Lost en promulgation : le problème vexant de l’article 55
Animatrice : Bonjour et bienvenue à Juriste branché. Bien que la Constitution assure l'égalité du statut du français et de l'anglais, plusieurs documents constitutionnels du Canada n'ont toujours pas de version française formelle et légale. Ceci inclut la Loi constitutionnelle de 1867, ce qu'on appelait avant l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Alors que la nouvelle Constitution canadienne de 1982 a bien été rédigée et adoptée dans les deux langues officielles, ce sont les textes rédigés avant 1982 qui ne le sont toujours pas. On parle en tout de plus de 71 % des textes constitutionnels selon l'ABC. Bien qu'en 1984, un comité de rédaction constitutionnel ait été créé dans le but justement de rédiger la version française, et qu'en 1990, leur travail était terminé, 30 ans plus tard, le travail demeure inachevé. Carrément, lost in promulgation.
Mais pourquoi donc? Quelles sont les conséquences d'une telle version unilingue? Et que fait-on maintenant? Pour répondre à ces questions, nous avons le plaisir aujourd'hui d'être avec le professeur François Larocque de l'Université d'Ottawa, à qui la Chaire de recherche en droits et enjeux linguistiques a été conférée en 2018.
Merci beaucoup d'avoir acceptĂ©, on est super contents. C'est un sujet, en vrai, que j'en avais entendu parler, mais jamais plus que ça. Puis lĂ , j'ai commencĂ© Ă plus lire avant de vous parler, puis j'Ă©tais comme, « ben voyons, je ne peux pas croire que c'est vrai. » Ce que je comprends, c'est qu'il y a 71 % des textes constitutionnels selon l'Association du Barreau canadien, qui, en ce moment, ne sont pas formellement traduits en français. Donc, c'est quand mĂŞme troublant, pour vrai. Quand j'ai su ça, je me disais : « ben voyons, je n’en reviens pas. » Et on parle quand mĂŞme de la Constitution canadienne, c'est une loi qui est très importante, qui a prĂ©sĂ©ance sur nos lois au Canada. Puis, on comprend qu'il y a seulement, il y a une partie qui est encore juste… qu'on peut seulement se fier sur l'anglais, en fait, finalement.
F. Laroque : Tout Ă fait.
Animatrice : Pouvez-vous nous donner le contexte?
F. Laroque : Tu veux que je décrive la situation actuelle?
Animatrice : Ben, même comment ça, en fait, comment on s'est rendu là ? Comment ça qu'on est là maintenant? Avant la situation actuelle, même juste un peu l'historique de tout ça.
F. Laroque : D’accord. Bon, alors, c'est vraiment, c'est un gros morceau cette affaire-lĂ . On peut commencer en 1774. On peut commencer lĂ , mais moi, je vais commencer dans les annĂ©es 1970, 77, pour ĂŞtre plus prĂ©cis. Alors, ben non, en fait, je vais commencer en 69. Non, je commence en 1867. En 1867, le Canada, formĂ© de quatre provinces, on a l'Ontario, le QuĂ©bec, Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse, qui dĂ©cident de former la FĂ©dĂ©ration canadienne. Et dès les nĂ©gociations qui ont menĂ© Ă l'Acte de l'AmĂ©rique du Nord britannique, tel qu'on l'appelait avant, le British North America Act, il Ă©tait convenu que le français et l'anglais devaient faire partie des langues, on va le dire : « officielles », mais on ne parlait pas en ces termes-lĂ Ă l'Ă©poque. Que la lĂ©gislation et que les tribunaux fonctionneraient en français et en anglais. Et que ça faisait partie de la formule Ă©tatique qui Ă©tait envisagĂ©e dès le 19e siècle pour le Canada, pour le pays qui allait devenir le Canada. Et ce qu'on a convenu, c'est que l'organisme fĂ©dĂ©ral, lui, toutes ses lois et tous les tribunaux crĂ©Ă©s par le fĂ©dĂ©ral opĂ©reraient en français et en anglais. C'est-Ă -dire que les lois sont imprimĂ©es et adoptĂ©es dans les deux langues, en français et en anglais. Et que la mĂŞme chose serait faite au QuĂ©bec. Donc que la province du QuĂ©bec, puisqu'il y avait Ă©videmment une majoritĂ© francophone et une minoritĂ© anglophone, que les mĂŞmes normes qui s'appliquent au fĂ©dĂ©ral s'appliqueraient au QuĂ©bec, c'est-Ă -dire des lois dans les deux langues et des tribunaux dans les deux langues. Rien pour le Nouveau-Brunswick, rien pour la Nouvelle-Écosse sur le plan linguistique, vraiment juste le QuĂ©bec et le fĂ©dĂ©ral, le gouvernement fĂ©dĂ©ral. Et rien pour l'Ontario non plus, c'est ça. Alors, il n'y avait pas de disposition linguistique autre que ça.
Le Canada grossit. En 1870, le Manitoba se joint, et grâce Ă Louis Riel et les mĂ©tisses francophones qui ont menĂ© une rĂ©sistance Ă Fort Garry et qui ont nĂ©gociĂ© l'entrĂ©e de la terre de Rupert Ă tout ce vaste territoire que la Compagnie de la Baie d’Hudson contrĂ´lait jusqu'en 1869. Ce sont les mĂ©tisses qui ont nĂ©gociĂ© l'entrĂ©e dans la FĂ©dĂ©ration canadienne, l'annexion de ce territoire. Ils ont Ă©galement nĂ©gociĂ© des termes identiques Ă ce qui Ă©tait prĂ©vu en 1867 pour le QuĂ©bec et pour le Canada. C'est-Ă -dire que l'entièretĂ© du territoire serait gouvernĂ©e par des lois bilingues et que les tribunaux seraient bilingues. Et c'est ce qui Ă©tait prĂ©vu dans la loi du Manitoba de 1866. Bref, le Canada grossit comme ça au fil des annĂ©es, et la langue a toujours Ă©tĂ© le talon d'Achille de notre fĂ©dĂ©ration. Ça a toujours Ă©tĂ© un point, une entorse, un point de contention qui a amenĂ© beaucoup de chicanes ou de mĂ©comprĂ©hensions, de mĂ©pris, je dirais mĂŞme, et de dĂ©senchantement et de sĂ©paration culturelle entre les groupes linguistiques principaux du Canada, puis je dis bien les groupes linguistiques coloniaux.
Animatrice : Ah, j'aime ça !
F. Laroque : Les groupes coloniaux français et anglais. Donc, on ne parle pas encore des langues autochtones, on ne parle mĂŞme pas d’autres langues immigrantes qui sont parlĂ©es sur tout le territoire canadien. On parle uniquement du français et de l'anglais et des tensions entre ces deux groupes linguistiques. Dans les annĂ©es 50, dĂ©but 60, on envisage que c'est en fait la crise la plus importante de l'histoire du pays. La tension linguistique avait atteint un niveau tellement important qu'il fallait une commission royale d'enquĂŞte sur la question du bilinguisme et du biculturalisme. C'est la commission Lorendeau-Dunton, la Commission B&B pour biculturalisme et bilinguisme, et qui a durĂ© neuf ans, de 1963 Ă 1971, il y a huit ans.
Animatrice : OK, quand mĂŞme !
F. Laroque : Et oui, c'est ça, ils ont fait le tour du pays, ils ont rencontré plein de gens, ils ont écouté des problèmes, ils ont proposé des solutions. Plusieurs recommandations en ont découlé, dont la plus importante, à mon sens du moins, c'est que le Canada devienne un pays officiellement bilingue. C'est-à -dire qu'on adopte une loi sur les langues officielles qui fait du Canada un pays officiellement bilingue, qui reconnaît le français et l'anglais comme langues officielles et qui les reconnaît, c'est très important, une égalité de statut, de droit et de privilège. Que le français et l'anglais aient un statut égal au niveau des statuts, des droits et des privilèges liés aux langues. Et ça, c'était la grande innovation de la Loi sur les langues officielles de 1969.
Le Nouveau-Brunswick, par ailleurs, adopte une loi identique, où à peu près en 1969 aussi, il devient une province bilingue. La Commission avait aussi proposé que l'Ontario adopte une loi sur les langues officielles. Mais l'Ontario a décidé : non, nous on va aller plus graduellement, on va adopter une politique, ensuite une loi sur les services en français, bref. C'est un autre baladodiffusion.
Animatrice : Oui, c'est ça que j’allais dire.
F. Laroque : Donc, on s'attarde au bilinguisme officiel. Donc, en 1969, le français et l'anglais deviennent les langues officielles du Canada. Ça veut dire que pour les tribunaux, pour la législature, mais aussi, dorénavant, pour le gouvernement. Donc, les trois branches de l'État, le législatif, le judiciaire et l'exécutif, que ça se fasse dans les deux langues. C'est-à -dire, que tous les services aux citoyens soient disponibles dans les deux langues, et je précise aux fédérales, donc tous les services fédéraux, pas pour les autres provinces. Donc, en 1969, ça, c'était bien la loi du pays et c'est déjà une loi que les tribunaux reconnaissent comme étant quasi constitutionnelle, distincte dans son caractère, justement en raison de sa vocation unificatrice pour le pays.
Treize ans plus tard, on est en 1982, c'est le rapatriement de la constitution. Le gouvernement Trudeau décide, ça a commencé à la fin des années 70, c'est ce que je disais tantôt, à la fin des années 70, on commence à parler de rapatriement constitutionnel, de pouvoir permettre au Canada de modifier soi-même sa propre constitution. Parce que jusqu'à présent, il fallait toujours retourner à Westminster et faire approuver nos modifications constitutionnelles à Londres, ce qui est un peu gênant pour un pays qui veut être autonome.
Animatrice : C'est sûr, ça prend du temps quand même.
F. Laroque : Et donc, les deux grandes pièces de la réforme constitutionnelle de 1982, c'était la partie 5 de la Loi constitutionnelle de 1982 qui donne essentiellement les formules de modification constitutionnelle, mais aussi la Charte des droits et libertés, qui est la première partie de la Loi constitutionnelle de 1982. Et là , la Charte canadienne des droits et libertés fait quelque chose de remarquable. Elle prend les dispositions de la Loi sur les normes officielles, celles qui font du Canada un pays officiellement bilingue, et les enchâsse dans la Constitution. Donc les Articles 16 à 20 de la charte, en plus grand détail, enchâssent le bilinguisme officiel de l'appareil fédéral dans la Constitution du Canada. Donc ça veut dire que le Canada est dans son ADN, son ADN juridique, un pays officiellement bilingue à toutes les trois branches de l'État, législatif, judiciaire et exécutif.
Alors qu'on préparait le rapatriement et cette réforme constitutionnelle du début des années 80, dès 1977, on s'est rendu compte que si le Canada devient un pays officiellement bilingue, il faudrait peut-être que sa constitution le soit aussi. Il faudrait que la Constitution soit elle-même adoptée et valide dans les deux langues. Or, on constate que la constitution du Canada qui est un amalgame de documents, c'est en tout 31 documents, que la plupart de ces documents-là ont été adoptés et pris à Londres, en Angleterre. Il n'existait soit pas de version française ou lorsqu'il existait une version française, c'était une traduction officieuse qui avait été produite à Ottawa par des traducteurs du ministère de la Justice. Et donc là , ça, c'était le problème qu'on a voulu régler en adoptant l'Article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cet Article, pour moi, c'est la dernière pièce qui manquait pour faire du Canada un pays réellement et officiellement bilingue de A à Z. C'est la disposition qui prévoit de corriger les anomalies du passé par rapport au texte constitutionnel et qui va permettre au Canada d'avoir, éventuellement, je le souhaite, une constitution intégralement bilingue.
Alors, qu'est-ce qu'il dit cet Article 55? L'Article 55, c'est un paragraphe qui prĂ©voit deux choses. Premièrement, que le ministre de la Justice fasse produire dans les meilleurs dĂ©lais, ce sont les termes qui sont employĂ©s dans la version française, « as expeditiously as possible » qu'il est prĂ©vu dans la version anglaise, que le ministre de la Justice produise « as expeditiously as possible » dans les meilleurs dĂ©lais, une version française de tous les textes constitutionnels. Des 31 textes qui existent et qui sont Ă©numĂ©rĂ©s Ă l'annexe de la loi constitutionnelle de 1982. Il y a un tableau qui contient tous les textes et le ministre de la Justice a donc premièrement la responsabilitĂ© de faire produire une version française de tous ces textes-lĂ , parce que la version française n'existait pas dans la plupart des cas. Et deuxièmement, dans le mĂŞme Article, on prĂ©voit que dès que ces versions françaises seront prĂŞtes, qu'elles soient dĂ©posĂ©es pour adoption sous le grand saut du Canada et donc qu'ils aient force de loi.
Parce que c'est ça l'important, ce n’est pas qu'une version française existe, mais c'est qu'il soit adoptĂ© selon les formules d'amendements constitutionnels que le Canada a mis en place en 1952, pour que les textes, pour que les versions françaises aient force de loi Ă©gale aux versions anglaises. Et ça, c'est l'Article 56 qui le prĂ©voit. L'Article 56 de la Loi constitutionnelle de 1982 prĂ©voit que dès que tout ce travail aura Ă©tĂ© fait, les versions françaises et textes constitutionnels ainsi adoptĂ©s en vertu de l'Article 56 auront force de loi et seront Ă©gaux en statut, droit et privilège Ă la version anglaise, bref.
Animatrice : Avec le reste. Et lĂ , quand on vous parlait, vous nous avez dit, avant de vous prĂ©parer le podcast, vous avez utilisĂ© le terme du « vexant problème » de l'Article 55. Et on a beaucoup aimĂ© ça, ce terme-lĂ .
F. Laroque : Puis on voulait un peu justement, je sens qu'on est un peu rendu là dans l'histoire, mais pourquoi vous aviez utilisé ce terme-là , justement?
F. Laroque : Ben, c'est un problème vexant à plusieurs égards, n'est-ce pas? Un, que les textes constitutionnels du Canada n'aient pas force de loi dans les deux langues, alors que le Canada, lui, est un pays qui se veut intégralement bilingue sur le plan constitutionnel. Alors, ça, c'est vexant. Que l'état juridique ne soit pas cohérent, il y a une incohérence interne, si vous voulez, dans notre ordre constitutionnel, premièrement. Deuxièmement, c'est vexant pour la communauté d'expression française du Canada. Donc, les Québécois et les francophonies en situation minoritaire au Canada, les Acadiens et les francophones en Québec, n'ont pas le même droit et n'ont pas les mêmes privilèges que leurs collègues, que leurs concitoyens anglophones, de consulter et de lire les textes constitutionnels et de pouvoir s'y fier avec confiance, que les textes disent la même chose. Ils n'ont pas accès à ça, donc c'est vexant parce que ça perpétue un état ou une impression, une perception, que les francophones demeurent au Canada des citoyens de deuxième classe. Du moins, qu'il y aurait une hiérarchie, que les anglophones, la communauté anglophone, ont des droits supérieurs, et plus de droits, que les citoyens francophones. Alors, c'est vexant.
Animatrice : Ce qu'on comprend, c'est que ça n'a pas été fait, finalement.
F. Laroque : Tout à fait, et c'est le troisième sens du mot vexant, tel que je l'emploie. C'est que c'est vexant parce que voici maintenant, je ne suis pas très fort en mathématiques, mais depuis 1982, l'Article 55, on parle de 42 ans que ça a été adopté. Il faut savoir qu'il y a un certain travail qui a été fait. Donc, 42 ans plus tard, l'Article 55 n'est toujours pas mis en œuvre. Ça, c'est vexant, ça. Et donc, c'est un affront à la primauté du droit. Parce que quand la Constitution dit quelque chose, quand la Loi suprême du pays dit quelque chose, c'est censé être important, c'est censé être respecté. Et le fait que ce ne l'est pas, c'est profondément vexant. Profondément vexant au concept même de la primauté du droit, the rule of law, dans ce pays.
Animatrice : Et donc, que c'est ce que vous rĂ©pondez si vous rencontrĂ© des gens qui vous disent : « mais voyons donc, il y a tellement d'autres problèmes, ces 30 textes de la Constitution, c'est dans l'annexe, sont-ils vraiment utiles? Ă€ quoi ça sert de toute façon? Est-ce qu'on a dĂ©jĂ eu des problèmes avec ça? » Donc, ma question c'est, avons-nous dĂ©jĂ eu des problèmes avec ça? Ou alors, qu'est-ce qu'on rĂ©pond Ă ceux et celles qui considèrent que c'est mineur comme problème?
F. Laroque : Bien, je reprends dans l'ordre inverse les trois raisons. C'est que ça demeure un problème pratique Ă tous les jours pour tous les Canadiens quand la primautĂ© du droit constitutionnel n'est pas respectĂ©e au pays. C'est un problème. Le simple fait que la Constitution dit quelque chose, donne un commandement, c'est une disposition impĂ©rative de la Constitution : « le ministre de la Justice doit faire ceci » et dès que c'est fait, ils doivent ĂŞtre adoptĂ©s. Donc, quand la Constitution donne un commandement et le commandement n'est pas obĂ©i, c'est un problème et c'est un problème chaque jour. Ce n'est pas respectĂ©.
Et c'est aussi un problème indéfendable. Je veux dire, il n'y a pas de raison de principe qui justifierait l'inaction ou l'immobilisme des gouvernements ici sur la mise en œuvre de l'Article 55. Donc, ça, c'est le premier problème. Problème pratique numéro deux, si vous voulez, c'est un problème pour les communautés de langues officielles qui sont censées être en partenariat dans ce pays-ci. Donc, la grande leçon ou l'orientation de la Commission Laurendeau-Dunton, l'objectif de la loi sur les langues officielles, c'était d'unir le Canada. Cet esprit-là s'est vu enchâssé dans la Constitution du Canada, dans la Charte canadienne de la liberté et dans le projet de l'Article 55. Donc, c'est un problème à tous les jours qui vient exacerber les deux solitudes plutôt que de les rapprocher. Et c'est enfin un problème plus technique pour moi, professeur de droit, pour moi, avocat, qui doit aller devant les tribunaux plaider les textes constitutionnels régulièrement ou quand je les enseigne à mes étudiants. Je dois toujours dire à mes étudiants, on peut lire la version française officieuse qui a été produite, mais sachez qu'elle n'a pas de force de droit et donc il faut toujours regarder d'abord la version anglaise. Ce qu'on ne devrait pas avoir à dire normalement dans un contrat constitutionnel où les deux langues sont égales, n'est-ce pas?
Animatrice : Oui, c'est clair.
F. Laroque : Donc, c'est un problème Ă ce niveau-lĂ sur le plan de la pĂ©dagogie. Mais aussi en tant que juriste, en tant qu'avocat qui plaide devant les tribunaux, on doit rappeler au juge, parce que c'est tellement un problème endĂ©mique, le non-respect de l'Article 55, que mĂŞme les juges aujourd'hui ne sont pas tous au courant. On peut arriver, on peut faire sa carrière au Canada en droit et se rendre mĂŞme Ă la magistrature sans se rendre compte que ce problème-ci persiste toujours. Et tout le monde a Ă peu près la mĂŞme rĂ©ponse, rĂ©action, lorsqu'ils apprennent que l'Article 55 n'est pas mis en Ĺ“uvre : « Quoi? C'est pas fait? » On peut en rire, mais on peut consulter sur CanlII, ou mĂŞme sur le site de Justice Canada, les textes constitutionnels en français, mes Ă©tudiants le font, mais en haut, vous allez voir, il y a une grande bannière qui dit « Version non officielle des textes constitutionnels ». Ils doivent le dire parce que c'est vrai des textes constitutionnels en français.
Donc, je vais vous donner un exemple très prĂ©cis oĂą on a dĂ» mĂŞme plaider l'incongruitĂ©. Ça avait un impact sur l'issue d'un litige. Le dossier, c'est l'affaire Caron, la Reine contre Caron en Alberta, un dossier dans lequel je participais. Mon client, c'Ă©tait la CFA, l'Association canadienne-française d'Alberta, et ça avait affaire sur les obligations constitutionnelles qui Ă©taient supposĂ©es de l'Alberta de lĂ©gifĂ©rer en français et en anglais, d'adopter ces normes en français et en anglais. Et pour ce faire, il fallait interprĂ©ter des textes historiques très anciens qui remontaient Ă la ConfĂ©dĂ©ration, qui remontaient Ă 1867, incluant des adresses, des lettres, essentiellement, que le Parlement a prĂ©sentĂ©s Ă Sa MajestĂ© la Reine, en 1867, pour lui prier de faire l'annexion de la terre de Rupert avec le reste du Canada. Donc, la terre de Rupert dont j'ai parlĂ© Ă l'entrĂ©e du Balado. Le Parlement, dans son adresse Ă la Reine, a dit que le Canada s'engage Ă respecter les droits, en anglais, the legal rights. Or, dans la version française de la mĂŞme adresse…
Animatrice : L'officielle.
F. Laroque : Non, mais attends, c'est ça qui fait que ça devient compliquĂ©, vite fait. L'adresse elle-mĂŞme a Ă©tĂ© produite en français en vertu de l'Article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. L'Article 133 oblige le Parlement de tout faire dans les deux langues. Donc, l'adresse Ă Sa MajestĂ© a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e en français, de manière simultanĂ©e. Donc, il y avait la version anglaise qui dit « Canada undertakes to respect the legal rights of the inhabitants of Rupert's land ». En français, la version contemporaine disait « les droits acquis ». Donc, la version française dit « droits acquis », la version anglaise dit « legal rights ». Donc, ce ne sont que des adresses du Parlement Ă la Reine. Toutefois, ça devient pertinent parce que le dĂ©cret que la Reine, que le cabinet impĂ©rial de Westminster a pris en 1870 pour effectuer lĂ©galement la transaction immobilière du siècle, l'annexion de la terre de Rupert au Canada, c'est un gros dĂ©cret, un Order in Council qui contient des annexes. En annexe de ce Order in Council se trouvent les fameuses adresses de 1867 du Parlement. Parce que le Order in Council a Ă©tĂ© pris en anglais seulement, ils ont seulement annexĂ© la version anglaise. Ils n'ont pas annexĂ© la version française. Et ce Order in Council fait partie maintenant de la Constitution du Canada. Elle est dans le fameux tableau Ă la fin. Donc, nous, il fallait interprĂ©ter, pour les fins du litige Caron, il fallait interprĂ©ter quel sens qu'on dĂ©cide de donner au terme « legal rights ».
Animatrice : Legal rights, oui. Les droits acquis.
F. Laroque : Est-ce que c'est « droits acquis? » En français, en 1867, on pensait que c'Ă©tait des droits acquis.
Animatrice : C'est ça, mais maintenant?
F. Laroque : Mais la juge disait « attention, je ne peux pas me fier Ă la version française, elle n'a pas force de droit, je peux seulement dire legal rights. Puis legal rights a un sens très Ă©troit au 19e siècle. Alors, ça a eu un impact, je suis persuadĂ©, sur la façon qu'on a pu structurer nos arguments dans ce dossier-lĂ . Il y a d'autres dossiers. Imaginez toutes les dispositions de la loi de 1867 qui traitent par exemple sur le commerce interprovincial. Il y a l'affaire Como, oĂą le monsieur du Nouveau-Brunswick qui avait importĂ© des bières du QuĂ©bec dans son camion et il s'est fait arrĂŞter Ă la frontière. Donc, un Acadien qui vient au QuĂ©bec acheter des bières, il fallait interprĂ©ter les dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867. Tout le litige est Ă©lu en français, mais il fallait l'interprĂ©ter en vertu d'un texte construit en anglais. Ça n'a pas d'allure.
Animatrice : Ça n'a pas d'allure.
F. Laroque : Il y a plein de problèmes comme ça. Puis c'est gĂŞnant, parce que de plus en plus… une des bonnes choses du litige que le sĂ©nateur Joyal et moi avons mis de l'avant, une des bonnes retombĂ©es, c'est que maintenant on en parle. Donc, grâce Ă l'ABC. Merci beaucoup Ă l'ABC de l'intĂ©rĂŞt que l'ABC prĂ©sente pour le dossier, les lettres qui ont Ă©tĂ© Ă©crites, la fameuse vidĂ©o.
Animatrice : Oui, j'adore. On va la mettre en lien.
F. Laroque : Absolument. Pour la sensibilisation du public et des juges et des gouvernements, on commence à faire de plus en plus de bruit autour de ça et on rafraîchit la mémoire des gens. On leur rappelle que l'Article 55 n'est toujours pas respecté et qu'on demeure essentiellement en situation de délinquance par rapport à l'Article 55.
Animatrice : C'est fou parce que les mots sont tellement importants en droit. C'est comme les avocats, je pense, les avocates, on est les personnes les plus dĂ©sagrĂ©ables souvent parce que mĂŞme quand on argumente avec des gens de façon relaxe pendant un souper, on est comme « non, mais c'est pas ça que j'ai dit exactement. » C'est tellement important dans la Constitution, je peux comprendre et c'est vraiment de bons exemples que vous avez donnĂ©s. Puis vous avez parlĂ© tantĂ´t, pas juste pour revenir un peu, parce que vous avez dit « l'inaction des deux gouvernements », je pense, ou les deux paliers, je ne sais plus, mais donc on comprend que l'inaction, pas juste du cĂ´tĂ© du fĂ©dĂ©ral, il y en a aussi du cĂ´tĂ© de la province de QuĂ©bec. Et ça, j'aimerais un peu entendre parler parce que j'aurais cru que QuĂ©bec aurait tout de suite demandĂ© que ce soit fait et que ce soit très actif en fait pour ça. Mais je comprends que non parce qu'en plus, vous avez aussi… et on va revenir au recours que vous avez intentĂ© avec le sĂ©nateur Serge Joyal, mais avant tout, c'est ça, j'aimerais savoir un peu l'inaction, de quoi on parle.
F. Laroque : D'accord. Et merci de me donner l'occasion de parler de ça, parce que je ne suis pas tout Ă fait juste quand je dis « l'inaction ». Il y a eu en fait de l'action. Il y a eu de l'action en 1984. Parce que le ministre de la Justice de l'Ă©poque, dont le nom m'Ă©chappe, a dit « OK, cette nouvelle disposition constitutionnelle me commande de faire produire une version française et donc, on va faire un comitĂ©, un comitĂ© de rĂ©daction constitutionnelle française. » Et c'Ă©tait un comitĂ© de traducteurs, de jury-linguiste, de juriste, incluant, il y avait le juge Pigeon Ă la retraite de la Cour suprĂŞme du Canada qui a siĂ©gĂ© lĂ -dessus, de grandes sommitĂ©s de la jurilinguistique canadienne qui ont Ă©tĂ© formĂ©es en comitĂ© et qui ont travaillĂ© six ans : de 1984 Ă 1990. Ils se sont mis Ă l'Ĺ“uvre et ont produit une très belle version de tous nos textes constitutionnels. Le rapport final, qui contient la traduction finale de tous nos textes constitutionnels, une trentaine de textes, a Ă©tĂ© dĂ©posĂ© Ă la Chambre des communes.
En 1990, et la ministre de la Justice qui a reçu le rapport, c'était nul autre que la très honorable Kim Campbell. Et là , ça a été essentiellement déposé au Parlement. Et à peu près, depuis ce temps-là , presque rien. Je dis bien presque rien. Du côté du gouvernement, alors on se souvient, 1990, on vient de survivre l'échec du lac Meech. Le gouvernement Mulroney préparait un autre package de réformes constitutionnelles, l'accord de Charlottetown, qui a été soumis au Référendum national en 1992. Et donc, on avait d'autres chats fouettés du côté constitutionnel. Ils ne sont pas tournés immédiatement vers l'Article 55 et on peut après les comprendre. Mais toujours est-il que Charlottetown c'était un échec aussi. Et là , en 1993, il y a eu l'élection et les conservateurs sont remplacés par les libéraux au pouvoir. Donc là , le gouvernement Chrétien entre au pouvoir en 1993 et donc ça a pris un autre 4 ans avant que le gouvernement Chrétien décide de faire quelque chose en lien avec l'Article 55.
Et nos recherches ont démontré qu'il a demandé à son ministre de la Justice, un jeune homme du nom d'Alan Rock, qui est un collègue qui enseigne le droit avec moi, il est ancien recteur de l'Université d'Ottawa, mais il est devenu professeur à la Fac de Droit. Mais il était ministre de la Justice à l'époque et il a mandaté son sous-ministre adjoint, Mary Dawson, feu Mary Dawson qui est décédé l'année dernière. Une grande dame en politique canadienne, puis une grande juriste. Puis, il l'a mandatée afin de voir si elle pouvait entamer un dialogue avec les provinces et les territoires pour aboutir sur la question de : adopter les versions françaises, maintenant que la première partie de l'Article 55 avait été accomplie. On avait la version française des textes fonctionnels, il suffisait maintenant de les faire adopter selon la formule d'amendement qui s'appliquait, qui peut s'appliquer à un texte ou à l'autre. Et c'est ce qu'elle a fait. Mary Dawson a fait son devoir, elle a écrit à tous les ministres, tous les premiers ministres et tous les gouvernements provinciaux et territoriaux.
Et notre recherche a rĂ©vĂ©lĂ© qu'elle a obtenu des rĂ©ponses, certaines rĂ©ponses très favorables, disant « oui, oui, oui, tout de suite, on est d'accord avec ça, finissons-en. C'est ça. Adoptons les versions françaises. » Certaines rĂ©ponses qu'elle a obtenues, c'est comme « ah, intĂ©ressant, on aimerait peut-ĂŞtre proposer quelques rĂ©visions, mais rien de majeur. » C'Ă©tait vraiment un exercice de vĂ©rification, de validation de traduction. C'est pas un exercice de renĂ©gociation constitutionnelle, c'est un exercice de, en anglais, proofreading : on vĂ©rifie l'adĂ©quation d'une traduction par rapport au texte original, qui est un autre type d'exercice intellectuel.
Donc, Ă l’Ă©poque, plusieurs provinces ont dit « oui, d'accord, pas de problème », d'autres ont dit « ah, quelques mots ici et lĂ . » Bien malheureusement, il y a eu une fin de non-recevoir de la part du QuĂ©bec : « On ne souhaite pas s'associer Ă cette dĂ©marche pour faire adopter la version française et constitutionnelle. » Faut rappeler qu’en 1982, le QuĂ©bec n'a pas signĂ© la Loi constitutionnelle en 1982. Et donc, ça s'est entrĂ© en vigueur malgrĂ© l'accord du QuĂ©bec ou en dĂ©pit de l'accord du QuĂ©bec et du dĂ©saccord du QuĂ©bec. Et donc, le QuĂ©bec, de manière très cohĂ©rente peut-ĂŞtre, dirait-on, a dĂ©cidĂ© de ne pas s'associer Ă la dĂ©marche que proposait Mary Dawson pour faire valider la version française qui venait d'ĂŞtre produite par le fameux comitĂ© de rĂ©daction constitutionnelle. Et donc, après cette tentative-lĂ , silence. Donc, on peut dire depuis 1997, 98, avec certaines lettres qui sont entrĂ©es par la suite lĂ , qu'il y a absolument, c'est le silence total.
Animatrice : Jusqu'à ce que votre recours ait tenté...
F. Laroque : En fait, la teneur du recours, si ça vous intéresse, je peux vous expliquer comment c'est arrivé.
Animatrice : Oui.
F. Laroque : Bon, c'Ă©tait la doyenne, ma doyenne Ă l'Ă©poque, Nathalie Desrosiers, maintenant juge Ă la Cour supĂ©rieure d'Ontario. En 2015, elle me convoque dans son bureau — j'Ă©tais vice-doyen Ă la Direction Common Law — avec d'autres collègues, dont Linda Cardinal, prof de Droit chez nous, pas une prof de Droit, mais prof d'Études politiques, une politologue qui s'intĂ©resse beaucoup aux questions de langues officielles, puis mon collègue, il y avait John Marquise qui est un lĂ©giste Ă la retraite fĂ©dĂ©rale qui est maintenant prof auxiliaire. Et elle nous dit — vous vous souvenez en 2015, on Ă©tait Ă deux ans du 150e de la ConfĂ©dĂ©ration canadienne, on prĂ©parait des Ă©vĂ©nements pour cĂ©lĂ©brer le Canada 150, et donc, c'Ă©tait essentiellement une session de brainstorming — « qu'est-ce qu'on peut faire Ă la fac de droit pour cĂ©lĂ©brer le 150e du Canada? » Et dans notre remue-mĂ©ninge, cette question-lĂ de l'Article 55.
Animatrice : J'adore.
F. Laroque : Elle dit « quoi? » — La doyenne elle-mĂŞme Ă©tait Ă©tonnĂ©e de l'apprendre — elle dit : « quoi c'est pas fait ça encore? » - Non, c'est pas fait. Et donc, en bon universitaire, on a fait la chose que les universitaires aiment faire, c'est des confĂ©rences. On a organisĂ© en novembre 2015 une confĂ©rence Ă l'UniversitĂ© d'Ottawa sur la question de l'Article 55 et le fait que la Constitution n'est toujours pas bilingue et que ne serait-il pas un bon projet pour le 150e du Canada de finaliser enfin le projet de l'Article 55 et d'avoir un rapprochement du pays entier.
Animatrice : Mais oui!
F. Laroque : C'Ă©tait notre vision optimiste en 2015. La confĂ©rence a lieu et c'est lĂ oĂą j'ai rencontrĂ© Serge Joyal. Et c'est dans ce contexte-lĂ qu'après la confĂ©rence, les deux on s’est dit, bien, il faudrait faire quelque chose d'autre pour motiver ou pour stimuler au moins un dĂ©bat public autour de ces questions-lĂ . Et c'est lĂ oĂą l'idĂ©e du recours a fait son apparition. Et donc lĂ , ça a pris quand mĂŞme quelques annĂ©es pour nous organiser. Et en 2019… en 2017, Linda Cardinal et moi, on a publiĂ© ce livre.
Animatrice : La Constitution bilingue du Canada
F. Laroque : Un projet inachevé.
Animatrice : Oh! J'aime ça!
F. Laroque : Et dedans, il y a un excellent texte de Mary Dawson qui explique sa démarche. Comment est-ce qu'elle avait tenté de faire adopter les textes. Il y a un article de Serge Joyal, puis un article par moi, entre autres, puis Linda Cardinal. Je suis très fier de ce petit bouquin, parce que ça documente bien l'évolution. Et c'est à la suite de la parution de ce livre-là que Serge Joyal et moi, on a décidé qu'il était temps d'entamer un recours. Et qu'il fallait saisir les tribunaux de la question du non-respect de l'Article 55. On a une disposition constitutionnelle impérative, les gouvernements l'ignorent. C'est maintenant au tour des tribunaux de les rappeler de leurs obligations constitutionnelles.
Animatrice : Wow! Et là , vous êtes rendu où avec le recours? Est-ce que ça a avancé un peu?
F. Laroque : Alors, 2019, on a déposé, à la fin d'automne 2019, on a déposé en Cour supérieure du Québec. On a nommé le Québec et le Canada comme défendeurs dans notre recours.
Animatrice : On comprend avec l'histoire que vous avez donnée. On peut voir.
F. Laroque : Et qu'est-ce qu'on demande? C'est une série d'ordonnances qui essentiellement reconnaîtrait, des déclarations, qui reconnaîtraient que l'Article 55 est impératif. L'Article 55 demande que les gouvernements exigent, pardon, demande que les gouvernements collaborent pour faire adopter les versions françaises des textes qui ont été produites, au moins les valider ou en proposer des nouveaux. Mais ça prend cette discussion-là , ces pourparlers-là . Et finalement, on ordonnerait, on demande que la Cour ordonne aux gouvernements de se rencontrer et de discuter de la question de l'Article 55 pour enfin aboutir avec cette partie très importante du rapatriement de la Constitution. Rapatrier la Constitution au Canada, oui, c'est donner au Canada les moyens de modifier la Constitution, mais c'est aussi de produire une Constitution qui est intégralement canadienne, une constitution bilingue. Et donc moi, c'est comme ça que maintenant je suis rendu à le présenter, le problème, c'est que : la Constitution, le rapatriement ne sera pas terminé, tant et si longtemps qu'on n'aura pas adopté une version réellement canadienne bilingue de la Constitution.
Animatrice : Non, mais c'est extrêmement intéressant. C'est vraiment chouette.
F. Laroque : OĂą est-ce qu'on en est avec la poursuite?
Animatrice : Oui.
F. Laroque : Donc la pandĂ©mie n'a pas aidĂ©. Ça a dĂ©routĂ© les procĂ©dures de part et d'autre. Mais lĂ , après la pandĂ©mie, Ă partir de 2022, ça l'a repris. Mais on est encore Ă des phases très prĂ©liminaires, très procĂ©durales. Mais je peux dire que les gouvernements se dĂ©fendent farouchement, et ont apportĂ© des motions en radiation. La radiation de la poursuite, mais surtout c'est de la preuve qu'on a fait dĂ©poser. On a dĂ©posĂ© des documents qu'on a obtenus par demande d'accès Ă l'information du gouvernement. Puis on prĂ©sente une preuve et on prĂ©sente essentiellement une trame narrative que je viens de vous la prĂ©senter dans le cadre de notre discussion. On prĂ©sente les Ă©vĂ©nements, et encore lĂ -dessus, les gouvernements s'opposent, et donc nous opposent des motions en radiation que nous devons dĂ©fendre. En consultant mes avocats, juste avant notre appel, j'ai obtenu qu'on va… il y a une audience qui est prĂ©vue au mois de novembre sur les quatre motions en radiation. Donc deux du Canada, deux du QuĂ©bec, assez concertĂ©es, donc il y a une certaine collaboration.
Animatrice : C'est ça que j'allais dire, vous avez quand même obtenu une collaboration. Peut-être pas dans le sens que vous voulez, mais...
F. Laroque : Non, non. C'est pas dans le sens qu'on veut, mais c'est beau de voir les gouvernements collaborer.
Animatrice : Mais oui.
F. Laroque : Mais c'est ça, on va donc dĂ©fendre ces motions-lĂ , ou au moins y rĂ©pondre en novembre. Ce qui veut dire, qu'en prĂ©sumant qu'il y a un rĂ©sultat qui pourrait faire — mon dieu, je ne veux mĂŞme pas trop y penser — mais ça pourrait aller en appel. Ce qui pourrait prolonger inutilement toutes les procĂ©dures. C'est ce qu’on ne souhaite pas, Ă©videmment. C'est une question d'intĂ©rĂŞt public, c'est une question d'urgence nationale quand la Constitution elle-mĂŞme n'est pas respectĂ©e. Et donc c'est pour ça que nous, on est un peu incrĂ©dules face aux positions du gouvernement.
Animatrice : De la réponse, oui, exacte.
F. Laroque : Toujours est-il que c'est là où nous en sommes. Alors, avec un peu de chance, on va se trouver peut-être l'année prochaine, en 25, une audience sur le fond.
Animatrice : OK. Vraiment, on va suivre ça, c'est clair. Ă€ l'ABC, de toute façon, je sais qu'ils suivent ça Ă©galement. Puis nous aussi, maintenant qu'on connaĂ®t un peu plus aussi le sujet, clairement, on va le suivre. Mais je pense aussi que, tu sais, quand je lisais sur ça, la question qui m'est venue aussi, c'est, tu sais, vous avez dit, on rouvre certains dĂ©bats, puis est-ce que vous pensez justement que… parce que, oui, on parle de l'Article 55, le bilinguisme de la Constitution, mais on peut mettre aussi en lumière d'autres enjeux d'accès Ă la justice en français. Notamment, on sait qu'il y a des enjeux en Ontario, en Alberta, et c'est pas la première fois. Des fois on sait que certains justiciables vont se faire dire, vont ĂŞtre mal Ă l'aise, ou mĂŞme vont prĂ©fĂ©rer pas demander d'ĂŞtre servi, si on veut, en français, ou de demander des services juridiques en français parce que bon, ça va peut-ĂŞtre causer des dĂ©lais, etc. Donc, pensez-vous que c'est aussi un peu une occasion pour remettre certains de ces dĂ©bats-lĂ sur la table, d'en parler davantage?
F. Laroque : Absolument, tout procès de la Constitution, la Constitution, c'est la loi suprĂŞme du pays, comme vous l'avez dit dans l’intro. Alors, pour un justiciable franco-albertain qui conteste une mesure, qui apporte un litige dans sa province, de pouvoir citer la Constitution en français, c'est essentiel. Ça fait partie de l'accès Ă la justice. Accès Ă la Constitution, moi je dirais « accès Ă la Constitution elle-mĂŞme » qui doit ĂŞtre reflĂ©tĂ©, qui doit reflĂ©ter le langage de l'Article 16 de la Charte, qui dit : que le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada, et elles sont Ă©gales en droits, statuts et privilèges. Si c'est vrai ça, si c'est vrai que le français est Ă©gal Ă l'anglais en droits, statuts et privilèges, donc les textes doivent ĂŞtre bilingues et ayant une force de droit Ă©gale.
Animatrice : C'est tellement logique en fait, ça me surprend mĂŞme que ça n’ait pas…, en plus des fois je me dis peut-ĂŞtre qu'on rĂŞve, mais que ça va se faire naturellement, finalement ils vont se dire « ah ben c'est vrai, on devrait les adopter ces textes » et passer Ă autre chose finalement, Ă la place d’insister ou d'aller en appel.
F. Laroque : La position Ă l'Article 65 ne peut pas ĂŞtre juridique.
Animatrice : Non, c'est ça clairement.
F. Laroque : Il n'y a pas de bonne raison juridique, je veux dire, c'est indéfendable sur le plan juridique, l'inaction aussi. La seule façon que ça devient plus flou, c'est dans le politique.
Animatrice : Oui, c'est ça.
F. Laroque : Il faut que les volontés politiques s'alignent avec la nécessité juridique.
Animatrice : C'est ça, que vous plaidez, donc on va suivre ça aussi. Puis après, la dernière question que j'avais, parce qu'on est aussi beaucoup dans ça Ă l'ABC comme vous le savez, mais parce que bon, on comprend que ça l’a Ă©voluĂ© beaucoup, on parle de ça fait 40 ans maintenant, quand on voulait que les choses changent. Est-ce que maintenant on serait rendu Ă demander, mĂŞme au-delĂ , je sais que c'est dans la Constitution, c'est le bilinguisme, mais est-ce que mĂŞme on ne pourrait pas se dire que maintenant qu'on sait qu'il y a une trentaine de langues autochtones distinctes qui sont parlĂ©es au Canada, certaines plus que d'autres, on a la DĂ©claration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, on a une loi de mise en Ĺ“uvre maintenant, et puis aussi on sait qu'on parle beaucoup des gouvernements autochtones, etc., au Canada, c'est de plus en plus reconnu, donc, pensez-vous que mĂŞme il y aurait place Ă Ă©largir Ă©ventuellement la traduction de la Constitution? Je ne sais pas s'il y a dĂ©jĂ mĂŞme peut-ĂŞtre des choses mises en place pour ça, mais qu'on serait mĂŞme rendu lĂ , mĂŞme en 2024, 2025, de demander au-delĂ de ça, parce que finalement le Canada, mĂŞme, c'est au-delĂ du bilinguisme, c'est rendu, vous l'avez dit vous-mĂŞme au dĂ©but, c'est mĂŞme la langue des personnes qui vivent ici maintenant, etc., donc...
F. Laroque : Tout à fait, la question est excellente et très riche, parce que le Canada est un pays multiculturel, absolument, un pays issu de l'immigration, absolument, un pays constitutionnellement bilingue pour l'instant, c'est-à -dire qu'il y a seulement deux langues qui ont le statut officiel à l'échelle fédérale, mais il y a également les langues autochtones qui sont parlées depuis des siècles, avant même que l'idée du Canada vienne dans l'esprit de qui que ce soit. Alors absolument, les langues autochtones, puis je pense que, en tout cas, je pense que les chiffres que moi j'ai en tête, c'est comme 60 autres, 60 langues autochtones qui sont parlées sur le territoire qu'on appelle le Canada. Oui, absolument, le Canada se doit d'être un acteur important et qui doit appuyer les communautés des langues autochtones, les communautés autochtones partout au pays à se réapproprier leurs langues, à les revitaliser, à les renforcer et à les transmettre à la génération future. Ça, c'est absolument essentiel.
Le Canada, je pense, a déjà fait des progrès récemment dans le bon sens. L'année même où on nous a déposé notre poursuite pour la constitution bilingue, le Canada a adopté en 2019 la Loi sur les langues autochtones. Et cette loi-là fait plusieurs choses intéressantes. Elle ne crée pas des droits linguistiques, j'ai été un peu déçu de voir ça, mais elle crée surtout une administration fédérale, qui s'appelle le Commissariat aux langues autochtones, qui est chargé essentiellement d'appuyer financièrement. Ils vont recevoir un budget fédéral puis conclure des ententes avec les provinces et les différentes communautés un peu partout au pays pour mettre en place des projets de réappropriation, revitalisation, renforcement et transmission. Donc, on est à l'étape de faire certain, s'assurer que ces langues-là ne disparaissent pas et qu'on puisse les maintenir et les rendre plus viables.
Certaines langues autochtones le sont assurĂ©ment dĂ©jĂ , l'inuktitut, l’inuinaktun, l'anishinabemowin, l'innu, bref, il y a au moins une demi-douzaine si pas plus de langues autochtones qui dĂ©jĂ ont des lexiques. Ils ont des dispositions, il y a des programmes pour la transmission et lĂ , le Canada, je pense, pourrait donner plus de place dans la sphère publique Ă ces langues-lĂ . Et encore des pas ont Ă©tĂ© faits dans la bonne direction en trois, quatre annĂ©es passĂ©es, on a permis maintenant aux dĂ©putĂ©s de la Chambre des communes de se lever et de s'adresser au prĂ©sident de la Chambre en langue autochtone. Il faut juste qu'il donne, il y a une petite procĂ©dure, on doit donner un jour de prĂ©avis pour s'assurer qu'on a des interprètes prĂ©sents. En Ontario, c'est arrivĂ© la semaine passĂ©e, il y a Ă peu près deux semaines. L'Ontario a modifiĂ© sa procĂ©dure Ă l'AssemblĂ©e lĂ©gislative pour permettre pour la première fois Ă un dĂ©putĂ©, un [00:46:20] de prendre la parole en oji-cree pour la première fois. C'est très important, les langues coloniales ont Ă©tĂ© responsables de l'effacement et de l'oubli des langues autochtones. Donc il y a un devoir moral, en plus, je pense, qu'il y a de plus en plus un devoir juridique d'appuyer les communautĂ©s autochtones et d'ĂŞtre des alliĂ©s, de vĂ©ritables alliĂ©s et partenaires dans le dĂ©veloppement et la prĂ©servation de leurs langues. Et je trouve que c'est, je pense, une autre Ă©tape Ă franchir Ă©ventuellement pour le Canada. On va commencer par peut-ĂŞtre faire adopter une version bilingue de la Constitution.
Animatrice : Mais c'est bon, il y a un début à tout, j'aime ça, mais c'est bien, on ouvre la porte.
F. Laroque : En fait, je me rattrape en disant, je ne devrais pas dire… on va commencer par : je pense qu'il est possible d'avancer ça plusieurs fois en mĂŞme temps. Et il y a des Ă©vĂ©nements rĂ©cents au fĂ©dĂ©ral avec, bon, la Loi sur les langues autochtones, mais aussi la Loi fĂ©dĂ©rale sur la mise en Ĺ“uvre de la DĂ©claration des Nations Unies sur les droits autochtones, qui contient, d'ailleurs, dans cette DĂ©claration des Nations Unies, les dispositions linguistiques.
Animatrice : Exact, exact, je pensais à ça aussi, c'est ça donc je pense que...
F. Laroque : C'est important, donc déjà le fédéral est engagé dans une démarche d'appui et de reconnaissance de droits au niveau des langues autochtones. Puis, on peut faire ça en même temps qu'on fait la défense des langues officielles. On vient d'adopter une nouvelle loi sur les langues officielles au fédéral. Et on fait d'ailleurs, dans le cadre de cette nouvelle loi de 2023, la nouvelle Loi sur les langues officielles, on fait de la protection du français une priorité. Le français est reconnu dans la nouvelle Loi comme : oui, c'est une langue officielle, oui, elle a en principe des droits et statut de privilège également en anglais, mais la réalité démographique sur le terrain c'est que le français est en déclin depuis un siècle.
Animatrice : Oui, 100 %.
F. Laroque : Et même à Montréal, même au Québec, le français est en déclin partout au pays. Et donc le Canada en prend acte et s'engage dans la nouvelle loi d'en faire davantage pour protéger le français.
Animatrice : Donc...
F. Laroque : C'est pertinent de faire adopter la version française de la Constitution dans le cadre de cette loi.
Animatrice : Et voilĂ , ne serait-il pas… ça ne se dirait pas tout ça ensemble, en fait. Quand on parle de faire du advocacy, du plaidoyer, j'ai l'impression qu'en ce moment, on parle souvent de saisir les opportunitĂ©s, puis lĂ , j'ai l'impression qu'il y a vraiment beaucoup d'opportunitĂ©s, c'est un terrain très fertile pour faire avancer beaucoup de choses par rapport aux langues en gĂ©nĂ©ral en ce moment au Canada.
F. Laroque : Oui, oui. C'est un bon temps pour des gens comme moi qui s'intéressent au droit linguistique.
Animatrice : Exact, c'est ça.
F. Laroque : Il y a beaucoup d'investissements autour de ces enjeux-lĂ .
Animatrice : C'est très intéressant. Oui, merci beaucoup Professeur Laroque. En vrai, c'était très intéressant. Je ne sais pas s'il y a quelque chose que vous vouliez dire, que vous n'avez pas eu l'occasion, qu'on ne vous a pas posé la question, ou que vous aimeriez profiter de l'antenne du podcast pour partager quelque chose à nos auditeurs(istes).
F. Laroque : Je pense qu'on a fait le tour des grandes lignes. Je vous remercie encore une fois à l'ABC pour l'intérêt dans la question. Depuis le début, je pense que l'ABC a vite compris que c'était un enjeu d'importance nationale. Et donc, moi, je suis très reconnaissant d'avoir l'ABC pour l'intérêt dans le dossier, et à vous pour l'invitation au podcast. Merci beaucoup.
Animatrice : Ça fait plaisir. Et merci à vous pour le travail que vous faites aussi pour ça. Moi, je suis toujours impressionnée de rencontrer des gens qui travaillent pour nous, pour la communauté, pour le Canada. Donc, merci de mettre du temps sur ça aussi.
F. Laroque : C'est très gentil. Merci bien. Ça fait plaisir.
Animatrice : Vous écoutez Juriste branché, présenté par l'Association du Barreau canadien.