Résumé jurisprudentiel – R. v. Anderson

  • 18 janvier 2018
  • Tony Cellitti

Dans R. v Anderson, 2017 MBCA 31 (disponible uniquement en anglais), la Cour d’appel du Manitoba devait trancher un appel interjetĂ© par le ministère public Ă  l’encontre d’une dĂ©cision de dĂ©termination de la peine rendue par un tribunal de première instance Ă  l’Ă©gard d’une condamnation pour conduite avec facultĂ©s affaiblies causant des lĂ©sions corporelles. La peine d’emprisonnement imposĂ©e par le tribunal de première instance Ă©tait infĂ©rieure Ă  l’Ă©ventail des peines Ă©noncĂ©es par une dĂ©cision antĂ©rieure de la Cour. Eu Ă©gard Ă  sa dĂ©cision d’accueillir l’appel et d’allonger la peine d’emprisonnement, la Cour devait trancher la question de savoir si l’accusĂ© devait ĂŞtre incarcĂ©rĂ© de nouveau, puisqu’il avait dĂ©jĂ  intĂ©gralement purgĂ© la peine d’emprisonnement initiale.

Faits de l’espèce. L’accusĂ© conduisait son vĂ©hicule en contresens sur une route. Il est entrĂ© en collision avec un autre vĂ©hicule dont le conducteur et les deux passagers ont Ă©tĂ© blessĂ©s. L’autre conducteur a tentĂ© d’Ă©viter la collision en arrĂŞtant son vĂ©hicule. L’accusĂ©, dont le vĂ©hicule se dĂ©plaçait Ă  105 km/h, a freinĂ© environ une seconde avant l’impact, qui s’est produit Ă  77 km/h. Le taux d’alcoolĂ©mie de l’accusĂ© s’Ă©levait Ă  plus du double de la limite lĂ©gale. Une cannette de bière ouverte a Ă©tĂ© trouvĂ©e dans le vĂ©hicule de l’accusĂ©, qui a accueilli les secours Ă  grand renfort de blagues et de gestes de fĂ©licitations. L’accident a causĂ© de graves blessures et des prĂ©judices moraux et Ă©motionnels aux trois occupants de l’autre vĂ©hicule.

L’accusĂ© a plaidĂ© coupable de conduite avec alcoolĂ©mie supĂ©rieure Ă  0,08, causant des lĂ©sions corporelles, et de dĂ©faut de comparution devant le tribunal Ă  la date prĂ©vue pour l’enquĂŞte prĂ©liminaire.

L’accusĂ©, un Autochtone, avait 26 ans et ne possĂ©dait pas de casier judiciaire. MariĂ©, il avait trois enfants en bas âge qui rĂ©sidaient dans la Première Nation Ebb and Flow alors qu’il Ă©tait employĂ© Ă  Winnipeg, oĂą il vivait loin d’eux. Les sentiments de solitude et d’isolement l’ont amenĂ© Ă  consommer de l’alcool. Le rapport prĂ©sentenciel positif soulignait que l’accusĂ© acceptait l’entière responsabilitĂ© de ses actes, le dĂ©crivait comme prĂ©sentant un faible risque de rĂ©cidive et recommandait une mesure communautaire.

Lors de l’audience de dĂ©termination de la peine, l’avocat de la Couronne a recommandĂ© une peine d’emprisonnement de deux ans, alors que celui de la dĂ©fense demandait un emprisonnement intermittent de 90 jours suivi de trois ans de probation sous surveillance.

S’agissant de l’accusation de conduite avec alcoolĂ©mie supĂ©rieure Ă  0,08, causant des lĂ©sions corporelles, la juge de la dĂ©termination de la peine a imposĂ© un emprisonnement intermittent de 90 jours suivi de trois ans de probation sous surveillance assorti d’une condition selon laquelle il devait effectuer 100 heures de travail communautaire, d’une interdiction de conduire pendant deux ans, d’une interdiction de possĂ©der des armes pendant dix ans et d’une ordonnance de prĂ©lèvement d’ADN. Le dĂ©faut de comparution a Ă©tĂ© sanctionnĂ© par une amende de 500 $. Les motifs du juge de la dĂ©termination de la peine sont publiĂ©s sous la rĂ©fĂ©rence 2016 MBPC 28 (disponible uniquement en anglais).

Le ministère public a interjetĂ© appel de la peine correspondant Ă  l’accusation de conduite avec facultĂ©s affaiblies. L’avocat de la Couronne soutenait que la peine n’Ă©tait pas adaptĂ©e eu Ă©gard Ă  la façon dont le condamnĂ© conduisait, Ă  son taux d’alcoolĂ©mie et Ă  la nĂ©cessitĂ© de dissuasion en gĂ©nĂ©ral. Il a ajoutĂ© que la juge de la dĂ©termination de la peine avait errĂ© dans son examen et sa qualification des circonstances aggravantes et attĂ©nuantes (qui incluaient les facteurs Gladue).

La Cour a conclu, Ă  l’unanimitĂ©, que la dissuasion d’ordre gĂ©nĂ©ral constitue l’un des objectifs essentiels de la dĂ©termination de la peine en cas de conduite avec facultĂ©s affaiblies; infraction qui cause plus de dĂ©cès au Canada que toute autre violation de la loi. La Cour a soulignĂ© que, selon l’arrĂŞt R. v. Smoke, 2014 MBCA 91 (disponible uniquement en anglais), l’Ă©ventail des peines dont la conduite avec facultĂ©s affaiblies causant des lĂ©sions corporelles est passible d’un emprisonnement d’une durĂ©e de 6 Ă  24 mois. C’est le cas mĂŞme en la possible absence de nĂ©cessitĂ© d’une dissuasion individuelle.

Tout en reconnaissant que les Ă©ventails de peines ne sont que des lignes directrices et que, dans les circonstances appropriĂ©es, les tribunaux peuvent infliger des peines diffĂ©rentes, au terme de son examen, la Cour a conclu que ce n’Ă©tait pas le cas en l’espèce. Elle se fondait sur le fait que la juge de la dĂ©termination de la peine avait indĂ»ment minimisĂ© les circonstances aggravantes qui devaient ĂŞtre comparĂ©es aux circonstances attĂ©nuantes. La Cour a reconnu que les facteurs Gladue Ă©taient prĂ©sents et qu’une peine parmi les moins sĂ©vères de l’Ă©ventail Ă©tait justifiĂ©e. La Cour a par consĂ©quent accueilli l’appel et conclu qu’une incarcĂ©ration d’une durĂ©e de six mois Ă©tait une peine appropriĂ©e.

Le temps que la dĂ©cision soit rendue en appel, l’accusĂ© avait dĂ©jĂ  purgĂ© sa peine intermittente de 90 jours, amenant la Cour Ă  se pencher sur la question de savoir s’il devait ĂŞtre incarcĂ©rĂ© de nouveau ou si un sursis devait lui ĂŞtre accordĂ© afin d’Ă©viter l’injustice crĂ©Ă©e par cette situation. Dans le cadre de son Ă©valuation, la Cour a dressĂ© la liste indicative suivante de facteurs pouvant ĂŞtre pris en compte :

  1. les raisons du retard entre la date de l’arrestation et celle de l’imposition de la peine,
  2. la durĂ©e Ă©coulĂ©e entre l’imposition des peines en première instance et le moment oĂą elles ont Ă©tĂ© purgĂ©es,
  3. la gravitĂ© de l’infraction,
  4. les mesures prises par l’accusĂ© pour se rĂ©insĂ©rer dans la sociĂ©tĂ© tant avant qu’après le prononcĂ© de la peine, et la mesure dans laquelle une nouvelle incarcĂ©ration leur nuirait,
  5. la durĂ©e de la peine n’ayant pas encore Ă©tĂ© purgĂ©e (soit la diffĂ©rence entre la nouvelle peine et celle qui avait Ă©tĂ© imposĂ©e en première instance).

Alors que la Cour a reconnu que la gravitĂ© de l’infraction exige que l’accent soit mis sur la dissuasion et la rĂ©probation, elle a aussi reconnu que l’accident avait eu lieu presque quatre ans avant que l’appel ne soit tranchĂ©. Une nouvelle incarcĂ©ration aurait d’importantes consĂ©quences financières nĂ©gatives pour l’accusĂ© et sa famille et entraverait les efforts de rĂ©adaptation dĂ©ployĂ©s par l’accusĂ© depuis lors. La Cour a conclu que la sociĂ©tĂ© ne tirerait aucun avantage d’une nouvelle incarcĂ©ration. Elle a par consĂ©quent sursis Ă  la portion restante de la peine d’incarcĂ©ration.

La Cour a reconnu dans ses motifs Ă©crits qu’il s’agissait d’un appel difficile Ă  trancher. Elle devait parvenir Ă  Ă©tablir un Ă©quilibre subtil entre, d’une part les principes de rĂ©adaptation et de justice rĂ©paratrice et, d’autre part, ceux de la dissuasion et de la rĂ©probation. Alors qu’il s’agit de facteurs qu’un juge de la dĂ©termination de la peine est toujours tenu d’examiner, la difficultĂ© en l’espèce Ă©tait renforcĂ©e par le fait que la Cour avait un devoir de dĂ©fĂ©rence envers la dĂ©cision de la juge de la dĂ©termination de la peine et que l’accusĂ© avait fait de considĂ©rables efforts pour se rĂ©insĂ©rer dans la sociĂ©tĂ© après avoir purgĂ© sa peine. Cette dĂ©cision rendue en appel semble ĂŞtre parvenue Ă  un Ă©quilibre appropriĂ© entre l’alourdissement de la peine et le fait de ne pas exiger de l’accusĂ© une nouvelle incarcĂ©ration, Ă©vitant ainsi l’injustice que cela aurait crĂ©Ă©.

Tony Cellitti est avocat de la dĂ©fense dans le cabinet Phillips Aiello Ă  Winnipeg (Manitoba). Il est membre du Conseil de l’Association du Barreau du Manitoba (ABM), coprĂ©sident de la Section du droit pĂ©nal de l’ABM et membre de la direction de la Criminal Defence Lawyers Association of Manitoba.