Me Marie Laure Leclercq

This is Conversation with the President presented by Canadian Bar Association

Intervieweur : SantĂ© Marie Laure.

Marie Laure : SantĂ© Steeves.

Intervieweur : C'est un plaisir de t’avoir pour mon balado Entretien avec le PrĂ©sident. Ça fait plusieurs fois qu’on essaie de se rencontrer dans nos horaires mutuellement chargĂ©s. VoilĂ ! c'est aujourd'hui. Je suis très excitĂ© de pouvoir te poser toutes les questions que j'ai imaginĂ©es en prĂ©paration de cet entretien.

Marie-Laure : Merci de me recevoir Steeves.

Intervieweur : Je me permettrai de t'appeler Marie Laure durant notre entrevue. Un petit retour sur ta carrière. Après avoir complĂ©tĂ© un baccalaurĂ©at et une maĂ®trise en sciences appliquĂ©es Ă  Polytechnique, tu as ensuite complĂ©tĂ© ta licence en droit Ă  l'UniversitĂ© de MontrĂ©al, complĂ©tĂ© ton barreau, ainsi qu'un MBA Ă  l'universitĂ© McGill. Tu es devenue agente de commerce et tu as dĂ©butĂ© ta carrière chez Desjardins-Ducharme en droit corporatif commercial, propriĂ©tĂ©s intellectuelles et financement bancaire. Tu as ensuite travaillĂ© chez BĂ©langer-SauvĂ© depuis plus de 25 ans. Tu pratiques chez DegrandprĂ© Chait en droit corporatif, commercial, dessin industriel, brevets, etc. Tu as occupĂ© plusieurs postes d'administratrice au sein de conseils d'administration d'entreprises, notamment dans le domaine de la technologie. Je sais que tu as Ă©tĂ© aussi une haute dirigeante d'une compagnie technologique, peut-ĂŞtre qu'on en parlera tout Ă  l'heure.

Au sein de l'Association du Barreau canadien tu as été présidente de la division du Québec en 2008 -2010. Tu as été membre du Comité national CORIS, la Conférence sur l’orientation et l’identité sexuelle, et fondatrice de ce même comité pour la division du Québec. C'est d'ailleurs à l'événement de lancement de 2007, le temps passe vite, que nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Tu es membre fondatrice du Forum des femmes de l'ABC, instigatrice du Comité législation et réforme du droit. Tu as aussi été administratrice des Outgames de Montréal, et l'une des signataires de la Déclaration de Montréal. Tu as été aussi très impliqué à la Chambre de commerce LGBT du Québec, et je vais devoir en passer, mais je me dois de souligner que tu es la première femme avocate ayant fait sa transition tout en exerçant dans un cabinet au Québec. Tu es une pionnière, un modèle pour toute une génération. C'est un honneur de t'avoir avec nous aujourd'hui Marie Laure.

La première question, comment vas-tu?

Marie-Laure : Je vais très bien. Sauf que c'est une journĂ©e un peu particulière, en fait on va peut-ĂŞtre y revenir, comme tu le sais, je n'ai pas internet chez moi. Et lĂ , je trouve que pour l'occasion, c'est un heureux hasard, et tu sais combien j'aime les hasards et j'aime leur donner un sens cachĂ©, provenant de quelque part. Parce que, effectivement, quand je vais retourner chez moi ce soir, je vais retourner dans la grande noirceur, parce que je vais ĂŞtre coupĂ© de toutes sources d’information. En fait, ça va très facilement me remĂ©morer la condition dans laquelle j'Ă©tais avant 1998, lorsque, dĂ©sespĂ©rĂ©e, je cherchais des ressources pour Ă©ventuellement effectuer ma transition.

Intervieweur : Tu m’amènes Ă  ma deuxième question. Peux-tu partager avec nous ton parcours, sens-toi libre de me dire, et aux quelques centaines de personnes qui, je l’espère, vont nous Ă©couter, de nous partager les Ă©lĂ©ments de ta vie qui font de toi qui tu es aujourd'hui, tes dĂ©fis et tes moments de bonheur.

Marie-Laure : Écoute, on va essayer de faire ça court. Je vais te dire tout d'abord, les moments de bonheur, si j'ai Ă  dĂ©crire mon enfance, je crois que j'ai vĂ©cu mon enfance dans la lumière. J'ai eu une enfance des plus heureuses, j'ai Ă©tĂ© catapultĂ© sur cette planète et j’étais Ă  toute occasion ce que l'on appelle un enfant enthousiaste. Si tu t’interroges sur l'Ă©tymologie du mot enthousiaste, ça veut dire entheos, je vivais en Dieu, quelle que soit le sens que l'on donne Ă  ce mot-lĂ . Je faisais un avec le monde et tout Ă©tait magnifique. A suivi une adolescence, et lĂ  je suis rentrĂ©e dans la grande noirceur pour toutes sortes de circonstances qui ne sont pas pertinentes pour aujourd'hui. Mais, je me suis sentie tout d'un coup complètement perdu. Je me suis introverti, je me suis renfermĂ© Ă  moi-mĂŞme, j'ai souffert beaucoup. Puis, je me suis plongĂ© dans les sciences pour essayer de m'accrocher Ă  quelque chose. HonnĂŞtement, c'Ă©tait vraiment une pĂ©riode très difficile. LĂ , j'ai Ă©tudiĂ©, je passais des journĂ©es Ă  la bibliothèque de Polytechnique, j'ai eu un emploi comme ingĂ©nieur. J'ai eu quand mĂŞme quelques expĂ©riences. Je suis allĂ© dans le Nord comme arpenteur, en tout cas, diverses expĂ©riences intĂ©ressantes.

Là, j'ai commencé le droit et j'ai pris conscience de ma condition plus particulièrement parce que, je ne sais pas ce qui en est pour toi, mais on vit des choses, puis ça nous passe et puis dépendant du degré de conscience que l'on peut avoir, on n’y attache pas nécessairement d'importance. On ne réfléchit pas sur ces expériences-là, il n'y a pas une espèce de fil conducteur qui explique tout ça. Donc, moi je vivais des choses qui passaient dans mon esprit, puis ça disparaissait. Un beau jour, d'abord il y a eu, et je tiens à souligner l'importance qu'elle a eue dans ma vie, il y a eu un première page du Journal de Montréal, il y avait la photo de Micheline Montreuil qui passait en cours. Qui, une fois passait en tant que Micheline Montreuil et à d'autres occasions passait en tant que Pierre Montreuil. Ça m'intriguait grandement. Parce que c'était une avocate et elle avait cette condition de dysphorie de genre et avait le culot de se montrer sur la première page. Pour moi c'était un courage exceptionnel.

Comme tu le sais, parce qu'on en a déjà parlé dans les conférences qu'on organise ensemble, le changement législatif de 1978 a également eu un grand impact pour moi. Lorsque pour la première fois il a été prévu qu'il y avait la possibilité de changer de sexe en effectuant des chirurgies. Pour moi ça a été…

Intervieweur : Quel effet ç’a eu sur toi?

Marie-Laure : J’étais sur les bancs de la facultĂ© Ă  l'UniversitĂ© de MontrĂ©al, je m'en rappelle très bien. C'est comme si je venais de manger deux coups de poing de Sylvester Stallone dans la face. C'Ă©tait comme : Pow! Pow! Ça ne se peut pas! Puis lĂ , je me suis dit : c'est pour moi ça, c'est sĂ»r! Il n'y a mĂŞme pas l'ombre d'un doute. C'Ă©tait clair, c'est pour des gens comme moi.

Intervieweur : La possibilitĂ© de pouvoir changer de sexe lĂ©galement.

Marie-Laure : VoilĂ ! Donc ça existait, il y avait un mot, il y avait un processus il y avait toute une dĂ©marche. Mais, quand mĂŞme, les quelques annĂ©es de vie que j'avais derrière moi, j'ai quand mĂŞme toujours Ă©tĂ© sous des cĂ´tĂ©s de ma personne qui devaient ĂŞtre un peu plus fantasques. Je suis une personne très conservatrice et très prudente. Tout de suite, je me suis dit : c'est impossible, je ne peux pas faire ça. Puis, je me suis dit : je le ferai quand j'aurai 40 ans. Puis c'Ă©tait comme un sort que je me suis jetĂ©. Effectivement, Ă  40 ans jour pour jour, je suis allĂ© sur le boulevard Saint-Joseph voir un psy pour lui dire : je veux changer de sexe. Puis le psy m’a interviewĂ© pendant deux heures et il m'a dit : pourquoi avez-vous attendu si longtemps? C'Ă©tait un peu facile pour lui de dire ça, parce que lui il voit ça de son cĂ´tĂ© mĂ©dical. Mais disons que les Ă©preuves Ă  traverser, je savais très bien qu'elles existaient. Surtout dans le milieu dans lequel toi et moi on Ă©volue, le milieu des cabinets d'avocats qui peuvent effectivement dĂ©fendre de grandes idĂ©es, puis supporter les droits de la personne acquis, etc. Mais, quand vient le temps de servir les clients, puis de la rĂ©putation du bureau, puis des qu'en-dira-t-on, et toutes ces dimensions un peu plus prosaĂŻques, dirons-nous, bien souvent ça se concrĂ©tise un peu plus difficilement.

Toujours est-il que j'étais dans ce mode de prudence et j'ai géré ma vie comme je le pouvais, c'est-à-dire en la dédoublant. Je vivais une double vie. J'ai développé un savoir-faire extraordinaire de pouvoir me métamorphoser une, deux ou trois fois par jour, tchouk, tchouk, tchouk, m'habiller tchouk, tchouk, tchouk, avoir des kits un peu partout, vraiment une double vie.

Intervieweur : Donc, tu continuais Ă  vivre ta vie professionnelle…

Marie-Laure : Professionnelle et dans cette pĂ©riode lĂ , après mes annĂ©es chez Desjardins Ducharme, j'ai eu un client qui m'est arrivĂ© par le bĂ©nĂ©volat que je faisais dans la communautĂ© française, j'ai eu un client qui m'a recrutĂ©. Finalement pendant trois ans, j'ai fini comme Ă©tant vice-prĂ©sident exĂ©cutif d'une entreprise de 300 personnes en technologie, qui Ă©tait sur cinq continents. J’avais… j’avais… I was success! J'Ă©tais un gars qui Ă©tait un succès. I was leaving a Big Life! Et puis, Ă©tait en train de devenir Superman, effectivement. La question qui tue c'est effectivement celle que tu poses, moi Ă  l’intĂ©rieur il y avait un malaise intense! Intense! D'ĂŞtre une fraude, de savoir que I was acting. Et puis je le savais.

Par exemple, quand je partais en voyage en France, dans ma valise il y avait toujours un petit kit pour pouvoir, quand je me retrouvais avec moi même le soir, pour pouvoir m'habiller, mon petit kit pour me réconforter.

Intervieweur : Ta muzette.

Marie-Laure : VoilĂ ! Exactement. On ne peut rien te cacher, je vois que tu… Et…

Intervieweur : Ce sera pour une autre Ă©mission.

Marie-Laure : Et en fait aussi, ce qui est très commun de toutes les personnes, les femmes trans de ma gĂ©nĂ©ration, j'en ai au moins six ou sept Ă  l'esprit dont les noms viennent tout de suite, on a tous essayĂ© d'ĂŞtre Superman. Descendre la rivière Mackenzie en canot en fĂ©vrier, devenir champion de Moto Cross-Country canadien. Moi, j'ai fait des arts martiaux, parce que I want to become a Man.

Intervieweur : Aller aux extrĂŞmes de ce qu'est un homme.

Marie-Laure : C'Ă©tait toujours ça, et, frapper Ă  l'âge de… j'en avais un qui avait travaillĂ© pour la US Navy durant la guerre du Vietnam, qui posait des bombes sur les sous-marins ennemis, ce genre de profil lĂ , pour prouver que… En gĂ©nĂ©ral, c'Ă©taient tous des « he man Â» vraiment. On a maintenant l’exemple a posteriori de Katleen Jenner, qui Ă©tait la championne, American Champion.

Intervieweur : Du dĂ©cathlon oui.

Marie-Laure : Et du dĂ©cathlon et qui finalement a fait son coming-out 30 ans plus tard. Donc, ce profil-lĂ  psychologique il existe, d'une personne qui se bat avec elle-mĂŞme. C'est vraiment de ça dont on parle, cette dualitĂ©, qui avait cette espèce de modèle masculin qu'on ne peut pas atteindre. C'est vers 40 ans, 45 ans, que lĂ  [00:12:26] n'est plus possible. Il y en a qui passe au suicide, il y en a… mais c'est la situation, et je suis passĂ© dans cette situation lĂ . Moi au niveau du timming, ce qui est arrivĂ© au niveau de cette lutte intĂ©rieure, c'est qu'il y a eu internet. Internet est arrivĂ© et puis…

Intervieweur : Ă€ la fin des annĂ©es 90.

Marie-Laure : Oui, 98 Ă  peu près, dĂ©jĂ  en 97 on pouvait aller sur des sites, j'avais rĂ©ussi Ă  me faire ami avec une personne en Californie. J'ai essayĂ© d'avoir de l'information sur le Canada, there was nothing! Et le jour oĂą j’ai rĂ©ussi Ă  avoir une amie qui Ă©tait le professeur Jensen Ă  l'UniversitĂ© McGill, Ă  qui j'ai rĂ©ussi Ă  parler, elle m'a dit : va voir un tel. Tout de suite : Ploum! Ploum! Je suis allĂ© dans un groupe de soutien Crossroads. Puis, dans ce groupe il y avait un jeune qui avait 16 ans, puis le jeune je lui dis : comment tu as su cela? — Bien, sur internet! LĂ , j'Ă©tais jalouse, parce que j'avais 25 ans de plus que lui, et puis c'est ça. Alors que j’avais toutes ces annĂ©es-lĂ  avant internet, j'avais appelĂ© Ă  l’HĂ´tel-Dieu, on me disait : oui, tel mĂ©decin fait ça, mais il a pris sa retraite, rappelez dans 6 mois. Je rappelais dans 6 mois : ouais mais…

Intervieweur : C'est une expertise rare.

Marie-Laure : C'Ă©tait très rare et puis je n’avais pas eu le rĂ©flexe de… en tout cas, j'Ă©tais peut-ĂŞtre très inhibĂ©, j'Ă©tais une personne très occupĂ©e aussi.

Intervieweur : Parce qu’à ce moment-lĂ , la chirurgie Ă©tait un prĂ©requis.

Marie-Laure : Absolument. Alors ça, c'est clair que… j'Ă©tais prĂŞte Ă  le faire. On s'entend que j'avais Ă©galement des hĂ©sitations. J'Ă©tais sĂ»r que je voulais avoir ma poitrine, mais en bas quand mĂŞme, on a toutes sortes de… qu'est-ce qu'on connaĂ®t de l'impact que peut avoir la disparition de la testostĂ©rone et toutes ces choses-lĂ . Ce sont des mystères qui semblent assez insondable et pour lesquelles on a très peu d'informations. Ă€ l'Ă©poque, encore une fois, il n'y avait pas de WikipĂ©dia, il n'y avait rien. Alors, c'est cette grande noirceur, et je trouve qu'aujourd'hui le fait que chez moi en ce moment je n'ai pas d'internet, je trouve que le timing est bon. C'est un… it’s a good omen.

Intervieweur : C'est un signe.

Marie-Laure : Oui, c'est un signe. Alors, l'autre chose qui est arrivĂ©e, j'ai commencĂ© Ă  avoir un support psychologique, j'ai participĂ© Ă  un groupe Ă  l'hĂ´pital, etc. Mais, ce qui a Ă©tĂ© sensationnel c'est quand mĂŞme temps que j'avais ma petite dĂ©marche personnelle, le monde changeait. Le monde quant Ă  moi, je pense qu'il a changĂ©. Il a eu cette accĂ©lĂ©ration et cette modification de toutes ces idĂ©es, de toute cette conscientisation des causes LGBT grâce Ă  internet, la circulation des idĂ©es, ils ont commencĂ© Ă  avancer. Je pense que ça s'explique. Combien j'ai Ă©tĂ© abasourdi, Ă  un moment donnĂ©, de voir un cahier spĂ©cial de la Presse au dĂ©but des annĂ©es 2000 sur la rĂ©alitĂ© trans et tout, c'Ă©tait assez sensationnel. Puis comme tu le sais, les annĂ©es 2000, il y a eu d'autres avancĂ©es au niveau de la communautĂ© LGBT, le mariage gai qui a Ă©tĂ© un combat extraordinaire.

Intervieweur : Peux-tu nous parler, tu as fait ta transition dans ton cabinet, tu es restĂ© dans le mĂŞme milieu de travail. Pour moi j'ai toujours jetĂ© un regard très courageux Ă  cette expĂ©rience-lĂ  que tu as eue. Peut-ĂŞtre en pensant Ă  nos auditeurs qui se disent, si j'ai Ă  accompagner quelqu'un, un collègue passe Ă  travers cette expĂ©rience-lĂ , peux-tu nous dire qu'est-ce qui t'a supportĂ©? Quels comportements ou attitudes ont Ă©tĂ© aidantes et lesquels sont Ă  Ă©viter?

Marie-Laure : Encore une fois, on parle d'une rĂ©alitĂ© qui a complètement changĂ©. Je vais le dire encore, ç’a complètement changĂ©. Parce que quand on est des avocats du secteur privĂ©, encore une fois mon amie Olivia Ă©tait professeur titulaire Ă  McGill quand elle a fait sa transition. Elle avait sa permanence et tout ça. Elle a connu l'ostracisme, elle a connu l'isolement, mais au moins au niveau monĂ©taire elle avait de quoi survivre. Il y avait ce cĂ´tĂ©-lĂ  qui est quand mĂŞme une dimension non nĂ©gligeable, on ne se le cachera pas dans notre prĂ©sence sur terre. Moi, si tu veux, j'avais une base de clientèle technologique, en particulier j'avais un gros client, j'Ă©tais sur bras droit. J'ai tout fait pour lui en 10 ans. Un moment donnĂ© j'ai pris mon courage Ă  deux mains, je suis allĂ© le voir, puis je lui ai dit : voilĂ ! Je lui ai montrĂ© une photo de Marie Laure qui Ă©tait vraiment pas ressemblant de Philip du tout, pas du tout, du tout. LĂ , c'Ă©tait un gros choc pour lui. Et il m'a dit candidement : Ă©coute si tu es mieux dans ta peau, mes plus fidèles collaborateurs sont des femmes, vas-y je t'appuie Ă  100%.

Je suis sorti de là, mon [00:17:56] représentait la moitié de ma business, je rêvais. Alors, j'ai fait ça, et oui j'ai du courage, oui j'étais naïve aussi, très naïve.

Intervieweur : Mais avais-tu le choix?

Marie-Laure : VoilĂ . Ta question elle est Ă  plusieurs niveaux. Vue d'un certain niveau, qui peut ĂŞtre un niveau plus prosaĂŻque simple, comme si la vie Ă©tait juste au-dessus de la surface, ç’a l’air bien facile de dĂ©cider. Mais ce n'est pas Ă  ce niveau-lĂ  que ça se passe. Toujours est-il que, il y avait eu aussi des fuites, parce qu’au dĂ©part j'avais informĂ© une avocate du bureau qui a tout de suite diffusĂ© l'information, c'est parti comme une traĂ®nĂ©e de poudre et en 24 heures tout le monde le savait. Alors qu’elle m’avait promis sur la tĂŞte de ses enfants qu'elle ne le dirait Ă  personne. Tout ça ce sont des choses qui t'arrivent, tu peux dire : j'ai Ă©tĂ© trahi. Mais en mĂŞme temps c'est peut-ĂŞtre ce qu'une partie de moi-mĂŞme dĂ©sirait aussi, va-t-on savoir. Et c'est comme ça que ça se passe, ça se passait en tout cas en l'an 2000. Quand j'ai fait mon coming out, devant tout le bureau, on parle quand mĂŞme de 200, 250 personnes au party de NoĂ«l, je m'Ă©tais bien prĂ©parĂ©e, puis j’avais ma conseillère vestimentaire qui avait fait un bon show. Et puis, bien j’ai vu des visages, et j'ai vu des gens qui ne me parlaient pas et qui du jour au lendemain se sont mis Ă  me parler et Ă  me manifester une grande sympathie. En particulier toutes les assistantes et les avocates. Ça, ça a Ă©tĂ© un succès phĂ©nomĂ©nal. Chez les avocats, il y avait des personnes qui en avaient entendu parler. Il y avait eu un mĂ©mo qui circulait quelques mois auparavant, disant que j’allais faire mon coming out Ă  NoĂ«l. Il y a des gens qui sont venus faire des dĂ©clarations, me disant qu'il n'y avait aucun problème pour eux, sauf que la minute qu’ils m’ont eu dans ma nouvelle identitĂ©, ils ne m’ont plus jamais adressĂ© la parole. LĂ , je n’exagère pas quand je dis ça, c'est strictement vrai et je me sens Ă  l'aise de le faire, parce que ces gens-lĂ  ne sont plus au bureau de toute façon.

Encore une fois, je suis bien consciente que… comment dire… l'adversitĂ© Ă  laquelle j'ai pu faire face, j'en Ă©tais mon propre artisan en partie. Il y a peut-ĂŞtre une partie qui appartient aux autres, mais ça, ça fait partie de la dynamique.  Je peux très bien entendre des voix qui me disent : comment as-tu pu ĂŞtre aussi stupide que de croire que ça n'aurait pas de consĂ©quences sur ta pratique. Mais, la bonne nouvelle, c'est l'espoir. L'espoir, ça, j'ai eu ça. LĂ , tu dĂ©couvres… moi c'est quoi m'a beaucoup aidĂ© dans ça, il y a ma pratique zen. J'ai eu la chance d'avoir un maĂ®tre de zen qui m'a fait faire des retraites fermĂ©es très sĂ©rieuses et qui m'accompagnent encore aujourd'hui. Qui m'ont permis de dĂ©couvrir la partie immergĂ©e de l'iceberg. Et en mĂŞme temps, comme je l'ai dit quand j'ai reçu le prix du [00:21:32] Award, du Barreau canadien, il y a eu dans cette traversĂ©e du dĂ©sert que j'ai vĂ©cue, il y avait une oasis au loin et cette oasis, ç'a Ă©tĂ© l'Association du Barreau canadien, oĂą j’ai reçu beaucoup d'empathie et beaucoup de soutien. Je crois que j'ai fait un peu de bien, je me suis rĂ©alisĂ©e dans ça.

Parallèlement à ça, au niveau du travail, j'avais quand même des amis, j'ai quand même réussi, bon an mal an, à avoir une pratique réduite, mais une pratique concrète qui m’a… que j’ai encore .

Intervieweur : J’ai une question que je ne t'ai jamais posĂ©e, si c'est possible.

Marie-Laure : Oui

Intervieweur : Tu as une expĂ©rience unique d'avoir Ă©tĂ© dans ta vie, Ă  la fois dans le rĂ´le social d'un homme, dans le rĂ´le social d'une femme.

Marie-Laure : Oui

Intervieweur : Alors, tu as une position privilĂ©giĂ©e pour nous parler de la fameuse question de l'Ă©galitĂ© homme et femme, du traitement identique ou diffĂ©rent ces deux genres. Alors, dis-nous tout ce qu'il faut savoir.

Marie-Laure : Alors, comment te dire… quand j'ai fait mon changement, comme je te parlais iceberg, j'aime bien l'image de l'iceberg, parce qu'on essaie d'avoir des mots qui nous structurent, lĂ  tu m'interroges sur moi mĂŞme, puis lĂ  il va y avoir des mots qui vont sortir de ma bouche, et il y a des personnes qui vont entendre et qui vont pouvoir utiliser des mots et qui vont essayer avec ces mots-lĂ  de m'identifier. L'identitĂ©, c'est le gros sujet. Quand on parle de gender identity, c'est toute la question, la question des identitĂ©s. La prĂ©sence sur terre, la minute oĂą notre mental arrive sur la terre, on met des mots et on essaie d'identifier les choses. Puis, quand une sociĂ©tĂ© se structure, on essaie d'avoir des catĂ©gories de structures, ce qui est bien et n'est pas bien. C'est comme ça que ça fonctionne. Mais lĂ  en fait, on s'entend que tout ça est un grand fantasme et quand on rentre un peu plus dans le dessous du iceberg, on s'aperçoit que la grande rĂ©alitĂ© qui nous gouverne, elle se prĂ©occupe assez peu de toutes ces contingences.

Ceci étant dit…

Intervieweur : La question Ă©tait…

Marie-Laure : Ceci Ă©tant dit, la question Ă©tant, c'est que j’ai entendu, j'ai Ă©coutĂ© avec beaucoup d'intĂ©rĂŞt le podcast de Kael McKenzie que je connais bien, qui est une amie que j'ai cĂ´toyĂ©e au SOGIC, qui est maintenant juge Ă  Winnipeg. Donc, il a fait sa transition, je m’excuse du pronom, moi je l’ai connu dans son ancienne identitĂ©. Il exprimait Ă  la fin, en rĂ©ponse Ă  ta question, en disant que lui se considĂ©rait clairement comme une personne hĂ©tĂ©rosexuelle masculine, etc. Et, si tu veux, tu m'aurais posĂ© la mĂŞme question Ă  moi il y a peut-ĂŞtre quatreou cinq ans, je t'aurais dit la mĂŞme chose : je suis une personne… peut-ĂŞtre pas hĂ©tĂ©rosexuelle, mais je suis certainement une femme comme tu le sais, c'est comme ça que je me suis inscrite au recensement fĂ©dĂ©ral, et je me considĂ©rais comme une femme. Je me suis tellement battu. J'ai fait des transformations sur mon corps pour rentrer dans la catĂ©gorie des femmes. Donc, j'aurais Ă©galement eu ce mĂŞme genre d'attitude d'affirmation.

Aujourd'hui, après Center for Gender, aujourd'hui après l'avancement de la cause des personnes non binaires et des réflexions que ça m'a suscitées profondément, intimement, ça me ça me confirme que, si la même expérience que j'ai vécu au début de ma vie était répétée aujourd'hui, je ne sais pas comment ça aurait tourné. Peut-être que j'aurais été dans une espèce de compromis qui est peut-être fluctué dans le temps et qui aurait peut-être été pluriel. Parce que maintenant, encore une fois, après réflexion, comme tu le sais on a rencontré beaucoup de gens, on a eu l'occasion de discuter de ces choses-là. Je suis plus à l'aise pour avoir entendu des jeunes avec les notions que l'identité peut être plurielle et qu'elle peut être évolutive aussi.

Je ne pense pas qu'il y a quelqu'un qui a la vérité ce que j'y vois, c'est que ce sont des notions complexes et qui peuvent changer. Mais, l'autre grande distinction que je voulais faire avec la prestation de Kael, c'est que Kael est un homme trans. Lui, ce qu'il a réalisé, c'est que c'était une femme, et c'est devenu un homme. Son intégration s'effectue très bien. Moi, quand j'ai fait mon changement, j'étais un homme et je suis devenue une femme. Là, les deux post-transitions, on était tous le deux des personnes trans. Donc, on vivait, on a vécu cet étiquetage social d'être regardé comme des personnes qui étaient quelque peu différentes et qui rentraient dans cette catégorie incertaine LGBT. Mais, l'issue de ça, pour ce qui est de Kael, et il se retrouvait un homme, et moi, j'ai découvert que je devenais une femme. Là j’ai compris ce qu’était une femme.

Intervieweur : Alors qu'est-ce que c'est?

Marie-Laure : Alors, je te rappelle que lors d'une prĂ©sentation qu'on a donnĂ©e ensemble devant le tribunal du logement, il y avait un juge Ă  la fin de la reprĂ©sentation qui a dit : MaĂ®tre Leclercq, je ne peux pas comprendre moi, pourquoi un homme veut devenir une femme. Je lui ai dit : qu’en effet, si ma motivation n'Ă©tait qu’individuelle, pour des bĂ©nĂ©fices et pour du respect social, c'Ă©tait incomprĂ©hensible. Sauf que dans mon cas, je dirais honnĂŞtement, et si j'essaie de faire du sens dans tout ça, c'est que d'abord il y a une rĂ©alitĂ© intime, et d'autre part ce qui est devenu ma cause fondamentale, c'est une question de justice. LĂ , si je me remĂ©more aussi jeune que je pouvais l'ĂŞtre, je me rappelle ma mère qui me racontait que son frère, qui Ă©tait devenu millionnaire, avec sa pharmacie, etc. et elle qui Ă©tait 10 fois plus intelligente que lui n'a pas pu. Elle voulait ĂŞtre mĂ©decin et ne pouvait pas. J'ai trouvĂ© ça injuste, pas un peu injuste, fondamentalement injuste. Et cette espèce de banalisation de cette injustice, ça me porte toujours.

Quand je vois d'anciens collègues qui me regardaient avec intimidation, parce que dans mon ancienne identité, je pouvais être intimidant. Et là, ils me croisent, et là, on voit l'attitude changer, on voit l'attitude collective changer, on voit une espèce de distanciation, ensuite on voit l'humiliation.

Intervieweur : Alors que tu es la mĂŞme personne, mais tu n’as pas la mĂŞme identitĂ©.

Marie-Laure : Je suis fondamentalement la mĂŞme personne. Alors cette espèce de poids, qui est, encore une fois, le prix des religions abrahamiques qui ont prĂ©valu.

Intervieweur : MillĂ©naires.

Marie-Laure : MillĂ©naires. Ce poids-lĂ , je le porte comme un fardeau, et c'est ma cause. Et cette vision qui est prĂ©sente dans ses murs, qui est prĂ©sente partout, qui est toujours cette façon fondamentale, sur laquelle on travaille, mais qui est de voir les choses de manière binaires, oĂą plus de la moitiĂ© de l'humanitĂ© ce dĂ©fini dans le regard dominant de l'autre moitiĂ©. Et, c'est toujours perçu verticalement. C'est comme s’il faut toujours avoir ce poids-lĂ  qui est, si on y pense deux secondes, complètement infondĂ©, infondĂ©! Aujourd'hui, il y a eu l'annonce, si j'ai bien compris, d'une grande indemnisation pour les enfants autochtones, on parle d'une dizaine de milliards. Je me demande quel serait le montant en milliards qu'on devrait payer pour les injustices faites aux femmes durant, mettons, on va juste dire, les 100 dernières annĂ©es. Alors, si tu me demandes, cette dimension de cause des femmes pour moi ça compte beaucoup. Mais ça n'enlève rien Ă  la lutte des personnes transgenres. Alors est-ce que j'ai rĂ©pondu Ă  ta question? Plus ou moins.

Intervieweur : C'Ă©tait divin.

Marie-Laure : Tu vois, si on va… lĂ  je reviens avec mon iceberg, on peut parler du yin et du yang, c'est que nous sommes tous un peu animĂ©s, tu te rappelles lors de notre dernière reprĂ©sentation, j'ai interpellĂ© chacun des participants en leur disant que… il y avait un homme devant nous, je lui ai dit : « vous savez ce n'est pas que vous n'ĂŞtes pas en contact avec la partie fĂ©minine de votre personne qu'elle n'est pas lĂ . Â» RĂ©ciproquement, je lui ai dit la mĂŞme chose. C'est un peu cette notion de l’iceberg. Si on va voir un peu, ce n'est pas moi qui le dis, les grands psys du dĂ©but du 20e siècle, si on pense Ă  Freud qui parlait de l'inconscient, qui parlait aussi de la pulsion de dĂ©sir. Cette pulsion d'un dĂ©sir, c'est la pulsion d'amour, c'est la pulsion de rapprocher de l’autre. Alors qu’il y avait Adler que lui disait que la pulsion fondamentale Ă©tait la pulsion de puissance. On s'entend que la première c'est plus le cĂ´tĂ© fĂ©minin de chacun et la deuxième c'est le cĂ´tĂ© masculin de chacun. Il y a mĂŞme des images en zen oĂą on va dire que, si on prend la mĂ©taphore pour ce qui est du cĂ´tĂ© masculin, c'est le grain de sable dans le dĂ©sert oĂą on essaye de devenir le meilleur grain de sable dans le dĂ©sert. Alors que du cĂ´tĂ© fĂ©minin, on peut prendre l'image de la goutte de mercure, qui tend Ă  se fondre dans l'ensemble pour disparaĂ®tre en tant que personne et pour participer, d'une manière ocĂ©anique, Ă  l'ensemble de la conscience universelle.

Toutes ces prĂ©occupations-lĂ , c'est ça qui m’a permis moi de survivre dans tout ça, de donner un sens Ă  tout ça. Ça, il faut le rĂ©aliser, c'est un vrai combat.  

Intervieweur : Qui est rempli de sagesse.

Marie-Laure : VoilĂ .

Intervieweur : J’aimerais que tu nous dises ce que tu penses du monde actuel dans lequel on vit. On sait toi et moi, on a donnĂ© des prĂ©sentations sur l'histoire sociale et juridique de notre communautĂ©, des combats qui ont Ă©tĂ© livrĂ©s, des droits qui ont Ă©tĂ© obtenus souvent Ă  l'issue de longs combats. Mais, on voit un retour en arrière actuellement. Aux États-Unis, on est au mois d'avril et il y a dĂ©jĂ  eu actuellement deux fois plus de lois anti LGBTQ prĂ©sentĂ©es devant les assemblĂ©es lĂ©gislatives qu'il y en a eu dans toute l'annĂ©e dernière. Donc, c’est une recrudescence, une augmentation exponentielle, un retour en arrière. On a vu ici rĂ©cemment des manifestations contre des lectures donnĂ©es par des drag queens dans des bibliothèques, des activitĂ©s tout Ă  fait volontaires publiques, et on a des manifestations publiques qui s'y opposent. Alors, est-ce que tu es prĂ©occupĂ©?

Marie-Laure : Alors, je rĂ©ponds tout de suite Ă  ta question, je voulais juste finir, parce que tu m’avais posĂ© la question et lĂ  j'ai Ă  l'esprit les personnes de notre profession qui Ă©ventuellement envisagent de transitionner ou autre, la raison pour laquelle j'ai fait cette espèce d'incursion philosophique, psychologique et mĂ©ditative et autre. C'Ă©tait pour montrer qu'il ne s'agissait pas juste d'une question de hauteur de talons hauts, et que ce n'Ă©tait pas juste une question non plus d’apparence. C'est qu'il y a de vrais combats, c'est de montrer que : “ you go for the whole thing, you know? You go full monthy” ce n’est pas… c'est pas une mince affaire. Mais si dans le fond de toi tu trouves la vĂ©ritĂ© que tu recherches, bien il faut faire comme Alice au pays… et il faut passer de l’autre cĂ´tĂ© du miroir. Puis pouf! And then, you go ground.

Intervieweur : Un nouveau monde apparaĂ®t.

Marie-Laure : Un coup que tu es dans ton nouveau monde, il n'y a plus grand-chose qui t’écoeure. Ce que je veux dire par lĂ , c'est que, c'est comme les vagues politiques qui montent et qui descendent comme le niveau de l'eau, pour les personnes qui sont un peu plus vieilles comme moi. Moi, j'ai connu l'arrivĂ©e de Reagan et Thatcher, avec toute une montĂ©e de mensonges sur la dette publique…

Intervieweur : [00:35:40]

Marie-Laure : C'est ça, et puis sur la culpabilisation des classes ouvrières parce qu'ils perdaient leurs emplois, alors que tout Ă©tait suite au voyage de Nixon en Chine. On a expropriĂ© les emplois et on a… en tout cas, il y a eu des luttes, et il y a eu de vrais enjeux Ă©conomiques sous-jacents, sociaux, bien diffĂ©rents du discours public. Ensuite, quand j'ai commencĂ© mon changement, au Canada c'Ă©tait aussi la fin d'une pĂ©riode libĂ©rale. Au bureau, il y avait des associĂ©s qui Ă©taient des libĂ©raux, ça paraissait. Et puis les conservateurs Ă©taient un p'tit peu…

Intervieweur : OpprimĂ©s.

Marie-Laure : OpprimĂ©s. Mais lĂ , quand Bush est arrivĂ©, puis Harper est arrivĂ©, lĂ  ils montraient les photos en train de serrer la main Ă  Bush et autres. Donc, je les ai connus ces changements-lĂ , et effectivement, nous les bureaux d'avocats, on est souvent proche de la politique on les voit ces fluctuations-lĂ . Et ces fluctuations-lĂ , elles impliquent, effectivement, les fluctuations au niveau des idĂ©es. Parce que c'est de ça qu’il s'agit, ce sont des idĂ©es. Oui, il va y avoir encore des dĂ©clarations comme celles que tu mentionnes. Le prĂ©sident de l'Ouganda qui a dit que la race humaine Ă©tait en danger Ă  cause de l'homosexualitĂ©. Parce que si on supprimait le dĂ©sir entre les hommes et les femmes, il y aurait une extinction de la race humaine. Wow!

Intervieweur : La terre est quand mĂŞme surpeuplĂ©e.

Marie-Laure : Comme tu dis, on voit des enjeux qui font la manchette, qui font de bons articles de journaux, ça va et ça vient. Mais, est-ce que je suis optimiste ou pessimiste? Je crois que ce ne sont pas des mots qui s'appliquent vraiment, encore une fois, c'est au-dessus du niveau de l'eau. Oui, bon, pour l’instant… Ă  l'Ă©poque je disais toujours : Â«  je sens toujours le souffle de la bĂŞte qui me souffle dans le dos. Â» Elle est toujours lĂ  la bĂŞte, prĂŞte Ă  nous Ă©craser, nous la communautĂ© LGBT. Mais, la beautĂ© c'est justement, ce qui Ă©tait complètement inespĂ©rĂ©, c'est la venue d'internet qui est venu augmenter cette circulation des idĂ©es. Autant qu'il puisse y avoir des personnes qui essaient de reculer, je ne suis pas sĂ»r qu'ils vont y arriver. Ă€ moins que, et lĂ , c'est la personne technologique qui parle, Ă  moins que les forces rĂ©actionnaires rĂ©ussissent Ă  s'approprier l'intelligence artificielle. Auquel cas, s’ils se renforcent avec des robots, lĂ , on est foutu. Si par contre, les robots prennent la cause des femmes, lĂ  ça va bien aller.

Intervieweur : On change d’angle. Qu'est-ce que tu aurais Ă  dire Ă  la jeune Marie-Laure de 20 ans, qui a dĂ©jĂ  fait sa transition, puis qui est nĂ©e en 2003?

Marie-Laure : Ouais. Qu'est-ce que j'aurais Ă  lui dire, d’abord je lui donne une tape sur l’épaule, en lui disant : Â« mon Dieu, avec tout ton degrĂ© d’inconscience et de naĂŻvetĂ©, fĂ©licitations pour tout ce que tu as fait quand mĂŞme. C'est surprenant de voir Ă  quel point t'as pu acquĂ©rir quand mĂŞme un peu de sagesse dans tout ça. Â» Et puis de voir, parce qu'on s'entend que nos professions sont quand mĂŞme des professions exigeantes qui ne nous laisse pas beaucoup de libertĂ© pour prendre soin des raisons. Dans tout ça, j'ai quand mĂŞme fait passablement de bĂ©nĂ©volat, et je crois qu’au bout de la ligne, ç’a fait du bien Ă  un certain nombre de personnes. Puis, plusieurs personnes m’ont dit que je les ai inspirĂ©s. Et ça, j'apprends ça comme un cadeau.

Intervieweur : J’en fais partie.

Marie-Laure : Ben oui, c'est merveilleux de se faire dire ça. Je ne peux pas dire comment. C'est lĂ  que tu vois que les Ă©tiquettes sont quand mĂŞme limitatives. LĂ , je parle de ça, c'Ă©tait dans les annĂ©es 2008, 2009, je pense, j'ai reçu une première fois et une deuxième fois un prix de la personne LGBT, grande distinction de la Chambre de commerce gai. Puis lĂ , je leur avais dit au micro : « Vous savez, je pense que je mĂ©rite vraiment ce prix, parce que je suis vraiment L G B et T. Â» Parce qu’effectivement, ç’a Ă©tĂ© vraiment mon expĂ©rience, je les ai tous tricotĂ©s les cĂ´tĂ©s de ça. Puis, tout ce qu'il y avait de commun Ă  toutes ces affaires-lĂ , c'est l'amour. L'amour est ce qui me… c'est cette grande rĂ©conciliation avec cette autre partie de moi-mĂŞme. Je pense que c'est ce Ă  quoi… c'est ce que je souhaite Ă  toutes les personnes Ă  qui je peux parler. LĂ  aussi, grâce Ă  l'approfondissement des connaissances, on voit… puis avec des Ă©preuves rĂ©centes comme la COVID et l’isolement que ç’a causĂ©, on voit une explosion de problèmes de santĂ© mentale.

On le voit chez les jeunes et on voit tout ça. Ça gravite, tout, Ă  mon sens, autour de cette notion d'une personne qui ne s'est pas rencontrĂ©e elle-mĂŞme. C'est cette espèce de grande brisure entre la terre et le ciel, entre… Et dès lors qu'une personne va ĂŞtre capable de se retrouver, de se reconnecter, elle va ĂŞtre capable d’abord de prendre soin d’elle-mĂŞme, et ensuite d’aider les autres. Ça, malheureusement c'est Ă©normĂ©ment de travail et dans la sociĂ©tĂ© dans laquelle on vit, il y a beaucoup de libertĂ©s, mais il y a beaucoup de pistes oĂą on peut se perdre. Il y a beaucoup d'endroits, j'ai des amis qui ont des problèmes de drogue, on voit des problèmes de violence. C'est parce que, dans notre… il y a beaucoup de forces dans notre monde qui amènent les gens Ă  se disperser. C'est Pascal qui disait : Â« Le monde irait tellement mieux, si les gens apprenaient Ă  rester seuls dans leur chambre. Â» Et peut-ĂŞtre Ă  lire aussi, on oublie les livres, les livres c'est quand mĂŞme quelque chose de prĂ©cieux qui nous permet de nous rencontrer un peu plus.

Intervieweur : Marie Laure, un sujet de grande importance et qui est d'actualitĂ©, sur lequel on est, toi et moi, souvent interrogĂ©, qui fait partie de nos prĂ©sentations, c'est la nomenclature, les mots, les pronoms. Pourquoi c'est important et qu'est-ce que ça reprĂ©sente, quels sont tes conseils Ă  la communautĂ© juridique Ă  cet effet-lĂ ?

Marie-Laure : J’ai Ă©coutĂ© le podcast de Kael, puis j'Ă©tais bien contente. Comme tu le sais, on a naviguĂ© dans nos confĂ©rences depuis maintenant un an et demi et on voit que la situation Ă©volue de province en province. LĂ , j'ai appris qu'au Manitoba s’était ajoutĂ©e une procĂ©dure.

Intervieweur : Une directive oui.

Marie-Laure : SystĂ©matiquement, une directive pour systĂ©matiquement inviter les juges Ă  poser la question : comment s'adresser Ă  la personne. J'ai vu rĂ©cemment un jugement en Ontario oĂą il y a eu un incendie dans un bloc appartement de pizza [00:43:43]. Et puis, la personne c'Ă©tait un homme trans qui a Ă©tĂ© interpellĂ© par la police. Pendant trois heures, le mĂ©genrer, on l'a vraiment humiliĂ©.

Intervieweur : Des questions indiscrètes oui, non pertinentes.

Marie-Laure : Des questions indiscrètes, non pertinentes, heureusement, le juge a pris acte de ça, puis il en a vraiment tenu compte dans sa dĂ©cision. Je pense que ça, c'est un pas dans la bonne direction. C'est le genre de situations qui, souhaitons-le, va devenir un fil directeur dans ce sens-lĂ . La problĂ©matique de la grammaire identitaire, aussi au niveau des jugements par Ă©crit, ou la façon de s'adresser aux personnes, je pense que, encore une fois, comme tu l'as bien saisi, la question entre les personnes qui ont changĂ© de genres, c'est une chose. Ensuite, il y a les personnes non binaires qui sont encore une autre rĂ©alitĂ©.

Intervieweur : Exact.

Marie-Laure : Donc, comme ce qu'on a toujours proposĂ©, pour ce qui est des juges ou des avocats qui rencontrent un client, pour commencer Ă  Ă©tablir un dialogue, c'est de commencer Ă  se prĂ©senter soi-mĂŞme et ensuite inviter l'autre personne Ă  se prĂ©senter elle-mĂŞme, de telle sorte que, comment elle souhaite qu’on l’identifie elle. Encore une fois, l’idĂ©e de faire cet exercice-lĂ , c'est pour nous-mĂŞmes sublimer nos propres a priori.

Intervieweur : Nos prĂ©somptions.

Marie-Laure : On voit une personne en jupe, pas de barbe avec des cheveux longs, avec du maquillage, on se dit bon : « it’s a she Â». Je veux dire, ça nous prend quoi, un vingtième, un trentième de seconde, c'est pas long. Et c'est ce mĂ©canisme-lĂ  qui doit ĂŞtre dĂ©construit. On a fait des choses plus dures que ça dans la vie. Puis, ce n'est pas quelque chose d'insurmontable comme difficultĂ©. Au niveau de la grammaire, bien lĂ  on verra. Je lisais un article intĂ©ressant comme quoi, par exemple, Radio Canada aime bien utiliser le « on Â» aussi, plutĂ´t que le « they Â». On pense quoi? C'est pas mal ça aussi quand on s'adresse Ă  une personne que l’on sent qui a des vellĂ©itĂ©s d'avoir une identitĂ© plurielle.

Intervieweur : C'est vrai. Le on est non genrĂ©.

Marie-Laure : Il est non genrĂ© et les multiples potentiellement non genrĂ©s. Enfin, il y a des avenues.

Intervieweur : Notre langue est vivante.

Marie-Laure : Et la langue est vivante, et mĂŞme le français est vivant, parce qu’apparemment le « ielle Â» est rentrĂ©. Donc, on entend des Français parler de ça. J'ai mĂŞme vu un dĂ©bat politique en France ou on parlait du « ielle Â».

Intervieweur : Le « ielle Â» serait arrivĂ© avant le courriel.

Marie-Laure : Oui, mais le courriel s’en vient aussi, oui. Puis le balado. VoilĂ . Alors c'Ă©tait ça.

Intervieweur : Il y a de l’espoir.

Marie-Laure : Oui, il y a de l’espoir.

Intervieweur : Le mot de la fin, je vais me le garder Marie Laure.

Marie-Laure : Vas-y.

Intervieweur : Je veux te remercier sincèrement de m'avoir consacrĂ© autant de patience et de temps au cours des deux dernières annĂ©es pour me corriger, pour m'Ă©duquer, pour bâtir ensemble une prĂ©sentation extraordinaire qu'on a eu l'occasion de donner Ă  l'ensemble de la magistrature au QuĂ©bec Ă  ton groupe d’avocats, et qui ne semble pas vouloir s'arrĂŞter par elle-mĂŞme, puisque l'on continue Ă  recevoir des invitations. On devra peut-ĂŞtre bientĂ´t la rendre nationale, cette formation-lĂ  canadienne. Je nous le souhaite, mais je tenais quand mĂŞme Ă  te remercier pour tes sages propos, pour ton influence positive que tu as eue sur ma vie, sur qui je suis. J'espère que nos auditeurs auront eu un petit extrait de toute la sagesse que tu as partagĂ© avec moi au cours des dernières annĂ©es. 

Marie-Laure : Si j’ai un mot, un qualificatif Ă  te donner, Steeves, c'est ta bienveillance. Tu es une personne qui vraiment fait du bien de cĂ´toyer. Et puis, en tout cas, c'est un grand honneur que tu m’aies invitĂ© Ă  partager avec toi cette confĂ©rence. Je pense que dans l'ensemble, on a fait un travail pas si mal, on a appris beaucoup comme d'habitude. Moi j'ai reçu beaucoup plus que ce que j'ai donnĂ©, on a vraiment appris beaucoup et ça, je trouve ça sensationnel. 

Intervieweur : On termine comme on a commencĂ©? SantĂ©!

Marie-Laure : SantĂ©!

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