whole thing, you know? You go full monthy” ce n’est pas… c'est pas une mince affaire. Mais si dans le fond de toi tu trouves la vérité que tu recherches, bien il faut faire comme Alice au pays… et il faut passer de l’autre côté du miroir. Puis pouf! And then, you go ground.
Intervieweur : Un nouveau monde apparaît.
Marie-Laure : Un coup que tu es dans ton nouveau monde, il n'y a plus grand-chose qui t’écoeure. Ce que je veux dire par là, c'est que, c'est comme les vagues politiques qui montent et qui descendent comme le niveau de l'eau, pour les personnes qui sont un peu plus vieilles comme moi. Moi, j'ai connu l'arrivée de Reagan et Thatcher, avec toute une montée de mensonges sur la dette publique…
Intervieweur : [00:35:40]
Marie-Laure : C'est ça, et puis sur la culpabilisation des classes ouvrières parce qu'ils perdaient leurs emplois, alors que tout était suite au voyage de Nixon en Chine. On a exproprié les emplois et on a… en tout cas, il y a eu des luttes, et il y a eu de vrais enjeux économiques sous-jacents, sociaux, bien différents du discours public. Ensuite, quand j'ai commencé mon changement, au Canada c'était aussi la fin d'une période libérale. Au bureau, il y avait des associés qui étaient des libéraux, ça paraissait. Et puis les conservateurs étaient un p'tit peu…
Intervieweur : Opprimés.
Marie-Laure : Opprimés. Mais là, quand Bush est arrivé, puis Harper est arrivé, là ils montraient les photos en train de serrer la main à Bush et autres. Donc, je les ai connus ces changements-là, et effectivement, nous les bureaux d'avocats, on est souvent proche de la politique on les voit ces fluctuations-là. Et ces fluctuations-là, elles impliquent, effectivement, les fluctuations au niveau des idées. Parce que c'est de ça qu’il s'agit, ce sont des idées. Oui, il va y avoir encore des déclarations comme celles que tu mentionnes. Le président de l'Ouganda qui a dit que la race humaine était en danger à cause de l'homosexualité. Parce que si on supprimait le désir entre les hommes et les femmes, il y aurait une extinction de la race humaine. Wow!
Intervieweur : La terre est quand même surpeuplée.
Marie-Laure : Comme tu dis, on voit des enjeux qui font la manchette, qui font de bons articles de journaux, ça va et ça vient. Mais, est-ce que je suis optimiste ou pessimiste? Je crois que ce ne sont pas des mots qui s'appliquent vraiment, encore une fois, c'est au-dessus du niveau de l'eau. Oui, bon, pour l’instant… à l'époque je disais toujours : « je sens toujours le souffle de la bête qui me souffle dans le dos. » Elle est toujours là la bête, prête à nous écraser, nous la communauté LGBT. Mais, la beauté c'est justement, ce qui était complètement inespéré, c'est la venue d'internet qui est venu augmenter cette circulation des idées. Autant qu'il puisse y avoir des personnes qui essaient de reculer, je ne suis pas sûr qu'ils vont y arriver. À moins que, et là, c'est la personne technologique qui parle, à moins que les forces réactionnaires réussissent à s'approprier l'intelligence artificielle. Auquel cas, s’ils se renforcent avec des robots, là, on est foutu. Si par contre, les robots prennent la cause des femmes, là ça va bien aller.
Intervieweur : On change d’angle. Qu'est-ce que tu aurais à dire à la jeune Marie-Laure de 20 ans, qui a déjà fait sa transition, puis qui est née en 2003?
Marie-Laure : Ouais. Qu'est-ce que j'aurais à lui dire, d’abord je lui donne une tape sur l’épaule, en lui disant : « mon Dieu, avec tout ton degré d’inconscience et de naïveté, félicitations pour tout ce que tu as fait quand même. C'est surprenant de voir à quel point t'as pu acquérir quand même un peu de sagesse dans tout ça. » Et puis de voir, parce qu'on s'entend que nos professions sont quand même des professions exigeantes qui ne nous laisse pas beaucoup de liberté pour prendre soin des raisons. Dans tout ça, j'ai quand même fait passablement de bénévolat, et je crois qu’au bout de la ligne, ç’a fait du bien à un certain nombre de personnes. Puis, plusieurs personnes m’ont dit que je les ai inspirés. Et ça, j'apprends ça comme un cadeau.
Intervieweur : J’en fais partie.
Marie-Laure : Ben oui, c'est merveilleux de se faire dire ça. Je ne peux pas dire comment. C'est là que tu vois que les étiquettes sont quand même limitatives. Là, je parle de ça, c'était dans les années 2008, 2009, je pense, j'ai reçu une première fois et une deuxième fois un prix de la personne LGBT, grande distinction de la Chambre de commerce gai. Puis là, je leur avais dit au micro : « Vous savez, je pense que je mérite vraiment ce prix, parce que je suis vraiment L G B et T. » Parce qu’effectivement, ç’a été vraiment mon expérience, je les ai tous tricotés les côtés de ça. Puis, tout ce qu'il y avait de commun à toutes ces affaires-là, c'est l'amour. L'amour est ce qui me… c'est cette grande réconciliation avec cette autre partie de moi-même. Je pense que c'est ce à quoi… c'est ce que je souhaite à toutes les personnes à qui je peux parler. Là aussi, grâce à l'approfondissement des connaissances, on voit… puis avec des épreuves récentes comme la COVID et l’isolement que ç’a causé, on voit une explosion de problèmes de santé mentale.
On le voit chez les jeunes et on voit tout ça. Ça gravite, tout, à mon sens, autour de cette notion d'une personne qui ne s'est pas rencontrée elle-même. C'est cette espèce de grande brisure entre la terre et le ciel, entre… Et dès lors qu'une personne va être capable de se retrouver, de se reconnecter, elle va être capable d’abord de prendre soin d’elle-même, et ensuite d’aider les autres. Ça, malheureusement c'est énormément de travail et dans la société dans laquelle on vit, il y a beaucoup de libertés, mais il y a beaucoup de pistes où on peut se perdre. Il y a beaucoup d'endroits, j'ai des amis qui ont des problèmes de drogue, on voit des problèmes de violence. C'est parce que, dans notre… il y a beaucoup de forces dans notre monde qui amènent les gens à se disperser. C'est Pascal qui disait : « Le monde irait tellement mieux, si les gens apprenaient à rester seuls dans leur chambre. » Et peut-être à lire aussi, on oublie les livres, les livres c'est quand même quelque chose de précieux qui nous permet de nous rencontrer un peu plus.
Intervieweur : Marie Laure, un sujet de grande importance et qui est d'actualité, sur lequel on est, toi et moi, souvent interrogé, qui fait partie de nos présentations, c'est la nomenclature, les mots, les pronoms. Pourquoi c'est important et qu'est-ce que ça représente, quels sont tes conseils à la communauté juridique à cet effet-là?
Marie-Laure : J’ai écouté le podcast de Kael, puis j'étais bien contente. Comme tu le sais, on a navigué dans nos conférences depuis maintenant un an et demi et on voit que la situation évolue de province en province. Là, j'ai appris qu'au Manitoba s’était ajoutée une procédure.
Intervieweur : Une directive oui.
Marie-Laure : Systématiquement, une directive pour systématiquement inviter les juges à poser la question : comment s'adresser à la personne. J'ai vu récemment un jugement en Ontario où il y a eu un incendie dans un bloc appartement de pizza [00:43:43]. Et puis, la personne c'était un homme trans qui a été interpellé par la police. Pendant trois heures, le mégenrer, on l'a vraiment humilié.
Intervieweur : Des questions indiscrètes oui, non pertinentes.
Marie-Laure : Des questions indiscrètes, non pertinentes, heureusement, le juge a pris acte de ça, puis il en a vraiment tenu compte dans sa décision. Je pense que ça, c'est un pas dans la bonne direction. C'est le genre de situations qui, souhaitons-le, va devenir un fil directeur dans ce sens-là. La problématique de la grammaire identitaire, aussi au niveau des jugements par écrit, ou la façon de s'adresser aux personnes, je pense que, encore une fois, comme tu l'as bien saisi, la question entre les personnes qui ont changé de genres, c'est une chose. Ensuite, il y a les personnes non binaires qui sont encore une autre réalité.
Intervieweur : Exact.
Marie-Laure : Donc, comme ce qu'on a toujours proposé, pour ce qui est des juges ou des avocats qui rencontrent un client, pour commencer à établir un dialogue, c'est de commencer à se présenter soi-même et ensuite inviter l'autre personne à se présenter elle-même, de telle sorte que, comment elle souhaite qu’on l’identifie elle. Encore une fois, l’idée de faire cet exercice-là, c'est pour nous-mêmes sublimer nos propres a priori.
Intervieweur : Nos présomptions.
Marie-Laure : On voit une personne en jupe, pas de barbe avec des cheveux longs, avec du maquillage, on se dit bon : « it’s a she ». Je veux dire, ça nous prend quoi, un vingtième, un trentième de seconde, c'est pas long. Et c'est ce mécanisme-là qui doit être déconstruit. On a fait des choses plus dures que ça dans la vie. Puis, ce n'est pas quelque chose d'insurmontable comme difficulté. Au niveau de la grammaire, bien là on verra. Je lisais un article intéressant comme quoi, par exemple, Radio Canada aime bien utiliser le « on » aussi, plutôt que le « they ». On pense quoi? C'est pas mal ça aussi quand on s'adresse à une personne que l’on sent qui a des velléités d'avoir une identité plurielle.
Intervieweur : C'est vrai. Le on est non genré.
Marie-Laure : Il est non genré et les multiples potentiellement non genrés. Enfin, il y a des avenues.
Intervieweur : Notre langue est vivante.
Marie-Laure : Et la langue est vivante, et même le français est vivant, parce qu’apparemment le « ielle » est rentré. Donc, on entend des Français parler de ça. J'ai même vu un débat politique en France ou on parlait du « ielle ».
Intervieweur : Le « ielle » serait arrivé avant le courriel.
Marie-Laure : Oui, mais le courriel s’en vient aussi, oui. Puis le balado. Voilà. Alors c'était ça.
Intervieweur : Il y a de l’espoir.
Marie-Laure : Oui, il y a de l’espoir.
Intervieweur : Le mot de la fin, je vais me le garder Marie Laure.
Marie-Laure : Vas-y.
Intervieweur : Je veux te remercier sincèrement de m'avoir consacré autant de patience et de temps au cours des deux dernières années pour me corriger, pour m'éduquer, pour bâtir ensemble une présentation extraordinaire qu'on a eu l'occasion de donner à l'ensemble de la magistrature au Québec à ton groupe d’avocats, et qui ne semble pas vouloir s'arrêter par elle-même, puisque l'on continue à recevoir des invitations. On devra peut-être bientôt la rendre nationale, cette formation-là canadienne. Je nous le souhaite, mais je tenais quand même à te remercier pour tes sages propos, pour ton influence positive que tu as eue sur ma vie, sur qui je suis. J'espère que nos auditeurs auront eu un petit extrait de toute la sagesse que tu as partagé avec moi au cours des dernières années.
Marie-Laure : Si j’ai un mot, un qualificatif à te donner, Steeves, c'est ta bienveillance. Tu es une personne qui vraiment fait du bien de côtoyer. Et puis, en tout cas, c'est un grand honneur que tu m’aies invité à partager avec toi cette conférence. Je pense que dans l'ensemble, on a fait un travail pas si mal, on a appris beaucoup comme d'habitude. Moi j'ai reçu beaucoup plus que ce que j'ai donné, on a vraiment appris beaucoup et ça, je trouve ça sensationnel.
Intervieweur : On termine comme on a commencé? Santé!
Marie-Laure : Santé!
This is Conversation with the President, presented by qui est Canadian Bar Association