Défenseurs et défenseuses de l’accès à la justice : Juripop
Intervieweuse : Super! Est-ce que c'est ton premier podcast en as-tu as déjà fait?
S. Gagnon : Non, j'en ai fait plein.
Intervieweuse : Parfait, pas besoin de te le dire.
Thème de l’émission
Vous écoutez Juriste branché, présenté par l'Association du Barreau canadien. Aller chercher les justiciables là où ils sont, c'est la mission et la façon de faire de jury-pop à Montréal. Nous avons eu le plaisir de rencontrer la directrice générale, Sophie Gagnon, pour parler de cette approche et de l'impact positif de son implication pour favoriser l'accès à la justice au Québec et au Canada.
Intervieweuse : Bonjour et bienvenue à Juriste branché. Je m'appelle Julia Tétreault-Provencher. Cet épisode a été réalisé avec le soutien du sous-comité sur l'accès à la justice de l'Association du Barreau canadien. Cela fait maintenant une toute petite décennie depuis que le sous-comité a lancé son appel à l'action avec son rapport Atteindre l'égalité devant la justice. Vers la fin de 2013, début 2014, l'accès à la justice au Canada était en crise. C'était clair qu'il fallait agir et qu'il n'existait pas une seule solution magique pour faire face à ce problème, mais bien une variété de réponses. Dix ans plus tard, grâce au travail et à l'implication de plusieurs avocats et avocates et juristes, nous avons trouvé et testé certaines de ces solutions. C'est dans ce cadre que Juriste branché se fera un plaisir de vous présenter, dans les prochains épisodes, des collègues et des organismes qui réalisent un travail exceptionnel pour améliorer l'accès à la justice au Québec et au Canada. Évidemment, nous ne pouvions pas parler de ce sujet sans mentionner Juripop, un organisme à but non lucratif basé à Montréal, et qui s'est fait connaître notamment pour son projet visionnaire en matière d'accès à la justice avec ses cliniques d'information juridique gratuites dans le métro. Écoutons Sophie.
Intervieweuse : Alors Sophie, enchantée, merci beaucoup de participer au podcast de Juriste branché. On est vraiment contents et contentes de t'avoir avec nous. Parlons de Juripop avant tout. Ça a été créé en 2009, ça fait quand même un petit moment maintenant. C'était pourquoi exactement?
S. Gagnon : Ça me fait vraiment plaisir d'être ici aussi, Julia. Merci pour l'invitation et avec plaisir je vais vous parler de Juripop. C'est mon travail. On va souffler, effectivement, nos 15 bougies cet été. Donc, ça fait 15 ans que Juripop a été fondée. Puis à l'époque, c'était un projet très visionnaire. En ce sens qu'au Québec, du moins, la situation est différente dans le reste du Canada, mais au Québec, il y a des cliniques juridiques au tournant des années 2010, il y en avait très peu. Puis Juripop a été fondée par des étudiants, des étudiantes en droit qui suivaient un cours de droit social à l'UQAM, puis qui apprenaient que quelqu'un qui gagnait un revenu annuel de 12 000 $ était considéré comme trop riche pour l'aide juridique. Ils se sont dit : « Bien, ça n'a pas de bon sens, avec 12 000 $ c'est sûr que tu ne peux pas aller au privé pour payer, pour comprendre et défendre tes droits. » Alors, Juripop a été créé à la base pour répondre aux besoins des personnes qui tombent entre les mailles de notre filet social, qui sont dans la zone grise de la classe moyenne. Et puis, ça fait encore à ce jour partie de notre ADN d'aider ces gens-là. Ça fait en sorte qu'aujourd'hui, on offre encore des services juridiques à coût modique aux personnes qui ne sont pas admissibles à l'Aide juridique, mais qui sont en situation de précarité financière. Puis au fil du temps, on a ajouté plusieurs services d'information, d'éducation juridique puis de représentation gratuite. Je pense que ce qui nous distingue, ce qui est dans notre ADN, c'est la créativité, l'agilité de Juripop. On se voit comme les premiers répondants de la justice. On aime ça aller sur le terrain, directement à la rencontre de ceux et celles qui en ont besoin, puis travailler dans l'innovation.
Intervieweuse : Mais c'est vrai ça, Juripop, effectivement, genre moi depuis que j'ai fait mon bac, on en entend toujours parler. Puis c'est vrai que c'est toujours impressionnant, j'ai l'impression qu'il y a toujours de nouvelles choses aussi. Ça va bien aussi pour vos affaires, vous avez quand même des subventions et on va revenir à ça aussi, vos projets. Tu dis qu'en 2009, vous aviez été quand même frappée un peu par ce manque d'accès à la justice pour certaines personnes. Est-ce qu'il y a eu un changement? Est-ce que depuis 2009, par exemple le fameux 12 000, est-ce que ça a augmenté ou ça a diminué? Est-ce qu'il y a plus d'organismes qui sont sensibilisés? Est-ce qu'il y a plus d'avocats, d'avocates qui font ce travail-là d'aide juridique avec Juripop? Comment ça fonctionne depuis les 15 dernières années?
S. Gagnon : Ça a pris quand même du temps, mais j'aurais tendance à dire que dans les dernières années, peut-être dans les trois dernières années, il y a quand même eu pas mal de développement. Un développement important, c'est qu'il y a eu, de mémoire c'est en 2015, mais les règles sur l'admissibilité à l'Aide juridique ont changé au Québec et elles ont enfin été arrimées au salaire minimum. De sorte que quelqu'un qui travaille au Québec au salaire minimum à raison de 35 heures par semaine est admissible au volet gratuit de l'aide juridique. Ça, c'est une revendication de longue date de la part des organismes sur le terrain.
Donc, ça fait en sorte qu'il y a plus de gens qui sont admissibles à l'aide juridique, mais il demeure des écarts entre les besoins de la population et l'admissibilité à l'aide juridique. Donc, on voit encore, nous, un besoin. C'est pour ça qu'on continue d'offrir ces services-là, mais la situation s'est améliorée. Là où il y a eu beaucoup de changements, c'est, je dirais, sur le terrain et dans la volonté politique. Moi, depuis que je suis arrivée chez Juripop, et ça, c'est en 2017, je sens que l'accès à la justice est rendu une priorité politique. Il y a eu une volonté politique. Il y a des changements qui ont été faits. Il n'y a pas si longtemps que ça, il n'y a pas plus d'un an, les avocats, les avocates, on n'avait pas le droit d'exercer notre profession au sein d'un organisme à but non lucratif, ce qui a contribué à faire en sorte qu'il y avait très peu de cliniques juridiques. Juripop, on a une espèce de – je sais que je m'adresse à des avocats – mais on avait comme une double structure, OBNL, une INC pour pouvoir se conformer à la loi. Là, donc, le contexte législatif a changé. Il y a des cliniques juridiques universitaires qui sont présentes en plus grand nombre, des cliniques juridiques communautaires. Il y a aussi plus de collaboration sur le terrain. On se parle davantage, il y a plus d'initiatives de concertation. Donc, je vois qu'il y a plus de services pour les citoyens, les citoyennes depuis 2009. Les besoins demeurent grands, mais je sens qu'on est sur une bonne voie.
Intervieweuse : J'aime ça entendre ça, c'est le fun, un peu d'optimisme quand même. Des fois, c'est bien parce qu'on remarque qu'on a la chance toujours d'avoir plein d'avocats et d'avocates qui viennent ici et qui font un travail exceptionnel. Mais j'aime ça entendre ça qu'au Québec, tu vois quand même un certain changement et une certaine amélioration depuis les dernières années. Mais c'est juste qu'il y a un rapport de l'ABC de 2013 qui parle des enjeux d'accès à la justice. Puis, en fait, qu'est-ce qui est intéressant, c'est qu'on a l'impression que certains enjeux sont encore très présents. Mais surtout, en fait, sur quoi ce rapport-là, je le trouve intéressant, c'est parce qu'il met beaucoup l'accent sur le fait que tu ne peux pas juste faire une chose pour améliorer l'accès à la justice. Tu ne peux pas seulement attaquer un seul angle. Il faut que tu utilises plusieurs méthodes, plusieurs techniques.
Puis, justement, tu as même mentionné Juripop, « créativité » c'est un fait. J'ai l'impression que vous avez les cliniques juridiques, les lignes téléphoniques, les formations gratuites – d'ailleurs, moi, je les ai suivies les formations gratuites, je les adore – les sensibilisations des actrices de la justice. Vous faites du plaidoyer, tribunal école, etc., je veux dire, c'est vraiment impressionnant tout ce qui est fait. Selon vous, depuis la création de Juripop, selon vous Juripop en général, quelles ont été pour vous les créations et les réalisations? Parce que quand vous êtes ensemble, vous réalisez – vraiment, bravo pour vos réalisations et une petite tape derrière l’épaule – quels sont vos grands succès, là, vraiment, depuis les 15 dernières années?
S. Gagnon : Quelle belle question, par où commencer. Je pense que… bien, premièrement j’aurais envie de dire, la création de Juripop, comme je le disais, à l'époque, c'était visionnaire. C'est un succès en soi. Je pense que ça continue de générer beaucoup de fierté chez nous. Ensuite, des choses qu'on a faites à travers notre histoire. Je parlais tout à l'heure d'agir comme premier répondant de la justice. Ça, ça suscite beaucoup de fierté, je trouve, au sein de l'équipe. Ça nous représente bien. Par exemple, en 2013, au Québec, il y a eu une tragédie où il y a eu un déraillement dans une ville qui s'appelle Lac-Mégantic. Il y a des trains qui transportaient du pétrole qui ont causé une explosion, qui ont causé énormément de dommages tant aux personnes qu'aux biens, dans ce village-là en Estrie. Puis, le lendemain de la tragédie, bien, sur place, il y avait une tente de la Croix-Rouge. Puis, à côté, il y avait une tente de Juripop avec des bénévoles, qui allaient répondre aux questions juridiques des gens.
On a fait preuve de la même agilité quand il y a eu le mouvement #MoiAussi. Une semaine après l'apparition des reportages au Québec sur Gilbert Roson et Éric Salvail. Juripop, on était sur le terrain en collaboration avec des organismes psychosociaux. au bureau du CAVAC de Montréal, on offrait des conseils juridiques en compagnie d'intervenants psychosociaux aux personnes qui avaient dénoncé et qui se demandaient quoi faire. Après ça, en 2020, pendant le confinement, on a eu une grande prise de conscience au Québec sur la réalité des personnes qui vivaient des violences conjugales. Puis, en raison du confinement, les victimes se demandaient « Est-ce que je suis forcée de rester à la maison avec mon conjoint violent ou est-ce que je peux quitter? » Puis, si je quitte, est-ce que j'ai besoin d'en aviser ou est-ce que j'ai besoin de la permission du tribunal? Là aussi, on a agi super rapidement, on a mis en place une ligne téléphonique pour donner des conseils juridiques gratuits à ces femmes-là. Donc, vraiment, quand il y a une crise dans l'actualité, la saisir puis aller répondre aux besoins juridiques de la population, je pense que ça fait partie de nos plus grands accomplissements.
On est aussi vraiment fiers de notre travail – tu faisais écho tout à l'heure au volet plaidoyer de notre mission, puis ça, ça a commencé dès nos tous débuts – en 2012, au Québec, il y a eu un projet d'augmentation importante des frais de scolarité, puis il y a eu toute une mobilisation des étudiants et des étudiantes qui ont voulu s'opposer à cette réforme-là. Puis ça a donné lieu aussi à tout un débat juridique sur : est-ce que les étudiants ont le droit de grève? Puis est-ce qu'il peut y avoir des injonctions pour forcer les étudiants à retourner dans les classes? Alors, Juripop on a été impliqués sur cette question-là.
Puis, depuis, on fait beaucoup de plaidoyers. La semaine dernière, moi, j'étais en commission parlementaire au Québec, à Québec, avec une collègue, pour contribuer aux réflexions sur un projet de loi qui propose de réformer les recours en matière de harcèlement sexuel au travail. On a contribué aux réflexions sur la mise en place des tribunaux spécialisés. Je pense que ce qui nous distingue chez Juripop, ou du moins comment on aime pratiquer le droit, c'est qu'on est d'abord et avant tout une organisation qui rend des services directs à la population. Mais quand on le fait, on le fait avec une pensée critique. On se dit qu'est-ce qui fonctionne bien dans l'administration de la justice, dans la manière dont le droit est écrit, dans la manière dont le droit est appliqué ? Qu'est-ce qui ne fonctionne pas bien? Qu'est-ce qui pourrait être amélioré? Puis on se donne un peu le devoir de partager ces observations-là aux législateurs, aux parties prenantes, au public, pour faire en sorte que le droit ne soit pas statique, qu’il évolue, puis que l'amélioration de l'accès à la justice passe aussi par la réforme du droit. Puis ça, c'est un volet [00:11:57], je pense, qui nous rend fiers aussi à l'État.
Intervieweuse : Est-ce que je peux demander par curiosité, vous êtes combien en tout?
S. Gagnon : On est une quarantaine, on est rendu 40, je pense.
Intervieweuse : Wow!
S. Gagnon : Ouais, ouais. À mon avis, c'est une grosse équipe.
Intervieweuse : Mais quand même, 40 pour tout ce que vous faites, comme tu dis, vous êtes très présents et présentes, donc c'est quand même pas non plus énorme, donc c'est assez impressionnant. Mais c'est vrai aussi, et je pense que c'est un aspect intéressant de Juripop, c'est l'aspect « terrain », donc très pratique. Mais après ça aussi, vous allez vous mouiller dans le politique, pas le politique, mais…
S. Gagnon : Dans la réforme du droit.
Intervieweuse : La réforme du droit, voilà, merci. Dans la réforme du droit, vous avez vraiment les deux aspects, vous avez une espèce de courroie de transmission, qui est hyper importante, je pense, pour la société québécoise et pour l'évolution de notre droit. Donc, c'est effectivement super intéressant. Puis, il y a un autre aspect que je trouve hyper intéressant, de Juripop, c'est les cliniques dans le métro. Je pense que ça marque beaucoup l'imaginaire de beaucoup de personnes, notamment les justiciables, les gens qui ne sont pas en droit aussi. Je pense que le Juripop a été très connu pour ça. Puis, je pense que c'est une bonne occasion ici de dire comment ça marche. Puis, quelle est la réponse des gens, parce que bon, c'est quand même, c'est sûr que ça peut parfois être, j'imagine, certains aspects comme la confidentialité, la sécurité, comment est-ce que vous assurez un soutien, par exemple, pour ces personnes-là, tu sais, une espèce de réponse holistique, finalement. Puis, en fait, je suis un peu curieuse de savoir comment ça fonctionnait, ces cliniques juridiques là dans le métro?
S. Gagnon : Je suis contente qu'on en parle, Julia, parce que #MoiAussi, c'est un des projets que j'adore chez Juripop. C'est un projet qui existe depuis 2015. Ça fait que ça va faire bientôt 10 ans. Puis, on s'apprête à y retourner au mois de mars, à tous les jeudis de midi à 18h. On va être au métro Place-des-Arts à Montréal. Et puis, c'est un projet qui est dédié, je parlais plus tôt, là, des personnes qui tombent entre les mailles du filet social. Il faut savoir que les gens qu'on voit là, c'est pas les gens qui vont faire appel aux autres services de Juripop. Par exemple, pendant la COVID, on ne pouvait pas être dans le métro. Donc, on a continué ce projet-là par téléphone. C'était aussi populaire, mais c'était pas le même type de questions qu'on recevait. Puis, c'était vraiment pas le même genre de citoyens, de citoyennes. Moi, j’y vais à chaque année, puis les gens en entendent parler tout simplement parce qu'ils se promènent dans le métro, puis ils nous voient, pour la plupart des gens. C'est pas des gens qui vont nécessairement lire les journaux ou entendre parler de nous dans les médias. Certains, oui, mais il y en a beaucoup qu'on attrape au passage.
Puis, moi, je suis une avocate de droit civil. Je fais des consultations à chaque année, puis c'est incroyable parce que peut-être la moitié des informations que je donne, c'est de référer les gens vers les ressources existantes, mais qu'ils ne connaissent pas. Puis quand je parle de ressources, c'est pas des ressources obscures. Ça va être : les comités logements ou le tribunal administratif du logement, la commission des droits de la personne et de la jeunesse, l'aide juridique. Il y a beaucoup de nouveaux arrivants, des personnes en situation de pauvreté importante qui viennent nous voir dans ces cliniques-là. Donc, je pense qu'on veut vraiment rejoindre une clientèle qui est autrement laissée pour compte. Puis, on prend notre travail au sérieux. Tu parlais de confidentialité, de gestion de risques, c'est quelque chose qui nous interpelle puis sur lesquelles on est intentionnel et réfléchi. Donc, nos avocats, nos notaires qui donnent des consultations juridiques sont sensibilisés à l'importance de la confidentialité. On met en place des bureaux, on a des tables, des chaises qui sont séparées par des rideaux noirs. Alors, visuellement, c'est confidentiel. On demande à tout le monde de garder une voix basse, même s'il y a un certain bruit ambiant, pour ne pas qu'on puisse entendre.
Puis, chez Juripop, on travaille en multidisciplinarité. On en reparlera peut-être plus tard, mais on travaille avec des cliniciennes qui ont des formations soit en travail social, en criminologie ou tout simplement en intervention. Il y a toujours au moins une clinicienne qui est présente sur place. Alors, si jamais il y a des enjeux de nature psychosociale qui émergent durant notre travail – parce que ça se peut, des fois les problèmes juridiques vont être à l'intersection d'autres types d'enjeux – les intervenantes peuvent agir aux besoins. Puis, on a aussi un super beau partenariat avec la STM qui libère des constables pour être présents. Puis, les gens répondent vraiment présents. Il y a des files, les gens vont attendre des fois jusqu'à 2 heures pour parler à un notaire, à un avocat pour des consultations de 15 minutes.
Puis, on travaille aussi avec des étudiants en droit qui font – on s'est un peu inspirés du triage hospitalier – alors, les gens arrivent et résument. Eux autres, ils ne savent pas si leur problème est un problème de droit du travail ou de droit du logement. C'est un langage d'avocat ou de notaire ça. Alors, on a des étudiants, des étudiantes en droit qui sont à l'accueil, puis qui remettent des petits cartons de couleurs en fonction du domaine de droit qui est le plus pertinent pour répondre aux justiciables.
Puis, on travaille aussi depuis quelques années en partenariat avec d'autres organismes qui sont présents dans le métro pour présenter les services qui, eux, sont offerts à l'année longue. Entre autres, les centres de justice de proximité, le DPCP, l'aide juridique, Éducaloi vont être présents. Donc, on s'assure aussi de ne pas laisser tomber les gens. On a beaucoup de brochures et des organismes partenaires pour assurer potentiellement une prise en charge après cette première consultation-là.
Intervieweuse : J'adore! En fait, en vrai, c'est de la musique à mes oreilles, comment ça a été bien pensé aussi là. J'ai l'impression que tous les aspects ont été pris en compte et puis autant aussi avoir une réponse à long terme, s'assurer justement d'avoir les différents services. On est vraiment… félicitations. Je trouve vraiment que c'est une super initiative. Donc, je suis contente qu'on en ait parlé. Aussi parce que justement Juriste branché, c'est aussi à l'extérieur du Québec. Donc, je pense que si ça peut inspirer d'autres organismes à l'extérieur de la province, tant mieux aussi également. Peut-être en fait que tu connais déjà des organismes qui le font ailleurs au Canada, mais si on peut inspirer un peu, c'est toujours bien.
Puis aussi, quand je t’entends parler, bien évidemment, je vois que sans le mentionner, il y a clairement une approche « centrée sur la personne survivante victime. » C'est clair, en fait, juste avec toutes les mesures qui sont mises en place. Mais j'aimerais un peu t'entendre, justement, avec toute ton expérience chez Juripop. En quoi est-ce que tu… Parce que c'est un peu un buzzword, j'ai l'impression. On en entend beaucoup parler, c'est rendu très important – je pense qu’il faut que ça le soit – mais j'ai l'impression des fois qu'on le mentionne comme si c'était un peu exceptionnel. C'est comme des termes qu'on mentionne sans des fois trop savoir pourquoi. Pourquoi, justement, quand on parle « d'accès à la justice », selon toi, avoir une approche qui est centrée sur la personne victime survivante, c'est essentiel?
S. Gagnon : C'est un sujet super intéressant auquel, nous, chez Juripop, on a été introduit vraiment en commençant à travailler auprès des personnes victimes et des survivantes de violences à caractère sexuel, de violences conjugales et de violences post-séparation. Donc, c'est vraiment dans ces services-là qu'on s'est mis à implanter une approche sensible, autrement. Alors, on a commencé à travailler avec… on les appelle les spécialistes cliniques, donc, des intervenantes chez nous à l'interne. Pour nous, ce que ça veut dire, là, concrètement, tu parles de buzzword, mais pour nous, c'est une approche qui permet vraiment : de prioriser le sentiment de sécurité physique et émotionnelle de la personne avec qui on travaille, de reconnaître son expertise et son propre vécu, puis d'essayer de lui donner… de l'autonomiser. Et puis, vraiment, de la placer comme… de lui permettre de prendre en charge aussi de son propre parcours judiciaire. Puis, on essaye aussi d'ancrer notre travail dans des valeurs qui sont féministes, dans des valeurs qui sont anti-oppressives pour reconnaître aussi que la personne qui est devant nous, bien, elle a un vécu puis il y a différentes formes de vulnérabilité qui peuvent avoir un impact sur sa situation juridique.
Par exemple, une personne qui est victime de violences conjugales puis qui a un statut migratoire précaire, bien, son statut migratoire va avoir un impact sur ses options juridiques. Parce que, si elle est arrivée ici parrainée par son conjoint ou par ou son ex-conjoint, ce ne sera pas accessible pour elle d'aller porter plainte à la police parce qu'elle pourrait risquer soit elle d'être déportée ou perdre ses enfants. Puis, on s'assure aussi d'assurer la protection de la rue privée et de la confidentialité des personnes avec qui on travaille. Donc, pratico-pratique, comment on fait ça? Je le disais plus tôt, on travaille en multidisciplinarité puis on est en train – là pour l'instant, c'est une pratique qu'on devrait intégrer dans nos services aux personnes victimes et aux survivantes, puis on réfléchit à comment la déployer dans le reste de nos services – parce qu'on s'est rendu compte que des traumas, il n'y en a pas juste en matière de violence, et que la pauvreté, la maladie, ça peut aussi venir avec des traumas.
Donc, on est en train de travailler là-dessus dans le déploiement à plus large échelle interne de ces approches-là. Mais nos avocats, nos avocates sont formés par nos spécialistes cliniques sur l'approche sensible aux traumas. Puis on a aussi un suivi psychosocial qui est intégré à même notre pratique. Donc, quand je dis qu'on travaille avec des intervenantes, elles ne font pas de l'intervention à proprement parler directement auprès des personnes avec qui on travaille. Par contre, elles vont être présentes tout au long du déroulement du dossier pour faire des rencontres cliniques pour préparer les personnes victimes et les survivantes aux différentes étapes d'un dossier. Alors, par exemple, avant un procès, on va avoir une rencontre clinique pour préparer la personne à dévoiler son vécu en interro ou aussi en contre-interro. Les cliniciennes vont aussi être chargées d'identifier c'est quoi les déclencheurs possibles. Si on reçoit par exemple un jugement qui est défavorable à une personne victime, qu'est-ce que ça risque de déclencher chez elle? Est-ce que ça aggrave aussi soit le risque homicidaire? Parce qu'on travaille en violence conjugale, des fois il y a des risques de féminicide ou d'infanticide ou des risques suicidaires. Donc, il y a une évaluation des risques intégrés en notre pratique. Puis l'approche sensible aux traumas, chez nous, ça veut aussi dire, je le disais plus tôt : c'est d'assurer la confidentialité et la vie privée.
Donc, on fait des demandes de confidentialité dans nos dossiers. On est très sensible, on caviarde les documents même à l'interne. Donc, on a beaucoup de pratiques, bref, pour offrir un service qui est sécuritaire aux personnes avec qui on travaille. Puis, comme employeur aussi, on essaie d'être cohérent puis d'adopter des politiques à l'interne qui sont « traumas sensibles » envers les employés. Donc, on a aussi des procédures pour dépister les syndromes de trauma vicariant. Parce que quand on travaille comme professionnel avec des gens qui ont vécu des traumatismes, on peut par exposition développer ce qu'on appelle un trauma vicariant. Alors, on essaie comme employeur de le dépister, de s'ajuster. Il y a certaines équipes qui bénéficient de supervision clinique avec un psychologue à l'externe.
Bref, c'est vraiment un travail qui est encore en évolution. Ça fait peut-être trois ans qu'on travaille là-dessus comme organisation, puis il reste encore énormément de choses à défricher. Mais c'est vraiment très, très porteur, puis au final, ça fait en sorte qu'on offre des services juridiques de meilleure qualité qui ont plus d'impact auprès de la personne.
Intervieweuse : C'est clair. Merci. C'était super clair aussi comme explication. Puis juste sur le trauma vicariant, je veux dire, tu as vu ma réaction. J'ai l'impression que c'est quelque chose qui est toujours oublié. On parle toujours beaucoup de l'approche sensible au traumatisme, comment est-ce qu'on le fait en tant que professionnel, etc. Mais on parle vraiment de ceux qui travaillent aussi dans le domaine puis qui sont aussi confrontés à ces situations-là. Donc, vraiment, c'est super intéressant que vous ayez déjà cette approche-là intégrée. Seulement après trois ans quand même, il y a des organisations que ça fait comme 20 ans qui travaillent là-dedans puis ils n'en parlent pas encore. Mais bon, c'est super.
Aussi, en 2019, donc tu l'as un peu mentionné déjà, mais Juripop avait été mandaté par l'Assemblée nationale du Québec pour recenser les besoins juridiques des victimes de violences conjugales et tester les modèles de services juridiques gratuits. Maintenant, on est 5 ans plus tard, vous en êtes où? Quel est le bilan? Quels ont été les meilleurs modèles? Et aussi tu peux enchaîner avec les tribunaux spécialisés, parce que c'est un peu tout ensemble, je pense, si j’ai bien compris ç’a été un peu la suite ou peut-être pas. Donc tu peux aussi m'éclairer sur ça.
S. Gagnon : Bon, là, le défi, ça va être de répondre à cette question-là parce qu'on n'aurait pu parler que de ça pendant une heure.
Intervieweuse : Ça pourrait être un podcast.
S. Gagnon : Alors, il faut savoir que Juripop on travaille exclusivement en justice civile et administrative. Parce que, comme tu le mentionnes, il y a le déploiement des tribunaux spécialisés en matière criminelle et pénale qu'on suit évidemment de près. On collabore, Juripop, on a contribué à la formation qui est offerte aux intervenants des tribunaux spécialisés. Mais le mandat qui nous a été donné par le Ministre, c'est vraiment de regarder : pendant qu'on déploie les tribunaux spécialisés d’un côté en matière criminelle et pénale, qu'est-ce qu'on ne voit pas en matière civile? C'est quoi les problèmes? Puis, est-ce qu'il y a aussi un enjeu de confiance envers les tribunaux en matière civile? Puis, qu'est-ce qu'on peut faire pour améliorer les choses?
Puis, notre constat cinq ans plus tard, c'est que la justice civile, quand on y pense, est quand même restée dans l'angle mort de, entre guillemets, la révolution #MoiAussi. Parce que, tu sais, quand on se remémore les histoires qui ont été couvertes par les médias qui ont fait grand bruit, c'étaient des histoires de plaintes à la police qui n'avaient pas été reçues, des agresseurs allégués qui ont été acquittés. Mais on n'a pas beaucoup parlé de justice civile. Encore une fois, je sais que je m'adresse à des juristes, mais c'est important de souligner à quel point il y a certaines personnes victimes qui passent par le système de justice civile, puis parfois qui vont y passer plus de temps qu'en matière criminelle et pénale. Je pense, entre autres, aux personnes victimes de violences entre partenaires intimes. Oui, elles peuvent porter plainte à la police pour voies de fait, menaces, harcèlement, séquestration. Mais s'il y a des enfants, c'est la justice civile qui va être saisie des questions de séparation, de partage du patrimoine familial, de garde des enfants, d'exercice de l'autorité parentale. Puis en matière de violences à caractère sexuel, encore une fois, on peut porter plainte pour agressions sexuelles à la police, mais en parallèle, on peut être poursuivi en disparation ou encore on peut vouloir décider de déposer une poursuite en dommage. Donc, il y a plein de scénarios qui font en sorte qu'une personne victime peut avoir affaire avec le système de justice civile.
Or, ce qu'on constate, c'est que les mythes et les stéréotypes qui sont interdits en matière criminelle depuis des décennies sont très, très présents en matière en justice civile. Par exemple, on va encore entendre beaucoup trop souvent qu'en matière de violence entre partenaires intimes, il y a encore des avocats, des juges qui vont croire à tort que la violence prend fin avec la séparation. Or, c'est faux. La violence, non seulement continue après la séparation, mais souvent, elle va être exacerbée. Les féminicides, c'est justement souvent après une séparation que ça va survenir. C'est un mythe qui a des conséquences dans la qualité, dans la sécurité des décisions qui sont rendues parce que ça va faire en sorte qu'on ne va pas voir la nécessité de confier, par exemple, la garde exclusive des enfants au parent victime, à la mère souvent. Parce qu'on se dit : bien, monsieur était un conjoint violent, mais il sera un bon père avec les enfants alors que ce n'est pas ce que la recherche démontre.
Les enfants sont des victimes de violences conjugales. Ça aussi, c'est un autre mythe. Les acteurs, actrices du système de justice comprennent très mal comment les violences affectent la sécurité, le développement cognitif, émotionnel des enfants. Et encore une fois, ça a un impact sur les décisions qui sont rendues. Récemment, dans un de nos dossiers, on a une victime de violences à caractère sexuel qui témoignait sur l'agression qu'elle a vécue puis la juge le considérait non crédible parce qu'elle ne pleurait pas pendant son témoignage alors qu'on parlait tout à l'heure d'approche sensible autrement. Ça fait partie des conséquences d'un traumatisme d'avoir des réponses qui peuvent sembler contre-intuitives à un événement traumatique.
On a aussi beaucoup de difficultés à obtenir des mesures on appelle ça des mesures d'accompagnement. Encore une fois, si je fais le parallèle en matière criminelle et pénale, il y a plein de mesures qui sont prévues au Code qui vont être prononcées d'office par le tribunal. Par exemple, le droit de témoigner derrière un écran pour ne pas avoir de contact visuel avec l'accusé, de bénéficier de l'accompagnement d'un centre d'aide aux victimes. Par exemple, nous dans nos dossiers en matière civile, il faut demander la permission à chaque fois pour que nos personnes requérantes, nos clientes puissent témoigner soit derrière un écran ou encore à distance. En matière familiale, vu que les procédures sont à huis clos, si on veut que nos cliniciennes soient présentes, il faut qu'on demande la permission au tribunal. Une fois sur deux, c'est contesté, ça prend du temps, c'est épuisant aussi pour la personne victime. Il y en a qui décident de ne pas faire valoir leurs droits parce qu'elles ne savent pas si ces mesures d'accompagnement vont être octroyées. Pour nous, ça devrait être un automatisme au même titre que celui en matière criminelle et pénale.
Bref, les besoins sont vraiment grands. Par contre, tu m'as demandé c'est quoi le bilan. C’est important pour moi de parler des progrès. On a obtenu, je parlais plus tôt qu'on travaille en innovation, ça prend vraiment tout son sens dans nos services aux personnes victimes et aux survivantes. On s'est donné le défi et c'est le mandat que le Ministre nous a donné, de faire jurisprudence pour obtenir des décisions qui assurent la sécurité et répondent aux besoins des personnes victimes. Par exemple, je parlais des mesures d'accompagnement, on a obtenu la première décision où un avocat indépendant a été nommé par la cour en matière familiale, pour procéder au contre-interrogatoire de la personne victime, dans un dossier où l'auteur de violence était non représenté. Alors, ça aurait fait en sorte, normalement, qu'une partie non représentée, c'est elle qui pose les questions en contre-interrogatoire. Donc l'auteur de violence aurait contre-interrogé notre cliente. Puis on a demandé la nomination de ce qu'on appelle un avocat paravent. On l’a obtenu, ç’a fait des petits, maintenant, il y en a plusieurs qui ont été nommées à travers le Québec. On a aussi obtenu la toute première ordonnance de protection civile dans un contexte de violence conjugale. C'est un dossier où le tribunal a ordonné à l'auteur de violence de remettre ses armes, et lui interdit de se trouver à l'intérieur d'une certaine distance de notre cliente. Il lui interdit de parler du dossier, puis ça aussi, c'est un effet de jurisprudence, puis ça fait des petits aussi.
Donc des décisions comme ça, on en a comme une demi-douzaine, là, de décisions qui font jurisprudence. Puis ce qu'on fait aussi, c'est qu'on se base sur nos apprentissages pour former la communauté juridique, parce qu'on est 40 chez Juripop, il y a le tiers de notre équipe qui travaille auprès des personnes victimes, puis les demandes dépassent largement nos capacités, puis on n'a pas l'ambition, là, de répondre à tout le monde. Il y a énormément d'avocats, d'avocates qui veulent améliorer leurs pratiques, qui veulent répondre présents, présentes aux suites du mouvement #MoiAussi. Alors, on organise des événements de formation, on a de la formation disponible sur notre site web, où on dit : bon, c'est quoi nos bons coups, qu'est-ce qui fonctionne bien, puis comment est-ce qu'on peut les relayer aux avocats, aux avocates de pratiques privées.
Alors, c'est quelque chose qu'on fait, puis ensuite, les chantiers d'avenir sont nombreux. On commence à s'intéresser beaucoup, j'en parlais plus tôt, mais aux enfants qui sont des victimes de violences conjugales. On s'intéresse aussi aux victimes de violences à caractère sexuel qui ont subi des préjudices psychologiques, qui ont tendance à être compensés de manière beaucoup moins proportionnelle que les dommages physiques. En vrai, Juripop fait du travail en matière de [choses je pense 00:31:24]
Intervieweuse : Mais j'adore, mais c'est hyper concret aussi, et puis juste, tu sais, de faire jurisprudence. C'est drôle, on faisait un podcast la semaine dernière avec Doug Elliott puis Barbara Finley, qui ont été dans les années 90 très présents pour faire jurisprudence pour toutes les questions liées au droit des personnes de la diversité sexuelle et de genre. Puis on parlait à quel point c'était important parce que ça permet d'avancer, de faire avancer le droit. Puis bref, j'ai comme l'impression que Juripop dans un autre angle, c'est un peu aussi ce que vous faites. Vous faites avancer le droit en faisant jurisprudence sur des questions tellement importantes. Mais en t'entendant parler aussi, par contre, j'avoue que je n'avais aucune idée que le droit civil, j'ai l'impression qu'on est vraiment à 20 ans de retard sur le droit criminel sur certaines questions. Parce qu'on n'y pense pas au final, mais finalement, c'est hyper important. Est-ce qu'il y aurait une réforme qui serait nécessaire de notre… ouais.
S. Gagnon : Tu dis 20 ans, mais en réalité, c'est presque plus 40 ans parce que la dernière grande réforme en matière de criminel, c'est dans les années 80. Donc oui, on n'est vraiment… ce n’est pas parfait en matière de criminel et pénal, loin de là, mais il y a quand même des avancées qui n'ont pas percolé en matière de criminel. Puis oui, on pense qu'il y a une réforme qui pourrait être faite. Puis encore une fois, je salue le fait qu'il y a non seulement de l'ouverture, mais il y a de la volonté politique. Nous, on a vraiment un canal de communication très ouvert avec le Ministre à Québec, les fonctionnaires aussi qui sont vraiment très curieux, curieuses d'avoir ces conversations-là avec nous pour savoir comment est-ce que le droit peut être renforcé. Puis on a eu en fait des réformes dans les dernières années en matière de filiation, entre autres. Donc c'est ça, il reste du travail à faire, mais on est dans un train en mouvement.
Intervieweuse : C'est clair, non, c'est clair. Puis justement, ça m'amène aussi par rapport au droit de la famille, parce que vous êtes aussi très impliqués sur ça un peu, comme tu en as déjà parlé. Puis je sais qu'il y a des réformes en cours en ce moment, mais j'aimerais savoir s'il y en a qui sont à venir… En tout cas, je sais qu'il y a beaucoup de choses qui se passent en droit de la famille en ce moment au Québec, mais aussi je sais ailleurs au Canada, mais bon, on va se concentrer au Québec ici. Donc bon, je sais que Juripop a une ligne d'assistance juridique en droit familial. Vous êtes donc impliqués dans ça. Donc j'aimerais un peu savoir, pour nous tenir au courant, qu'est-ce qu'on devrait garder sur notre radar par rapport aux réformes en droit de la famille actuellement?
S. Gagnon : Certainement. Donc les services qu'on offre en fait chez Juripop depuis notre fondation, c'est des services juridiques abordables aux personnes qui ne sont pas admissibles à l'aide juridique. Puis on est comme un petit bureau d'avocat, sauf qu'on doit être le seul bureau au Québec qui perd de l'argent à chaque fois qu'on vend une heure. Donc on a une équipe d'avocats, d'avocates spécialisés en droit de la famille, puis on représente les personnes qui ont des questions de droit de la famille devant les tribunaux, à coût modique. Et puis oui, il y a beaucoup de mouvements d'un point de vue législatif sur le droit de la famille. Il y a eu une réforme de la loi sur le divorce récemment au fédéral. Après ça, au Québec, il y a eu différents projets de loi qui ont modifié le droit de la famille. Il y a eu des réformes en matière de filiation.
La gestation pour autrui a finalement été encadrée au Québec. Ça, c'était une demande notamment des communautés LGBTQ2SIA qui demandaient que ces pratiques-là soient reconnues et encadrées. Donc ça, c'est en train d'être mis en œuvre. Ce qu'on attend avec impatience, ce qu'on a bien hâte de voir, c'est la réforme sur la conjugalité. Parce qu'il faut savoir que, mis à part les projets de loi qui ont été adoptés dans les deux dernières années, la dernière réforme en profondeur du droit de la famille au Québec remonte aux années 80 et était basée sur les réalités sociales des années 60. Donc dans les années 60, tout le monde se mariait, puis par tout le monde, c'était un monsieur avec une madame. Ils se mariaient, il y avait des enfants, ils ne séparaient pas. Aujourd'hui, le portrait des familles a changé. La majorité des enfants naissent hors mariage au Québec, naissent de conjoints qui sont en union de fait. Ensuite, il y a plusieurs familles aussi qui n'ont pas d'enfants. Il y a des familles recomposées, les grands-parents, les beaux-parents sont plus impliqués. Je parlais des communautés LGBTQ2SIA. Elles ne sont pas les seules, mais elles sont celles qui ont les modèles familiaux les plus novateurs, où on va avoir parfois plus que deux parents.
Le droit ne reconnaît pas encore pleinement ces réalités sociales là. Et quand le droit ne reconnaît pas ces réalités sociales là, ça fait en sorte qu'il manque de mesures de protection pour les personnes vulnérabilisées. Par exemple, les conjoints, conjointes de fait, dans les relations hétérosexuelles, c'est les femmes et encore plus les femmes racisées, les femmes migrantes, qui vont être pénalisées financièrement ou sur leur capacité à pleinement participer au marché du travail quand il y a une séparation. Donc, il y a vraiment un besoin pour que le droit soit modernisé. Ça fait plusieurs années qu'à Québec, on travaille sur une réforme de la conjugalité qui nous est promise par les ministres de la Justice depuis plusieurs années. Donc, on espère vraiment qu'elle sera déposée sous peu. C'est sûr que chez Juripop, on va vouloir répondre présent pour renseigner les personnes sur leurs droits et pour leur permettre aussi de faire valoir les nouveaux droits qui vont être créés dans la suite de cette réforme-là.
Intervieweuse : Merci beaucoup. J'aime toujours ça mon petit résumé sur ce qu'on attend dans les réformes. Merci.
Maintenant, je passerai un peu par rapport à… on y a un peu touché et tout, puis je sais qu'on aime ça aussi parler progrès, mais par rapport, selon toi, les plus grands défis, et aussi par rapport à ce que Juripop fait, auxquels devra faire face la société québécoise et plus spécifiquement, la profession légale dans les prochaines années. Et aussi, pour Juripop, en fait, les défis, puis ça peut être vraiment un peu dans tous les sens. Vraiment, ça peut être très large.
S. Gagnon : Bien, si je prends un pas de recul, puis que je regarde tant comme DG de Juripop que comme citoyenne – les tendances qui me préoccupent par rapport à la justice, aux droits fondamentaux – c'est clair que ce qui est sur mon radar, moi, c'est toute la question de la confiance envers les institutions, la polarisation. On le voit aux États-Unis, comment les institutions démocratiques, puis j'inclus les tribunaux là-dedans, peuvent être facilement décrédibilisés. Puis dans une démocratie, le pouvoir des institutions repose beaucoup sur la confiance qu'on leur porte. Alors, elle est très fragile. Puis j'entends de plus en plus des politiciens, des politiciennes au Québec comme au Canada qui font, à mon avis, des déclarations qui ont pour effet de décrédibiliser les tribunaux. Puis ça, ça m'inquiète profondément parce que comme avocate, moi, je considère que les tribunaux, le judiciaire est un rempart essentiel dans une démocratie, en particulier pour les personnes vulnérabilisées.
Puis on voit aussi un recul des droits fondamentaux des personnes marginalisées. Aux États-Unis, les reculs sur les droits des femmes sont ahurissants, sont profondément inquiétants. Les reculs sur le droit à l'avortement, puis on n'a pas fini, je pense, d'en voir. Puis c'est pas vrai qu'on ait à l'abri de ça au Québec. Au Canada, il y a un recul sur les droits des personnes trans, en particulier des enfants trans, des enfants non binaires. Il y a des lois qui sont adoptées, des déclarations qui sont faites, qui sont contraires à la recherche, qui sont contraires aux droits fondamentaux des personnes trans, des personnes non binaires. Puis moi, je suis quand même préoccupée du peu d'attention que ça reçoit de la part de la société. Ça demeure méconnu alors que c'est des personnes qui vivent dans une très, très grande précarité, qui ont besoin de beaucoup de soutien et qui ont besoin que leurs droits soient reconnus et valorisés. Donc, je pense que des organisations comme Juripop, on en a excessivement besoin.
Je pense que dans un monde idéal, on n'existerait pas parce que l'État remplirait pleinement sa mission, il y aurait moins d'inégalités, mais c'est pas le cas. Puis je pense que pour que des organisations comme la nôtre puissent répondre pleinement présentes aux défis qui s'en viennent, c'est important d'assurer notre pérennité. Puis la réalité, c'est qu'au Québec spécifiquement, ça change un petit peu, mais historiquement, il n'y a pas de financement structurel à la mission des organismes en matière d'accès à la justice. On en a un petit peu plus maintenant, mais pas beaucoup. Ça fait que ça fait en sorte, je parlais plutôt de nos services en violence auprès des personnes victimes et des survivantes. La réalité, c'est que ça, c'est entièrement du financement qu'on dit « par projet ». C'est des enveloppes qui sont à renouveler presque à chaque année, au mieux à chaque trois ans, alors que c'est du travail qui est vraiment essentiel. Puis on a la tête pleine d'idées de choses qu'on pourrait faire, mais c'est important que les ressources soient au rendez-vous au même titre qu'elles le sont en santé et en éducation. Moi, je pense que le milieu communautaire pourrait être beaucoup plus fort en matière d'accès à la justice au Québec.
Puis quand on compare le nombre de cliniques juridiques, il est largement inférieur à ce qu'on voit dans d'autres domaines qui relèvent de la justice sociale, comme la santé, comme l'éducation. Puis c'est entre autres parce qu'il n'existe pas de programme de financement structurant de la part de l'État pour les cliniques juridiques. Puis je pense que c'est essentiel. Les avocats, les avocates et les notaires, on doit faire partie de la réponse à ces défis-là. Alors voilà, moi, ce qui me trotte en tête ces temps-ci.
Intervieweuse : Définitivement, merci beaucoup. Puis c'est vrai qu'on l’oublie parfois, mais la stabilité des fonds, puis tout ça, c'est autant… moi, je travaillais avant en coopération internationale, puis c'est toujours un peu stressant. On ne sait jamais, pour les projets. Puis je pense que… j'espère qu'on s'en va de plus en plus vers des enveloppes qui vont être plus sur le long terme. Puis, pour permettre aux organismes comme Juripop qui sont essentiels, je ne verrais pas, en ce moment, la société québécoise sans un organisme comme Juripop, en vrai. Donc, ils peuvent avoir une certaine… pouvoir penser à long terme aussi. Parce qu'en plus, c'est clair, on a fait une heure de podcast, puis c'est clair que vous avez des centaines d'idées aussi, puis on veut les voir se réaliser ces idées-là.
Donc, définitivement, j'espère que le message se rendra. Mais finalement, ma dernière question, en fait, on y a un peu touché déjà et tout, mais : qu'est-ce que, par rapport à l'accès à la justice, qu'est-ce que nos auditeuriats qui écoutent aujourd'hui peuvent faire pour soutenir Juripop et favoriser l'accès à la justice au Québec? Et si l'association du Bureau canadien aussi peut faire quoi que ce soit? Voilà, on voulait s'entendre.
S. Gagnon : Il y a énormément d'opportunités, d'implications. Je pense que chacun, chacune peut trouver la manière d'avoir un impact en fonction de son expertise, en fonction de ses intérêts, puis de sa disponibilité aussi. Mais il y a beaucoup d'opportunités. Nous, chez Juripop, on ne répond pas à la demande. Les organismes communautaires ne répondent pas à la demande. Puis moi, j'ai commencé ma carrière en grand cabinet, en pratique privée. Donc, j'ai quand même eu le privilège de développer tout un réseau d'avocats, d'avocates engagés qui travaillent en droit commercial, mais que je ne me gêne pas pour appeler, pour leur dire : « Eille, on a telle personne qui a tellement besoin d'aide, est-ce que vous pourriez lui donner un coup de main de pro bono? » Puis j'apprécie vraiment profondément les gens qui acceptent de donner de leur temps pour aider ces gens-là. Ça fait vraiment toute une différence.
Même nous, comme organisation, on reçoit des services pro bono de la part de bureaux d'avocats, d'avocates qui nous permettent de réaliser notre mission. Donc, de faire du pro bono, de faire du bénévolat, ça fait partie de la solution si on n'est pas quelqu'un qui veut ou qui peut y consacrer sa carrière. Après ça, c'est sûr que… Puis il y a du bénévolat aussi. Par exemple, on parlait des cliniques juridiques dans le métro. Nous, ce sont des notaires, des avocats bénévoles qui sont présents. Je pense à Juripop, mais il y a plusieurs autres organisations qui fonctionnent grâce aux bénévolats de la communauté juridique. Puis si on ne donne pas de notre temps, on peut aussi donner de notre argent. Juripop, on fait notre campagne de financement annuel en ce moment.
En fait, nos services juridiques abordables sont ceux qui sont dédiés aux personnes qui ne sont pas admissibles à l'Aide juridique. Ils sont rendus possibles à chaque année exclusivement grâce à la philanthropie. C'est vraiment juste grâce aux dons de la communauté d'affaires, de la communauté juridique qu'on est capable d'offrir 5000 heures de conseils juridiques à coût modique à chaque année. Puis ça, c'est parce qu'on a vraiment le privilège de compter sur une communauté d'affaires, une communauté juridique qui est mobilisée, qui répond présent, même en situation de turbulence économique. Donc c'est quelque chose pour lequel on est reconnaissant, mais qu'on ne prend pas pour acquis. Je pense que c'est important que les gens qui ont plus de ressources les partagent aussi avec les plus démunis. Puis on est vraiment reconnaissant de ceux et celles qui le font, qui répondent présents pour ça.
Intervieweuse : Merci. Puis en fait aussi, moi je pense que je l'ai dit tantôt, mais vos formations gratuites aussi, puis vos podcasts, s’il y a un intérêt, de s'informer, vous rendez ça vraiment facile aussi pour les gens qui veulent mettre un peu leur temps, puis qui veulent justement étudier et faire des jurisprudences, des avocats, des avocates, qui utilisent après la jurisprudence que vous mettez en place, si on peut dire comme ça. Donc je pense que c'est aussi se sensibiliser, puis vous offrez vraiment une boîte à outils extraordinaire. Même dans mon travail, en ce moment, en Ukraine, on essaie de trouver de bonnes pratiques, puis je suis allée revoir la formation sur la violence sexuelle. Puis bon, c'est en temps de conflit, c'est d'autres enjeux, mais il y a des choses qui sont partout, des bonnes pratiques. Puis c'est vraiment une très bonne… j'ai l'air comme vendue, mais je le suis, c'est d'excellentes formations, donc s'il y en a qui s'intéressent, allez suivre les formations de Juripop aussi. Je pense que c'est, c'est un devoir aussi, je pense, en tant qu'avocat, d'avocat, de se tenir au courant, puis de toujours faire notre formation, nos formations continues.
S. Gagnon : C'est de la musique à mes oreilles de t'entendre. C'est des formations sur lesquelles on travaille très fort, puis vraiment, tu sais, c'est le fruit du travail, puis des connaissances, de l'expertise de notre équipe. Puis on travaille tellement fort pour développer ces pratiques-là, puis c'est vrai que je trouve ça intéressant de voir comment c'est pertinent dans ton travail, qui est complètement différent du nôtre. Tu sais, puis ça pourrait l'être pour plusieurs patients, praticiennes, puis oui, c'est offert gratuitement sur notre site web. Moi, nos podcasts, je les découvre en même temps que tout le monde, je les écoute en faisant ma course à pied, on peut le faire en cuisinant, notre ménage, puis c'est même reconnu comme des heures de formation continue par le Barreau du Québec.
Intervieweuse : Ça, c'est important quand même, ça ne tombe pas dans l'oreille des sourds, non, mais c'est super. Parfait, fait que je vais te laisser aller, mais ma dernière question, laquelle on pose souvent aux personnes qui viennent passer un peu de temps avec nous, c'est juste : comment ne pas tomber dans le cynisme? En fait, t'as une super énergie, donc clairement, tu n'es pas quelqu'un de cynique. Mais comment fais-tu justement pour toujours garder cette envie-là de continuer, de travailler pour ça, en fait, quand même, d'aider ta vie professionnelle à l'accès à la justice, donc qu'est-ce qui te garde finalement à vouloir continuer, puis à rester positive?
S. Gagnon : Bon, bien, en deux temps, premièrement, bien, moi, je suis quelqu'un de foncièrement optimiste et positive, fait que je pense qu'il y a une partie de ça qui me vient naturellement. Mais comme tout le monde, j'en ai, mais aussi des fois, il y a des périodes où je suis découragée. Puis je me dis « Mon Dieu, ça n'avance pas. » Puis ça m'aide beaucoup, moi, de prendre un peu de recul, puis de penser aux progrès qui ont été réalisés dans l'histoire. Tu sais, récemment, on a perdu la juge Ruth Bader Ginsburg aux États-Unis, puis avant d'être juge, bien, elle était avocate. C'est une avocate qui a consacré sa carrière à faire reconnaître le fait que… bien, à faire valoir les droits des femmes qui faisaient l'objet de discrimination. Puis elle en a vécu des échecs, cette femme-là, dans sa carrière. Elle s'est fait revirer de bord, puis finalement, bien, elle a fini par réussir à force de détermination.
Moi, ça m'aide de penser aux autres personnes, soit dans l'histoire ou encore dans d'autres domaines qui font le travail qu'on fait. Nous, on adore, je pense entre autres à mon ami Fernando Belton, qui est le fondateur de la Clinique juridique de Saint-Michel. Lui, il travaille en profilage racial. On l'a invité à faire un panel chez Juripop récemment parce que lui aussi il en vit des échecs. Il en prend des dossiers de profilage, puis il se fait revirer de bord par des tribunaux, mais des fois, ça fonctionne. Puis moi, ça m'inspire de réaliser, de prendre la pleine mesure de la quantité d'humains talentueux, talentueuses qui ont travaillé, soit il y a 100 ans ou il y a 3 minutes, sur ces questions-là. Fait que voir qu'on fait partie d'un tout qui est plus grand que nous, moi, ça m'inspire, ça me donne de l'énergie.
Intervieweuse : Merci beaucoup, vraiment. Je pense que tu vas avoir donné de l'énergie aussi à tout le monde qui va t'écouter, peut-être en faisant leur marche à pied. Mais vraiment, merci beaucoup, maître Sophie Gagnon. C'était un plaisir de t'avoir avec nous à Juriste branchée.
Que ce soit dans le cadre de la tragédie du lac Mégantic, lors du mouvement #MoiAaussi, ou lors de la pandémie, il est clair que Juripop s'adresse aux besoins légaux actuels avec créativité, sensibilité et coopération. Merci encore à Sophie Gagnon pour cet entretien et merci à nos auditeuristes pour votre écoute. Restez à l'affût pour d'autres épisodes présentant des défenseurs et des défenseuses de l'accès à la justice. Bonne journée.