COVID-19 et les répercussions sur le marché du travail pour les jeunes juristes
Katherine : Vous écoutez Juriste branché, présenté par l’Association du Barreau canadien. Bonjour et bienvenue à Juriste branché, je suis votre animatrice Katherine Provost. Le confinement et la pandémie mondiale de la COVID-19 et de plus en plus d’étudiants et de jeunes juristes font face à des obstacles que leurs prédécesseurs n’ont jamais connus. On sait déjà que de se trouver un bon stage et des opportunités en début de carrière peut être difficile. Mais le faire, alors que nous travaillons en grande majorité de la maison et que les activités économiques sont aux ralenties, devient l’un des 12 travaux d’Hercule. Les opportunités se font de plus en plus rares. Il y a présentement plus de jeunes juristes et étudiants à la recherche de postes d’entrée qu'il y en a de disponibles. Pour notre épisode, deux experts en la matière nous parleront de la situation actuelle. Me Zack Shaver, président de la section des jeunes juristes de l’ABC et membre particulier des jeunes juristes de l’ABO, et notre premier invité aujourd'hui pour parler de l’impact de la COVID-19 sur les étudiants en droit, les stagiaires et les jeunes avocats, notamment en ce qui concerne l’employabilité.
Suite à son entrevue, nous parlerons avec Jonathan Plourde associé directeur pour l’Amérique du Nord au sein de la firme de consultation Alexander Hughes. Me Shaver a été admis au Barreau de l’Ontario en 2013 et travaille comme avocat au Tribunal canadien du commerce extérieur à Ottawa. Il est expert dans les recours commerciaux, les marchés publics et le droit administratif. Bienvenu Me Shaver.
Shaver : Bonjour.
Katherine : De votre exemple et de votre rôle au sein de l’ABC, quelles tendances particulières percevez-vous entre la pandémie et la disponibilité de postes d'entrée de stage dans le domaine du droit?
Shaver : Jusqu’à date ç’a l’air qu’y a beaucoup beaucoup moins, depuis le sondage qu’on a fait, près d’un tiers des avocats sondés on écrits qu’il y avait moins de postes de stagiaire.
Katherine : Est-ce que vous pensez que non seulement la quantité et la disponibilité de postes d’entrée est réduite, mais aussi la barre est trop haute pour les postes d’entrée? Est-ce qu'on en demande trop aux étudiants et aux jeunes diplômés, en termes d’expérience, en termes de résultats académiques?
Shaver : On n’a pas sondé sur cette question-là, mais depuis les commentaires qu’on a reçus, c'est vrai qu’on demande de plus en plus de nos jeunes avocats à cause du niveau d’expertise qui est nécessaire pour travailler dans un domaine. C'est peut-être une barre un peu trop haute pour nos jeunes avocats.
Katherine : Donc, il y aurait des postes en soi qui pourraient être potentiellement remplis par des jeunes avocats, mais on leur demande tellement d’expérience qu’ils ne peuvent pas rejoindre ce niveau de compétence?
Shaver : Exact. L’autre partie du problème c'est que ça coûte très très cher de bien former un avocat et si le cabinet n’a pas les ressources nécessaires ça veut dire qu’ils ne sont pas capables de le faire. Alors on a des problèmes sur les deux côtés.
Katherine : Mais à long terme, si on n’embauche pas en ce moment, si on ne forme pas en ce moment on va se retrouver avec un gap dans les avocats qui sont formés ou dans les avocats qui ont certaines expériences de début. Donc, au final, on va être aussi dans une situation problématique où il va y avoir plein de postes d’entrée de stage et on n’aura pas d’avocats formés pour les remplir.
Shaver : Vous avez tout à fait raison c'est toujours un problème même en ce moment si on regarde les sondages des médias, on retrouve qu’il y a un manque accru des avocats qui sont abordables pour la demande des personnes de tous les jours soit: le droit à la famille, le droit des petits commerces. Mais, à cause du coût de devenir avocat, on retrouve qu’il y a ce gap, en effet.
Katherine : Donc, en ce moment on a moins de budgets pour embaucher, mais on a en même temps, j’imagine, des avocats qui ne travaillent pas?
Shaver : Oui. Depuis, d’après notre sondage, il y a à peu près 20% des avocats qui ont été sondés qui sont pas embauchés en ce moment. Alors, mais on n’a pas terminé de sonder, mais on a reçu déjà 750 sondages, c'est quand même un montant assez important de jeunes avocats sans emplois.
Katherine : Et ça on parle à travers le Canada?
Shaver : À travers le Canada.
Katherine : Selon le sondage de l’ABC sur les répercussions de la COVID-19 sur les étudiants et étudiantes en droit, les stagiaires et les jeunes juristes, près de 60% des répondants ont avisé que la pandémie a eu des effets négatifs sur leur carrière, incluant des licenciements, des pertes de salaire et des grandes difficultés à trouver des opportunités de stage et d’emploi. Pensez-vous que la situation va se rétablir prochainement ou on attend encore un an et plus avant de voir un retour du pendule?
Shaver : Moi, ça va prendre problème plus d’un an. Juste à cause que le niveau de choc qu’on retrouve dans le domaine du droit déjà est assez important et il y a eu beaucoup de changement avec les bouleversements technologiques. Si on remonte, je crois que ça va prendre beaucoup plus de temps qu’on aurait même au niveau du marché en général, ça va prendre plus de temps.
Katherine : Quelles alternatives sont disponibles pour les étudiants, les jeunes juristes qui peinent à se placer présentement?
Shaver : Évidemment, il y a des assistants sociaux, mais à part de ça, on recherche en ce moment de bien… essayer de trouver des moyens de les aider. Mais de ce que j’ai vu, il n’y a pas beaucoup d’aide au niveau des étudiants en droit pour se trouver un emploi.
Katherine : Est-ce qu’une façon peut-être en ce moment ce serait de se tourner sur d’autres compétences ou de travailler sur différents domaines du droit dans l’espoir qu’on se place éventuellement dans un de ces intérêts-là.
Shaver : Selon moi c'est une tendance qu’on voit dans le domaine du droit comme tel. C'est qu'il y a beaucoup beaucoup plus d’avocats internes dans les sociétés. Alors c'est probable qu’il faut jeter un coup d’œil un peu à part du travail de droit comme tel et du travail assez traditionnel. De l’autre côté, j’ai travaillé en tant qu’analyste qui est non pratiquant en droit pendant plusieurs années et c'est vrai qu’il y a un besoin assez important de personnes formées en droit qui ne pratiquent pas forcément. Alors, oui je suis complètement d’accord qu’il va y avoir un besoin pour ces personnes même si ce n’est pas en droit en soi.
Katherine : Et si on revient un peu sur le sondage de l’ABC dont on parlait plutôt, qu’est-ce que vous avez vu dans ce sondage qui vous a surpris ou même peut-être choqué? Quelque chose auquel vous ne vous attendiez pas d’avoir ce résultat?
Shaver : Bien que j’ai pensé qu’y avait beaucoup de chevauchements avec le COVID-19, ce que j’ai remarqué avec les commentaires c'est qu’il y avait énormément de stress et énormément de pression, surtout dans les petits cabinets qui étaient à l’extérieur du travail de tous les jours. Il y avait beaucoup beaucoup de partenaires où le monde parlait des partenaires qui avaient beaucoup de stress parce qu'ils avaient des revenus beaucoup moindres avec les salaires qui ne changent pas. Alors ça, je l’ai trouvé assez remarquable, bien qu’il y a eu beaucoup de changements au niveau de la COVID-19, je ne me serais pas attendu qu’il y avait à peu près 20% de nos personnes qui ont été sondées qui ont perdu leur emploi.
Katherine : C'est quand même considérable, c'est une personne sur 5.
Shaver : Oui. Et même un autre quart ont eu des réductions de salaire et un autre 20% a eu des heures réduites. On parle du monde, un monde qui est assez important et ce sont des jeunes avocats qui ne peuvent peut-être pas avoir une expérience si importante.
Katherine : C'est quand même une vision négative et pessimiste de la situation actuelle. Est-ce que vous avez des pistes de solution à suggérer à notre audience autre que de contacter des associations barreau local et provincial qu’ils puissent connaître?
Shaver : Je suggère qu’il y a peut-être un peu plus d’appui des cabinets qui ont besoin d’embaucher plus de monde et peut-être un peu plus de mentorat pour ces personnes qui recherchent des expériences, qui recherchent des nouvelles expertises qui ne sont pas forcément ce qu’ils ont fait avant. Et je pense que c'est [00:10:00] là qu’on se retrouvera peut-être à combler ces vides et ces pertes d’emplois assez importants.
Katherine : Merci Me Shaver de votre participation à cet épisode de Juristes branchés.
Shaver : Merci à vous.
Katherine : Parlons maintenant des solutions et de comment enrichir votre CV avec Jonathan Plourde, chasseur de tête et conférencier aguerri. Nous avons eu la chance de l'avoir en entrevue il y a quelques années dans le cadre de notre épisode sur le networking. Le lien de cette entrevue se trouve dans la description de notre épisode d’aujourd'hui. Au cours de sa carrière, Monsieur Plourde a participé à plusieurs séminaires et cours de perfectionnement professionnel, y compris plusieurs sur les meilleures pratiques de gouvernance. Il supporte aussi différents groupes professionnels et organismes de bienfaisance. Il siège actuellement en tant que président du conseil d’administration de l’Association des diplômés d’HEC Montréal.
Bonjour Monsieur Plourde.
Plourde : Bonjour.
Katherine : Commençons tout de suite, les temps sont difficiles pour les jeunes juristes et étudiants en droit. Les postes et opportunités d’emploi se font rares, les salaires sont coupés et les causes sont presque toutes en ligne. Y a-t-il un côté positif à la situation?
Plourde : Oui han! C'est la question qui tue en commençant. Je pense qu’il y a toujours un point positif à toutes les crises. Je vais répondre un peu plus large que le domaine du droit, je pourrais revenir au droit par la suite. Y a toujours un point positif à toutes les crises. Parfois on ne les connaît pas encore. Pour ma part je pense qu’il y en a beaucoup. Je pense entre autres que c'est une opportunité de trouver une nouvelle façon de travailler. Y a 6 mois, un peu plus de 6 mois maintenant, on a été forcé de tomber en mode de télétravail exclusivement. Tout à été fermé, le marché c'est un peu effondré dans plusieurs industries. Ce bout-là n'est pas un bout facile. À mon sens je pense que la carrière d’un avocat, ben à la fois les études sont difficiles, passer le Barreau c'est difficile, commencer sa carrière c'est difficile, pis les prochaines étapes de devenir associé ou de basculer du côté corporatif comme responsable légal, y a pas d’étapes qui sont nécessairement faciles.
Je pense que maintenant est une opportunité de se différencier tant du côté des candidats que du côté des employeurs et finalement tant au niveau des pratiques des bureaux d’avocats qu’au niveau corporatif. C'est pas toujours évident. Les salaires coupés c'est partout. Les défis sont partout, donc c'est pas une crise qui est propre à un secteur ou un autre, y en a qui sont plus touchés que d’autres. Effectivement c'est peut-être plus facile de ne pas être dans un milieu aérien par exemple, ou le milieu du tourisme, mais tous les secteurs ont leurs opportunités. Je pense que ça va forcer justement au niveau des candidats surtout en début de carrière à trouver une façon de se positionner différemment. Dans votre approche de recherche d’emploi, dans votre discours d’ascenseur « elevator pitch » tout ce que vous devez faire, tout ce que vous faites comme candidat dans un processus d’entrevue, vous devez le travailler différemment, mieux, être mieux préparé. Puis ultimement, travailler un peu plus fort pour aller chercher les mêmes résultats en termes de processus d’entrevue. C'est que c'est plus difficile, mais il faut le voir au-delà des prochains 12, 18 mois pour penser que ça pourrait changer des choses [00:13:42].
Mais avec la technologie aujourd'hui je pense que ça donne des opportunités de travailler plus larges que sa propre région. Quelqu'un de Montréal pourrait très bien travailler pour un cabinet basé à Québec, par exemple, ou à Ottawa ou à Vancouver et être dans un mode virtuel. On n’est pas tout à fait rendu là par exemple, pis là y a une question des différentes règles de droit entre le reste du Canada et le Québec. Mais d’un point de vue purement logistique, y a pu vraiment de barrières maintenant. Donc, ça crée des opportunités, elles ne sont juste peut-être pas faciles à voir présentement c'est un peu foncé, c'est un peu gris présentement.
Katherine : Donc, qu'est-ce qu’on devrait faire si on a perdu une opportunité professionnelle ou on peine à s'en trouver une?
Shaver : Moi y a un truc que je donnais avant pis qu’y a pas vraiment changé par rapport à maintenant. J’ai souvent des jeunes étudiants, des jeunes diplômés à qui je donnais des conseils, je leur disais « faites-vous voir » ». Mais plutôt que de se cacher derrière un courriel ou un message sur LinkedIn, plutôt que l’approche, disons beaucoup plus anonyme, allez-y dans l’espoir de discuter des discussions avec quelqu'un qui pourrait être un employeur potentiel et allez-y à travers les gens qui peuvent vous donner l’emploi. Y a le département de ressources humaines, oui effectivement, mais y a aussi d’avoir une approche de réseautage avec les associés ou avec des gens qui peuvent vous aider au sein de l’organisation à comprendre la structure, à comprendre potentiellement les besoins. Ultimement les ressources humaines sont un des points de contact bien évidemment, mais souvent ceux qui peuvent donner le pouvoir de donner une première chance à quelqu'un ou de trouver un profil qui soit différent des autres, c'est souvent la personne qui a le besoin dans son équipe directement. Beaucoup plus que la personne des ressources humaines ou les personnes qui gèrent le processus de recrutement autrement dit.
Donc c'est le supérieur immédiat ou une ou deux couches au-dessus. Ça veut dire quoi? Ça veut dire en temps normal, si quelqu'un envoie 50 applications pour les postes à 50 employeurs différents dans la même journée, c'est impossible que cette approche-là ait été personnalisée. Ça prendrait une semaine pour faire ça. Donc de prendre le temps surtout si vous avez ce temps-là, d'une certaine façon, parce que vous êtes à la recherche à temps plein. Ben c'est de prendre le temps d’approcher des gens. Parce que si vous êtes un parmi 100, c'est sûr et certain que le CV, le parcours, les notes universitaires, la note à l’examen du Barreau, tout ça peut faire une différence. Mais, ça ne fait pas de vous un bon ou un pas bon avocat ou une personne avec qui c'est plaisant ou pas plaisant de travailler. C'est vraiment au niveau de la personnalité des valeurs, la passion, la confiance, c'est tout des trucs qui sont très difficiles à observer à travers un CV. Donc d’essayer de réseauter dans cette approche-là. C'est facile de trouver qui sont les personnes pertinentes. Donc, c'est de les approcher, de dire je sais que vous êtes très sollicité, j’aimerais être en mesure de pouvoir discuter avec vous, voir si au niveau de votre cabinet ou de votre organisation, quelle est votre culture de travail, comment vous passez à travers la crise actuellement et voyez-vous des opportunités éventuelles pour un profil comme le mien.
Déjà, entre les 100 personnes qui font une approche générale à un gestionnaire pour un poste, ben sur ces 100-là, je vous promets qu'il y en a 2 ou 3 maximum qui vont vraiment aller à cette étape-là. Votre petit côté sucré, votre visage sucré, vous devez le faire ressortir. Votre détermination, votre passion, votre charisme, quelque chose que vous avez, votre facteur différenciateur, vous devez l’assumer et le présenter. Parce que sinon vous êtes juste un parmi, un ou une parmi 100, 500, 1 000.
Katherine : Est-ce que vous recommanderiez que nos messages LinkedIn ou nos courriels à ces recruteurs ou à ces gestionnaires soient davantage formels ou même plus informels, comme vous dites, de demander carrément : comment vous gérez la crise, comment ça va dans votre entreprise?
Shaver : Définitivement c'est pas une question que je poserais dans une approche écrite, éviter de poser la question de cette façon-là. Donc, y a plus qu’une approche à y avoir selon qui ont est. Si on parle à un recruteur, une agence de recrutement, un cabinet de recrutement externe, ou encore quelqu'un qui est dans une position de recrutement à l’intérieur d’une organisation, on n’a pas le même discours avec ces gens-là qu’on a avec un associé d’un patron d’un bureau d’avocat qu’on veut approcher ou le chef du département légal d’une organisation corporative. Donc on ne peut pas, c'est deux catégories différentes pour moi. La catégorie des chasseurs, des recruteurs ou des cabinets, on y va comme on peut et effectivement si y a pas d’opportunité y a des chances que ça se limite pas mal à ça. Je vais donner un exemple pour imager, un associé dans un bureau à Montréal et vous à Ottawa ou peu importe, vous cherchez quelques profils de juniors qui sortent de l’école. Vous pouvez faire un affichage, vous allez recevoir une centaine de CV, vous allez passer à travers, votre département va le faire. Mais imaginez si le poste n’est pas encore créé, vous n’avez pas encore tout fait approuver, mais vous savez que vous avez ce casse-tête-là. Vous savez que vous avez le besoin d’une personne de plus dans votre équipe et vous êtes en processus à l’interne pour faire approuver ce besoin-là. Mais là vous avez un candidat, ou une candidate, potentiel qui vous approche, avec un côté qui vous plait, avec une petite twist qui soit un petit peu différente de ce que vous avez vu ailleurs dans le marché des autres candidats que vous avez vu. Là, cette personne-là vous crée une petite étincelle, vous dites : wow OK quelque chose de différent, qui a une approche qui est différente qui me demande un petit peu de temps. Bon parfait, je vais lui faire un appel téléphonique ou un vidéo pour un 20, 30 minutes et je vais apprendre à la connaître un peu. Je ne dis pas que tout le monde va répondre oui, mais en faisant cette approche-là, ça devient une entrevue pas avec le recrutement, pas avec le patron ou celui qui peut dire : moi je veux cette personne-là. Alors, imaginez qu’il y a un coup de cœur réciproque et que la personne dit : j’ai pas encore un poste, je suis en train de le faire approuver, mais j’ai beaucoup aimé ce que j’ai entendu de ton parcours. T’as eu le culot, t’as eu le guts de m’approcher, de solliciter une rencontre avec moi, ce que très peu font. D’une façon tu t’es différencié des autres, pas juste de se vendre, mais vraiment de dire je m’intéresse à votre organisation, votre business, pour mieux la comprendre pour voir si je pourrais être un bon fit.
Et donc cette personne-là ce patron-là va aller voir ses ressources humaines très certainement et dire : je suis en train de faire approuver ce poste-là, et j’ai la personne que je veux que vous mettiez dans le processus pour le poste. Je lui ai parlé cette semaine, vraiment un coup de cœur, je veux la revoir et je veux que vous l’intégriez dans le processus. Ben, vous êtes là avant même que le poste existe. Donc, c'est beaucoup beaucoup de travail à faire, mais pour quelqu'un qui n’a pas d’emploi et cherche à temps plein, ça devrait être votre travail à temps plein.
Katherine : Si on veut être efficace, si on prend en compte les deux façons de voir, donc recruteur, ressources humaines ou bien aller directement à un associé ou à un gestionnaire, est-ce qu’on devrait prioriser d’aller voir les gestionnaires, d’écrire aux gestionnaires, appeler les associés, plutôt que de passer par les ressources humaines ou par les bureaux de recrutement?
Shaver : Ben alors là ça dépend de plein de choses, mais je pense que ce pourrait être une approche combinée. Il faut aussi jouer franc jeu avec les processus auprès des organisations parce que c'est vrai que si tout le monde se met à approcher les associés d’un bureau, les ressources humaines vont dire : à quoi on sert si on est court-circuité. Y a tout ça qu’il faut mettre en ligne de compte. Et ça demeure que les gens ont souvent peur d’approcher directement les patrons qui peuvent donner vraiment l’, qui sont eux les preneurs de décisions. Donc si y a pas de poste affiché sur le site, y faut faire son travail là, faut faire ses recherches il faut se préparer. Mais si on va visiter un cabinet d’avocat particulier, on a vraiment un intérêt pour eux, parce qu’on a fait, c'est réel, on a fait nos recherches, on a fait des investigations, on connaît peut-être un ou deux juniors qui sont là, ou même des collègues d'université avec qui on avait des bons liens qui travaille là. On va chercher un petit peu d’informations informelles sur, comment est la culture de travail, sur le bureau et tout ça, on rajoute à ça une approche. À ce moment-là les ressources humaines, très peu de chances qu’elles puissent aider. Si y a un poste ouvert, il est probable, et souvent dans la grande majorité de cas, ce que les associés vont faire c'est de dire : ben y a déjà un poste d’ouvert qui cadrerait dans votre parcours, donc je vous invite à appliquer directement sur le poste.
C'est plate parce qu'on perd un peu le relationnel qu’on tentait d'avoir avec le donneur d’ordre, mais ça fait partie du jeu et il faut le faire comme ça. Mais sur le lot, si on identifie 15, 20 entreprises ou 50 entreprises auxquelles on voudrait s’approcher, ben il faut qu’il y ait une histoire derrière chacune. À mon sens, ce que je remarque dans le marché tous les postes confondus, ça va s’appliquer également, même junior, en début de carrière, à moins de 5, 6 ans d’expérience dans un secteur, il faut trouver ce qui nous fait vraiment vibrer comme employé potentiel. Les valeurs d’organisation, l’alignement avec la vision de ce que la compagnie fait, le type de clients qu’ils représentent dans le cas d’un bureau d’avocats. Si ça ne nous parle pas, si y a pas véritablement quelque chose qui nous allume, ben un bureau d’avocat, c'est un bureau d’avocat. La pratique du droit c'est le même droit pour tout le monde, les clients vont changer, les bureaux vont changer éventuellement on reviendra aux bureaux. Tout ça va évoluer dans le temps.
Si on choisit d’aller travailler pour un associé ou pour un cabinet versus un autre c'est parce qu'on aime ce qu’il représente. Il faut que dans l’approche ce soit communiqué pour la personne qu’on approche. Parce qu'il n’y a rien de plus insatisfaisant ou frustrant pour une personne qui reçoit un CV d’avoir quelque chose de ultra générique. Même si ultimement y a une bonne partie du message qui se recycle d’une fois à l’autre, on cherche pour le même type de postes et tout ça, mais malgré tout, d’avoir fait le travail d’avoir rajouté quelques lignes spécifiques à l’organisation, tel cas, tel truc, j’ai vu une vidéo de vous comme associé directeur, j’ai vu une entrevue que vous avez donnée à telle organisation ou tel truc sur YouTube ou tel cas que vous avez fait qui avait été médiatisé. Bref, les exemples sont nombreux. Démontrez que, pis je m’excuse de l’anglicisme, you truly care. Vraiment vous vous êtes donné du mal pour creuser un peu plus.
Katherine : Mais en ce moment est-ce que ça fait vraiment une différence? Parce qu’on sait, on voit les sondages de l’ABC, on voit les études qu’ils font. Les postes sont coupés, y avait déjà trop d’étudiants sur le marché par rapport aux perspectives de stage, par rapport aux perspectives d’emploi d’entrée. En ce moment ç’a rempiré. Donc qu'est-ce qu’on fait si on est une personne qui veut travailler pour l’Aide juridique ou qui veut travailler pour des domaines qui ont en ce moment pas d’argent. Est-ce qu’on se trahit un peu et on va travailler dans le corporatif pour un bureau qui a un peu plus de financement? Ou on reste vrai à soi-même, pis on attend que ça revienne?
Shaver : Euh... ça c'est une question à un million de dollars, et je vais dire pourquoi c'est parce que si on a un million de dollars dans notre compte de banque, pis qu’on peut être patient, je dirais ben soyons patient. La réalité c'est pas ça, la réalité c'est que souvent y faut travailler pour le fait de travailler et qu’on choisit ce qui est disponible. Chaque personne doit se poser la question, oui, y a beaucoup moins d’opportunités, y a beaucoup de candidatures pour peu de postes, c'est vrai. Les employeurs ont moins de rôles à combler et sont encore plus sélectifs sur ce qu’ils vont choisir, sur le profil de la personne. Et avec tout le contexte du télétravail qui sera avec nous pour encore un bout de temps et même quand on sera passé cette crise actuelle, il y aura très certainement un balancier à y avoir, un équilibre à avoir entre un côté télétravail et travail de bureau. Le volet d’avoir les mêmes valeurs, les mêmes approches de travail, la confiance, la communication et tout ça, va devenir beaucoup plus fort. En étant dans un mode virtuel, il faut travailler sur la confiance, il faut s’assurer que la qualité du travail, que la gestion du temps, qu’on ait recruté un profil pas seulement légalement compétent, mais au niveau technique, mais que ce quelqu'un en qui on a confiance et qu’on a développé un lien des valeurs de travail, une approche, professionnalisme, une autonomie. On voit que c'est vraiment quelqu'un qui a le goût de faire son bout. Donc, à mon sens c'est tout aussi important de se démarquer en étant soi-même et en poussant ces bouts-là.
Puis, après ça si la réalité est que j’ai absolument pas le choix de travailler parce que… ben trouver un travail dans un secteur sans vendre votre âme au diable, trouver un travail qui soit correct en termes de vos valeurs, de type de dossier, de secteur d’activité ou autres. Bâtissez là-dessus, bâtissez votre expérience que vous voyez où ça va vous mener après. Quand la crise passera y a rien qui empêche de retourner dans des organisations qui soient autres. À la limite, à l’extrême, j’ai vu des gens dire : regarde je vais donner une semaine, je vais aller travailler pour toi une semaine de temps, je vais vous aider, je vais faire du bénévolat pendant une semaine. Y a rien qui t’empêche de faire ça, si ultimement vous n’avez pas d’emploi actuellement et que ça vous plait vraiment vraiment vraiment, ben quelque part une personne qui est prête à offrir ça c'est qu’elle a confiance en ses moyens. Elle a le temps de le faire aussi il faut voir la réalité. Pourquoi ne pas faire un peu de bénévolat, ça nous fait se sentir bien. On aide pour la bonne cause.
Vous parliez de l’Aide juridique, y a rien qui empêche de le faire pis ultimement c'est fort probable, c'est fort possible, que ça crée une opportunité par la suite : je ne peux pas t’embaucher à temps plein, ferais-tu un contrat de 3 mois avec ces conditions-là? Si vous n’avez rien d’autre, la réponse c'est oui. Je pense qu’il faut se mettre aujourd'hui dans un mode, pis pour le prochain 6 à 12 mois, on comprend qu’on est dans un… on marche sur des œufs pour un petit bout de temps. Pis c'est pas une boule de cristal on le sait, on le voit. On est dans un mode où on ne sait pas trop exactement quand est-ce que ça va finir. Ça va demeurer éclectique pendant encore un bout de temps. Donc, allez en chercher, aller chercher mieux, y a plein d’organisations qui ont besoin d’aide et de bénévoles. Pourquoi ne pas le faire? Pis ça plus tard, je suis convaincu que dans une entrevue de dire : qu'est-ce que t'as fait? Peux-tu me prouver comment t’es différent? Qu'est-ce que t’as fait de plus pour te différencier? Ben pendant que le marché était vraiment difficile, au creux de la crise de la COVID et tout le monde va se rappeler de ça comme étant apocalyptique là, de dire, pendant cette crise-là, je suis allé voir l’Aide juridique, je suis allé voir telle association, telle organisation et je leur ai donné de mon temps. J'ai fait du bénévolat pendant une semaine ou deux semaines, peu importe. Pis je les ai aidés du mieux que je pouvais, il n’y avait pas de postes, ils avaient besoin d’aide, y avait pas d’argent, mais, regarde je suis allé les aider. Ça m’a fait sentir bien, ça les a aidés, pis ça m’a créé une expérience que je [00:29:41]. Pis là ça ça devient quelque chose qui est plus conseil d’administration ou plus que n’importe quoi sur un CV.
Katherine : Donc on reste vrai à soi-même, mais on descend aussi un peu ses standards ou ses attentes de dire OK, peut-être que je ne serai pas rémunéré, ou ce ne sera peut-être pas un contrat de 2 ans. On va commencer avec… on prend ce qui vient.
Shaver : Ben on prend ce qui vient, si ça nous… si, je veux dire un bureau pratique privée à but lucratif qui a les moyens et tout ça, c'est peut-être autre chose, pis on peut le faire dans un contexte où y a énormément de compétition et on veut se différencier. Ça peut être une approche. Si on veut aller dans de l’OBNL, si on veut aller dans l’Aide juridique, dans des organisations qui ont peu de moyens, qui ont besoin d’aide pis que c'est vraiment ça qu’on veut faire comme individu, ben moi je dirais : walk the talk. Pis à la limite de dire regarde je le fais en attendant de trouver quelque chose qui paye, pis c'est quand même d’être honnête envers l’organisation. Regarde, je vais te donner du bénévolat, je vais te donner 30 heures par semaine, je vais me garder du temps pour des entrevues parce que je vais continuer à me chercher un emploi, parce que je dois travailler. Pis voilà. Pis y a personne qui va dire non à ça, peu de gens qui vont dire non à ça.
Katherine : Sur cette note, j’aimerais qu’on termine avec une dernière question. Pour les étudiants, donc là on est… disons qu'on est étudiant, on est associé, on a déjà un certain bagage, expérience qu'on peut amener de l’avant pour chercher un poste en se différenciant. Mais pour les étudiants qui ne sont pas capables de se trouver des stages, en ce moment y en a juste pas. Qu'est-ce qu’on leur conseille? Est-ce qu'ils devraient prendre un poste dans n’importe quelle autre organisation ou business? Est-ce qu'ils devraient faire plus d’étude? Est-ce qu'on leur dit de pousser pour rester dans le droit, de rester dans le domaine du droit, pis on ne change pas?
Shaver : Je répondrais un petit peu sous le même ordre d’idées, ça dépend de votre situation personnelle. Si on termine le premier cycle d’études pis que l’idée a toujours été d’aller au deuxième cycle, pis que vous êtes en moyen tant financièrement de le faire, pourquoi pas? Arrêtons d’essayer de se battre, de ramer contre le courant, prenons l’opportunité de le faire, c'est un très bon temps, pis on le voit dans beaucoup d’universités. Je suis impliqué avec le HEC et ils n’ont jamais eu autant de gens en admission. C'est pas le même portrait du tout qu’ils ont eu dans les années passées, mais en termes d’étudiants ils en ont plus qu’ils n'en ont jamais eus. Donc c'est un excellent temps pour aller chercher un perfectionnement différent, de vous perfectionner différemment, d’aller au niveau de la maîtrise, d’aller pousser un petit peu plus ou d’aller chercher quelque chose de complètement champs gauche qui pourrait vous amener des compétences complémentaires pour un secteur d’activité. Si vous voulez aller en droit dans le secteur des technologies, l’intelligence artificielle, la propriété intellectuelle, pourquoi pas aller chercher des cours supplémentaires là-dessus. Si vous êtes en mesure de le faire, c'est une bonne avenue. C'est pas la seule avenue, mais s’en est une très bonne.
Si c'est une question de y faut que je travaille, ben là à ce moment-là je veux dire oui y faut prendre un peu ce qui passe, quitte à être très transparent avec l’employeur que c'est en attendant que je trouve ce que je trouve vraiment. Et beaucoup d’employeurs aujourd'hui vont être dans une position, y a une bonne façon de le dire, mais beaucoup d’employeurs vont être dans une position de dire : parfait je prends toute l’aide que je peux avoir, le temps que je peux l’avoir pis go. Pis si c'est juste d’aller chercher justement on parlait de stage et tout ça, pis que la rémunération n’est pas pertinente, ou en tout cas pas critique, ben même chose. Allez dans une organisation qui vous plait vraiment, faite sou forme de bénévolat ou bénévolat partiel pour trouver un moitié, moitié et tout ça. Les employeurs ne peuvent pas approcher comme ça. Mais vous comme candidats, candidates, si vous choisissez d’approcher une organisation en disant : je l’offre, c'est dans l’autre sens. Moi ça me va de le faire à l’envers de ce qu’on avait dit : pourquoi pas?
Katherine : On se trouve comme étant essentiel dans le fond, irremplaçable puis après, notre travail va démontrer tout pour nous.
Shaver : Exactement, puis après ils vont dire : ah ben es-tu capable de faire un peu plus large que ça, ferais-tu un 20% de tâches autres. Parce que là on a besoin de bras, pis…Oui go pourquoi pas?
Katherine : Est-ce que vous avez un mot de la fin. Est-ce que vous avez un conseil ou commentaire que vous n’avez pas fait que vous voulez vraiment partager?
Shaver : Pour faire une espèce de sommaire de tout ce qu’on a dit, c'est dans une période aussi extrême comme on vit actuellement je crois qu’il faut penser à toutes les options qui existent et toutes celles qu’on n’a jamais vues qui n’existent pas. Donc de se dire, ben j’suis capable de le faire, mais ça, j’ai jamais vu ça, j’ai jamais entendu ça. Soyez créatif, pensez à une idée folle par 2, 3 personnes de votre entourage pour voir s’il y a des risques de se faire exploiter d’une certaine façon ou quoi que ce soit dans tout ça, pour ne pas que ça devienne une façon négative, mais d’un point de vue : ouais ben j’ai jamais vu ça, cette phrase-là ne peut plus exister, je pense, pour au moins la prochaine année, y faut juste dire, j’y vais comme ça peut, comme ça va, prendre ce qui vient et on essaie quelque chose. Pis si ça ne fonctionne pas, on n’a pas signé en sang, je veux dire on peut essayer quelque chose et au bout de trois jours dire : ça ne marche pas du tout. On arrête là.
Katherine : Ciao bye.
Shaver : Ben voilà, exactement, y a pas une nécessité de rester dans la gueule du loup. Mais je pense que c'est ça, c'est de ne pas dire, de sortir de son vocabulaire « ouais, mais j'ai jamais vu ça ». Parce qu'on n’a jamais vu ce qui se passe actuellement, pis y a des organisations qui réussissent à passer à travers, même s’élever au-dessus de la mêlée, donc il faut le faire.
Katherine : Exactement.
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